1Daniel Scarborough a signé une monographie portant sur l’engagement social du clergé orthodoxe des années 1880 aux années 1910, fondée sur les archives des diocèses de Moscou et de Tver´. Le volume des sources non publiées, consultées par l’auteur, impressionne. Cependant, ce corpus de sources demande un questionnement critique. Or, il semble parfois que l’auteur reprenne à la lettre le langage des rapports des autorités ecclésiastiques – par exemple, quand il caractérise les participants de la révolution de 1905 comme des « vandales et des terroristes », influencés par « l’idéologie antireligieuse d’activistes révolutionnaires » (p. 55). De plus, s’appuyant surtout sur les rapports officiels, en l’absence de témoignages de diaristes et de mémorialistes, il est difficile de savoir s’il s’agit d’un engagement spontané du clergé, ou d’activités prescrites et imposées par les autorités diocésaines.

2L’éventail des sujets traités dans la monographie est assez large : l’aide aux victimes de la famine, l’aide mutuelle du clergé, la participation des séminaristes à la révolution de 1905-1907, l’engagement scolaire et la mission interne. La grande partie de la période traitée par l’auteur correspond à la direction du Saint-Synode par Konstantin Petrovič Pobedonoscev (1880-1905). Selon l’auteur, le bilan de la politique de Pobedonoscev à l’égard du clergé séculier (beloe duhovenstvo) reste contradictoire, réunissant des éléments émancipateurs et conservateurs. D’un côté, selon l’auteur, « Pobedonoscev a donné une grande impulsion au mouvement pastoral en encourageant l’engagement du clergé paroissial dans la société par le biais d’activités éducatives et humanitaires » (p. 36-37). Et l’auteur constate aussi « la transformation progressive du clergé paroissial de l’état de soslovie à un pastorat indépendant » (p. 45). D’un autre côté, l’auteur cite l’abolition par Pobedonoscev des élections des doyens (blagočinnye) par le clergé, ainsi que la subordination totale des réunions locales du clergé à l’évêque. Pourtant, les cas les plus importants de participation du clergé à la vie politique et sociale du pays – c’est-à-dire, ses activités pendant les révolutions de 1905-1907 et 1917 et sa participation aux élections à la Douma – se situent clairement dans la période postérieure à la direction de Pobedonoscev.

3Les deux derniers chapitres traitent de l’implication du clergé dans la vie parlementaire et la « révolution ecclésiastique » de 1917. Ici l’auteur propose la micro-histoire de deux tentatives de réélection des évêques – celle de Tver´, qui se heurta à la résistance acharnée de l’ancien titulaire de cette chaire, et celle de Moscou, qui aboutit à l’élection du nouveau métropolite, aussitôt élu patriarche.

4La lecture de cet ouvrage a suscité un certain nombre d’observations relatives en premier lieu à la structure du livre, qui n’est pas optimale. Chaque chapitre réunit des paragraphes consacrés aux événements locaux (ceux de Tver´ et Moscou) et au développement panrusse. S’y ajoutent deux paragraphes, consacrés à la « symphonie » des deux pouvoirs et à la sobornost´ [conciliarité], qui interrompent le récit chronologique.

6Enfin, certaines erreurs auraient sans doute pu être évitées. Ainsi, Pobedonoscev fut nommé procureur général du Saint-Synode en 1880, et non en 1879, comme l’affirme l’auteur (p. 71) ; le ministre des Affaires intérieures russe n’était pas « le comte Aleksandr Tolstoj », mais le comte Dmitrij Andreevič Tolstoj, l’ancien ministre de l’Éducation et le prédécesseur de Pobedonoscev comme procureur général du Synode (p. 35, voir aussi p. 71). Quant au saint orthodoxe, cité pendant la discussion sur l’élection épiscopale de Moscou, il ne s’agissait pas de « saint Georges » (p. 179), mais bien de Grégoire le Théologien. Mais tout ceci ne devrait cependant pas empêcher le lecteur d’apprécier les nouvelles sources et les nouvelles conclusions apportées par l’auteur.