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Dossier

Un parti sans politique. Onomastique d’une innovation partisane : En Marche !

A party without politics. Onomastics of a partisan innovation: En Marche!
Un partido sin política. Onomástica de una innovación partidaria: En Marche!
Julien Fretel
p. 57-71

Résumés

En Marche !, le parti créé par Emmanuel Macron avant l’élection présidentielle de 2017, est une entreprise particulièrement intéressante à étudier sur le plan du choix et des jeux de mots permettant de désigner un parti politique. Directement inspiré de certains enseignements de la gestion et du marketing, En Marche ! a été pensé comme une marque capable de modifier la donne électorale. Aussi, le lancement de cette marque ne s’est-il pas seulement accompagné d’innovations linguistiques, mais également d’un changement profond dans la manière dont on désigne les acteurs et les instruments au sein des partis politiques. En ce sens, En Marche ! est une entreprise de conquête du pouvoir qui se refuse à employer les mots classiques de la politique.

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Texte intégral

  • 1 Cet article est le fruit d’une enquête de terrain commencée en septembre 2016. Elle a conjugué une (...)
  • 2 Le langage de présentation de soi qu’a emprunté E. Macron, depuis l’affirmation de ses ambitions p (...)

1Appliquer une grille d’analyse onomastique pour comprendre l’apparition d’En Marche ! dans le champ politique français est un passage scientifique obligé tant le choix de ce nom de parti politique a procédé d’une stratégie consciente de rupture langagière. Cette dernière a sans nul doute reposé sur des croyances fortes dans le pouvoir de nomination anthroponymique dans le cadre desquelles les termes retenus pour dénommer cette nouvelle entreprise de conquête des positions de pouvoir ont été savamment soupesés1. Stratégie de rupture, d’abord, en ce que les inventeurs du nom, pour les besoins de la cause, à savoir pour partir à la recherche des suffrages en faveur du candidat Emmanuel Macron, ont souhaité se positionner en hérétiques de la compétition politique, avec la ferme volonté de cloîtrer leurs adversaires dans l’image d’un ancien monde politique prétendument sclérosé. Leur propre étiquette, fondée sur la modernité et le mouvement au nom d’une culture « start-up »2, par l’innovation sémantique et sémiotique qu’elle était censée provoquer, ne pouvait selon eux que démonétiser les camps d’en face. Croyances anthroponymiques ensuite, dans la mesure où les producteurs de la marque En Marche !, en raison de leurs profils socioprofessionnels notamment, se sont engagés dans la compétition présidentielle avec la profonde conviction qu’une véritable politique de « branding » serait l’atout majeur à même de forcer la décision électorale. Ainsi, l’investissement dans le sociolecte partisan n’a-t-il probablement jamais été aussi lourd de la part d’entrepreneurs politiques français. Certes, cette politique de la marque conçue comme une stratégique électorale quasiment en soi a relevé d’un jeu marketing qui n’est pas totalement nouveau du côté des professionnels de la représentation. Avant eux, plusieurs formations politiques, de gauche comme de droite, avaient cru pouvoir, en changeant de nom, revaloriser leur capital partisan (Offerlé, 1987) ou, plus prosaïquement, se faire ou se refaire une santé électorale, militante et judiciaire (Dormagen, 1995). Durant la période qui a suivi l’élection présidentielle de 2007, par exemple, un renouvellement des dénominations partisanes a fait florès non seulement dans l’idée de redorer la façade institutionnelle quand les dirigeants se jugeaient en crise de légitimité et de fonctionnement, mais aussi, quand ces derniers entendaient se réformer en profondeur, dans l’espoir de marquer l’entrée de leur formation dans un nouveau régime de vérité marqué du sceau de la démocratisation des mœurs partisanes (Fretel, 2015). Depuis lors, cette course à la dénomination partisane fondée sur le pari d’un possible regain au moyen d’une nouvelle dénomination n’a pas cessé. En Marche ! est apparu quasiment en même temps que La France insoumise, Agir, Génération.s ou Place publique. Cependant, la prise en charge de la question du nom du mouvement dans l’entourage d’E. Macron a comparativement revêtu, pensons-nous, une importance inédite. La recherche des effets performatifs des mots et des signes retenus pour désigner la nature de l’entreprise macronienne a constitué l’un des axes majeurs de sa politique de campagne. C’est donc à comprendre ces investissements linguistiques saillants que nous entendons nous atteler en abordant trois angles d’études complémentaires. D’abord, nous nous arrêterons sur les raisons sémantiques et sémiotiques de la mise sur le marché électoral d’En Marche !. Cette option toute marketing, on le verra, accompagne la venue de nouveaux acteurs de la compétition politique acquis à la gestion comme savoir de gouvernement et science électorale (Pène, 2013). Mais dénommer différemment une formation politique n’a pas été uniquement un positionnement stratégique ni un cynisme de plus, ce fut aussi la certitude partagée par ces nouveaux entrants que la « théorie de la marque » avait toute sa place pour faire de la politique, pour faire la politique. Ensuite, nous nous pencherons sur les jeux lexicaux et graphiques que la marque En Marche ! était supposée offrir. L’intention était en tout cas de faire de ces nouveaux mots de parti en effigie des mots d’ordre commandant un cadre idéal d’engagement, loin de la politique dans ce qu’elle a de plus manifeste et de plus agonistique. Enfin, nous chercherons à nous placer du côté de la réception de cette « dénomination propriale » qui charrie à l’évidence « des intentions de légitimation, d’argumentation et de mobilisation » (Bacot, 2010) en portant notre attention sur les usages et les appropriations des outils sémantiques secondaires qu’En Marche ! a fait se décliner. Ce nom de baptême a reconfiguré et transfiguré, par des mots-outils et des qualificatifs peu communs en politique, les êtres et les choses qui font le groupe (Benoit, 1981), notamment à l’échelle locale. L’étiquetage de nouveaux militants ralliés à la cause d’E. Macron sous le label « marcheur » a d’autant mieux collé à la peau des intéressés que ces derniers parlaient couramment la langue de l’entreprise.

