1Ce numéro thématique des Cahiers du MIMMOC propose d’analyser les grands enjeux contemporains de différentes politiques éducatives à l’échelle internationale, en explorant les tensions entre modèles et mots d’ordre dominants d’une part, et résistances et expériences alternatives d’autre part.

2Même si nombre d’articles sont publiés chaque année sur les politiques éducatives menées dans différents pays, et même si ce sujet est exploré de longue date par les historiens de l’éducation, les remarques exprimées par Nathalie Mons sur la place encore comparativement marginale des politiques éducatives dans la recherche en sciences politiques, en sociologie et en sciences de l’éducation, ainsi que la décentration et les comparaisons internationales qu’elle appelait de ses vœux, nous paraissent toujours autant d’actualité (Mons, 2008). Les politiques éducatives ont largement investi le débat public en France comme dans d’autres pays au cours des trente dernières années. Mais ces choix politiques replacés dans un contexte international, les structures et contenus des systèmes scolaires qui en découlent, et les débats eux-mêmes autour de ces choix restent un champ de recherche en voie d’exploration auquel nous souhaitons contribuer avec ce dossier.

3Quelques ouvrages collectifs ou dossiers de revue proposent une perspective comparative internationale ou au moins européenne des politiques éducatives sur des sujets ou enjeux spécifiques, comme sur la question des inégalités sociales et scolaires (Demeuse, Frandji, Greger et Rochex, 2012 ; Hadjar, Gross, 2016), sur le rôle plus ou moins grand accordé au diplôme dans diverses sociétés et ses conséquences (Dubet, Duru-Bellat, Vérétout, 2010) ou encore sur la façon d’envisager politiquement le système et les objectifs de l’école dans des sociétés divisées (Tawil, Harley, 2004). L’ouvrage individuel Políticas educativas en un mundo global (Rodríguez Martínez, 2019) part, quant à lui, du cas de l’Espagne et pose le problème du modèle éducatif dans les sociétés néolibérales, comme le fait également l’ouvrage coordonné L’école en Europe – Politiques néolibérales et résistances collectives (Jones, 2011).

4Il est plus inhabituel de s’intéresser globalement au lien entre politiques éducatives et projets de société, et aux modèles et contre-modèles tels qu’ils peuvent s’exprimer internationalement. La perspective privilégiée dans ce dossier et sa concrétisation dans les articles proposés font partiellement écho à l’ouvrage Politiques éducatives, diversité et justice sociale (Malet et Baocun, 2021), même si ce dernier se concentre majoritairement sur la France, avec quelques incursions internationales, et sur des modèles politiques dominants.

5Les coordinatrices de ce numéro, spécialistes des politiques éducatives de différentes aires culturelles anglophones et hispanophones dans les Amériques (la Bolivie, les États-Unis, le Mexique) en Europe (l’Espagne, l’Irlande, le Royaume-Uni) ont pensé qu’il serait utile d’effectuer une mise en perspective qui prolongerait cette approche.

6Laurie Béreau consacre ses recherches aux politiques éducatives états-uniennes des 20^e et 21^e siècles. Ses travaux se concentrent plus particulièrement sur les modalités de libéralisation du système d’enseignement public primaire et secondaire aux Etats-Unis, qu’il s’agisse des politiques d’évaluation ou de la mise en œuvre de formes hybrides de gouvernance et de gestion. Parmi ses publications, notons «La machine à éduquer fonctionne-t-elle encore?» dans L. Henneton (dir.), Le Rêve américain à l'épreuve de la présidence Trump, Vendémiaire, 2020 ; « ‘A hard-striving Russian’ and ‘an easy-going American’: An Instance of Life’s Take on the Russian Other in the Cold War » dans T. Botelho et E. Marino (dir.), The Perception of Difference in Peace and Conflict in American Cultural Texts Universitalia, 2019 ; et « Le non-dit de l’éducation dans la campagne présidentielle américaine de 2016 », Revue de Recherche en Civilisation Américaine ,vol. 7, 2017.

