- 1 Pour une étude générale de l’économie du plastique et de la pollution par le plastique, voir Clift (...)
1Depuis la création de la bakélite au début des années 1900, les plastiques synthétiques ont largement modifié nos modes de vie et de consommation car ils sont utilisés pour des produits de plus en plus nombreux et divers, ainsi que pour les emballages. L’e-commerce et les échoppes de « prêt à emporter » de produits de consommation rapide (fast food) se sont partout multipliés. L’emploi des plastiques est notamment devenu vital dans les mondes de la santé et de la médecine (les seringues jetables, les poches de sang, les gaines de pilules, les valves cardiaques, les gants, blouses et masques par exemple contiennent toutes du plastique). Dans le secteur de l’automobile, la production de plastique profite également aux véhicules à moteur, car les matériaux plastiques légers et durables œuvrent à la fabrication de véhicules plus économes en carburant, permettant la réduction des émissions de dioxyde de carbone. Les industries du textile, du tabac et des cosmétiques eux aussi recourent à l’utilisation des microplastiques. Cette liste d’exemples est loin d’être exhaustive1.
2Ces dernières décennies, les déchets plastiques sont devenus en surabondance constante. Par rapport à 1950, on estime que la production annuelle mondiale de plastiques, aujourd’hui de 460 millions de tonnes, a augmenté de 2 000 %. À l’échelle mondiale, on estime que seuls 14 % des emballages plastiques sont collectés pour être recyclés et que seuls 9 % d’entre eux sont effectivement recyclés. Plus de 80 % des déchets plastiques marins proviennent de sources terrestres (Garcia, Fang & Lin 2019 : 15). Les deux tiers des déchets plastiques terrestres qui aboutissent dans les océans proviennent de déchets qui n’ont pas été collectés (c’est-à-dire qui n’ont pas été recyclés), tandis que le tiers restant est constitué de fuites dues à une gestion inappropriée des déchets (ibid.). Une étude intitulée « Plastic Waste Inputs from Land into Ocean » a révélé que la Chine est l’État qui produit le plus de déchets plastiques au monde, soit 8,82 millions de tonnes de déchets plastiques par an, suivi de l’Indonésie (Jambeck et al. 2015). La région des pays d’Asie du Sud-Est se classe parmi les plus touchées par la pollution marine plastique du fait de ses particularités climatiques (moussons), de l’importation massive de déchets en provenance de nombreux pays développés pendant de nombreuses années et de sa population grandissante, ainsi que l’engouement croissant et immodéré pour l’emploi du plastique, notamment au sein de la classe moyenne en constant développement, accentué pendant la période de la COVID-19. En outre, les déchets plastiques s’accumulent en masse sur les reliefs marins des pays d’Asie du Sud-Est par le fait que les courants océaniques transportent les débris marins des eaux chinoises vers le sud pendant l’hiver et de l’océan Indien du sud vers le nord en été (le détroit de Malacca est la voie maritime qui relie la mer de Chine méridionale à l’océan Indien) (ibid.).
3Les sources de pollution et de débris plastiques dans les océans sont multiples. La majeure partie provient de sources terrestres, telles que :
- les décharges municipales mal gérées (décharges d’ordures) sur la côte ;
- le transport fluvial des déchets des décharges le long des rivières et autres voies d’eau intérieures ;
- les rejets d’eaux usées et d’eaux pluviales municipales non traitées (y compris des débordements occasionnels) ;
- les installations industrielles (déchets solides provenant des décharges et eaux usées non traitées) ;
- les activités touristiques.
4Le plastique provient également de sources maritimes, telles que la marine marchande, les ferries et les paquebots de croisière, ainsi que les installations aquacoles et les installations utilisées pour l’exploration ou l’exploitation des ressources naturelles des fonds marins.
5D’ici 2025, les océans compteront vraisemblablement une tonne de plastique pour trois tonnes de poissons2. Dans ce contexte, en 2050, il y aura plus de plastiques que de poissons par kilo dans les océans.
6Globalement, on estime que 90 % des déchets plastiques dans les océans proviennent des dix fleuves gigantesques suivants, dont sept traversent les pays de l’ASEAN : le Yangtsé, l’Indus, le « fleuve jaune, » le fleuve Hai He, le Nil, le Meghna, le Brahmapoutre, le Gange, le Pearl, l’Amour, le fleuve Niger et le Mékong. C’est donc en Asie que le plus grand volume de déchets plastiques (80 %) pollue les océans (Schmidt, Krauth & Wagner 2017). Les rivières Ciwalangke, à Surabaya, et Citarum en Indonésie pas loin de Jakarta, la rivière Chao Phraya en Thaïlande, la rivière Cherating en Malaisie et aux Philippines les rivières Cañas, Meycauayan, Parañaque, Pasig, Tullahan qui se jettent dans la baie de Manille sont très visiblement touchées par l’accumulation de microplastiques (Bao et al. 2021).
- 3 Le lixiviat est le résultat de la dissolution jusqu’aux nappes phréatiques et eaux de surface des r (...)
7D’après une étude récente (Bansal & Singh 2022), dans les sols, les particules de microplastiques agissent comme un vecteur pour les polluants organiques persistants toxiques et les métaux potentiellement toxiques qui sont facilement absorbés par les plantes et entrent dans la chaîne alimentaire. Or, c’est par les sols que l’eau ruisselle jusque dans les rivières et fleuves. Les polluants microplastiques n’influencent pas seulement les propriétés physicochimiques du sol, mais aussi les habitudes alimentaires du biote du sol. La présence de microplastiques dans les sols est due aux boues d’épuration, aux amendements de compost à base de déchets biologiques, au paillage en plastique, à l’irrigation par les eaux usées, au lixiviat des décharges3 et aux dépôts atmosphériques. La quantité de microplastiques dans le sol est 5 à 23 fois plus importante que dans l’océan (ibid.). Les microplastiques présents dans le sol retardent la germination des graines et la croissance des plantes. Les activités enzymatiques du sol sont également influencées par les microplastiques. L’ingestion de microplastiques par l’homme via l’alimentation entraîne, entre autres, une toxicité respiratoire, une cytotoxicité, une immunotoxicité et une toxicité pour la reproduction.