Une marque pour parti

2L’entreprise macronienne de conquête de la présidence de la République est difficile à dater. À mesure que la sociologie s’y exerce, il apparaît que le destin présidentiel de son auteur prend sa source de plus en plus en amont. La trajectoire du brillant élève de classe préparatoire issu d’un milieu très favorisé entré à Sciences Po Paris, reçu à l’ENA dès sa première tentative, sorti dans la « botte » et coopté immédiatement par les hauts-fonctionnaires des entourages des éligibles de l’Élysée, ne peut pas ne pas être considérée comme un destin prévisible, un amor fati. La volonté d’E. Macron de se présenter à l’élection présidentielle de 2017 est elle aussi difficile à borner. Pour ce qui nous importe, plus cruciale heuristiquement parlant est la période allant de la fin de l’année 2015 jusqu’au soir de l’élection présidentielle de 2017, élection au cours de laquelle le futur président de la République fut entouré de conseillers et d’experts en communication et marketing préposés à lui permettre de faire un « coup » électoral. C’est durant ce laps de temps également que les mots ont été inscrits dans le marbre du mouvement naissant que fut En Marche ! et que les modes de faire et les acteurs individuels et collectifs prêts à suivre le jeune énarque ont eu à s’y conformer.

  • 3 Ces réunions sont racontées avec plus ou moins de détails et d’acteurs identifiés dans : Marc Ende (...)
  • 4 La presse parlera, à propos de la jeune garde rapprochée d’E. Macron, des « Havas boys ». À leurs (...)

3Les premières réunions organisées à l’initiative du putatif candidat présidentiel, qui ont été consacrées à « brainstormer » puis à mettre en place un « plan de communication stratégique », ont été des séquences durant lesquelles a été posée la question du nom de la structure grâce à laquelle une campagne électorale serait rendue possible. Il fallait d’urgence fabriquer une dénomination au profit de celui qui n’était encore qu’un outsider, il fallait également, dans l’esprit de ces compétiteurs, mettre sur pied un dispositif attractif qui permette de réunir des milliers de personnes dans la perspective des mobilisations électorales futures. En d’autres termes, il paraissait impératif de créer une organisation politique ou électorale ad hoc ou simplifiée, en raison du peu de temps à mettre à profit et du relatif isolement du candidat vis-à-vis des institutions partisanes existantes. Ces réunions à huis clos3 ont rassemblé des collaborateurs du ministre de l’Économie et des hauts cadres rencontrés depuis son passage rue Saint-Guillaume. Tous ou à peu près ont en commun des expériences professionnelles où l’expertise, le conseil, la gestion et le marketing sont des connaissances à la fois pratiques et théoriques qui fonctionnent comme des répertoires d’action permanents mobilisés au cœur des sphères de décision des secteurs publics et privés, dans la haute administration comme au sein d’agences. Ces savoirs, adossés à des disciplines comme la gestion, sont pourvoyeurs de visions du monde et vecteurs d’un nouvel esprit du capitalisme (Boltanski, Chiapello, 1999)4. Issus des écoles de commerce (HEC et ESSEC), de Sciences Po Paris et des grands corps de l’État (ENA, Polytechnique, École des Ponts), rompus au new public management, ils sont ce faisant de véritables concepteurs/conceptualisateurs, c’est-à-dire des individus qui, auprès de leurs clientèles habituelles, prodiguent des solutions lexicales et graphiques de changement de stratégie, d’adaptation aux subtilités de la demande et de recréation de la culture d’entreprise. Les mots de la gestion constituent un véritable langage dialectal, surtout quand ils sont de facture anglo-saxonne. Les références à la sémiologie sont pléthore. L’anthropologie et la sociologie, quand ces dernières parlent de société « liquide » (Bauman, 2006) et de « temps des tribus » (Maffesoli, 1988), nourrissent également ces imaginaires gestionnaires lorsqu’il s’agit de résoudre les maux des organisations. Les recettes du management, de surcroît, passent par une philosophie post-taylorienne, qui insiste sur la nécessité d’accompagner le changement en réagençant les identités collectives et en élaborant un bonheur d’entreprise (Illouz, 2011) – ce que d’aucuns dans le milieu appellent désormais « la citoyenneté organisationnelle » (Organ, 1988). Ces conceptions du monde vont se retrouver mobilisées de bout en bout lors de la fondation d’En Marche !.

  • 5 Lors d’une conférence donnée à la Fondation Jean Jaurès le 7 septembre 2017, Adrien Taquet, l’un d (...)

