• 1 De plus en plus de travaux en histoire de l’éducation étatsunienne abordent les districts locaux no (...)
• 2 Sur la complexité du financement des écoles aux États-Unis et la manière dont il varie selon les lo (...)

1Aux États-Unis, les écoles sont des créatures locales : elles sont en grande partie financées par les impôts fonciers locaux et gérées par des entités politiques locales, les conseils d’éducation, dont les membres sont élu·e·s par les résident·e·s du district scolaire ou nommé·e·s. C’est donc à l’échelle locale du district scolaire que sont déterminées la plupart des règles qui régissent l’opération des écoles. Ainsi, les frontières qui déterminent les limites des districts scolaires présentent des enjeux majeurs, car ce sont elles qui délimitent les zones de sectorisation scolaire. Elles influencent également directement le financement des écoles1. En effet, le financement des écoles est, dans la plupart des États, en partie fondé sur le prélèvement de l’impôt foncier local dans le district scolaire donné, ce qui signifie que la richesse en biens immobiliers d’un district scolaire affecte directement son budget2.

• 3 San Antonio Independent School District v. Rodriguez 411 U.S. 1. (No. 71-1332), 1973. Paul A. Sraci (...)

3L’emploi de l’impôt foncier pour financer les écoles publiques exacerbe les inégalités sociales et économiques. Par exemple, un district scolaire riche dont la valeur moyenne des maisons est de 800 000 dollars disposera de bien plus de fonds pour financer ses écoles qu’un district dont la valeur moyenne des maisons est de 300 000 dollars, et ce même si le district le plus pauvre choisit de dédier une part plus importante de sa taxe foncière aux écoles publiques3. Les résident·e·s des districts scolaires votent en général pour déterminer le taux d’imposition qui sera consacré au financement des écoles locales.

• 4 Michael A. Rebell, Courts and Kids: Pursuing Educational Equity through the State Courts, Chicago, (...)
• 5 Esther Cyna, « L’histoire mobilisée : réactualiser San Antonio v. Rodriguez », Traits D’Union, Pr (...)

4Depuis la fin des années 1960, les défenseurs et défenseuses des droits civiques aux États-Unis ont intenté des procès pour contester les modes de financement des écoles, qui renforcent intrinsèquement les inégalités entre les districts scolaires riches et pauvres, à l’instar du comté de Halifax4. Ces disparités frappantes entre districts scolaires, parfois séparés par une seule rue, furent ainsi visées par le procès fédéral San Antonio v. Rodriguez en 1973, à l’issue duquel la Cour suprême a déclaré que l’utilisation de l’impôt foncier local pour financer les écoles était constitutionnelle et que, contrairement à ce que les avocats des plaignants avaient affirmé, il n'existait pas de droit à l'éducation aux États-Unis, le mot ne figurant pas dans la constitution fédérale. Depuis 1973, les litiges relatifs au financement des écoles n’ont été arbitrés que dans les tribunaux des États, puisque toutes les constitutions des États incluent un droit à l'éducation, contrairement à la constitution fédérale5.

• 6 Leandro v. State, 488 S.E.2d 249 (N.C. 1997). Les districts ruraux ayant participé au procès étaien (...)

6Par ailleurs, l’État a une trajectoire unique dans l’histoire des procès sur le financement scolaire. En 1994, cinq districts ruraux pauvres de Caroline du Nord ont intenté un procès à l'État en alléguant que la formule de financement désavantageait chroniquement les comtés pauvres (Leandro v. State of North Carolina). Six districts urbains les ont rejoints quelques mois plus tard6. Malgré leur assiette fiscale plus importante, les districts urbains ont affirmé que l’État ne répondait pas de manière adéquate aux besoins de leurs élèves. Comment le procès Leandro a-t-il, à son tour, mis en évidence le conflit inhérent entre les intérêts des pauvres ruraux et urbains ? Cette affaire permet de comprendre production d’espaces juridiques, sociaux et juridictionnels dans les procès liés à l'éducation. Dans le contexte de paysages ruraux et métropolitains fragmentés, comment les plaignants ont-ils pu concilier leurs différentes positions au nom de la stratégie juridique ?

• 7 Public School Forum of North Carolina, « Local School Finance in North Carolina: a Yardstick for Me (...)