- 4 En particulier, Carbios, la société bio-tech de Clermond-Ferrand créée en 2011, se distingue dans l (...)
8C’est seulement depuis un passé récent que les États et les entreprises essaient progressivement de maîtriser, réduire (notamment l’accès à la matière fossile vierge), réemployer, recycler ou contrôler et d’éco-concevoir les plastiques. Des solutions alternatives sont de plus en plus recherchées et la France se classe parmi les pionniers en la matière4. La définition, la catégorisation, l’origine, les zones d’accumulation côtières, la toxicité et l’ampleur de la contamination par les débris plastiques marins font l’objet de plus en plus de recherches et d’estimations, tout particulièrement en Asie du Sud-Est.
9Avec l’augmentation de la population humaine, qui devrait atteindre neuf milliards de personnes d’ici à 2050, les effets négatifs de la pollution des écosystèmes marins du fait des déchets plastiques ne feront que s’accroître5. En plus de la croissance démographique, les projections indiquent que 80 % de toutes les activités humaines seront concentrées sur les zones côtières, notamment celles de l’Asie du Sud-Est, avant la fin du xxie siècle.
10C’est dans ce contexte alarmant qu’a été lancée en janvier 2021 la Décennie des Nations unies pour l’océanologie au service du développement durable (2021-2030), surnommée « Décennie de l’Océan ». En outre, 175 nations se sont fixées pour objectif le 2 mars 2022 de parvenir d’ici 2024 à la conclusion d’un traité sur les émissions à effet de serre issues de la production, l’utilisation et le traitement du plastique.
- 6 Nations unies, Division de la population, World Population Prospects : The 2022 Revision, New York.
11L’intérêt de se livrer à une analyse de la mobilisation des pays d’Asie du Sud-Est en matière de lutte contre la pollution plastique, surtout marine, est indéniable car c’est la région la plus touchée dans le monde par l’ampleur des déchets plastiques et aucune étude juridique en français n’a, semble-t-il, abordé le sujet à ce jour. Pour mémoire, l’Asie du Sud-Est au sens où nous l’entendons est composée de l’Indonésie, la Malaisie, les Philippines, Singapour, la Thaïlande, le Viêt Nam, le Laos, le Cambodge, le Myanmar et le Brunei Darussalam (il s’agit des États membres de l’ASEAN). La population de cette région, globalement en phase de croissance économique, est de 681 millions d’habitants en 20226. Ces pays ont formé en août 1967 l’Association des nations d’Asie du Sud-Est, plus connue sous son acronyme anglo-saxon ASEAN et en français ANASE. Il s’agit d’une organisation régionale intergouvernementale disposant de faibles moyens (moins de 20 millions de dollars de budget annuel [Chesterman 2015]), et d’un cadre institutionnel peu étoffé. La particularité de cette organisation régionale est qu’elle fonctionne sur le volontariat des dirigeants des États membres, la règle du consensus (unanime) et que ses organes de gouvernance se réunissent à intervalles relativement éloignés.
12Les États d’Asie du Sud-Est adhèrent-ils aux traités internationaux en matière de lutte contre la pollution, notamment marine, par les plastiques et capitalisent-ils les connaissances, méthodes et opérations mises en œuvre au titre de tels traités ? Nous examinerons dans un premier temps le cadre général de la mobilisation internationale face aux enjeux de lutte contre la pollution environnementale plastique. Comment les pays de l’ASEAN répondent-ils collectivement ou individuellement à l’appel du combat contre la pollution par les plastiques ? Quel droit et quelles politiques adoptent-ils en matière de gestion des déchets et débris plastiques ? C’est le thème d’étude qui sera abordé dans un second temps.
13D’assez nombreux instruments internationaux existent déjà auxquels ont souscrit les pays de l’ASEAN et ces traités, pour la plupart adoptés au cours des années 1970, comportent des obligations internationales importantes, mais partielles, en matière de protection et de préservation du milieu marin. Dans l’ensemble, à une exception près, la plupart des pays de l’ASEAN adhèrent aux traités multilatéraux visant à protéger fleuves, mers et océans de la pollution. Il n’est pas garanti cependant que les politiques nationales soient à la hauteur des engagements souscrits, en particulier du fait de l’absence flagrante de sources de financement et d’un manque de coordination entre les acteurs concernés.
14Le droit international de l’environnement est appelé à s’affirmer davantage et à gagner en maturité et en force contraignante, en particulier en matière de gouvernance des océans, pour une protection plus durable de notre planète, de la biodiversité et de la bonne santé des écosystèmes. Cela ne peut se faire sans un partenariat, des interactions et un engagement très poussé à la fois des États et des acteurs non étatiques (y compris les peuples autochtones).
15Il y a convergence d’opinion sur le fait qu’une approche multidisciplinaire et multipartite est nécessaire dans le combat à mener contre la pollution plastique.
16Lors de l’élaboration de traités internationaux, les acteurs non étatiques peuvent apporter leurs contributions de multiples manières, comme l’a exposé le Centre pour le droit environnemental international (Center for International Environmental Law 2022) :
- en participant aux délégations de la société civile ;
- en fournissant des connaissances et des idées pour aider le secrétariat dans la préparation des documents de la conférence ;
- en travaillant avec les délégations des gouvernements nationaux ou en faire partie ;
- en organisant des événements parallèles pendant les négociations ;
- en produisant et distribuant des documents, des recherches ou des publications ;
- enfin, en proposant des textes et des amendements.
