Introduction

1Les Jeux olympiques et paralympiques (JOP) sont destinés à être une grande fête « populaire ». De fait, ils sont populaires au sens où ils agrègent des foules importantes qui assistent aux épreuves sportives dans les enceintes des compétitions et les fan zones ou, plus nombreuses encore, qui les regardent à la télévision. En effet, à Paris, les projections tablent sur 10 millions de visiteurs sur place et 4 milliards de téléspectateurs et téléspectatrices. Rassembler autant de personnes en un même endroit, au même moment, pose nombre de questions de sécurité aux pouvoirs publics ; une mauvaise organisation ou des infrastructures défaillantes, ainsi qu’une mauvaise gestion de supporters par la police, ayant par le passé mené à des drames qui ont fait des centaines de morts – en particulier dans le football. Plus globalement, ces événements sont perçus comme doublement à risque par les représentant.es des pouvoirs publics et par les autorités policières. Outre les mouvements de foule dangereux, le premier risque identifié est celui de l’attentat, comme ce fut le cas en 1972 lors des Jeux de Munich où onze athlètes israéliens furent tués en lien avec une prise d’otages. Après cette attaque, les JOP de Montréal en 1976 marquent ainsi un tournant avec un accroissement des dispositifs de sécurité et leur pérennisation par des formes d’héritages dans les pays hôtes (Clément, 2017). La seconde crainte est que les JOP puissent servir de plateforme revendicative pour des groupes militants, dont l’audience médiatique serait démultipliée tout en perturbant le déroulé prévu de l’événement.

3Mais, au-delà du recours à de nouvelles formes de sécurité, les JOP mobilisent de façon exceptionnelle les forces de l’ordre et la sécurité privée dans le cadre de l’organisation de l’événement. Pour les JOP de Paris 2024, des services spéciaux (GIGN, BRI, etc.) seront présents, une partie de la police et de la gendarmerie nationales sera déplacée pour assurer la sécurité en Île-de-France, de même que des soldats de l’armée, qui établira un camp sur la pelouse de Reuilly. Des renforts d’armées étrangères sont aussi attendus. En complètement, un grand nombre d’agents privés de sécurité et de sûreté — vigiles, agents cynophiles, opérateurs de vidéosurveillance — sont attendus ; dans cette optique, France Travail (ex Pôle emploi) a ouvert 25  000 places de formation dans le domaine de la défense, prévention et sécurité au cours des mois précédents les jeux. Si le manque, au dernier moment, de main-d’œuvre dans le domaine de la sécurité privée a fait scandale à Londres (2012) et apparaît de façon croissante dans les discours médiatiques sur Paris 2024, l’enjeu des conditions d’emploi, de travail et de rémunération dans ce secteur reste quant à lui peu commenté.

4La sécurité s’exprime également par la mise en ordre de l’espace urbain, les JOP prenant souvent place dans des quartiers défavorisés, populaires, qui sont ainsi soumis à des transformations urbaines importantes (Essex et Chalkley, 1998 ; Pedranti, 2012), associées au contrôle du peuplement et des pratiques sociales. L’accueil des JOP, voire même la seule entrée des villes dans la compétition pour ce faire, est soumis à un agenda et à la mise en œuvre de politiques strictes, qui favorisent une approche entrepreneuriale du gouvernement urbain avec des partenariats public-privé où les acteurs privés s’organisent pour tirer profit d’argent public plutôt que réellement créer de nouvelles formes de croissance, quoique celles-ci soient très présentes sur les discours à propos de l’héritage olympique (des « grant coalitions », plutôt que des « growth coalitions », voir Cochrane, Peck et Tickell, 1996). La régénération urbaine en lien avec les jeux s’appuie sur les politiques de sécurité. En France, des plans destinés à diminuer la délinquance sont mis en œuvre depuis 2022 dans des secteurs estampillés JOP, dont une partie se situe dans le département de Seine-Saint-Denis. Par ailleurs, des programmes de régénération urbaine et de création de nouveaux réseaux de transport et infrastructures, souhaités et mis à l’agenda par les pouvoirs publics des villes hôtes, se traduisent par des déplacements forcés des populations plus précaires ou fragilisées, voire par leur exclusion, dans certains cas, comme à Rio (Gaffney, 2016 ; Magalhães, 2013). Les politiques olympiques sont plus généralement la continuation de formes d’action publique à l’échelle nationale et locale visant certains espaces urbains, où politiques urbaines et politiques de sécurité sont souvent conçues ensemble (Fussey et al., 2012).

6Pourtant, la politique s’invite malgré tout dans les arènes et les stades avec les prises de position politiques des athlètes ou des délégations. C’est le cas par exemple de l’athlète Peter O’Connor qui grimpe sur un mât avec un drapeau irlandais en 1906 pour contester son assignation à l’équipe britannique, ou encore du poing levé des athlètes africains-américains Tommie Smith et John Carlos sur le podium à Mexico en 1968, lié au mouvement des droits civiques aux États-Unis. Le chercheur Jules Boykoff souligne deux éléments à propos des mobilisations politiques liées aux JOP. D’abord, il note l’interpénétration entre les prises de position politique des athlètes et les mouvements politiques externes au sport, les seconds cadrant l’espace d’expression des premiers (Boykoff, 2018). Ensuite, il estime que la plupart des mouvements politiques critiques des JOP agrègent des groupes à partir d’agendas différents, leur coalition le temps de l’événement ne se pérennisant pas dans un mouvement avec ses propres objectifs. Ce n’est qu’avec le développement de NOlympics à Los Angeles en 2017 (Boykoff, 2020) qu’il identifie le développement d’une contestation spécifique et transnationale qui dénonce les JOP et leurs déterminants structurels (« capitalisme de fête », militarisation de l’espace public, un élément souligné par d’autres recherches [Coaffee, 2024]) en tant que tels, et non pas seulement les effets de leur organisation dans une localisation en particulier.