4Au surplus, à côté de ces connivences entre femmes et hommes de réseaux qui ont aidé au lancement rapide d’une candidature, une agence de communication a été sollicitée pour faire des propositions en matière de nom de parti. L’agence « Jésus et Gabriel » a été pressée par l’équipe d’E. Macron de proposer « une marque » qui sache « disrupter ». Le « mantra » de la disruption, partagé depuis quelques années par des communicants autant que par des spécialistes de marketing (Dru, 1996), et qui se veut stratégie de rupture avec les jeux convenus d’offre et de demande, est allé de pair avec la conviction chez les macroniens et leurs conseillers marketing que le monde moderne avait connu un « collapse », un « dérèglement sémiotique » (Llorca, 2018) résultant pour une large part d’un effacement généralisé des grands repères institutionnels et religieux. Cette entropie relative se serait abattue sur la démocratie de masse et de classe. Les représentants politiques, au premier chef desquels on trouve les partis politiques, seraient en complète faillite. Dans cette crise dont les sondages sur le défaut de confiance envers les dirigeants de parti sont les indices indiscutables, seule une marque serait, selon ces conseillers, à même de donner du sens auprès des électeurs-consommateurs (Heilbrunn, 2007). Cette nouvelle ère, qui rendrait nécessaire de croire au marketing pour sortir les sociétés de l’incroyance et de l’apathie, a obtenu des suppléments de crédibilité depuis les campagnes des démocrates aux États-Unis. La littérature consacrée aux victoires de Barack Obama et les punchlines de ce dernier seraient des exhortations à assumer le merchandising en politique. Les deux leaders de l’agence ont mis en pratique ces « théories » de la marque, démarche à l’issue de laquelle le choix d’appeler le mouvement En Marche ! s’est imposé avec la force de l’évidence5. Les principes mis en œuvre pour aboutir à l’invention de ce nom de parti s’inspirent donc directement des apports les plus récents en science de gestion. Comme l’a expliqué l’un des dirigeants de « Jésus et Gabriel », Adrien Taquet, ancien de chez Havas, le nom de parti devait répondre à une triple exigence de « différenciation, de désintermédiation et de prise de risque ». Différenciation, dans la mesure où il lui paraissait impérieux de distinguer E. Macron au sein d’un champ politique fossilisé et saturé d’offres : « il ne pouvait pas y avoir de changement à la marge, il fallait changer les règles et tout devait traduire cette promesse ». A. Taquet, en réalité, ne faisait que rejoindre la position de l’un des plus proches d’E. Macron, Gilles Finchelstein, expliquant que la force du candidat Macron avait été de se placer « dans une stratégie d’offre, non pas de réponse à la demande » (Les Échos, 24/03/2017). Par « désintermédiation », il faut entendre la conviction qu’ont les macroniens de l’effondrement des corps intermédiaires. Ce faisant, s’adresser directement aux électeurs, sans truchement, est une nécessité dont les mythes de certaines parasciences de la gestion font vertu. La marque, une fois trouvée, aurait cette propriété d’attraction et d’identification propre à produire l’engagement spontané des individus au service d’un candidat. La prise de risque, enfin, est résumée de la sorte : « On avait besoin d’un gain important dans un temps court, donc il n’y a que la prise de risque comme les lives et nos meetings comme celui de la Mutualité ». Cette notion de risque, si chère aux entrepreneurs revendiquant des capacités anticipatrices singulières, apparaît somme toute relative dans l’explication livrée ici. Elle a pourtant scandé toute la campagne des soutiens d’En Marche ! et a été maintes fois mobilisée pour rendre hommage à l’audace sans pareille du candidat. En outre, elle a fait écho à ce qu’E. Macron ne cessait de dire de lui-même, à savoir qu’il était du côté des entrepreneurs, bref qu’il était le « candidat du travail » (La Tribune, 10/12/2016).

Un parti qui ne dit pas son nom

5Ces principes mis au clair, il convient de s’arrêter sur le choix même du nom de parti qui a été adopté. D’abord, comme cela a été fréquemment indiqué par les partisans d’E. Macron, l’objectif était de lancer sur le marché des marques et des logos politiques une dénomination qui rompait avec le mot parti. Ce jeu de cache-cache avec ce mot si décrié dans l’espace public n’est pas sans précédent. Nicolas Sarkozy, en reprenant la présidence de l’UMP en 2014, ne s’était-il pas évertué à proposer un changement de nom, Les Républicains, de telle sorte qu’on ne puisse pas le faire précéder du mot parti ? Plus récemment, La France insoumise des partisans de Jean-Luc Mélenchon, siglée en LFI, décidait à son tour de ne plus se laisser saisir nominalement comme n’importe quelle formation. L’époque durant laquelle le terme de parti se prononçait en amont d’une préférence idéologique ou d’un courant de pensée, à l’instar de Parti radical ou de Parti socialiste, semble révolu. « Il fallait aussi rompre les codes avec les dénominations habituelles de parti, aller vers des mots simples et forts comme Podemos », s’était expliqué A. Taquet dans la presse (Le Point, 31/07/2017). Le refus de laisser aux électeurs comme aux médias la possibilité d’ajouter le terme classificatoire de « parti », généralement placé devant le nom des organisations politiques et qui, souvent, s’intègre à l’acronimysation qui en résulte, a été catégorique. Aussi, être novateur dans l’expression, prendre le contre-pied des partis rivaux dans ce qu’ils ont de prétendument figé et idéologisé a-t-il conduit ces créateurs de marque à opter pour des termes filant la métaphore du mouvement, du dynamisme, voire de la « révolution ». Cette orientation sémantique présentait pour eux l’avantage de s’éloigner de la vieille grammaire partitaire tout autant qu’elle fixait l’entreprise macronienne comme une aventure dénuée d’idéologie, de parti-pris, au-delà donc de tout rappel aux clivages et polarités politiques. Cette option à la fois lexicale et syntaxique a été résumée par E. Macron lui-même lors du meeting fondateur d’Amiens en avril 2016 : « En Marche ! n’est pas un parti mais une dynamique ». Il restait alors à permettre les jeux d’incarnation et d’antonomase en faisant en sorte que le nom retenu devienne non seulement un nom propre, mais aussi un nom qui rappelle celui d’E. Macron. Ce faisant, le champ onomastique des pensables a semblé se rétrécir et engendré presque obligatoirement En Marche !, comme symbole de la mise en branle d’un mouvement qui ne serait ni un parti, ni une chapelle, ni un lieu de production doctrinale, mais une marque à lui seul pourrait-on dire, qui n’aurait pas d’autres fins que celle de l’identification mobilisatrice en faveur d’un projet de conquête politique faisant l’économie de la politique. De plus, en empruntant aux codes des nouvelles orthographes et sémiotiques dont Yahoo ! est un parfait exemple, le point d’exclamation placé à la fin du nom propre venait remplir une fonction générative d’emphases et de mots d’ordre aux allures modernes. Ce signe de ponctuation, qui n’avait pas été utilisé jusqu’alors dans le champ partisan, se surajoutait non sans redondance à la marche à laquelle les électeurs ciblés étaient invités.

