Wayne DOWLER, A History of Education in Modern Russia. Aims, Ways, Outcomes
Wayne DOWLER, A History of Education in Modern Russia. Aims, Ways, Outcomes, London – New York – Dublin : Bloomsbury Academic, 2022, 238 p.
Texte intégral
1Le livre de Wayne Dowler est un ouvrage de synthèse qui propose une histoire de l’éducation, principalement entendue comme une histoire de l’école et circonscrite à la Russie tsariste, soviétique et postsoviétique. Il considère trois siècles de politiques et de pratiques éducatives, de la Russie de Pierre le Grand à celle de Vladimir Putin. À l’ambition de couvrir une très longue période s’ajoute celle de voir comment la Russie a répondu, au fil de son histoire, à des questions de fond concernant l’éducation : quel est le but de l’éducation ? Qui doit-elle servir ? Quel est le juste équilibre entre le développement de l’individu, du collectif et les objectifs économiques ? Qui doit contrôler et financer l’apprentissage ? Quelles méthodes d’instruction correspondent au caractère et à l’expérience culturelle et historique de la population ? (p. 1). Pour répondre à ces interrogations, Wayne Dowler propose une histoire de l’école complète associant histoire politique, institutionnelle, sociale à une histoire de l’éducation qui articule les théories pédagogiques, les politiques et les pratiques éducatives.
2Suivant un plan chronologique, l’ouvrage se divise en neuf chapitres. Chacun comporte une introduction qui insiste sur les éléments de transition d’une période à une autre, présente le contexte politique général et son impact sur les politiques éducatives et donne les grandes caractéristiques de l’époque faisant l’objet du chapitre. Une conclusion dresse un bilan des enjeux et des transformations qui caractérisent l’époque étudiée, avec ses avancées, ses difficultés et ses échecs. Le corps des chapitres présente les objectifs du pouvoir en place dans le domaine éducatif, l’évolution de la législation encadrant l’école, les différentes approches pédagogiques et les résultats produits par les politiques et les pratiques scolaires, en incluant leur réception par le public. La démarche est sous-tendue par le souci d’un propos concret grâce à la prise en compte d’expériences individuelles de l’école.
3L’ouvrage s’intéresse ainsi successivement aux débuts de l’école dans la première moitié du xviiie siècle et aux changements culturels que cette éducation entraîne parmi les élites sociales et politiques sous Pierre Ier et de ses successeurs. Puis il aborde la fondation d’un système éducatif entreprise par Catherine II, posant également les bases d’une future éducation des femmes russes. Le troisième chapitre s’intéresse aux succès et aux échecs de la vaste réforme de l’éducation d’Aleksandr Ier qui tente, au début du xixe siècle, d’organiser l’ensemble du système scolaire, de l’enseignement primaire au supérieur. Il considère également les restructurations engagées ensuite par Nikolaj Ier et le développement de l’intelligentsia et de son esprit critique envers le régime et ses pratiques éducatives, soulignant la vivacité des débats au sujet des buts de l’éducation. Puis vient le temps des grandes réformes d’Aleksandr II, objets du quatrième chapitre, comprises dans un règne marqué d’abord par l’ouverture et les débats publics puis par un recul par rapport aux principes des premières réformes. Le cinquième chapitre présente la répression dans l’enseignement supérieur, et les tensions croissantes entre le régime et les progressistes durant le règne d’Aleksandr III et les premières années de celui de Nikolaj II. La suite de l’ouvrage détaille le développement des politiques et pratiques éducatives sous le gouvernement semi-parlementaire en Russie de la révolution de 1905 à la première guerre mondiale, entraînant de rapides avancées de l’école primaire. Le septième chapitre explore les expérimentations communistes de la révolution d’Octobre à la révolution culturelle et examine les problèmes rencontrés par le nouveau pouvoir en place. L’avant-dernier chapitre se penche sur la réorganisation conservatrice de l’école sous Stalin et ses successeurs tandis que la dernière partie s’intéresse aux efforts de Mihajl Gorbačev pour sauver l’ordre communiste et son système éducatif puis à la libéralisation du système scolaire après la chute de l’URSS en 1991, avant la reprise en main de Vladimir Putin définie par une recentralisation et une éducation à nouveau subordonnée aux intérêts de l’État.
4Les sous-chapitres sont consacrés aux différents types d’enseignement public, privé et religieux d’abord puis sont pris en compte l’éducation des filles, des paysans et la formation militaire. Dans les chapitres cinq et six (du règne d’Aleksandr III à la révolution d’Octobre), les sous-parties portent sur les écoles selon les niveaux (primaire, secondaire, supérieur, cours pour adultes). À partir de là, l’auteur s’intéresse également aux conditions d’exercice du métier d’enseignant (formation, salaire, salles de classe) et à l’évolution de la composition sociale et genrée de la profession. Les trois chapitres dédiés à la période soviétique et postsoviétique proposent de suivre l’évolution des différents modes d’enseignement selon les types d’écoles et les niveaux et offrent également quelques sous-parties permettant d’exposer la situation de l’école à certaines périodes charnières comme la révolution culturelle, la seconde guerre mondiale, la réforme de l’enseignement de 1984 ou la chute de l’URSS. La structure récurrente du livre de chapitre en chapitre permet d’appréhender aisément l’histoire de chaque aspect de l’école russe sur le long terme.