7La politique internationale est au cœur des JOP, comme en témoignent au fil des années les boycotts de certains jeux ou encore l’exclusion d’équipes nationales en vertu des agissements de leur État. Si les JOP tendent aujourd’hui à véhiculer une image de neutralité festive, ils occupent une place dans les relations internationales (Augustin et Gillon, 2021). S’agissant de politique et de contestation lors des JOP, c’est donc bien plutôt d’un ordonnancement des paroles légitimes à s’exprimer ou non, des « bonnes » et des « mauvaises » mobilisations, qu’il semble s’agir. Cet ordonnancement montre un état des rapports de force qui ont cours dans la société qui accueille l’événement, mais aussi plus globalement sur la scène internationale. Le contrôle de l’image d’un tel événement, lié à des intérêts économiques très importants, soutenu par la force et le poids médiatiques d’un comité d’organisation professionnel, rendent difficilement audibles les voix qui tentent de faire entendre une autre histoire des JOP, d’en éclairer certains effets, de faire dissensus par rapport à l’histoire qui est donnée de la localité/nation accueillante et de l’héritage ou des valeurs promues par un tel événement.

8Il nous a donc semblé intéressant de donner la parole à des groupes qui contestent les JOP et leurs effets. Nous avons rassemblé cinq personnes appartenant à quatre collectifs mobilisés contre les JOP de 2024 : le Comité de vigilance JO 2024 à Saint-Denis, la Coordination contre les Jeux olympiques de Marseille, la Quadrature du Net et Saccage 2024. On verra que la dichotomie relevée par Jules Boykoff se retrouve dans les discours rassemblés ici, entre collectifs dénonçant les effets que l’organisation des JOP peut avoir sur leurs territoires et les populations qui y habitent ou qui se mobilisent contre l’organisation des JOP en elle-même. Il s’agit dans l’entretien qui suit de revenir sur leur vision des politiques de sécurité dans le cadre des JOP, afin qu’elles et ils puissent également décrire les actions mises en place sur ces thématiques, les acteurs qu’ils et elles identifient sur ces sujets et l’écho que reçoivent leurs mobilisations.

9Cet entretien témoigne d’abord d’une diversité des collectifs, dans leurs motivations, leurs actions et leurs orientations politiques. L’entretien permet à ces différentes paroles de s’exprimer ensemble, plutôt qu’à travers un cadrage médiatique qui rétrécit souvent l’espace de discussion et de débat. Par ailleurs, à rebours de discours cherchant à unifier la contestation sous une bannière de « trouble-fête », voire de fauteurs de troubles, on observe ici des mobilisations qui se saisissent d’armes juridiques, d’analyse des politiques publiques, de relevés sur le terrain – bref, d’instruments visant à interpeller les représentant.es des pouvoirs publics au sujet de leur rôle dans l’action publique liée aux JOP (un intervenant souligne ainsi que derrière « les JOP », il y a des élu.es, des administrations, des agences aussi bien nationales que locales, dont il s’agit de ne pas invisibiliser les choix), mais aussi d’outils propres au fonctionnement démocratique d’une société. Ceux-ci sont aussi destinés à produire et à diffuser de l’information sur un objet au croisement de différents secteurs d’action publique (le logement, la sécurité, les politiques sociales, les politiques environnementales, etc.). Cette nécessité pour les collectifs d’objectiver les effets de l’organisation de cet événement et de parvenir à les imposer dans le débat public souligne aussi, en creux, à quel point le cadrage des JOP et de leur interprétation est verrouillé. La dimension massive et festive de cet événement sportif exceptionnel renforce cela, renvoyant les critiques à celles d’une minorité sans ancrage venant troubler la « fête populaire ».

10Ensuite, cet entretien témoigne des différentes conceptions de la sécurité et de l’appréhension des politiques de sécurité liées aux JOP pour ces collectifs. Il s’agit ici à la fois pour eux de contester l’évolution de certaines politiques sécuritaires, notamment en lien avec la surveillance de l’espace public, mais aussi d’éclairer les tensions entre les investissements dans les politiques de sécurité et ceux qui sont réalisés dans d’autres secteurs, comme les politiques sociales. Les politiques de sécurité sont discutées au regard de leurs effets sur différentes catégories de personnes : habitant.es de quartiers populaires où résident également de nombreuses personnes racisées ; travailleurs et travailleuses de l’économie informelle ayant lieu dans l’espace public (travail du sexe, vente à la sauvette) ; militant.es potentiellement ciblé.es par la surveillance. Finalement, la question de la militarisation de l’espace public est discutée comme étant l’un des éléments structurants des JOP, dont témoigne la présence massive des forces de l’ordre, des armées ou de la sécurité privée. L’entretien souligne néanmoins la difficulté de mobiliser sur ces questions, auprès des résident.es comme d’autres groupes militants, malgré un intérêt médiatique pour les questions de sécurité qui s’accroît à l’approche des JOP. Ces éléments pourront néanmoins être interrogés après l’événement, car l’effet des politiques mises en œuvre varie selon les contextes politiques, sociaux, nationaux (Samatas, 2011). Il s’agira alors d’en saisir « l’héritage » différencié selon les territoires qui auront accueilli les JOP, les orientations des politiques locales, les caractéristiques des habitant.es et les mobilisations qui auront pu y voir le jour.