- 7 Ce projet de traité et les échanges au sein du CNI ont déjà fait l’objet de nombreux commentaires, (...)
17Pour faire face à la menace mondiale de la pollution plastique et progresser vers un traité international, après un long processus qui avait démarré en 1995 dans le cadre du Programme d’action mondial pour la protection du milieu marin contre la pollution due aux activités terrestres, l’Assemblée des Nations unies pour l’environnement (UNEA) a adopté le 2 mars 2022 la résolution 5/14, intitulée « Mettre fin à la pollution plastique : vers un instrument international juridiquement contraignant ». Cette assemblée a appelé les pays du monde entier à négocier et trouver un consensus sur les meilleures pratiques en mettant l’accent sur une politique fondée sur la science. À cet effet, elle a établi un Comité de négociation intergouvernemental (CNI) chargé d’examiner et de finaliser l’objectif, le champ d’application, les obligations et les mécanismes du nouveau traité international. Cet organe est composé d’experts du climat, de scientifiques, de représentants politiques, de la société civile et de groupes de défense, d’organisations financières internationales et de lobbyistes des énergies fossiles. Cinq sessions de négociation (CNI 1 à 5) ont été fixées pour parvenir à un traité de grande envergure, juridiquement contraignant, censé couvrir le cycle complet du plastique depuis sa conception, puis production, jusqu’à son élimination7. La première a eu lieu du 28 novembre au 2 décembre 2022 à Punta del Este (Uruguay), suivie de deux autres en 2023 : celle de Paris du 29 mai au 2 juin, puis celle de Nairobi (Kenya) du 13 au 19 novembre. La quatrième session s’est tenue à Ottawa (Canada) du 23 au 29 avril 2024. Les négociations finales sur le projet de texte sont prévues pour se dérouler à Busan, en Corée du Sud, du 25 novembre au 1er décembre 2024. Pour s’opposer à l’influence grandissante des fabricants de plastiques – interconnectés avec les puissants groupes pétroliers et gaziers, qui ne désirent nullement que leur production soit limitée – et orienter les négociations vers le recyclage et la gestion des déchets, les représentants de 170 pays et de 480 organisations ont défilé dans les rues d’Ottawa en mai 2024 (Adeleye 2024).
- 8 « Report of the Intergovernmental Negotiating Committee to Develop an International Legally Binding (...)
18Au cours des négociations de ce traité, le représentant s’exprimant au nom des États de l’Asie-Pacifique a exposé qu’une approche globale du cycle de vie était nécessaire pour aborder plus directement la question de la pollution plastique héritée, présente et future, y compris dans l’environnement marin. Les pays de l’ASEAN qui ont tous participé aux trois premières sessions de négociation, à l’exception du Myanmar, ont souligné le besoin de s’accorder sur une terminologie clairement définie et harmonisée et d’adopter des concepts validés scientifiquement (ACCPP 2023). Ils ont demandé que le futur traité tienne compte du principe du pollueur-payeur, de celui des responsabilités communes mais différenciées et des capacités respectives. Ils ont aussi appelé à la création d’un fonds fiduciaire multilatéral. La crainte que le texte du traité se concentre davantage sur la récupération et le recyclage des déchets et moins sur des mesures qui pourraient avoir des impacts et des implications socio-économiques vastes et involontaires a été formulée. Il a également été jugé important que l’instrument adopte une approche scientifique qui soit complétée par les connaissances traditionnelles, celles des peuples autochtones et les systèmes de connaissances locaux, ainsi que d’améliorer l’économie circulaire pour les plastiques, en tenant compte de l’importance de l’environnement et des capacités nationales. Les plans d’action nationaux devraient donc être une composante essentielle de l’instrument, permettant une action menée par les pays. Par ailleurs, l’apport d’une assistance financière et technique appropriée et en temps voulu par les pays les plus avancés et les plus puissants financièrement, ainsi que l’élaboration de modalités de transfert de technologies dans des conditions mutuellement convenues, ont été déclarés essentiels pour la mise en œuvre de l’instrument8.
19Au cours du CNI 3, deux des pays de l’ASEAN ont été particulièrement forces mobilisatrices, au-delà des déclarations de leur délégation officielle, car ils sont intervenus, s’agissant d’une part des Philippines, pour prendre la parole au nom du groupe Asie-Pacifique, et d’autre part de Singapour, qui s’est exprimé au nom du Groupe de travail sur les déchets marins de l’Organe de coordination pour les mers d’Asie de l’Est (COBSEA), dont la plupart des pays de l’ASEAN sont membres (Groupe Asie-Pacifique, 2023 ; COBSEA, 2023) (ACCPP 2023 : 32).
- 9 On rappellera qu’il est reconnu que les principes sont un outil d’interprétation préservant la cohé (...)