  • 6 Ce terme est de plus en plus employé dans le jargon de la communication politique pour désigner un (...)

6Les mots des partis politiques ne résonnent pas uniquement dans la bouche des partisans (Pudal, 1989). Ils se donnent tout autant à voir. En l’occurrence, la présentation graphique d’En Marche ! vaut qu’on s’y arrête, tant son visuel, ses codes couleurs et graphologiques renforcent l’hypothèse de la rupture avec l’ordre sémantico-partisan. Dans les premiers temps d’exposition, En Marche ! s’était écrit sur fond blanc, au neutre dans une certaine mesure, pour ne pas prêter le flanc aux métonymies colorées en vigueur dans le champ politique. Plus encore, le nom de cette entreprise partisane présentait une forme graphique de type manuscrite, celle de la main même d’E. Macron. En ce sens, l’invention de cette marque, qui fonctionnait comme une « brandidate »6 (Kaneva, Klemmer, 2016 ; Llorca, 2018), s’était donné pour fonction explicite de se référer continûment au vrai nom propre du leader, telle une double antonomase allant et venant entre le nom propre partisan et son référent ultime, le véritable nom propre sans cesse dévoilé par les initiales EM !. Il n’est pas douteux que les dérivations suggérées par cette subtile dénomination propriale polylexicale (Bacot, 2010), qui oscille entre le nom du mouvement et la personne de son leader, se voulaient entreprises d’héroïsation et de leadership manifestes. Le point d’exclamation, abondamment mobilisé par les publicitaires quand ces derniers recherchaient comment encoder les marques de signes d’imagination et d’affection, a paru idoine pour ponctuer l’appel à voter En Marche ! et E. Macron. Cette ponctuation a, en outre, pu remplir un rôle sémiotique supplémentaire que résume parfaitement son ancienne appellation, à savoir celui de « point d’admiration ». À mesure qu’E. Macron a fait campagne, meeting après meeting, la marque En Marche ! a été déclinée par le prisme de son acronyme et s’est réduite peu à peu aux seules initiales EM ! de son substantif candidat, sur fond de coloration de plus en plus arc-en-ciel au nom du sacro-saint « en même temps », comme pour réunir sur un même graphisme toutes les couleurs partisanes possibles, excepté celles des extrêmes.

  • 7 Il est important de noter à ce stade que la première édition de l’ouvrage d’E. Macron date de nove (...)

7Comme toutes les ruses de la raison, celle des « marketeurs » d’En Marche ! a dû inventer sa sociodicée en vue d’euphémiser le coup de force que représente la création sui generis, « from scratch », du mouvement. Tenter d’écraser la compétition électorale présidentielle en mobilisant une conception à tout le moins « top-down » de l’offre politique n’a pas dissuadé les designers macroniens d’inscrire leur entreprise dans une perspective « participative » (Blondiaux, 2008). Ainsi tant E. Macron que ses proches, et par la suite les référents nationaux du mouvement, ont-ils présenté leur institution électorale en voie de partisanisation comme une forme innovante faite pour accueillir le désir spontané des citoyens. Afflueraient vers elle, sans discontinuer, de toutes parts, « des femmes et des hommes qui veulent avant tout faire avancer le progrès », des « représentants de la société civile » (Macron, 2017)7 dont la ferveur, le noviciat militant et l’engagement idéel sans a priori partisan apportaient la preuve qu’En Marche ! sortait des profondeurs du peuple. Cette organisation paradoxale, en ce qu’elle a eu recours aux mots de la démocratie participative pour recouvrir d’un voile d’ignorance sa verticalité et son oligarchisme, a pu faire illusion durant toute la campagne présidentielle. L’effervescence de l’élection présidentielle française a facilité son image de parti sans frontières, sans cloisonnements, sans marquages ni marqueurs idéologiques, constitué de « simples citoyens ». Au risque de l’imposture, En Marche ! s’est justifié de se fonder au service d’une « révolution démocratique » (Macron, 2017). Ce travail d’auto-authentification, on le voit bien, est un travail de dissimulation de la domination dont elle est le théâtre (Tournier, 1981).