S’organiser contre les JOP de Paris

Myrtille : Pourriez-nous vous présenter vos collectifs, les luttes que vous menez et vos positionnements par rapport aux JOP ?

Cécile (Comité de vigilance ) JO 2024 : Le Comité de vigilance s’est constitué en septembre 2017, quelques jours après l’annonce de l’attribution des Jeux olympiques 2024 à Paris. À Saint-Denis, il y a un tissu associatif et militant assez dense et l’idée était de réunir les organisations qui pouvaient être intéressées par cette question.

Le comité a aggloméré des associations et collectifs sur une plateforme assez large : l’Union des associations des riverains du Stade de France, Pleyel à venir, la FCPE, le collectif pour l’enfouissement de l’autoroute A1, les usager.es de la piscine de Marville, des membres de France Nature environnement… Et le collectif est composé de personnes aux sensibilités politiques diverses. Il y a des personnes membres ou proches de la France Insoumise. Par exemple, je suis à l’Institut la Boétie, proche de la France Insoumise, sans être encartée. C’est aussi le cas d’Alexandre. Mais il y a aussi des personnes qui ont voté pour Mathieu Hanotin, l’actuel maire PS de Saint-Denis. Le comité regroupe aussi des associations historiques de l’Union des associations des riverains du Stade de France, qui ont une analyse précieuse de ce qui se passe autour du Stade de France, mais qui n’ont pas du tout de dimension révolutionnaire. Certaines personnes font aussi partie de Saccage 2024.

En 2017, on s’est retrouvé.es, on a eu des débats sur ce qu’on allait faire, ce dont on avait besoin. On savait avec le dossier de candidature qu’il y aurait des sites des JOP à Saint-Denis, qu’il y aurait le Village des athlètes, peut-être une piscine, voire deux, mais ce n’était pas très clair. La première chose qui s’est donc imposée était de collecter des informations.

On a eu des débats internes pour savoir si on se positionnait pour ou contre les JOP. Comme il y avait différentes lignes, on a opté plutôt pour un non-positionnement, dans le sens où on s’intéressait plutôt à la question de l’héritage et à son suivi, d’où le choix du nom Comité de vigilance JO. Pour commencer, à chaque réunion mensuelle on essayait d’évoquer une question précise. Par exemple, Frédéric Viale du collectif Non aux JO 2024 à Paris était venu nous présenter une analyse de la loi olympique.

Et assez vite, dès début 2018, il y a eu les premières enquêtes publiques et les premières réunions de concertation. C’était un moment très technocratique. On a participé à toutes les réunions de concertation, à la fois on y collectait des informations supplémentaires et on y posait des questions, parce qu’on commençait à avoir de premières inquiétudes et des questionnements.

Enfin, nous sommes un collectif qui n’a pas d’existence juridique. Mais certaines associations dans le collectif ont porté des actions juridiques ; par exemple celle contre l’échangeur autoroutier portée par la FCPE et l’association de riverains Pleyel à venir.

On s’est appelé Saccage 2024 pour signifier qu’on lutte contre les saccages écologiques et sociaux provoqués par les JOP de Paris. Au départ, il n’y avait pas une ligne anti-JOP. On s’était plus construit autour des questions écologiques et de la lutte contre la bétonisation. Au fur et à mesure, la ligne a un peu bougé, avec un tournant lors d’une rencontre qu’on a organisée à Paris 8 en 2022 avec des collectifs internationaux anti-JOP. On a adopté une ligne anti-JOP assumée, qui rejoint le mot d’ordre « ni ici ni ailleurs » : l’enjeu ce n’est pas seulement de lutter contre les effets des JOP à Paris, mais de dire qu’il faut arrêter et annuler les JOP ici ou ailleurs, car on observe des effets structurants, qui se reproduisent à chaque édition.

Les trois grands axes du collectif, c’est de sensibiliser la population sur les effets structurants des JOP, de s’organiser contre les JOP et d’aider les luttes qui s’organisent autour de l’évènement. Par exemple, on essaie d’aider la lutte avec les sans-papiers qui s’organisent contre les effets sur eux des JOP. Le tout en sachant qu’on n’est pas nombreux et qu’on n’a pas beaucoup de moyens. Donc, ce qu’on fait c’est beaucoup du relai médiatique.

Camille (Coordination contre les Jeux olympiques de Marseille) : À Marseille, le premier objectif c’est de visibiliser le fait qu’une partie des épreuves se déroulent à Marseille et que cela a des conséquences directes variées. Les réunions contre les JOP ont commencé au printemps 2023, à l’initiative d’un collectif anti-gentrification. Ce collectif a fait un travail pour montrer comment ce type d’événements participe à la gentrification, mais aussi quels impacts il a sur le logement ou la surveillance. Un grand week-end a été organisé sur le sujet en octobre 2023, auquel de nombreux collectifs ont été invités à participer, à tenir des stands, à proposer des choses. Et à partir de là, la coordination s’est vraiment construite avec Extinction Rebellion (XR) et le collectif Stop Croisières. Il y a eu de nombreuses nouvelles personnes et un grand turnover.

