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Comptes rendus

Edwin Wise, Manila, City of Islands (A Social and Historical Inquiry into the Built Forms and Urban Experience of an Archipelagic Megacity)

Manille, Ateneo de Manila University Press, 2019, 238 p.
Catherine Guéguen
Référence(s) :

Edwin Wise, Manila, City of Islands (A Social and Historical Inquiry into the Built Forms and Urban Experience of an Archipelagic Megacity), Manille, Ateneo de Manila University Press, 2019, 238 p.

Texte intégral

1L’ouvrage d’Edwin Wise : Manila, City of islands (A Social and Historical Inquiry into the Built Forms and Urban Experience of an Archipelagic Megacity) s’inscrit dans les champs de la sociologie et des études urbaines. Son ouvrage est paru aux Presses de l’université Ateneo de Manila en 2019. Il constitue un ouvrage de synthèse sur Manille et son agglomération, autrement dit la région capitale des Philippines. Jean Baffie et Xavier Huetz de Lemps dans leur introduction bibliographique sur Manila, Metro Manila (2000), indiquaient que ce type d’ouvrage était peu nombreux.

2E. Wise est australien, a obtenu son PhD en sociologie à La Trobe university et enseigné les sciences sociales dans plusieurs universités australiennes (Melbourne et Bendigo) dans l’État de Victoria. Ses recherches récentes sont orientées vers les villes asiatiques.

3Cet écrit récent offre une promesse, celle de décrypter les dynamiques qui traversent cet ensemble urbain décrit comme fracturé par l’auteur. Le titre comprenant le mot « islands » laisse entrevoir une réflexion sur la notion de l’insularité urbaine, laquelle peut constituer une grille de lecture pour la région capitale des Philippines.

4Cette étude est organisée en trois parties, lesquelles sont consitutées de 3 chapitres. Le texte est agrémenté de paragraphes intitulés « impressions » faisant part des réflexions de l’auteur à partir de ses observations de terrain. Des photos non datées et peu dotées en paratextes sont insérées de manière régulière dans l’ouvrage. E. Wise, dans sa préface, indique ses orientations méthodologiques et établit un état de l’art des publications sur les études urbaines sur Manille et les orientations réflexives de son travail (références sur la « modernité », etc.). La bibliographie fut établie en 2008-2009 au moment où l’auteur séjournait aux Philippines. Quelques références supplémentaires y ont été intégrées au moment du travail éditorial de l’ouvrage.

5La première partie propose une approche théorique de la ville : « Theorizing the city ». L’auteur s’interroge sur les origines de cette ville fracturée prenant pour pistes de réflexion l’urbs et la civitas, lesquelles doivent permettre de comprendre la construction d’une entité archipelagique. Ces pistes générales débouchent sur des productions antérieures : celles de Manuel A. Caïoli (The Origins of Metropolitan Manila, 1999) ou encore les écrits de P. J. Rimmer et Howard W. Dick (The City in Southeast Asia, 2009), lesquelles proposent des études théoriques et informatives sur Manille et ses extensions géographiques. L’auteur, à ce point de l’ouvrage, n’a pas questionné le cadre géographique de sa réflexion. On suppose qu’il s’agit de Metro-Manila, les interactions avec les entités urbaines des régions voisines ne sont pas associées à la réflexion d’ensemble. Le chapitre 2 intitulé « City of tribes » tente de réaliser une corrélation entre les villages tribaux et la construction de la ville. Pour ce faire, il compare ce qui peut relever de la vie sociale dans le village de Chananaw dans la province de la Cordillère et celle de la ville. Le chapitre suivant amène une réflexion sur la modernité, le temps et l’espace dans Manille (Modernity, Time, and Space in Manila, p. 26-35). L’auteur discute de notions générales sans que ne soit véritablement fait le lien avec le terrain ni la circulation de ces formes urbaines de modernité).