20Tel que rédigé, l’instrument est articulé autour de six parties. La 1re partie fixe les objectifs, définitions, principes9 et le champ d’application du traité. La 2e partie aborde notamment les différentes catégories de produits plastiques et le régime juridique correspondant ; évoque les principes de réduction, réutilisation, recyclage, recharge et de réparation (réutilisation et remise à neuf) des matières plastiques et les approches de circularité et de substitution pour les produits en plastique. La gestion des déchets plastiques, le principe de précaution et la responsabilité élargie des producteurs sont des sujets également inscrits dans cette partie. La 3e partie est consacrée aux aspects financiers, d’assistance technique et de transferts technologiques. La 4e partie établit les règles sur les plans d’action et de mise en œuvre nationaux, les obligations en matière d’établissement de rapports de progression, suivis périodiques et d’évaluation. Elle contient par ailleurs des développements sur la coopération internationale, les échanges d’informations, la sensibilisation, l’éducation et la recherche, les engagements des partenaires et parties prenantes et elle traite enfin les aspects sanitaires. Dans la 5e partie sont évoqués les questions de gouvernance, les organes subsidiaires (pour analyser, évaluer et émettre des recommandations sur des questions scientifiques et techniques) et le secrétariat. Enfin, la 6e et dernière partie prévoit le règlement des litiges, les modifications de l’instrument, l’adoption et modification des annexes, les règles sur les droits de vote, les modalités de ratification, acceptation, approbation ou adhésion, les conditions de l’entrée en vigueur, le régime des réserves et enfin les modalités de retrait éventuel.
21D’une manière générale, l’un des principaux points à prendre en considération dans la négociation est l’étendue de la détermination nationale et des flexibilités à accorder à chaque pays dans le cadre de l’instrument (Aoki-Suzuki, Hotta & Yagasa 2024 : 5).
22Le droit international permet aux États d’émettre des réserves sur certains points ce qui risque d’atténuer l’effet contraignant et l’efficacité de l’instrument final. Il ne faudrait surtout pas que les gouvernements adoptent des clauses vagues ou formulées de manière restrictive ou insèrent de trop nombreuses clauses d’exception. Il faut espérer que, malgré de nombreuses réticences et résistances, les États ne reculeront pas dans l’approche holistique universelle tant exigée par la société civile et les organisations non gouvernementales (ONG) de défense de l’environnement et que, globalement et politiquement, des mesures efficaces et transfrontalières seront adoptées pour éliminer considérablement le phénomène contemporain de « platisphère ».
23Il faudra attendre encore quelques mois avant que la version finale de l’accord voie le jour, puis s’écoulera encore le temps de récolter le minimum de ratifications fixées avant que le traité n’entre en vigueur.
24Le traité international évoqué plus haut est considéré indispensable étant donné que les divers instruments juridiques internationaux précédemment adoptés relatifs à la protection de l’environnement ne contiennent pas de dispositions spécifiques concernant la lutte contre la pollution par les déchets plastiques ou seulement de manière incidente. Il viendra donc combler un vide juridique crucial.
25Passons rapidement en revue les traités adoptés par la communauté internationale depuis les années 1970.
26Malgré son importance fondamentale puisqu’elle a pour objet le contrôle de toutes les sources de pollution marine ainsi que la prévention de la pollution par les déchets dans les mers et océans, la Convention de Londres de 1972 (et son protocole), ou plus précisément la Convention sur la prévention de la pollution marine résultant de l’immersion des déchets et autres matières, entrée en vigueur le 30 août 1975, n’a été ratifiée que par les Philippines le 30 août 1975.
- 10 Le ASEAN Framework of Action on Marine Debris de 2019 a notamment encouragé les États membres de l’ (...)
- 11 Règle 5, § 2, p. 416.
27La Convention MARPOL du 2 novembre 1973 sur la prévention de la pollution par les navires, entrée en vigueur le 2 octobre 1983, a eu beaucoup plus de succès puisqu’elle a été ratifiée par tous les États membres de l’ASEAN (à l’exception du Laos, qui n’est pas un pays côtier)10. Son annexe 5 interdit l’élimination des déchets en mer et exige que les navires se débarrassent de leurs déchets dans des installations terrestres. Elle prévoit des règles de prévention et de réduction de la pollution par les navires, qu’il s’agisse de la pollution accidentelle ou de celle résultant des opérations de routine. L’élément sans doute le plus important de l’annexe est l’interdiction totale de rejeter en mer toutes les formes de plastique. En outre, la convention MARPOL « exige des États qu’ils fournissent des installations de réception des déchets dans les ports et les terminaux et qu’ils présentent une liste de ces installations à l’Organisation maritime internationale (OMI)11 ». Le Marine Environment Protection for Southeast Asia Seas Project (MEPSEAS ou Projet de protection de l’environnement marin pour les mers d’Asie de l’Est), conduit sous les auspices de l’OMI avec un financement de l’Agence norvégienne pour la coopération en matière de développement, a notamment pour objet d’améliorer la capacité des États membres de l’ASEAN à mettre en œuvre ledit traité MARPOL. On observera qu’en Indonésie le règlement gouvernemental n°21 de 2010 a précisément été adopté pour prévenir et atténuer la pollution de l’environnement due à l’exploitation des navires ou aux activités portuaires (Maruf 2019 : 174).
28À notre connaissance, aucun des pays de l’ASEAN n’a signé la Convention pour la prévention de la pollution marine d’origine tellurique (avec annexes) conclue à Paris le 4 juin 1974 et modifiée par le protocole de mars 1986.
- 12 Le Cambodge a signé ce traité le 1er juillet 1983 mais ne l’a toujours pas ratifié, pour des raison (...)
29La Convention des Nations unies sur le droit de la mer du 10 décembre 1982, dite de « Montego Bay », entrée en vigueur le 16 novembre 1994, que tous les États membres de l’ASEAN ont ratifiée à l’exception du Cambodge12, sur 168 pays au total, contient plusieurs dispositions contraignantes en matière de pollution maritime au sens large, donc y compris plastique. En particulier, son article 194(1) prévoit l’obligation pour les États parties de prendre, « en fonction de leurs capacités […] toutes les mesures […] nécessaires pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin qu’elle qu’en soit la source » (engagement de ne pas polluer ou le moins possible). Par ailleurs, l’article 204 leur impose de s’efforcer, dans toute la mesure du possible, « d’observer, mesurer, évaluer et analyser, par des méthodes scientifiques reconnues, les risques de pollution du milieu marin ou les effets de cette pollution ». L’article 207, spécifique à la pollution d’origine tellurique, dicte aux États d’adopter « des lois et règlements pour prévenir, réduire et maîtriser la pollution du milieu marin d’origine tellurique, y compris la pollution provenant des fleuves, rivières, estuaires, pipelines et installations de décharge ». Ce même article invite les États à « harmoniser leurs politiques à cet égard au niveau régional approprié », donc pour les États d’Asie du Sud-Est au niveau de l’ASEAN.