Les objectifs sont difficiles à définir. Pour le groupe à l’origine de cette coordination, la question de savoir si nous sommes ou non anti-JOP ne se pose même pas, c’est assez évident que nous le sommes. Pour les organisations qui ont rejoint ensuite, ce positionnement était explicite ; je ne sais pas si toutes les personnes qui ont rejoint sont anti-JOP à titre individuel, mais en tous cas il n’y a jamais vraiment eu de débat sur ce positionnement.

Le collectif Technopolice de Marseille est très actif, on est aussi deux membres de la Quadrature du Net à Marseille. On organise des évènements, on a régulièrement organisé des sessions de cartographie collaborative de caméras (de vidéosurveillance) sur OpenStreetMap. Ça nous a permis d’identifier pourquoi il y avait plus de caméras dans certains quartiers et dans quel but : par exemple on a des caméras dans un objectif touristique dans le Vieux-Port ou rue de la République, on voit pousser des caméras après une « reconstruction gentrificatrice » comme celle de la Plaine (place Jean Jaurès). À partir de ces relevés, on organise aussi des balades cartographiques, où l’on discute avec les participant.es des caméras dans leur quartier, on explique leur fonctionnement, leurs spécificités.

On fait partie de la Coordination contre les Jeux olympiques de Marseille. On a participé aux journées anti-JOP à la Plaine. Dans le cas des JOP, on n’a pas fait de relevé de caméras dédié, car les lieux où se dérouleront les JOP sont en réalité assez restreints et fermés pour travaux : cela représente une cinquantaine de nouvelles caméras, près des plages du Prado sur le site de la Marina olympique et à proximité du stade Vélodrome.

L’évènement majeur à Marseille est le passage de la flamme olympique les 8 et 9 mai 2024. Il y a aura notamment un grand concert organisé par Coca-Cola, un spectacle de drones, et tout un parcours de la flamme dans la ville. C’est sans doute plus cela qui va nous toucher que les épreuves de cet été, même si l’accès aux plages principales marseillaises sera bien restreint en juillet. Pour l’arrivée de la flamme, le dispositif sécuritaire s’annonce massif avec, outre la surveillance vidéo, la présence du RAID et du GIGN. Ça fait un peu peur aux militant.es mais aussi aux habitant.es qui se demandent si ces jours-là il sera possible de circuler en ville.

Enfin, nous sommes clairement contre les JOP, parce que c’est un prétexte pour asseoir des politiques sécuritaires. On se doutait que ça allait avoir un effet cliquet sur la vidéosurveillance notamment, et dans les faits cela nous paraît vraiment notable.

Construire le discours militant sur la sécurité dans le cadre des JOP 

Myrtille : De quelle façon vos collectifs se saisissent des enjeux autour de la sécurité ou de la surveillance et comment rejoignent-ils vos préoccupations autour des JOP ?

Alexandre (Comité de vigilance JO 2024) : Au plan national, la Quadrature du Net a fait beaucoup sur cette question. Comme habitant de Saint-Denis, j’ai rejoint le Comité de vigilance, car j’habite à Pleyel et que mon immeuble est littéralement à dix mètres du Village des athlètes, nous essayons de nous battre avec nos propres armes au niveau local. On a parcouru tous les budgets municipaux depuis l’élection de Mathieu Hanotin (maire PS de Saint-Denis et président de l’établissement public territorial Plaine Commune depuis 2020), pour voir comment ces politiques se traduisent du point de vue économique. Ce qu’on constate c’est que le maire est typiquement dans cette mouvance technosécuritaire qui s’est installée depuis le milieu des années 2000, notamment dans la foulée des politiques de Nicolas Sarkozy. À Saint-Denis, une ville très populaire, la vidéosurveillance est utilisée comme un outil de normalisation des comportements qui donne un sentiment factice de sécurité. Les caméras ont une neutralité apparente, mais la police municipale est téléguidée par un maire qui a des idées préconçues sur la population et qui définit ce qui est normal, ce qui est anormal, ce qui est suspect, ce qui ne l’est pas, selon ses propres stéréotypes et ses objectifs politiques.

Les JOP ont été utilisés comme un outil, un effet de choc, pour impulser un certain nombre de réformes technosécuritaires dans l’espace public à Saint-Denis. Premièrement, l’un des plus gros budgets d’investissement de la municipalité depuis 2020, ce sont 12 millions d’euros pour un commissariat de police. Ces 12 millions d’euros sont pratiquement intégralement sur fonds propres, là où d’autres villes, comme Valence par exemple, ont pu se faire financer une partie d’un commissariat par l’État. 12 millions, c’est énorme dans les caisses d’une ville comme Saint-Denis qui n’a pas beaucoup d’argent.

Deuxièmement, l’élément le plus saillant est le budget des caméras. Il y avait 95 caméras de vidéosurveillance à Saint-Denis avant l’élection de Mathieu Hanotin. D’ici un an, l’objectif est d’atteindre 488 caméras de vidéosurveillance, c’est-à-dire une multiplication par cinq. Et le montant prévu par la municipalité pour ces caméras est très élevé. Le rapport d’orientation budgétaire de la mairie de Saint-Denis prévoit 488 caméras, 269 points d’implantation de vidéosurveillance et un budget total de 6,7 millions d’euros. Sur ces 6,7 millions d’euros, 1,8 million provient d’un fonds étatique de solidarité numérique et une partie de l’argent est accordé par Valérie Pécresse (présidente du Conseil régional d’Île-de-France), alors que la sécurité n’est pas une compétence régionale. Il reste environ 4,9 millions à la charge de la municipalité. Ce qui est colossal, d’autant qu’il ne s’agit que du budget d’implantation, cela ne comprend pas les budgets d’abonnement et les réparations quand elles auront été cassées. J’avais fait un calcul pour essayer d’évaluer le prix approximatif de l’implantation d’une caméra. Si on est sur 488 caméras, le coût unitaire d’implantation est de 13 729 euros. Si on est à 393 caméras, c’est-à-dire 488 moins 95 — je n’ai jamais eu de réponse de la mairie à la question de savoir ce que ce 488 comprend — le prix unitaire d’une caméra est de 17 048 euros.