Démarquer les marcheurs

  • 8 L’un des traits récurrents de la méthode Macron, à l’instar des vade-mecum d’entreprise, est de ré (...)
  • 9 Cette grande marche a été pilotée par le cabinet Liégey-Muller-Pons (LMP), spécialiste en stratégi (...)
  • 10 À la lecture du questionnaire que les marcheurs ont diffusé auprès de quelque 100 000 personnes se (...)
  • 11 Sont-ce simplement des emprunts au religieux ou des postures et des pratiques conduisant à croire (...)

8En Marche ! n’a pas été seulement une marque censée susciter l’identification et l’adhésion comme le recherchent généralement les spécialistes du branding. Cette organisation a été pensée et donc « designée » par une syntaxe ayant pour visée de donner aux adhérents une identité collective sans pareil. Par des mots quasiment jamais usités en politique, fonctionnant comme des praxèmes, une définition de soi tout à fait apartisane a été conférée aux entrants. Davantage que l’adhésion gratuite, instaurée pour casser le marché de l’engagement partisan, l’entrée dans le mouvement a été suscitée et conditionnée par des noms de baptême multiples. Les adhérents ne sont pas des militants, cette figure jugée dépassée de la politique, mais des « marcheurs ». Une marque, si on lit les manuels de marketing, se doit de se décliner. Ces adhérents ainsi mis en marche se sont trouvés par conséquent dépourvus des marqueurs des ancestrales mœurs partisanes. Ils marchent, se mobilisent, se mettent à l’écoute des Français, mais ne font pas de politique en somme. Ces jeux de dénomination ne sont pas que jeux d’étiquette dotés d’avantages comparatifs. Les marcheurs doivent vraiment marcher, comme ce fut le cas entre autres lors de « la grande marche » organisée en septembre 2016 en vue de réaliser le « diagnostic »8 qu’avait initié E. Macron pour bâtir son projet9. Cette mobilisation, empruntant au « walk for change » de Barack Obama, a eu pour tâche de socialiser au plus vite les marcheurs dans le cadre de la marche forcée qu’E. Macron voulait les voir faire. Il était question de les jeter sans tarder dans l’arène politique et militante avec un triple objectif. En premier lieu, inscrire dans les usages de l’organisation ce que signifie concrètement s’engager à En Marche !, à savoir sonder le pays, déambuler parmi ses concitoyens pour recueillir leur jugement avec la retenue dont doivent savoir faire preuve les enquêteurs des instituts de sondage10. La mise en pratique de ce que marcher veut dire au sein de ce groupement incitant ses partisans à enfiler les habits de l’homme-sandwich a revêtu parallèlement une dimension sacrée11, où la marche se fait cortège et déploie une propagande par la vue (Mariot, 1995). Dit en des termes goffmaniens, cette marche codée a quelque chose du « rituel institutionnel » naissant appelé, si le champ politique l’autorise, à devenir un « idiome cérémoniel » (Goffman, 1974). La marche et ses déclinaisons à l’échelle locale ont dès lors été instituées comme préalables à maints évènements, enjeux politiques ou électoraux auxquels l’organisation a pu être confrontée. Quand les marcheurs sont interpellés et sommés de prendre position, consigne leur est passée de procéder à un diagnostic, de sonder les citoyens. En second lieu, il s’agit de faire connaître à domicile la marque En Marche !. Cette injonction proxémique s’opère de diverses manières. Elle fait connaître l’entreprise et la marque macroniennes et ce d’autant plus que le nouveau porte-à-porte tel qu’initié par le Parti socialiste en 2011-2012 (Lefebvre, 2016) en soutien à la candidature de François Hollande a encore le don de focaliser le cadrage des médias. Elle permet d’accroître la population des marcheurs par un effet de contagion. Dans cette perspective, on peut faire l’hypothèse que cette stratégie de portage à domicile s’appuie sur le concept de l’« internal branding », où la « marque entreprise » vient renforcer le sentiment d’appartenance des employés (employee first), ici les marcheurs. En troisième lieu, et c’est là un argument plus cynique que les précédents, cette première grande marche a permis de gagner du temps, comme l’ont reconnu les membres de la garde rapprochée du futur président de la République, le temps nécessaire pour que l’équipe de campagne fourbisse ses armes dans de bonnes conditions.

9Les adhérents d’En Marche ! ne sont donc pas des militants mais des marcheurs. Ils ne vivent pas non plus dans un parti politique à proprement parler. Ils sont d’abord et avant tout invités à s’investir au cœur de « comités locaux » dépourvus des figures archétypales de la vie partisane. Ils ne votent pas, ils n’élisent pas de président ni de délégués de section qui sont autant de reliques du passé des partis politiques tannés et épuisés par les jeux d’appareil, ils sont au contraire rassemblés en « teams », et quand ce sont des élus, en « team buildings », ils sont coachés par des « helpers » un peu plus aguerris que la moyenne, et ce sous l’impulsion de « référents » n’ayant pas d’autre légitimité apparente à les « driver » que la compétence qui leur est reconnue par le staff du siège national. Ces référents locaux, départementaux et nationaux, nommés et recrutés sur CV par une « cellule RH », sont tout à leur tâche lorsqu’ils manient avec virtuosité les instruments dont s’est dotée l’organisation au travers des « statistiques », des « briefs » et du « reporting ». L’un des leitmotivs lors de la campagne présidentielle a été celui de répondre « just in time » aux demandes émanant des marcheurs des comités. Ces outils de performance ont été également mis en œuvre pour évaluer les adhérents. Ces derniers se voyaient en effet régulièrement jaugés par la mesure statistique de leurs actions et, a minima, de leur activisme sur le net, le « scoring » valant ici rétribution du militantisme macronien en quelque sorte.