30La Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontaliers des déchets dangereux et de leur élimination signée le 22 mars 1989 est entrée en vigueur le 5 mai 1992. En 2019, la COP14 a pris des décisions historiques pour lutter contre les déchets plastiques. Parmi elles, un amendement formel de mai 2019, entré en vigueur en 2020, qui a élargi la portée des déchets plastiques couverts par la convention. La COP a également reconnu l’urgence du problème des déchets plastiques et a appelé les parties à adopter une approche fondée sur le cycle de vie pour la gestion des plastiques. Enfin, la COP a établi le Partenariat sur les déchets plastiques qui comprend des représentants des pays, des organisations internationales, des ONG et du secteur privé. Cet avenant a introduit la règle du consentement nécessaire en connaissance de cause du pays importateur avant toute exportation par un pays de déchets plastiques vers un autre. Un tel avenant a eu un impact majeur en Asie du Sud-Est étant donné que jusqu’en 2017, approximativement 70 % des déchets plastiques mondiaux étaient exportés pour être recyclés (principalement par les États-Unis, pays jusqu’alors peu vertueux dans la réduction et le recyclage du plastique) vers la Chine et en moindre quantité vers l’Asie du Sud-Est, mais, depuis, constatant que deux-tiers des entreprises chinoises de recyclage ne respectaient pas la réglementation environnementale, la Chine a largement changé de politique et restreint désormais les autorisations d’importations de déchets plastiques à hauteur de 10 % seulement (Mull 2020 : 7-8). Or, en Asie du Sud-Est, région vers laquelle se sont orientés les pays exportateurs de leurs déchets plastiques, l’accumulation de ceux-ci aux Philippines, en Indonésie, Malaisie, Thaïlande et au Viêt Nam est devenue considérable et dépasse de loin la situation des autres pays.
31Bien que la convention de Bâle traite des questions relatives aux déchets plastiques, la plupart des déchets plastiques ne sont pas soumis aux dispositions de celle-ci, à moins qu’ils ne présentent des propriétés spécifiques. Dans le cadre de ce traité, un partenariat sur les déchets plastiques a été établi afin de permettre la collecte et l’agrégation de données, la mise en œuvre dudit traité, des programmes pilotes, des actions concertées en matière d’éducation, et de sensibilisation. Un réseau asiatique de prévention des mouvements transfrontaliers de déchets dangereux a été constitué en 2003 à l’initiative du gouvernement japonais. Ce réseau composé du Brunei Darussalam, du Cambodge, de la Chine, d’Hong Kong, de l’Indonésie, du Japon, de la République de Corée, de la Malaisie, des Philippines, de Singapour, de la Thaïlande et du Viêt Nam, s’est fixé les objectifs suivants :
- recueillir et diffuser les informations jugées utiles pour promouvoir la coopération et la coordination entre les autorités nationales en vue de prévenir les mouvements transfrontaliers illicites de déchets dans la région ;
- fournir un forum pour faciliter l’échange d’informations et le dialogue au jour le jour entre les autorités des pays participants ;
- fournir les informations accumulées dans le réseau pour les activités de renforcement des capacités des pays asiatiques, par exemple sous la forme de lignes directrices et de manuels techniques ;
- organiser des ateliers, des séminaires et d’autres événements de formation visant à promouvoir les activités d’échange d’informations décrites ci-dessus ;
- développer et gérer un site web relié aux organisations concernées (douanes, autorités portuaires et secrétariats des traités internationaux pertinents).
- 13 Sur ce traité, voir Tarigan et al. (2023).
32L’adhésion aux traités multilatéraux de lutte contre la pollution est certes une avancée majeure, mais on peut regretter que les pays de l’ASEAN n’aient pas, d’une part, développé un réseau institutionnel pour un partage des connaissances dans l’Asie du Sud-Est piloté par les instances de l’ASEAN, ni, d’autre part, créé rapidement un centre de connaissances régional pour centraliser et partager les données sur l’environnement marin de l’ASEAN (peut être virtuel) provenant de tous les États côtiers et de toutes les industries qui opèrent dans la région pour commencer à établir des bases de référence, à moins que le futur centre sur la lutte contre le changement climatique dispose de missions en ce sens. Ils ont déjà réussi dans le domaine humanitaire à créer l’ASEAN Coordinating Center for Humanitarian Assistance (Centre de coordination de l’ASEAN sur l’assistance humanitaire), de même qu’ils ont créé sur le plan terrestre l’ASEAN Center for Biodiversity (Centre de l’ASEAN sur la biodiversité) et pourraient peut-être s’inspirer de telles expériences pour le domaine de la lutte contre la pollution plastique. Rien n’indique qu’au niveau collectif les pays de l’ASEAN aient cherché à vraiment capitaliser leur ratification des traités internationaux en matière de combat contre la pollution et les déchets plastiques, notamment marins (Trajano 2022). Il nous semble que le préalable essentiel à la coopération au sein de l’ASEAN est que chacun des pays de l’ASEAN parvienne à renforcer la coordination entre l’élaboration de la réglementation, les institutions et les citoyens. L’Indonésie, la Malaisie et Singapour, qui ont signé le traité Agreement on Safety of Navigation in The Straits of Malacca and Singapore 1977 (traité sur la sécurité de la navigation dans le détroit de Malacca et Singapour de 1977) seraient bien avisés de prévoir un avenant ou un protocole audit traité pour compléter la question de la lutte conjointe contre la pollution plastique marine13.