Ce budget caméras de 6,7 millions d’euros, au sein du comité, nous le mettons en comparaison avec un autre poste du rapport d’orientation budgétaire : le budget « ville solidaire et égalité ». C’est un budget qui est censé être important, puisqu’à Saint-Denis, 50 % des foyers sont non imposables et qu’il y a 37 % de taux de pauvreté. Pourtant, ce budget n’est que de 1,7 million d’euros. Ça veut dire qu’on dépense moins en égalité et en solidarité que pour des caméras vidéosurveillance qui, en plus, ne servent à rien, comme beaucoup d’études scientifiques l’ont montré, à l’exception de celles situées dans des lieux très spécifiques comme des couloirs de métro ou des guichets bancaires. Il faut ajouter qu’il faut bien diligenter toutes ces images, donc la municipalité a investi dans un centre de supervision urbaine (CSU) avec 24 superviseurs, pour 200 000 euros. Pour illustrer les priorités, dans le même temps il a été envisagé de placer le cinéma municipal en délégation de service public, car il coûterait trop cher. On a discuté anonymement avec des agent.es de ce CSU, qui expliquent qu’ils ne trouvent aucun sens à leur rôle d’agent.es de police municipale : ils passent leur temps à jouer avec une manette, à regarder des images et à s’ennuyer.

Ces données, je les ai utilisées pour intervenir dans des réunions publiques sur la sécurité avec monsieur le maire et où je me suis fait insulter. Médiapart s’est par contre fait l’écho de cette analyse du rapport d’orientation budgétaire et quelques médias étrangers s’y sont intéressés. Pas les médias français, car pour eux, donner la parole à des collectifs d’opposition quand ils parlent des JOP, c’est compliqué. Donc nous avons du mal à valoriser cette analyse.

Eda (Quadrature du Net, Coordination contre les Jeux olympiques de Marseille) : Au plan national, deux cellules spéciales ont été mises en place par le ministère de l’Intérieur, avec des bureaux à Beauvau même : le centre de renseignement olympique (CRO) et le centre national de commandement stratégique (CNCS). Le CRO, ce sont des services de renseignement uniquement dédiés aux JOP, et dont le chef a donné beaucoup d’entretiens dans lesquels il explique ne pas avoir peur de ceci ou de cela, de tels types de militant.es, etc. Néanmoins, on y a appris que les militant.es qui leur font peur, ce sont « l’ultragauche » et les écologistes ; il cite explicitement Extinction Rébellion par exemple. Je ne sais pas quel effet ont ces déclarations sur les militant.es, mais quand on annonce le GIGN et le RAID à Marseille, ça semble disproportionné.

Le coût moyen unitaire de ces caméras est de l’ordre de 40 000 euros à l’installation, pour des nouveaux modèles multicapteurs (qui ressemblent un peu à des soucoupes volantes), avec dans chaque globe un dôme 360 degrés et quatre capteurs unidirectionnels capables de bien zoomer. Et puis il y aura le coût à l’utilisation et les frais de maintenance. Comme à Saint-Denis, ces caméras n’appartiennent pas la mairie, elles restent la propriété de la SNEF, qui les installe. Les abonnements s’élèvent à 4 000 euros annuels par caméra pour maintenance et location. Le coût est donc faramineux pour les 1 650 caméras actuelles et les 500 à venir.

Camille (Coordination contre les Jeux olympiques de Marseille) : Une chose importante dans la conscience des militant.es marseillaises.es est que le centre-ville de Marseille est populaire et que depuis 30 ans les pouvoirs publics essayent par différents moyens d’attaquer les pratiques du centre-ville. On est très sensibles à ce qui se passe à Belsunce ou à Noailles. Mais ce qu’on voit moins, c’est tout ce qui se passe hors du centre-ville. Et ces nouvelles caméras, au Prado ou dans les quartiers nord, ont rendu explicite que ces attaques contre les pratiques populaires comme les marchés à la sauvette ont lieu dans toute la ville. La violence contre les populations des quartiers nord est très forte, avec des transformations urbaines rapides, même si cela se passe à distance du centre-ville et des sites de compétition. Évidemment, ce n’est pas forcément lié aux JOP, mais toute une série de grands évènements y contribue, comme autant d’opportunités politiques, de Marseille capitale européenne de la culture en 2013, aux douze épreuves olympiques en 2024, en passant par la coupe du monde de rugby en 2023.

Sur le thème de la sécurité, ce que nous avons fait c’est surtout de la sensibilisation et de la diffusion d’informations sur la militarisation de l’espace auprès de collectifs militants. Ça prend des formes variées d’information : des présentations publiques dans des bars, des collages dans les rues contre la vidéosurveillance algorithmique, des posts sur les réseaux sociaux. Mais à ce stade nous n’avons par exemple pas organisé de manifestation devant le centre de supervision, notamment parce que l’adresse n’est pas publique. Il y avait l’hypothèse, qui ne faisait pas consensus parmi nous, de tenter de brouiller les algorithmes lors du concert de Depeche Mode, qui servait de test pour la vidéosurveillance algorithmique, mais ça ne s’est pas concrétisé.