8Le financement des écoles reste un aspect peu étudié de l’histoire de l'éducation aux États-Unis, et son rôle structurel dans l’exacerbation des inégalités est souvent sous-estimé. En 1987, le Public School Forum of North Carolina, une organisation à but non-lucratif dont la mission est d’étudier et de promouvoir l’éducation publique en Caroline du Nord, a mené la première étude officielle du financement des écoles à l’échelle de l’État et a découvert que le district possédant la plus grande richesse foncière par enfant en 1987, le comté de Dare, avait un budget presque huit fois plus important que celui des communautés les plus pauvres, comme le district scolaire rural du comté de Halifax, pour financer ses écoles7. En effet, comme le montre le tableau ci-dessous, le district du comté de Dare disposait d’une assiette fiscale de près de 2,3 milliards de dollars imposable pour des écoles accueillant 2 837 élèves, tandis que le district du comté rural pauvre de Halifax n’avait accès qu’à une assiette fiscale de moins d’un milliard de dollars pour scolariser 6 577 élèves, soit plus du double de l’effectif de Dare :

• 8 Esther Cyna, « La ségrégation scolaire au-delà de la ‘fuite des blancs’ : exemple d’un comté rural (...)

Figure 1. Valeur foncière du district par élève dans les districts scolaires de Dare et de Halifax en Caroline du Nord8

• 9 Des travaux récents en histoire contemporaine ont contribué à mettre en évidence les inégalités ent (...)

9Au sein même d’un comté, des disparités majeures existent9. Dans le comté de Halifax, un comté rural situé dans la partie nord-est de la Caroline du Nord, il existe trois districts scolaires distincts avec des assiettes fiscales radicalement différentes : Roanoke Rapids, une minuscule enclave blanche et riche du Nord, le district de Halifax, à prédominance noire et marqué par la pauvreté, et Weldon City, un district qui a subi des changements progressifs tout au long du XX^e siècle et qui était majoritairement noir en 1970.

• 10 Esther Cyna, op.cit., 2021.

Figure 2. Budget scolaire par source, 1975-198310

• 11 North Carolina Department of Public Instruction (NCDPI), North Carolina Public Schools: Statistical (...)
• 12 NCDPI, North Carolina Public Schools: Statistical Profile, 1983, II-122 à II-127.

• 15 « a state-sanctioned architecture of dispossession that had, over the course of the 20th century, s (...)

13Les inégalités qui fracturent le paysage du comté Halifax sont raciales et économiques. L’extrême pauvreté de la population noire à Halifax résultait en partie de « l’architecture de dépossession orchestrée par l'État qui avait, au cours du 20e siècle, dépouillé les Africain·e·s-Américain·e·s dans des milieux ruraux de leur principale ressource économique », comme l’analyse l’historien Alec Fazackerley Hickmott15. Aux échelles du comté et de l'État, des politiques privées et publiques ont visé à maintenir les salaires des travailleuses et travailleurs agricoles et industriel·le·s aussi bas que possible dans le comté, tandis que les résident·e·s de Roanoke Rapids ont clôturé les recettes fiscales qu'ils tiraient des entreprises du comté localisées dans leur ville.

• 16 William D. Goldsmith, « Black Power on the School Board: The Politics of Financing Public Education (...)

15Par le biais du remaniement des limites des districts et d’un système de financement des écoles qui a chroniquement avantagé leurs écoles, les résident·e·s blanc·he·s des enclaves les plus riches du comté de Halifax, notamment à Roanoke Rapids, ont maintenu un système d'enseignement public qui a assuré leur privilège de longue date. Deux aspects spécifiques de ce système sont particulièrement saillants à Halifax : une influence politique exagérée sur les conseils d’éducation locaux et un financement scolaire inéquitable. Le conseil d’éducation de Halifax County Schools était majoritairement blanc jusqu’aux années 1990, sauf pour une brève parenthèse au début des années 198016.

• 17 Steven L. Wrenn, ancien superintendant des écoles du comté de Halifax, entretien avec l'auteure, 16 (...)
• 18 Leandro v. State of North Carolina, 488 S.E.2d 249 (N.C. 1997).
• 19 Constitution de la Caroline du Nord, Article IX, Section 2(1).