33L’Asie du Sud-Est est façonnée par près de 150 000 km de côtes avec plus de 25 000 îles, qui abritent environ 34 % des récifs coralliens de la planète et 25 % à 33 % des forêts de mangrove dans lesquels vivent de nombreuses espèces marines tropicales. On estime à 30 millions le nombre de pêcheurs dans les pays d’Asie du Sud-Est. La taille moyenne des familles est d’environ cinq individus, ce qui représente environ 150 millions de personnes qui dépendent directement du secteur de la pêche comme source d’alimentation et de revenus (Sudirman et al. 2023 : 147).
- 14 Rien qu’en Indonésie, selon le World Travel &Tourism Council (2018), il est estimé que le revenu gl (...)
- 15 Le système de gestion des déchets préféré en Asie du Sud-Est est la décharge à ciel ouvert en raiso (...)
- 16 L’Indonésie est l’un des plus grands contributeurs de déchets plastiques au monde après la Chine. C (...)
34La situation peut paraître préoccupante puisque la plupart des pays concernés sont fortement dépendants de l’industrie du tourisme14 et de la pêche, disposent de faibles ressources financières et de peu d’infrastructures pour combattre un tel fléau. Aujourd’hui, on observe majoritairement une mauvaise gestion des déchets contaminés et non traitables, une absence ou insuffisance d’installations d’élimination des déchets domestiques. Par ailleurs, il y a pénurie de terrains pour l’élimination correcte des déchets15. 20% de la production mondiale de plastique sont générés en Asie du Sud-Est. Estimée par pays, la masse des déchets plastiques représenterait 10 %16 en Indonésie, celle des Philippines et du Viêt Nam chacun 6 %, et celle de la Thaïlande et la Malaisie environ 5 %. Selon une étude de 2018, tous ces pays avec Singapour auront généré en 2016 un total de 243 millions de tonnes de déchets. En outre, 53 % des déchets produits au sein des pays de l’ASEAN ne font actuellement pas l’objet de collecte. Celle-ci est donc largement insuffisante et bien des progrès sont à réaliser en ce sens. Seulement le quart de ce qui peut être collecté fait aujourd’hui l’objet de recyclage. Les systèmes de gestion des déchets et les ressources et infrastructures pour combattre la pollution font surtout défaut dans les villes de moyenne taille, et ceux des capitales mériteraient d’être modernisés et/ou renforcés. Dans cette région, les typhons saisonniers en périodes de mousson sont très fréquents, avec des vents violents et des vagues gigantesques, ce qui provoque à grande échelle des re-suspensions et la dispersion subséquente de micro et nano-plastiques dans les zones d’accumulation, principalement les mangroves, les herbiers marins, les coraux et les sédiments de plage. L’échelle de grandeur de ces dépôts matériels ou résiduels est telle qu’elle est souvent indécelable et très difficile à comptabiliser.
35Il est clair que, du fait de cette situation, les industries du tourisme, de la navigation et de la pêche sont de plus en plus lourdement affectées dans l’ensemble de la région.
36S’agissant des questions environnementales, les principaux acteurs de l’organisation régionale sont, d’une part, les ministres de l’Environnement des États membres ou ASEAN Ministerial Meeting on the Environment (AMME) et, d’autre part, le forum des fonctionnaires seniors des ministères de l’Environnement ou ASEAN Senior Officials on the Environment (ASOEN). Ces acteurs s’appuient sur sept groupes de travails sectoriels, dont un se consacre à la question des produits chimiques et déchets, un autre à l’environnement marin et côtier, un autre encore se focalise sur la biodiversité et la conservation du milieu naturel. Les ministres de l’Environnement se réunissent tous les deux ans, tandis que les hauts fonctionnaires et membres des groupes de travail se réunissent une fois par an pour formuler, mettre en œuvre et superviser le Plan stratégique de l’ASEAN pour l’environnement ou ASEAN Strategic Plan for the Environment (ASPEN) et le Schéma directeur de la communauté socio-culturelle de l’ASEAN ou ASEAN Socio-Cultural Community Blueprint 2025 et toutes les actions et politiques qui en découlent.
- 17 Texte original : « Consolidate and strengthen the ASEAN Maritime Forum (AMF), and, where appropriat (...)
37La Declaration of ASEAN Concord II (Bali Concord II) du 7 octobre 2003, document fondamental en ce qu’elle prône la constitution impérative d’une communauté de l’ASEAN autour de trois piliers inter-reliés (communauté politico-sécuritaire, communauté économique et communauté socio-culturelle de l’ASEAN), ne pose pas directement la question de la pollution marine plastique. Sous la partie A, paragraphe h intitulé « Promote maritime cooperation as well as combat piracy and armed robbery against ships » (promouvoir la coopération maritime ainsi que le combat contre la piraterie et les vols à mains armés contre les navires), elle inscrit parmi les actions à envisager celle de « consolider et renforcer le forum maritime de l’ASEAN (AMF) et, le cas échéant, améliorer la coordination entre les mécanismes de coopération maritime de l’ASEAN afin de traiter les questions maritimes de manière globale17 ». « De manière globale » pourrait faire indirectement allusion aux questions de pollution marine.
- 18 « ASEAN recognises the multi-faceted nature of maritime issues and therefore commits to a holistic, (...)