5L’approche de Wayne Dowler apparaît rigoureuse. L’auteur inscrit les projets, comme celui de l’École du travail développé dans les années 1920, dans leur contexte général. Il en précise les défenseurs, les sources d’inspiration théoriques, les grandes orientations et les faiblesses, tout en soulignant les désaccords existant entre les dirigeants autour du contenu et des méthodes pédagogiques, les obstacles et les difficultés rencontrés dans les tentatives de mise en œuvre. Dans l’esprit des travaux sur l’URSS qui se développent depuis les années 2000, l’ouvrage présente le caractère flou du projet bolchevik et les divergences entre les membres du Parti, et insiste sur le décalage important et les tensions existant entre les ambitions du régime, la réalité du terrain (en particulier le manque de moyens et les résistances locales), et les résultats obtenus. Dowler décrit ainsi de manière claire et concise l’échec du projet de l’École du travail en parvenant à articuler différentes histoires comme celles des théories éducatives, des institutions, des politiques et des pratiques pédagogiques, du droit, de l’enfance délinquante et abandonnée, du statut des enseignants.
6La conclusion de l’ouvrage dégage les tendances de fond de l’éducation en Russie. L’auteur insiste sur le fait que l’éducation a toujours prioritairement servi d’instrument pour faire progresser les intérêts de l’État. Il explique également la succession récurrente de réformes et de retours en arrière par différents facteurs, en particulier par une attitude ambivalente du pouvoir envers la mobilité sociale : celle-ci devant à la fois servir la démocratisation de l’enseignement et ne pas compromettre la compétitivité du pays sur la scène internationale. Par ailleurs, Dowler précise que, si le poids de la contrainte imposée sur la scolarité est difficile à évaluer dans la chute de l’autocratie et du communisme, celui des déficits éducatifs doit être bien pris en compte. Il s’intéresse alors aux causes du non-aboutissement de la très grande majorité des réformes le manque de moyens chronique, la taille du pays, la complexité administrative et la résistance passive des autorités locales et des parents, insistant au passage sur la position difficile des enseignants pris en étau entre les injonctions officielles et la réalité du terrain. La conclusion souligne également les progrès et succès du système éducatif russe au cours du xxe siècle : un taux d’illettrisme parmi les plus bas au monde, une éducation féminine largement prise en compte (sans avoir cependant soulagé les femmes des tâches domestiques) et un très grand nombre de personnes à avoir fréquenté l’enseignement supérieur (dans un contexte entaché par la corruption dans les années 1990). L’ouvrage s’interroge sur l’avenir et pointe l’éducation patriotique militaire de Vladimir Putin, son caractère étroitement nationaliste et le fait que ce système pourrait susciter une opposition menant à un changement.
7Recensant environ 180 titres de sources secondaires, la bibliographie intègre des travaux récents. Elle rassemble principalement des textes en anglais assortis de quelques travaux russes et très ponctuellement français. Dans son propos, Wayne Dowler recourt largement aux études statistiques. Sans entrer dans le détail des problèmes d’utilisation que posent ces données souvent contradictoires et en assumant cette difficulté, il propose un usage judicieux des statistiques destiné à indiquer les grandes tendances concernant notamment l’évolution du nombre d’écoles et la scolarisation des différents publics répartis selon l’âge, le genre ou la catégorie sociale. Une dizaine de documents iconographiques et de schémas, ponctuent le texte, dont quatre organigrammes présentant simplement l’organisation du système scolaire dans son ensemble en 1914 et 2018, les types d’écoles élémentaires au début du xxe siècle et les institutions pour l’éducation des femmes sous Aleksandr II.
8L’ouvrage offre des repères clairs et utiles aux étudiants comme aux personnes intéressées par les enjeux et les principales étapes de l’évolution de l’école en Russie tsariste, soviétique et postsoviétique. Il invite explicitement à comprendre l’histoire des rapports entre l’école et l’État en Russie afin de saisir les origines du système actuel et à mettre cette histoire en perspective avec celle d’autres systèmes éducatifs occidentaux notamment.
Pour citer cet article
Référence papier
Cécile Pichon-Bonin, « Wayne DOWLER, A History of Education in Modern Russia. Aims, Ways, Outcomes », Cahiers du monde russe, 64/3-4 | 2023, 726-729.
Référence électronique
Cécile Pichon-Bonin, « Wayne DOWLER, A History of Education in Modern Russia. Aims, Ways, Outcomes », Cahiers du monde russe [En ligne], 64/3-4 | 2023, mis en ligne le 20 octobre 2023, consulté le 14 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/monderusse/14339 ; DOI : https://doi.org/10.4000/monderusse.14339
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