10Ces nouveaux mots de l’engagement dans le champ des partis politiques, qui ne sont pas sans rappeler l’ambition d’autres formations politiques cherchant jadis, par un travail lexical et psychosociologique sur les identités et les biographies (Pennetier, Pudal éd, 2002), à fonder un homme nouveau, ont eu partiellement valeur de prophétie autoréalisatrice. Les activités promues auprès des marcheurs reviennent à les exhorter à accomplir des missions citoyennes locales sous la condition que celles-ci ne clivent ni ne polarisent. Par le biais d’internet, des propositions appelées « bonnes pratiques » sont envoyées pour suggérer de se porter au plus près des problèmes qui, justement, ne font pas problème politiquement parlant, mais consensus. Pêle-mêle, il s’agit d’organiser du soutien scolaire, d’œuvrer en faveur des solidarités intergénérationnelles, d’améliorer le cadre de vie au travers d’opérations d’embellissement, d’aménagement du territoire et de développement des mobilités. Le parti d’E. Macron est en ce sens plus proche des organisations non gouvernementales et des associations de service telles que le Lions clubs ou les Rotary clubs que des sociations partisanes classiques. En Marche !, dans cette optique, est un parti qui entend mettre ses adhérents au travail et qui repère les plus méritants dignes de devenir à terme des référents, par un système de cursus honorum fondé sur la capacité d’agir. Nul temps dévolu à la délibération, à la désignation de quelque représentant que ce soit, ni au débat d’idées, l’incertaine démocratie de parti qui avait cours dans de nombreux partis concurrents a été supplantée par un autre paradigme que les mots usuels de la sociologie des organisations assimileraient, à l’image des syndicats scandinaves, à « un parti de service à la personne ». Pour ce faire, insistance est faite sur la formation des marcheurs à travers des MOOC pour peaufiner les savoir-faire nécessaires à l’aide envers autrui.

  • 12 Comme le précise Le Robert, « l’emprunt est une manière de prendre ailleurs et faire sien ».

11Ainsi, l’emprunt12 aux mots des entreprises « start-upées » a construit un univers de sens substituant au militant de parti un marcheur actif. Cet emprunt, au surplus, semble d’autant mieux convenir qu’il est gorgé de néologismes, dont une bonne partie d’anglicismes. Les désignations imposées à l’objet parti ainsi que ses mots-outils mettent à distance les formes canoniques du « prendre parti » (Pudal, 1989) et du « faire parti » (Combes, 2011). En Marche ! est assimilable à une entreprise politique qui s’institutionnalise, notamment par des actes de langage et des jeux de manipulation de mots-clés.

  • 13 Les résultats de l’enquête réalisée par le think tank Terra Nova en juin 2018 auprès de 8815 adhér (...)

12Ce ne pourrait être que des mots, un coup de publicité en somme. Mais une analyse attentive des femmes et des hommes dont ces termes sont allés marquer les esprits a montré que cette stratégie semble avoir produit sinon des processus de conversion ou de changement d’être, du moins des effets perlocutoires (Austin, 1970). Forte, en effet, a été l’émotion, la révélation et conséquemment l’amour du leader (Michels, 1995) chez nombre de marcheurs aux premiers temps de la création du mouvement. L’ingénierie lexicale autant que les traits saillants de la façade institutionnelle d’En Marche !, dont le graphisme n’est pas le moindre des signes, ont été à même de provoquer des ralliements nombreux à la cause macronienne. Ces symboles ont, comme on dit, puissamment parlé aux supposés marcheurs. Il existait donc un segment, un public cible particulièrement bien (pré)disposé à parler couramment la novlangue de cette innovation partisane. Cette heureuse coïncidence entre les propriétés organisationnelles de l’institution et celles des marcheurs, qui a rendu fluide la circulation des termes connotés et de leurs référents, s’éclaire par la surreprésentation parmi ces derniers de cadres, d’ingénieurs, de start-upers, de chefs d’entreprises et autres salariés cosmopolites rompus à la culture de « l’excellence » en entreprise13. Les entretiens, les témoignages écrits le confirment amplement. On en veut pour preuve – mais celle-ci pourrait être multipliée à l’envi – le récit relativement exalté de l’une des marcheuses de la première heure acquise aux mantras ayant cours dans les nouvelles entreprises où les formules se rapportant à la réussite et à la prise de risque font office d’apophtegme : « Emmanuel Macron a séduit beaucoup d’entrepreneurs, non pas parce qu’il est le candidat du CAC 40 (c’est d’ailleurs méconnaître ce qu’est une entreprise en France) mais parce que son état d’esprit leur parle. Apprenez à saisir votre chance, au pire ça marche » (Tessandier, 2017).