6La deuxième partie décrit les différentes phases de la construction de la ville sous le titre « Conceiving urbanism ». De manière extrêmement classique, l’auteur suit un plan chronologique démarrant par l’urbanisme colonial de la période espagnole (chap. 4) identifiant les invariants de ces formes d’urbanisme : le port, le fort, la plaza, l’église qui constituent le paysage urbain de la présence espagnole. L’auteur s’intéresse ensuite à la ville réalisée sous la période américaine (chap. 5). Le fil conducteur du chapitre pourrait être celui de Burnham, l’urbaniste en charge de la réalisation de cette ville vitrine que doit devenir Manila, agrémentée de bâtiments de style néoclassique. Comme réalisé dans le chapitre précédent, E. Wise questionne plusieurs formes de bâti propres à cette période (1898-1946). Il s’intéresse à la conception du monument dédié à Rizal localisé à proximité du parc Luneta. La rue Escolta témoigne d’une période florissante encore marquée par la domination de la rue, autrement dit d’un urbanisme à l’européenne par opposition à des formes de commerces « enfermées » comme les malls qui dominent l’activité de commerce aujourd’hui. Le chapitre 6 interroge le fonctionnement archipélagique de la ville à l’aune de ses institutions. L’auteur impute la fragmentation de l’entité aux créations de la Metro-Manila Development Authority, mais aussi aux Local Government Units, autrement dit les différentes collectivités territoriales associées à la disparition des espaces publics et de ce qui fait communauté (citant M. Foucault, D. Harvey).

7La dernière partie de l’ouvrage s’intéresse au « living urbanism » autrement dit à la manière dont la population vit dans cette ville. Dans le chapitre 7, E Wise questionne la « Modern Form ». Les formes spécifiques et omniprésentes que sont les murs dans cette ville tentaculaire sont au cœur de sa réflexion. E. Wise développe le rôle des magnats familiaux de l’immobilier dans la diffusion de ce modèle d’urbanisme importé des États-Unis. Ce modèle de développement repose sur une propriété privée, laquelle devient une « ville privée », agrémentée de quartiers fermés (« gated communities ») lesquels sont censés constituer des lieux de sociabilisation pour les classes moyennes philippines. Le mall ou centre commercial constitue le dernier élément de cette ville privée. L’urbanisme populaire (chap. 8) est abordé de manière empirique, retraçant l’expansion spatiale et démographique de Metro-Manila sans que pour autant des données précises ne soient fournies alors que l’auteur indique des données statistiques de 2019. Ce dernier intègre une réflexion générale sur l’habitat populaire allant des populations sans domicile, les squatters, sans que ne soit questionnée la situation des populations salariées résidant dans les périphéries éloignées de leurs lieux de travail. L’auteur sélectionne ce qui lui semble être les formes de l’habitat populaire aux Philippines : la maison (sur pilotis) installée sur les berges d’un estero constitutive des bidonvilles. Il s’intéresse ensuite à la forme de commerce de proximité : le sari-sari store. Les rues constituent le dernier élément de cette réflexion sur les formes d’urbanisme populaire qui, pour lui, permettent des formes de sociabilisation, des lieux de porosité. Sont évoqués plusieurs cas de relocalisation de résidents illégaux. Dans un ultime chapitre, E. Wise s’intéresse à plusieurs projets artistiques invitant à une réflexion sur cette ville duale et pourtant composite.

8E. Wise offre en guise de chapitre conclusif une réflexion sur les fractures et les fortifications, s’opposant à la cohésion et l’ouverture, se référant majoritairement aux travaux de F. Zialcita.

9Les approches à grande échelle constituent les points forts de cet ouvrage, abordés sous un angle réflexif et dotés de références qui peuvent toutefois être renouvelées. Ainsi, les parties consacrées aux Plazas, aux malls, aux rues auraient pu être intégrées à une réflexion plus générale comprenant le champ de la sociologie, laquelle s’intéresse aux espaces publics des villes asiatiques. On peut citer par exemple les travaux menés par plusieurs équipes de l’université de Singapour (recueil paru aux Presses Universitaires de Singapour consacrés aux rues asiatiques et à l’espace public [Heng Chye Kiang &Low Boon Liang 2010]). Ce que l’auteur ne semble pas entrevoir, ce sont les multiples relations humaines établies dans cette entité urbaine composée de murs, Ali Madanipur (2003) dans son ouvrage Public and Private Spaces of the city apporte de nombreuses pistes de réflexion sur les interrelations entre ces espaces et leurs populations.