Alexandre (Comité de vigilance JO 2024) : Éplucher les budgets municipaux nous a pris beaucoup de temps et a été une grosse part de notre travail sur le sujet de la sécurité. Nous avons essayé d’interpeller les députés des deux circonscriptions de Saint-Denis, Éric Coquerel (LFI) et Stéphane Peu (PCF) autour de la maîtrise de l’espace public par les technologies de vidéosurveillance. Et nous avons rappelé que la vidéosurveillance algorithmique n’est pas simplement un enjeu de surveillance, mais aussi un enjeu économique. Ce sont de très gros marchés, notamment pour les industriels français de la sécurité.

Eda (Quadrature du Net, Coordination contre les Jeux olympiques de Marseille) : Quatre entreprises de vidéosurveillance algorithmique ont remporté les marchés des JOP : Videtics, Wintics, l’alliance Orange-Atos et ChapsVision. Ces quatre entreprises vont aussi se servir des JOP pour recueillir des données afin d’entraîner leurs algorithmes, et c’est à ça que doit servir l’expérimentation avant les JOP et notamment le concert de Depeche Mode, ou celui de Taylor Swift à Paris. C’est donc une opération très rentable pour elles, d’autant qu’elles reçoivent ainsi un tas de données issues de situations réelles pour pouvoir entraîner leurs algorithmes.

Et on voit bien ce que les JOP permettent de justifier. Laurent Wauquiez (président du conseil régional d’Auvergne-Rhône-Alpes) a fait voter une résolution permettant le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique dans les lycées, les gares et les trains d’Auvergne-Rhône-Alpes. Il s’appuie sur l’expérimentation accordée aux JOP de Paris et justifie cela parce qu’il y aura les JOP d’hiver dans sa région et région Sud en 2030. Il va donc demander une dérogation au gouvernement afin que la législation de la VSA-JOP puisse être étendue au cas d’usage qu’il vient de faire voter au conseil régional.

Par ailleurs, à Marseille, deux bateaux militaires ont été spécialement achetés par la région pour surveiller la côte lors des épreuves olympiques de voiles, pour un montant de 10 millions d’euros. Et puis quand on nous annonce le Raid, le GIGN, pour protéger des jeux que nous n’avons pas demandés, c’est un peu ambiance de guerre. À la Quadrature du Net, nous observons aussi qu’il y a une militarisation croissante de l’espace public. Au carnaval de la Plaine comme dans les manifestations, on envoie toujours la BAC, parfois des renforts de la gendarmerie, le RAID lors des révoltes suite à la mort de Nahel. Des drones policiers dotés de caméras aux zooms très puissants surveillent désormais tout rassemblement populaire : la Braderie de Lille, les marchés de Noël, les jours de match, le carnaval de la Plaine. Des arrêtés pour interdire la consommation d’alcool sont pris à chaque évènement. La fête de la musique est désormais très policière elle aussi. Donc on militarise l’espace public, les grands événements, la fête, pour éviter qu’il se passe des choses spontanées qui font peur au pouvoir. On peut consommer aux bars, aux cafés, dans les espaces commerciaux, mais surtout on ne s’attarde pas sur la place publique, où l’on scrute tous les comportements qui ne vont pas dans le même sens que l’essentiel des flux.

Pour contester tout cela, la Coordination contre les Jeux olympiques de Marseille a créé des jeux alternatifs, populaires, sur la Plaine pour dire que, pour nous, la véritable sécurité c’est la prise en charge des personnes pauvres, la prise en charge des migrant.es, c’est d’utiliser l’espace public de façon non marchande pour créer des liens ensemble, c’est la solidarité, la sécurité d’avoir un logement et de l’argent pour se nourrir, pour être en bonne santé… toutes ces choses qui manquent à Marseille, comme un peu partout. C’est ça la sécurité pour nous.

Camille (Coordination contre les Jeux olympiques de Marseille) : Oui, notre premier évènement, c’était un week-end anti-olympique sur trois jours, avec des projections, des présentations notamment d’une personne de Saccage 2024, ce qui nous a permis d’avoir une vision sur la contestation à plus long terme. À Marseille, ça faisait peu de temps qu’on voyait arriver les JOP, donc ce n’était pas encore très poussé en termes d’élaboration. Et puis sur les deux jours suivants, il y a eu de nombreuses activités, avec différents collectifs qui se sont installés sur la Plaine. L’idée, c’était de les rassembler et de leur proposer d’être présents pour parler de leurs luttes sur différentes questions au travers des JOP ou, à l’inverse, des JOP au travers de leur lutte. Il y avait la Legal team, Technopolice, Stop Croisières, Extinction Rebellion, le collectif contre la gentrification, Marseille contre la loi Darmanin… Et il y avait aussi des jeux pour les enfants. C’était très chouette comme week-end.

Mobiliser pour quel écho ?

Myrtille : La question de la sécurité, de manière générale, semble difficile à politiser. C’est aussi le cas pour la critique des JOP. La population s’en saisit peu et le discours médiatique semble aussi limité. Dans ce que vous avez fait, qu’est-ce qui a eu de l’écho du côté des habitant.es de Saint-Denis ou de Marseille et sur le plan médiatique ?