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  • 14 En 2009, à l’initiative de Denis Payre, Nous citoyens, une organisation politique alternative, a t (...)
  • 15 Depuis l’été 2017, LREM a connu des vagues d’exit nombreuses. Nos entretiens comme les témoignages (...)
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13La question de savoir si cette politique de marque et de langage partisans a fait l’élection présidentielle de 2017 restera probablement indécidable. Une chose cependant peut être défendue : le projet En Marche ! a connu, à ses débuts, un succès certain en termes d’affluence, comparativement aux innovations partisanes qui l’ont précédé14. Les mots pour former l’organisation, de son sommet à sa base, ont eu pour conséquence non seulement de faire entrer des individus vierges jusqu’alors de tout engagement partisan, mais aussi et peut-être surtout d’inclure dans l’arène partisane des corps de métiers jusque-là réfractaires tels que les chefs d’entreprise (Offerlé, 2013), les start-upeurs et avec eux de nombreux cadres du secteur privé (Gris, 2019). Il est étonnant, dans la mesure où les choix sémantiques ont revêtu tant d’importance lors de cette genèse partisane, qu’En Marche !, au lendemain de l’élection présidentielle et des élections législatives, ait voulu à la hâte changer de nom et opter pour « La République en Marche ! » (LREM, prononcé « Larem » par les marcheurs). Il va de soi que ce label de substitution a visé à s’adapter à une nouvelle réalité, à savoir l’arrivée d’E. Macron à la présidence de la République et la création des groupes parlementaires de la majorité. Cependant, l’on peut se demander si ce changement de nom – qui est irrémédiablement un changement de discours en direction des marcheurs – n’est pas venu fonder un oxymore avec lequel il est aujourd’hui manifestement difficile de s’accorder quand on veut continuer de marcher15. Alors que l’étiquette En Marche ! avait pour visée de véhiculer une conception ouverte, liquide, déterritorialisée et dynamique de la politique, loin des mots usuels tels que socialisme, radical, démocrate, et républicain, loin aussi des invites partisanes à devoir se rassembler pour combattre des classes ou des groupes sociaux, la nouvelle acronymisation, quelque peu plus lyrique en raison de la présidentialisation dont elle est le fruit, est venue ôter une part de rêves et de projections possibles à celles et ceux parmi les marcheurs pour qui l’engagement se devait d’être aussi pragmatique (c’est-à-dire le plus dépolitisé qui soit) qu’utopique, au sens où l’entend la « philosophie Google »16. En Marche ! a donc été présidentialisé, parlementarisé, étatisé, nationalisé, bref cartellisé (Katz, Mair, 1995). Les risques de dé-marque, quand la doctrine est malmenée ou lorsque l’innamoramento devient routine, concernent aussi les partis politiques.

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Notes

1 Cet article est le fruit d’une enquête de terrain commencée en septembre 2016. Elle a conjugué une étude exhaustive des articles de presse consacrés à « l’entreprise Macron », une lecture complète de la littérature journalistique, littéraire ou profane dont E. Macron et ses proches étaient soit les auteurs soit les sujets, une trentaine d’entretiens auprès de marcheurs et, enfin, une nethnographie embarquée au sein du mouvement via une adhésion par internet. Les mémoires de master des étudiants du département de science politique de la Sorbonne de l’université Paris 1 ont constitué un apport supplémentaire. Cette enquête est encore en cours.

2 Le langage de présentation de soi qu’a emprunté E. Macron, depuis l’affirmation de ses ambitions présidentielles au moins, n’a pas cessé de faire de la start-up son modèle d’organisation et de pensée. Les cotextes et les formules discursives autour desquels ce terme a été rattaché ont emprunté à un discours économico-libertarien. Par exemple, interrogé en septembre 2016 au sujet de son éventuelle candidature, il répond dans le journal Le 1 par « sky is not even a limit », mantra bien connu des start-upers. Notons également qu’E. Macron a préfacé L’État en mode start-up (Algan, Cazenave éd., 2016), dont l’un des auteurs, Thomas Cazenave, a été son directeur de cabinet adjoint à Bercy.

3 Ces réunions sont racontées avec plus ou moins de détails et d’acteurs identifiés dans : Marc Endeweld, L’ambigu Monsieur Macron, Paris, Flammarion, 2015 ; Nicolas Prissette, Emmanuel Macron : en marche vers l’Élysée, Paris, Plon, 2016 ; Mathieu Magnaudeix, Macron & Cie : enquête sur le nouveau président de la République, Paris, Don Quichotte, 2017.

4 La presse parlera, à propos de la jeune garde rapprochée d’E. Macron, des « Havas boys ». À leurs côtés, on trouve des professeurs de gestion et d’économie, des créateurs d’entreprises telles que Meetic, des chefs d’entreprise de grands groupes internationaux, des banquiers d’affaires, des lobbyistes et des membres de think tanks (Institut Montaigne et Fondation Jean Jaurès).

5 Lors d’une conférence donnée à la Fondation Jean Jaurès le 7 septembre 2017, Adrien Taquet, l’un des dirigeants de « Jésus et Gabriel », élu député de La République en Marche (LREM) en 2017, a eu l’occasion d’expliciter l’offre qu’il a faite en termes de branding auprès d’E. Macron. Nous nous appuyons sur ses déclarations pour développer les propos qui suivent dans cette sous-partie.

6 Ce terme est de plus en plus employé dans le jargon de la communication politique pour désigner une politique de campagne cherchant à faire du nom de son candidat une véritable marque. Ainsi est-il souvent rappelé que Trump fut une marque avant d’être une candidature.