10Metro-Manila est une entité urbaine pouvant être considérée comme un ensemble archipélagique. Il aurait été certainement souhaitable de revenir sur la création des différentes strates des Local Government Units philippines et notamment celle du barangay qui constitue l’unité administrative de base, autrement dit celle rappelant les origines rurales des populations philippines. Cela lui aurait certainement permis de poursuivre certaines pistes et de réaliser une transition adéquate avec l’étude du village de Chananaw largement mis en avant dans le deuxième chapitre qui n’aura été qu’un prétexte pour différencier les liens sociaux du monde rural de ceux du monde urbain. Conduire une enquête sur les mobilités et l’intégration spatiale des habitants de Chananaw vivant dans Metro-Manila aurait pu constituer un point d’ancrage dans la thématique de l’insularité urbaine pourtant au cœur de l’ouvrage.

11L’auteur n’interroge pas non plus les différentes formes de l’urbanisation à l’aune des mobilités. L’augmentation de la population et la concentration des activités dans certains lieux accentuent les phénomènes de congestion et d’insularité urbaine au-delà de la simple opposition entre quartiers riches et pauvres mise en avant par l’auteur lorsqu’il évoque la ville duale. Une réflexion orientée vers l’analyse spatiale et la simple localisation des sites d’observation aurait permis à E. Wise de constater les effets d’agrégation construits depuis une trentaine d’années. Le manque de cartes est criant, la seule représentation cartographique est celle de la couverture composée des limites de l’entité administrative Metro-Manila et d’une photo de paysage urbain insérée en arrière-plan. Des éléments de compréhension du contexte urbain ne pouvaient que renforcer la réflexion de l’auteur sur son sujet.

12La composition de cet écrit est comme décrite par l’auteur réalisée grâce à un séjour relativement long de janvier 2008 à Juin 2009. L’auteur indique avoir vécu à Pasig city dans un hébergement populaire et à Marikina city dans un complexe résidentiel. Au-delà du travail de documentation réalisé, E. Wise s’est imprégné des lieux par des observations, des entretiens informels (lesquels sont partiellement retranscrits dans des encarts insérés aux chapitres). En ayant habité dans les espaces étudiés mais n’ayant pas réalisé d’enquêtes intégrant le mode d’habiter des résidants à partir d’échantillons, les informations associées aux espaces populaires et aux complexes résidentiels de la ville privée ne sont que partielles. Ces enquêtes auraient permis d’intégrer dans cette étude de sociologie urbaine la question de la mobilité pourtant inhérente aux problématiques de sociologie urbaine. La sociologie urbaine questionne aussi les frontières, les fractures dans les espaces urbains. Au-delà de ce constat réalisé dans toutes les villes, certains sociologues interrogent la persistance du lien social dans ces entités urbaines fragmentées.

13Cet ouvrage est un écrit synthétisant les données consacrées à Metro-Manila, intégrées dans un concert de réflexions autour de thèmes de sociologie généraux. Les études urbaines s’intéressent aux formes spatiales spécifiques à une entité urbaine, les approches à grande échelle constituent le point fort de cette étude qui auraient pu être, malgré tout, réactualisées.

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Bibliographie

BAFFIE, Jean & HUETZ DE LEMPS, Xavier, 2000, « Manila, Metro Manila : une introduction bibliographique », Moussons. Recherche en sciences humaines sur l’Asie du Sud-Est, 2 : 83-98.

CAÏOLI, Manuel A., 1999, The Origins of Metropolitan Manila. A Social and Political Analysis, Quezon City : University of the Philippines Press.

HENG, Chye Kiang & LOW, Boon Liang (with Limin HEE), 2010, On Asian Streets and Public Space, Singapour : Presses Universitaires de Singapour.

MADANIPUR, Ali, 2003, Public and Private Spaces of the City, Londres : Routledge.

RIMMER, Peter James & DICK, Howard W., 2009, The City in Southeast Asia. Patterns, Processes and Policy, Singapour : NUS Press.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Catherine Guéguen, « Edwin Wise, Manila, City of Islands (A Social and Historical Inquiry into the Built Forms and Urban Experience of an Archipelagic Megacity) »Moussons [En ligne], 40 | 2022, mis en ligne le 27 mars 2023, consulté le 31 mai 2023. URL : http://journals.openedition.org/moussons/10201 ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.10201

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Auteur

Catherine Guéguen

Géographe associée à l’UMR Prodig et à l’ICM.

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Droits d’auteur

CC-BY-NC-ND-4.0

Creative Commons - Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International - CC BY-NC-ND 4.0

https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/4.0/

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