16Ce n’est cependant pas la question de la discrimination raciale qui a fait l’objet des efforts de réforme du financement scolaire. Les défenseurs et défenseuses de l’éducation publique dans le comté de Halifax ont demandé une aide judiciaire pour intenter un procès contre le financement qui creusait des inégalités entre les trois districts, sans mentionner la dimension raciale de ces politiques locales. À la fin des années 1980, le superintendant des écoles du comté de Halifax a créé le Low-Wealth Schools Consortium (consortium des écoles à faible niveau de richesse) pour débuter ces efforts17. Ce consortium regroupait plusieurs comtés ruraux de Caroline du Nord, tous confrontés à des problèmes de financement similaires en raison de leur faible assiette fiscale. En 1994, le consortium a intenté un procès dans le comté de Halifax, qui portait le nom de l’un des enfants plaignants, Robert Leandro18. L'argument était simple : le fait de baser le financement des écoles sur l'impôt foncier était discriminatoire à l’égard des comtés peu fortunés et violait la Constitution de Caroline du Nord qui, contrairement à la Constitution fédérale, comprend une clause relative à l'éducation19.

• 20 Leandro v. State, October 5, 1994, motion d’intervention.
• 21 Entretien avec Steven Wrenn ; Gerry Hancock, avocat du Low-Wealth School District Consortium entret (...)

17Le groupe initial de plaignants dans l’affaire Leandro v. State était constitué de six comtés ruraux faisant partie du Low-Wealth Schools Consortium. Ces comtés soutenaient que l’utilisation de l'impôt foncier comme source de financement scolaire désavantageait de manière inhérente les districts ruraux pauvres en raison de leur faible assiette fiscale. Quelques mois après le dépôt de la plainte, cinq comtés urbains sont devenus partie prenante dans la procédure judiciaire et ont bouleversé la stratégie initiale20. Avec leurs assiettes fiscales élevées, les districts urbains et suburbains ont présenté des arguments différents sur la raison et la manière dont l'État lésait ses élèves. Plusieurs personnes interrogées dans le cadre de nos recherches, dont l’avocat principal des districts ruraux, l’ancien directeur des écoles du comté de Halifax et un juge de la Cour Suprême de la Caroline du Nord, ont rappelé leur surprise face à l’intervention des villes21.

• 22 Robert H. Tiller, « Litigating Educational Adequacy in North Carolina: A Personal Account of Leandr (...)
• 23 Kevin M. Kruse, White Flight : Atlanta and the Making of Modern Conservatism, Princeton, Princeton (...)
• 24 « Plaintiff-intervenor-appellants’ New Brief », 5, 12 juillet, 1996, Leandro papers, microfiche 3, (...)

18Ainsi, les districts urbains ont attribué leurs problèmes financiers non pas à l’utilisation de l’impôt foncier, mais à une mauvaise évaluation des besoins des élèves qu’ils servaient22. En raison de l’histoire de la déségrégation et de la « fuite des Blancs » vers les banlieues, soit le phénomène de délaissement des centres villes par les populations les plus aisées qui caractérisa la seconde moitié du XX^e siècle, les districts urbains ont fait valoir que la population des centres villes était majoritairement pauvre et avait des besoins plus élevés en termes de rattrapage linguistique en raison de la présence importante de populations immigrées23. Ils ont ainsi souligné les écarts importants entre le coût de l’éducation des enfants dans leurs districts urbains et ce que l’État fournissait24. Cet écart était particulièrement visible dans le domaine de l’éducation dite special, soit l’éducation pour des enfants aux besoins spécifiques, notamment dans le cadre d’une situation de handicap. Bien que la loi de l’État de la Caroline du Nord impose l’octroi de services spécifiques pour cette population, les districts urbains affirmaient qu’ils ne recevaient pas suffisamment d'aide de l’État pour offrir ces services.

• 25 « 1971-1972 School Year », 2, folder 263: Charlotte-Meck. School Budget I, box 1, collection J. Ale (...)
• 26 « What Does All that Money in the School Budget Pay For? », folder: 1997-98, box 7, collection Chri (...)
• 27 Pamela Grundy, Color and Character: West Charlotte High and the American Struggle over Educational (...)

19Le district scolaire de Charlotte-Mecklenburg (CMS), le plus grand district scolaire de l’État, illustre les arguments des districts urbains. CMS a toujours fait partie des districts les plus dépensiers de l’État25. Lorsqu’il choisit d’intervenir dans le procès Leandro, CMS était quatrième dans l’État en termes de dépenses locales par élève, et premier pour les dépenses globales26. Pourtant, il était indéniable que de nombreuses écoles de Charlotte étaient sous-financées et que les écoles dont la population était majoritairement noire étaient celles qui avaient le plus de difficultés financières, comme Julius Chambers, célèbre avocat pour les droits civiques et Jack Boger, avocat et professeur de droit, ont tenté de le faire valoir dans l’affaire Leandro en 2005 avant que le juge ne rejette leur requête visant à inclure la discrimination raciale dans les revendications de l'affaire27.