Alexandre (Comité de vigilance JO 2024) : À Saint-Denis, l’impression que j’ai, après avoir fait beaucoup les marchés avec le Comité de vigilance et avec d’autres collectifs, c’est que la population se fiche des JOP. Elle s’en fiche parce qu’elle sait très bien que les JOP ne lui sont pas destinés, mais sont adressés à une clientèle internationale qui a de l’argent, qui est capable de payer 500 euros la nuit pour venir à Paris à ce moment-là, qui est capable de payer plusieurs centaines d’euros d’un seul coup pour une seule place. Les places en tarif social ont finalement été extrêmement réduites, largement insuffisantes, donc on est loin des JOP populaires, on est sur des JOP pour une classe dirigeante, riche, privilégiée. On évacue les étudiant.es, on évacue les personnes sans domicile fixe, on a même failli évacuer les bouquinistes de Paris. Les personnes qui le peuvent, c’est mon cas, vont quitter la ville au moment des JOP, parce que ça va être infernal.

Donc l’écho qu’on a c’est « vous avez raison, c’est important de se battre, mais vous n’y arriverez pas, parce que de toute façon vous écopez l’océan entier avec un verre d’eau ». Et d’une certaine manière, ceux qui nous disent ça ont raison. Ce qu’on se dit au Comité de vigilance, c’est qu’on se bat pour ceux qui ne peuvent pas se battre, parce que pouvoir militer contre les JOP c’est quasiment du luxe. Pour une grande partie des Dionysiens et des Dionysiennes, l’urgence c’est de réussir à boucler ses fins de mois et à nourrir ses enfants, pas d’aller à des réunions publiques chiantes ou de fouiller des comptes municipaux pendant des heures. C’est un peu caricatural ce que je dis, mais donc on se bat pour celles et ceux qui ne peuvent pas se battre contre la gentrification, contre l’hypersurveillance et l’hypercontrôle de l’espace public, pour la défense des libertés fondamentales, pour la dignité des classes populaires et des classes moyennes. Mais en fait, les JOP sont complètement sortis du champ de considération des habitant.es. Et les pouvoirs publics profitent du fait que les habitant.es ont leur garde baissée pour implanter leur projet de force. On n’est pas sur un projet de territoire à Saint-Denis, on est sur un territoire de projet, c’est-à-dire pas un projet de long terme pour notre territoire coordonné et concerté avec les habitant.es, mais sur des projets décidés par et pour une population extrêmement privilégiée.

Au niveau médiatique, l’écho que nous avons eu est plus international, car les médias étrangers ne dépendent pas des budgets gouvernementaux français. La presse nationale se fait parfois l’écho de nos actions, mais quand il est question des JOP, on est largement sur une communication cadrée par le COJOP (Comité d’organisation des jeux olympiques et paralympiques), par le CIO, par Paris 2024. Donc on est sous-représenté dans l’espace médiatique et démocratique.

Mathias (Saccage 2024) : La réception médiatique est en demi-teinte effectivement. Je suis assez d’accord pour dire que nous sommes sous-représentés. Mais il y a quand même une grosse évolution. Il y a deux ans, c’était vraiment compliqué d’avoir un article de presse qui contestait les JOP. En décembre 2022, on avait fait une manifestation devant le COJOP et Le Monde s’était déplacé. On regarde pas mal Le Monde, parce que c’est vraiment un bon relais de la propagande pro-JOP. Ils sont revenus nous voir il n’y a pas longtemps, pour faire un article sur la contestation des JOP. Donc on voit que ça se déplace quand même au fur et à mesure, qu’il y a de plus en plus d’aspects qui sont critiqués et donc il y a quand même un relais médiatique. Certes, il est assez faible, mais on a quand même vu l’Humanité, l’Express, qui a fait un article honteux, mais qui l’a fait quand même et sachant qu’il y a des relais que nous refusons, nous ne voulons pas parler aux journaux d’extrême droite. C’est sûr que c’est proportionnellement peu par rapport à la propagande pro-JOP. Mais par exemple, on a eu beaucoup de relais sur la campagne « involontaires » en 2023, qui était une campagne purement médiatique proposant aux personnes de s’inscrire en tant que faux bénévoles. De nombreux journaux nous ont appelé.es, ça a intéressé les médias. Donc on constate qu’il y a des choses qui marchent mieux que d’autres médiatiquement.

Au niveau des autres collectifs militants, on a lancé une coordination Île-de-France l’année dernière, qui est toujours active mais qui va clopin-clopant. Beaucoup de monde est fatigué suite à la mobilisation contre la réforme des retraites. Mais ça marche quand même un peu. Youth for Climate et PEPS (pour une écologie populaire sociale) se sont pas mal investis par exemple. Mais c’est compliqué de fédérer sur les JOP, de faire en sorte que les JOP soient un sujet. Certaines organisations, comme la CGT ou les Gilets noirs par exemple, utilisent les JOP comme un moyen de pression pour leurs revendications. Nous ne sommes pas contre, notamment quand ça permet d’obtenir des régularisations en prenant les JOP pour prétexte. Quand le slogan « pas de retrait [du projet de loi retraites] pas de JOP » s’est imposé, pas mal de gens sont venus à nos réunions publiques. Mais notre idée n’est pas d’utiliser les JOP comme un prétexte, mais d’en faire un véritable sujet politique et ça, c’est très compliqué. Et on observe qu’il y a des sujets qui émeuvent plus que d’autres. La vidéosurveillance algorithmique, quand la loi est sortie, n’a pas mobilisé beaucoup. Par contre, quand Nunez (préfet de police de Paris) parle d’introduire un QR code pour circuler dans Paris, le soir même des collectifs réagissent sur les réseaux sociaux, créent des visuels, etc. Donc une grosse annonce sur la sécurité peut faire réagir.