38Le texte sur la communauté politico-sécuritaire évoque cependant l’importance d’une coopération maritime entre États membres au sens large du terme, insistant sur le fait que « Les questions et préoccupations maritimes sont transfrontalières par nature et doivent donc être traitées au niveau régional de manière holistique, intégrée et globale18. »
- 19 Il faut garder à l’esprit que tous les États membres de l’ASEAN sont de tradition orale, avec un hé (...)
39La protection de l’environnement maritime et de la biodiversité marine et l’utilisation durable des ressources marines constituent des sujets qui figurent à l’agenda des pays d’Asie du Sud-Est, surtout depuis les années 2000. La première initiative régionale de lutte contre la pollution par les débris marins en Asie du Sud-Est a impliqué les pays de l’ASEAN dans le cadre du plan d’action régional COBSEA (The Coordinating Body on the Seas of East Asia ou Organe de coordination des mers d’Asie orientales) sur les déchets marins en 2008 (Sudirman et al. 2023 : 148). De nombreuses déclarations régionales et nombreux documents de politique et de cadrage ont été adoptés depuis le début des années 2000, mais ces textes qui formulent des lignes directrices sont dépourvus de caractère contraignant, caractéristique de la production normative de l’ASEAN, et laisse toute discrétion à chacun des pays de conduire les politiques de son choix, au rythme qu’il souhaite ou peut se permettre19. Ces actes qui, indéniablement, sont des actes concertés non conventionnels pris par les États membres accomplissent la fonction des résolutions ou des recommandations émanant des organisations internationales. Ils sont incitatifs ou programmatoires et laissent beaucoup de souplesse aux États membres pour déterminer leur propre réglementation nationale.
40Les plus importants de ces textes sont :
- 2005 Putrajaya Declaration of Regional Cooperation for the Sustainable Development of the Seas of East Asia (PEMSEA) (Déclaration de Putrajaya de 2005 pour le Développement durable des mers d’Asie de l’Est) ;
- 2015 ASEAN EAS Statement on Enhancing Regional Maritime Cooperation (Déclaration conjointe 2015 de l’ASEAN et des pays d’Asie de l’Est sur la promotion de la coopération maritime régionale);
- 2015 ASEAN Guidelines for Preventing the entry of fish and fishery products from IUU fishing activities into the supply chain (Directives de l’ASEAN de 2015 pour la prévention de l’introduction dans la chaîne alimentaire de poissons ou produits à base de poissons capturés illégalement, sans déclaration ou sans cadre règlementaire) ;
- 2015 ASEAN Blueprint 2015 (schéma directeur 2015 de l’ASEAN)20 ;
- ASEAN Socio-Cultural Community (ASCC) Blueprint 2025 on Conservation and Sustainable Management of Biodiversity and Natural Resources21 (Schéma Directeur de 2025 de la Communauté de l’ASEAN Socio-Culturelle sur la Conservation et la Gestion Durable de la Biodiversité et des Ressources Naturelles) ;
- 2017 ASEAN Declaration for a Decade of Coastal and Marine Environmental Protection in the South China Sea (2017-202722) (Déclaration pour une décennie de protection de l’environnement côtier et marin dans la Mer de Chine méridionale (2017-2027) ;
- ASEAN Conference on Reducing Marine Debris in ASEAN Region à Phuket (Thaïlande) (Conférence de l’ASEAN sur la réduction des débris marins dans la région de l’ASEAN) les 22-23 novembre 2017 ;
- ASEAN Declaration on Transboundary Cooperation on Marine Plastic Pollution, mars 2019 (Déclaration de l’ASEAN sur la coopération transfrontalière en matière de pollution plastique marine) ;
- Bangkok Declaration on Combating Marine Debris in ASEAN Region (Déclaration de Bangkok sur la lutte contre les débris marins dans la région de l’ASEAN) 22 juin 2019 (adoptée à l’issue du 34e Sommet de l’ASEAN).
41Seuls les trois derniers textes sus-visés sont spécifiques à la lutte et la protection contre les débris plastiques marins.
42Le plan d’action de Hanoi (1999-2004) de décembre 1997 prévoyait sous son paragraphe 6.12 l’élaboration d’un cadre visant à améliorer la coordination régionale pour la protection et la gestion intégrées des zones côtières, l’élaboration d’un plan d’action régional pour la protection de l’environnement marin contre les activités terrestres et maritimes, et la promotion de la coordination régionale pour la protection des parcs et réserves du patrimoine marin, mais il n’abordait pas spécifiquement la pollution marine plastique. Cet objectif a été réitéré dans le programme d’action de Vientiane en novembre 2004 au point 3.3.7.2 de l’annexe 3.
43Au cours de précédents travaux (Dupouey 2017 : 267), nous avons eu l’occasion d’apporter un éclairage sur la raison principale de quasi-absence de texte de droit dur en matière d’accord régional conclu entre les États membres (sauf dans le domaine économique). Les ministres, en effet, ont l’habitude de ne pas consulter des experts en droit international ou de ne pas les convoquer à la table de négociation, surtout du fait que peu de ces derniers maîtrisent l’anglais juridique.
- 23 Ce document cadre de cinq pages contient pour chaque domaine une liste d’actions et de suggestions (...)
44Grâce au soutien financier de la Banque mondiale, les États membres ont conclu en mai 2020 l’ASEAN Regional Action Plan for Combating Marine Debris in the ASEAN Member States (2021-2025) (2021) ou Plan d’action régional de l’ASEAN pour la lutte contre les débris marins (2021-2025). Ce plan d’action exhorte les États membres à mettre en œuvre des réglementations plus strictes sur l’utilisation du plastique, à élaborer des normes de qualité pour les plastiques recyclés et à s’attaquer au commerce des déchets plastiques. Quatre domaines de collaboration, qui avaient déjà été auparavant déclinés en novembre 2017, en particulier dans le document cadre intitulé ASEAN Framework of Action on Marine Debris (ASEAN 2019b)23 ou Cadre d’action de l’ASEAN sur les débris marins, sont spécifiés :
- élaboration des politiques et structures de planification ;
- recherche, innovation et développement des compétences ;
- sensibilisation du public, éducation et diffusion afin de changer les pratiques de production et de consommation ;
- mobilisation du secteur privé.