7 Il est important de noter à ce stade que la première édition de l’ouvrage d’E. Macron date de novembre 2016 (Emmanuel Macron, Révolution, Paris, XO Éditions, 2016).

8 L’un des traits récurrents de la méthode Macron, à l’instar des vade-mecum d’entreprise, est de réaliser des diagnostics, c’est-à-dire des sondages au sujet du ressenti et de la volonté des usagers, des administrés ou des citoyens avant que ne soit prise quelque décision politique. Loin de se fonder sur les principes de la démocratie participative, c’est surtout une façon de ne pas se trouver à contre-courant des logiques de popularité et de légitimité de la démocratie représentative.

9 Cette grande marche a été pilotée par le cabinet Liégey-Muller-Pons (LMP), spécialiste en stratégie et en analyse électorales. Ces « bostoniens » (Lefebvre, 2016) vendent entre autres des logiciels d’organisation et de suivi des porte-à-porte.

10 À la lecture du questionnaire que les marcheurs ont diffusé auprès de quelque 100 000 personnes selon les statistiques avancées par les dirigeants du mouvement, il apparaît que la plupart des questions posées étaient focalisées sur le sentiment personnel des sondés. Les sondeurs bénévoles devaient refuser les « généralités ». Le faible nombre de questions adressées « aux Français » (huit dont deux à choix multiples) indique que le but était davantage de mobiliser les marcheurs que de faire un véritable « diagnostic ».

11 Sont-ce simplement des emprunts au religieux ou des postures et des pratiques conduisant à croire en la valeur de ce qu’on pense faire avec piété, toujours est-il que le politique se fait quelquefois prédicateur, tel E. Macron lors du meeting de Besançon le 11 avril 2017 : « C’est pour toutes ces raisons que nous avons décidé, il y a un an maintenant, de créer ce mouvement nouveau, de nous lever et de marcher, d’aller au contact des Françaises et des Français, pour les entendre, pour construire sur le terrain les solutions pragmatiques ».

12 Comme le précise Le Robert, « l’emprunt est une manière de prendre ailleurs et faire sien ».

13 Les résultats de l’enquête réalisée par le think tank Terra Nova en juin 2018 auprès de 8815 adhérents de La République en Marche viennent étayer cette affirmation, http://tnova.fr/system/contents/files/000/001/631/original/Rapport_Terra-Nova_La-REM-Anatomie-d-un-mouvement_081018.pdf?1538837685 (consulté le 05/04/2019). Majoritairement masculins (68 %) et parisiens (1 sur 6 réside à Paris), de conditions relativement aisées (60 % de cadres et de professions libérales et seulement 2 % d’ouvriers), très diplômés (80 % ont un diplôme de l’enseignement supérieur et 44 % sont issus des grandes écoles), jeunes pour des militants de parti (l’âge médian est de 49 ans), travaillant le plus souvent dans le secteur privé (71 %), les marcheurs, novices pour la plupart (les 3/4 n’avaient jamais adhéré à un parti politique auparavant), semblent moins des « militants de parti » (24 % déclarent participer souvent, mais seulement 11 % disent s’intéresser réellement au projet citoyen de LREM) que des « militants de campagne électorale » (56 % ont adhéré pendant la campagne et 73 % ne participent pas aux activités du parti hors des temps de campagne).

14 En 2009, à l’initiative de Denis Payre, Nous citoyens, une organisation politique alternative, a tenté de voir le jour en mobilisant un registre assez semblable à celui d’En Marche !. Soit dit en passant, l’un des tournants lexicaux que cette formation politique avait voulu initier revenait à se distancier des partis politiques classiques en se présentant comme une start-up politique composée non pas de militants, mais de « business angels ». Après un démarrage et une médiatisation non négligeables, cette organisation pilotée par d’anciens dirigeants de think tanks entrepreneuriaux a connu des crises de gouvernance qui lui ont été fatales.

15 Depuis l’été 2017, LREM a connu des vagues d’exit nombreuses. Nos entretiens comme les témoignages dont la presse a fait état paraissent indiquer que beaucoup de marcheurs se disent découragés, démotivés, voire indignés en raison du manque d’activité et de démocratie au sein du parti présidentiel. Si 400 000 adhérents ont été revendiqués par le délégué général Christophe Castaner en septembre 2018, nombre de propos tenus par des référents locaux et départementaux réfutent ces chiffres officiels.

16 Plusieurs marcheurs rencontrés, parmi les plus proches du siège, ont été auditeurs à l’université de Google. Si l’on devait définir non sans quelque ironie cette « philosophie Google », on dirait que cette pensée conjugue l’amour de la prise de risque dont l’entrepreneur est le héros, la réalisation de soi au travers de l’innovation et le dépassement de soi dans un univers présenté comme sans autre contrainte que celle fixée par les nouvelles formes d’entreprise.

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Pour citer cet article

Référence papier

Julien Fretel, « Un parti sans politique. Onomastique d’une innovation partisane : En Marche ! »Mots. Les langages du politique, 120 | 2019, 57-71.

Référence électronique

Julien Fretel, « Un parti sans politique. Onomastique d’une innovation partisane : En Marche ! »Mots. Les langages du politique [En ligne], 120 | 2019, mis en ligne le 01 janvier 2022, consulté le 12 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/mots/25201 ; DOI : https://doi.org/10.4000/mots.25201

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Auteur

Julien Fretel

Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, CESSP

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Droits d’auteur

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