7Susan Finding a dirigé des ouvrages sur l'histoire sociale britannique et sur le Royaume-Uni contemporain, notamment sur les politiques sociales et en particulier les politiques de l'éducation et de la petite-enfance. Son ouvrage, La politique de la petite enfance au Royaume-Uni (1997-2010) «Une nouvelle frontière » de l’État providence ? (Paris, Houdiard), est paru en 2018. Parmi ses derniers articles et chapitres d’ouvrage portant sur les politiques éducatives au Royaume-Uni citons « Gender, education and employment within the education system in Britain », Observatoire de la société britannique, 14 (2013); « L’éducation secondaire entre marché et service », dans Le Royaume-Uni au XXIe siècle : mutations d’un modèle (dirs. E. Avril, P. Schnapper) Paris, Ophrys, 2014; « Education from Plowden to Thatcher – red, yellow, black and blue building bricks. A decade of increased opportunities or of rising discontent? » dans A Fresh Look at Britain in Crisis 1970-1979 (dir. S. Porion) Paris, Atlande, 2018; et « Liberté, inégalité, austérité. La politique de l’éducation en Angleterre entre 2010 et 2020 » dans Le Parti Conservateur au pouvoir : politiques, enjeux et bilan (2010-2020) (dir. L. Dalingwater, S. Porion) Villeneuve d’Ascq, Septentrion, 2023.

8Les travaux de Karin Fischer portent sur les politiques éducatives en Irlande et dans une perspective comparative internationale. Responsable de la revue Études irlandaises en 2020 et 2021, elle s’intéresse également à l’histoire de l’éducation internationalement et est actuellement membre du comité de rédaction de la revue History of Education (Royaume-Uni). Elle a notamment publié en co-direction avec Thomas Pughe, Mathieu Bonzom et Claire Decobert, Recherche et transmission des cultures étrangères : quelle utilité dans l’université d’aujourd’hui ? (Presses Universitaires de Rennes, 2020); la monographie Schools and the Politics of Diversity and Religion in the Republic of Ireland : Separate but Equal? (Manchester University Press, 2016); et en co-direction avec Deirdre Raftery, Educating Ireland : Schooling and Social Change 1700-2000 (Irish Academic Press, 2014).

9Françoise Martinez mène ses recherches entre la France et l’Amérique latine. Elle a été historienne de l’Institut français d’études andines et responsable de son antenne à La Paz. Ses travaux portent sur l’histoire politique contemporaine de l’Amérique latine et de la Bolivie en particulier, l’histoire de l'éducation bolivienne et l’histoire des politiques symboliques (fêtes, hymnes, commémorations) menées au Mexique et en Bolivie au XIXe et XXe siècle. Elle a publié une cinquantaine de travaux et dirigé plusieurs programmes de recherche sur ces thématiques. L'ouvrage ‘Régénérer la race’. Politique éducative en Bolivie (1898-1920) IHEAL, 2010, a été traduit et publié en espagnol en 2021. L'ouvrage Fêter la nation. Mexique et Bolivie pendant leur premier siècle de vie indépendante (1810-1925) Presses de Nanterre, 2017 a été retenu par la Universidad Autónoma de Madrid pour être traduit et publié en espagnol en 2023. Elle a aussi publié (avec Lissell Quiroz et Emmanuelle Sinardet), Race et citoyenneté dans les Andes. Bolivie, Equateur, Pérou, Paris, Atlande, 2021. Elle co-dirige depuis 2019 la revue IdeAs. Idées d’Amériques.

10Les recherches de Marie-Hèlène Soubeyroux portent sur l’histoire de l’éducation et de la culture en Espagne au XIXème siècle. Elle est l’auteur de Educación y regeneración. Maestros, escuelas, revistas en La Rioja (1875-7910) Logroño, Instituto de Estudios Riojanos, Ciencias Históricas 31, 2015 et a notamment coordonné Image et éducation. Actes du 7^e congrès du Grimh, Lyon, Le Grimh/LCE, 2011 et Libertad. Libertade, (actes choisis du 38^e Congrès International de la Société des Hispanistes Français, Tours 2017, Editorial El Barco Ebrio, 2018. Parmi ses dernières publications figurent « De la instrucción a la educación de los niños en Lecciones de la historia patria» (Solange Hibbs et Carole Filière dir), Los discursos de la ciencia y la literatura en España (1875-1906), Biblioteca Giambattista Vico 39, Editorial Academia del Hispanismo, 2015, pp. 293-304 et « Transmisión, variedad cultural y enseñanza primaria: del siglo XIX a la actualidad » (Aurora Martínez Ezquerro y Mar Campos Fernández-Fígares dir.), Cultura en la diversidad. Educación lingüística y literaria en las aulas del siglo XXI, Barcelona, Octaedro, 2016, pp. 66-76)

11Réunies par Karin Fischer, elles ont organisé dans le cadre de ce projet, initié en 2018, à l’université d’Orléans, la journée d’étude « Constructions sociales/politiques et éducation », le 18 juin 2018 , et le Colloque international « Politiques éducatives et projets de société, discours et pratiques, 19^e-21^e siècles », du 16 au 18 juin 2021.des journées d’études et un colloque, tenus avec la collaboration des universités et groupes de recherche d’Orléans (RÉMÉLICE), Tours (ICD), Poitiers (MIMMOC), Rennes 2 (ACE) et la Sorbonne (CRMIC), ainsi que la FE2C (Fédération pour l’étude des civilisations contemporaines). Les articles proposés dans ce numéro thématique sont issus de ces travaux.