• 28 Gregory Malhoit, conversation avec l’auteure, 10 octobre 2018.
• 29 Entretien avec Steven Wrenn.
• 30 Sracic, San Antonio v. Rodriguez, 64.

20L’intervention de plaignants urbains créa de vives tensions28. Steven L. Wrenn, ancien surintendant des écoles du comté de Halifax et principal moteur de la préparation du procès Leandro, a souligné les énormes disparités entre les districts riches en impôts et des endroits comme Halifax dans un entretien de 201829. Il pense ainsi que les districts urbains se sont joints au procès pour protéger leurs propres intérêts, car ils craignaient que les tribunaux n’ordonnent une formule de répartition des richesses qui risquerait de les désavantager. Le même raisonnement avait façonné la décision du juge Powell dans l'affaire historique du financement des écoles San Antonio v. Rodriguez, deux décennies plus tôt. Le juge Powell, qui avait siégé au conseil de l'éducation de Richmond, craignait qu'un système de financement de type « Robin des Bois » ne désavantage les grands districts urbains30. Ces intérêts contradictoires, qui découlaient en partie des mécanismes fiscaux mêmes que ces procès cherchaient à remettre en cause, ont compliqué les possibilités d’alliance et de coalition politique entre districts riches et pauvres.

• 31 « A case for North Carolina’s wealthiest school districts needing more state financial support won’ (...)

21Un journaliste pour le quotidien de Caroline du Nord The News & Observer a ainsi exprimé cette tension entre districts ruraux et urbains dans un article de 1994 : « L’argument selon lequel les districts scolaires les plus riches de Caroline du Nord ont besoin d'un soutien financier accru de l’État ne sera pas convaincant tant que leurs habitants ne feront pas le même effort fiscal pour les écoles que les habitants des districts pauvres31 ». En effet, les districts les plus pauvres dédiaient une part plus importante de leur impôt foncier aux écoles, mais ne parvenaient tout de même pas à générer autant de fonds que les districts les plus riches.

• 32 « [The state’s] supplemental funding scheme irrationally discriminates against school districts not (...)

22Certaines des demandes des districts urbains entraient donc en conflit direct avec celles des districts ruraux ayant initié le procès. Lorsque les six districts urbains sont intervenus en tant que plaignants dans le procès Leandro v. State en octobre 1994, leurs allégations incluaient la revendication suivante : « Le système de financement complémentaire de l’État est irrationnellement discriminatoire à l'égard des districts scolaires qui ne sont pas définis comme ‘peu riches’ ou ‘petits’ et à l'égard des élèves et des communautés desservies par ces districts32 ». Ce point spécifique visait directement le fruit du travail du Low-Wealth School Consortium, qui avait réussi, au début des années 1990, à convaincre l’État de la Caroline du Nord de fournir une aide modeste aux districts scolaires les plus pauvres. Les districts scolaires urbains qui ont rejoint Leandro n’étaient pas éligibles à cette aide en raison de leur assiette fiscale trop élevée.

• 33 Julie Underwood, « School Finance Adequacy as Vertical Equity », University of Michigan Journal of (...)
• 34 « Although we have concluded that the North Carolina Constitution requires that access to a sound b (...)

23En terme de théorie juridique, les stratégies adoptées par les deux groupes de plaignants illustrent deux concepts ayant guidé les litiges en matière de financement scolaire : celui d’équité et celui d’adéquation. Les arguments des districts urbains suivaient une approche autour du concept d’adéquation qui évaluait les besoins à l’échelle des élèves individuels, où l’objectif était d’offrir à tou·te·s les élèves une éducation adéquate sans comparer celle-ci à celle des districts les plus riches33. Ces arguments contrastaient ainsi avec l’approche des districts ruraux, qui s’arrêtaient, eux, sur la notion d’équité entre districts riches et pauvres dans le financement scolaire. La décision de la Cour Suprême de la Caroline du Nord en 1997 dans le procès Leandro est allée dans le sens des arguments d'adéquation des districts urbains, mais a rejeté les revendications d'équité de financement des districts ruraux : « Bien que nous ayons conclu que la Constitution de la Caroline du Nord exige que l'accès à une éducation de base solide soit assuré de manière égale dans chaque district scolaire, nous sommes convaincus que la clause d’égalité des chances de l’article IX, section 2 (1) n'exige pas un financement ou une éducation sensiblement égal avantages dans tous les districts scolaires »34. Ainsi, la Cour n’a pas permis de redistribution directe des ressources entre districts scolaires. Il est important de noter qu’aucune des deux approches n'avait ciblé l’inégalité raciale. Pourtant, une analyse en profondeur des difficultés financières de différents districts montre combien les inégalités de financement entre écoles sont liées à l’histoire de la ségrégation raciale.