Matthieu : Nous avons beaucoup abordé la question de la sécurité sous le seul prisme de la vidéosurveillance. Mais est-ce que vous vous en êtes saisi.es aussi sur d’autres modalités ?

Alexandre (Comité de vigilance JO 2024) : Ils attendent souvent du sensationnalisme là où nous avons du mal à trouver l’énergie nécessaire à notre investissement militant. Et pourtant il y aurait des choses à faire sur le plan journalistique. Là, je suis devant la tour Pleyel, c’est une tour gigantesque. On a demandé les plans et ce qui allait y être fait à de multiples reprises, on n’a jamais eu de réponse. Finalement, elle a été rachetée par des Qataris pour construire un hôtel de luxe 5 étoiles en plein milieu du quartier, alors que nous demandions la piétonnisation de cette place centrale dans notre quartier, où on voulait des arbres, de l’eau, etc. On n’a jamais eu de réponse à nos dizaines de courriers, de lettres, d’interpellations multiples en réunions publiques. Et à la place, on a de plus en plus de voitures, avec un échangeur autoroutier géant et on a une tour qui va devenir un hôtel de luxe dans un quartier qui est pourtant à l’image de Saint-Denis. Même s’il y a un peu plus de mixité dans ce quartier que dans les autres quartiers de Saint-Denis, ça reste quand même un quartier relativement populaire. Et vous avez cette espèce de forteresse d’ultra richesse en plein milieu.

Ce qui est intéressant, c’est que ça signale aussi, à quel point c’est difficile d’avoir accès à des informations. Une partie du travail sur les JOP, c’est d’accéder à des informations de base. En fait, ça montre à quel point les JOP sont une opération d’État. Tout est très secret. Le COJOP ne communique rien, répond très peu. On pourrait se dire que ça pourrait se passer autrement pour un tel événement qui est censé, selon les termes officiels, être une grande fête populaire du sport, etc. Et c’est totalement opaque.

Mathias (Saccage 2024) : Il y a aussi la question de l’angle avec lequel on s’empare du sujet. Quand nous avons commencé, une de nos sources, c’est le site de No-JO Los Angeles, qui a énormément d’informations en anglais. Les livres de Boykoff sont en anglais aussi. Sur les arguments contre les JOP, il y a très peu de choses disponibles en français, ce qui n’aide pas les journalistes à s’y intéresser. Et puis à Paris, ça s’inscrit dans la lutte écologiste, mais en même temps, en fait, ça n’intéresse pas les écolos de sauver le 93. On a pas mal de liens avec le collectif No Jo qui lutte dans les Alpes. C’est chouette parce que ça prend, et on pense que ça prend aussi parce que ça arrive après Paris. Mais c’est quand même fou qu’il y ait plus de mobilisations parce qu’il faut défendre la montagne. Alors que le 93, c’est déjà pollué, c’est moche, c’est pauvre, c’est des populations racisées, tout le monde s’en fout. Comme si défendre l’écologie dans le 93 n’était pas intéressant, qu’il n’y avait rien à sauver. C’est assez triste. Les Soulèvements de la terre organisent leur saison 7 et les JOP n’y sont pas inclus. Il y a sans doute de nombreuses raisons à cela. Une action est prévue du 24 au 26 mai contre Greendock, un entrepôt géant sur l’Île-Saint-Denis à Gennevilliers, mais rien sur les JOP voisins.

Matthieu : Vous parlez beaucoup d’effet cliquet. C’est une question difficile, mais selon vous est-ce que les JOP permettent simplement d’aller plus vite ou est-ce qu’ils ont aussi permis d’importer de nouvelles pratiques de sécurité et de surveillance ?

Camille (Coordination contre les Jeux olympiques de Marseille) : La vidéosurveillance algorithmique serait sans doute arrivée d’une manière ou d’une autre sans les JOP. Mais les JOP ont servi de prétexte, d’opportunité, pour accélérer la tendance. La vidéosurveillance algorithmique était interdite, mais déjà autorisée, sans que cela ne fasse tant de bruit que cela d’ailleurs. Les JOP ont permis de la légaliser et l’autorisation ne sera sans doute pas levée en 2025. Et ça raconte sans doute quelque chose de ce que l’affect de l’anxiété et de la peur provoquent. Et il faut bien dire que l’annonce du GIGN et du RAID qui débarquent pour les JOP à Marseille crée de l’immobilisme dans notre milieu militant. Cette question de la sécurité est complexe. C’est important qu’un évènement « se passe bien » pour de multiples raisons : pour qu’il puisse y en avoir d’autres ailleurs, pour que le gouvernement français n’ait pas honte de sa population. Parce qu’ils ont honte d’une population qui est quand même très mobilisable et mobilisée, à l’image des six mois de lutte contre la réforme des retraites, alors qu’elle se fait humilier assez systématiquement. La vidéosurveillance algorithmique — qui est une technologie très individualisante — comme la militarisation de l’espace— qui nous touche de façon plus collective — font partie des techniques pour dominer.