12L’éducation est abordée ici comme un objet politique au carrefour de préoccupations économiques, sociales et idéologiques. Des initiatives éducatives, tentatives officielles de démocratisation, ou de contrôle, ou dispositifs parallèles, sont analysés à partir d’exemples variés, comme les résultats de constructions socio-politiques négociées.

13Quels ont été les mots d’ordre mobilisateurs de différentes réformes éducatives adossées à divers projets de société ? Jusqu’où ont-ils été suivis ? Avec quelles réactions, quelles résistances et quelles constructions de projets alternatifs ?

14Pour éclairer ces logiques dans une perspective diachronique, en maintenant un lien avec le présent, le choix a été fait de proposer des articles qui portent sur les XXe et XXIe siècles, et débouchent sur une étude d’un sujet brûlant d’actualité : les conséquences de la pandémie sur les politiques éducatives. Ce choix permet de faire ressortir des continuités, des ruptures et des résurgences qui traversent les décennies, certains modèles qui semblaient abandonnés réapparaissant dans d’autres endroits de la planète, tandis que des expériences ou perspectives alternatives se font écho par-delà les distances et le temps.

15Dans l’exploration du lien entre politiques éducatives et projets de société, les différents articles proposés font ressortir des tensions qui traversent ces constructions étatiques et nationales, entre objectifs sociaux et/ou économiques, méritocratiques ou égalitaires, inclusifs ou exclusifs, avec des visées dominantes diverses (dans la continuité de certaines réflexions sur les buts de l’enseignement élémentaire et secondaire proposées par Cohen et Malin, 2009), mais aussi des tendances et influences internationales fortes, auxquelles peuvent faire face des résistances et constructions alternatives s’inspirant elles aussi de réflexions ou d’expériences internationales.

16Les auteurs ont étudié ainsi des projets politiques et leurs versants éducatifs, déclinés selon des perspectives nationalistes (France, Espagne, Japon), émancipatrices (Espagne, Angleterre), néolibérales (Écosse, Angleterre, États-Unis), de modernisation économique (France, Espagne), multiculturelles et/ou interculturelles (France, Canada, Bolivie, Afrique du Sud).

17Ces derniers ont pu générer des acceptations, plus ou moins partielles, ou des contestations dont il s’agit de voir le potentiel de réinvention de nouvelles formes alternatives. L’approche générale se décline en deux perspectives en miroir, celle des mots d’ordre officiels, de leur évolution et des tensions qu’ils ont pu soulever, et celle des expériences alternatives, des contraintes que celles-ci ont pu rencontrer et des ouvertures qu’elles ont pu permettre.

18Les différents niveaux d’analyse (structures étatiques, privées ou alternatives, financements, contenus et méthodes, acteurs, supports pédagogiques), les espaces visés et les jeux d’échelle (effets nationaux et/ou régionaux), permettent d’éclairer des enjeux et phénomènes de résistance connectés, caractérisés à la fois par leurs spécificités locales ou nationales et par des influences et tendances historiques et contemporaines qui dépassent les cadres nationaux, comme les différents éléments du dossier le donneront à voir.

19Cet ensemble de perspectives internationales et comparatives nous semble tout à la fois enrichir la compréhension du lien politique-éducation-société, l’analyse de la production de mots d’ordre officiels et de leur réception, ainsi que l’exploration des différentes facettes de chacune de ces initiatives originales, répondant aussi à des nécessités conjoncturelles.

20Les co-ordinatrices de ce numéro voudraient remercier tout particulièrement les étudiants du Master Traduction et Communication Multilingue de l'université d'Orléans, sous la houlette de Sylvie Fournié-Chaboche, qui ont assuré la traduction et la restitution écrite de l’intervention orale de Mme Magdalena Cajías de la Vega, ministre de l’Éducation de la Bolivie 2007-2008, historienne des mouvements ouvriers et populaires et de l’éducation.