• 35 Robert Parrish, « Neglected Common Interests: Durham's Struggle to Merge Its City and County School (...)
• 36 Alex Say Cummings, Brain Magnet : Research Triangle Park and the Idea of the Idea Economy. New York (...)
• 37 « The Demographics of the Two School Districts », dans « Facing the Future of our Schools: Excellen (...)

24Au-delà des disparités entre comtés, comme celles qui séparaient les districts ruraux et urbains impliqués dans le procès Leandro, les mécanismes de financement des écoles peuvent également entraîner une fragmentation au niveau local au sein d’un même comté. Dans la région métropolitaine de Durham, par exemple, deux districts scolaires distincts fonctionnaient indépendamment jusqu'en 199235. Les deux districts avaient des assiettes fiscales distinctes, et des taux d'imposition différents : le district du comté était plus riche en impôts fonciers, car il couvrait les banlieues aisées et bénéficiait des grandes entreprises du Research Triangle, un hub d’industries spécialisées en technologies avancées et en industrie pharmaceutique36. Le district de la ville, lui, était beaucoup moins bien doté, et son niveau de pauvreté figurait parmi les plus élevés de l’État et était trois fois supérieur à celui du comté37.

• 38 Esther Cyna, op.cit., 2021.

Figure 5. Composition raciale des deux districts scolaires de Durham, 198838

• 39 Esther Cyna, op.cit., 2021.

Figure 6. District Expenditures by Source of Funds in Durham39

• 40 NCDPI, North Carolina Public Schools: Statistical Profile, 1975, II-190 à II-198.
• 41 NCDPI, North Carolina Public Schools: Statistical Profile, 1983, II-92 à II-95.

• 43 «Teacher Survey Analysis» dans «Facing the Future of our Schools: Excellence and Equal Opportunity (...)

27Cette disparité budgétaire entre les deux districts limitrophes se traduisait directement sur les salaires des enseignant·e·s : 2/3 des enseignant·e·s du système du comté étaient ainsi rémunéré·e·s par des fonds locaux supplémentaires, contre la moitié des enseignant·e·s du système de la ville. Le système de la ville de Durham offrait des suppléments annuels aux enseignants compris entre 400 et 2 100 dollars, tandis que le système du comté de Durham offrait des suppléments annuels aux enseignants compris entre 420 et 2 500 dollars43. Ainsi, les enseignant·e·s les plus qualifié·e·s se dirigeaient en priorité vers le district du comté et ses avantages manifestes.

• 44 Michelle Alexander, The New Jim Crow: Mass Incarceration In The Age Of Colorblindness, New York, Th (...)

31Le contexte particulier des années 1980 et 1990 offre des explications. La montée en puissance de l’idéologie de « colorblindness », soit un universalisme « aveugle à la couleur de peau » qui ne prendrait pas en compte les catégories raciales, en droit et en politique a fait qu'il était de plus en plus difficile pour les défenseurs des droits de s'attaquer directement à la discrimination raciale et d'obtenir gain de cause devant les tribunaux. La pensée « colorblind » a caractérisé une grande partie du discours politiques et des politiques menées dans les années 1990, masquant de profondes inégalités raciales, comme le montre, par exemple, la littérature croissante sur la montée de l'incarcération de masse44.

• 45 Entretien avec Robert Orr.

32L’histoire du procès Leandro donne un aperçu d'un moment où parler de la distribution équitable des ressources semblait impossible et non viable, du moins devant les tribunaux. Les précédents juridiques en Caroline du Nord et au niveau fédéral ont contrecarré les efforts de lutte contre les inégalités structurelles. Un changement de climat politique a rendu les revendications raciales pratiquement impossibles. Lors d’un entretien mené en 2018 au sujet de son expérience en tant que juge de la Cour Suprême de Caroline du Nord au moment du procès Leandro, Robert Orr s'est souvenu de sa frustration quant à la distinction entre l'équité et l'adéquation en 1997, et du fait que seule cette dernière a prévalu. Pour le juge Orr, l'équité fiscale est « une question de justice45 ».