45Même s’il est dépourvu de caractère contraignant, contrairement par exemple au Regional Plan on Marine Litter Management in the Mediterranean (Plan régional de gestion des déchets marins en Méditerranée) de décembre 2013, ce plan a le mérite de matérialiser la perception commune des États membres de la pollution marine par les plastiques comme une menace pour la sécurité environnementale de la région. Mais une de ses grandes faiblesses tient dans le fait que la mise en œuvre des actions qu’il préconise, lorsqu’elles sont choisies à l’échelle nationale, ne sera pas faite à la même vitesse entre un État membre et un autre, puisque cela dépend de leurs propres capacités, politiques budgétaires et infrastructures de traitement et recyclage. La simultanéité d’exécution est donc inatteignable. Il pèche aussi par son manque de mécanismes clairs et ne garantit aucune harmonisation normative dans la région.
46Il n’y a pas eu à notre connaissance d’approche similaire à la directive européenne 2019/904 du 5 juin 2019 qui vise à réduire les effets environnementaux de certains produits en plastique. Le règlement 10/2011 de la Commission européenne du 14 janvier 2011 a établi une règle sur la composition des matériaux en matière plastique entrant en contact avec des denrées alimentaires. Cela ne semble pas avoir été la direction retenue du côté de l’ASEAN. En outre, la directive sur les plastiques à usage unique de l’Union européenne de juin 2019, entrée en vigueur le 3 juillet 2021, exige de ses États membres qu’ils prennent obligatoirement des mesures pour informer les consommateurs et les encourager à adopter un comportement responsable en ce qui concerne l’utilisation de ce type de produits. Là encore, l’organisation régionale des pays d’Asie du Sud-Est n’a donné aucune directive officielle en ce sens à ses États membres. Mais l’objectif de réduction (à l’horizon 2026) de la consommation de divers produits en plastique à usage unique, y compris les contenants alimentaires et les gobelets pour boissons, est une orientation à laquelle a souscrit l’ASEAN. Dans cette perspective, elle demande aux États membres d’adopter des mesures pour réduire la consommation et promouvoir des alternatives réutilisables.
47En outre, en 2019 a débuté le projet de coopération ASEAN-Norvège sur le renforcement des capacités locales pour la réduction de la pollution plastique. Cette initiative se concentre sur la durabilité au niveau des municipalités et des villes locales, ainsi que sur des mesures scientifiques et réalisables visant à réduire la pollution plastique dans des secteurs cruciaux. L’objectif est d’améliorer les capacités des acteurs locaux, y compris les gouvernements régionaux, les organisations non gouvernementales et les institutions universitaires. Parmi les autres initiatives, citons l’ASEAN + 3 Marine Plastic Debris Cooperative Active Initiative (Initiative de l’ASEAN + 3 pour une coopération active en matière de débris plastiques marins) et le Japan Funded Promotion of action against marine plastic litter in Asia and the Pacific (CounterMEASURE Project [Promotion de l’action contre les débris plastiques marins en Asie-Pacifique sur financement du Japon]), qui se concentrent toutes deux sur la réduction des déchets plastiques marins. En outre, il existe des associations nationales de recyclage créées par des entreprises à Singapour, en Malaisie, au Viêt Nam et aux Philippines, bien qu’elles soient exclusivement volontaires et n’impliquent pas de promulgation gouvernementale, ce qui constitue un biais.
48Au niveau national et municipal, de grands efforts sont en cours pour lutter contre la pollution plastique fluviale et marine, en accordant une attention particulière à la réglementation ou à la planification de l’élimination des produits plastiques à usage unique et des emballages en plastique. Par exemple, en octobre 2018, le gouvernement de la Malaisie a publié sa feuille de route pour l’élimination des plastiques à usage unique 2018-2030, annonçant une politique visant à éliminer les pailles et les sacs en plastique d’ici 2030 (Akenji & Bengtsson 2019). En Thaïlande, le gouvernement a annoncé une feuille de route sur la gestion des déchets plastiques 2018-2030, dans le but de réduire et d’arrêter l’utilisation du plastique et de le remplacer par des matériaux respectueux de l’environnement. En conséquence, trois produits en plastique, c’est-à-dire les bouchons en plastique des bouteilles d’eau, les plastiques oxo-dégradables et les microbilles en plastique, seront interdits dans ce pays. L’utilisation de quatre autres types de plastique, dont les sacs en plastique d’une épaisseur inférieure à 36 microns, les boîtes alimentaires en polystyrène, les pailles en plastique et les gobelets en plastique à usage unique, est devenue interdite à partir de 2022. D’ici 2027, 100 % des déchets plastiques seront réutilisables (ibid. : 81 sq.). De même, en Indonésie, aux Philippines et au Viêt Nam, de nombreuses mesures ont été prises par les autorités centrales et locales pour réduire la pollution plastique, en s’attaquant à la fois à la pollution par les macroplastiques et les microplastiques dans les milieux aquatiques. Au Brunei Darussalam, l’initiative Plastic Bottle Free, lancée en juin 2018 à l’occasion de la célébration de la Journée mondiale de l’environnement, avait pour thème « Beat Plastic Pollution ». Le gouvernement finance également des campagnes régulières de nettoyage des rivières (ibid. : 42 sq.). La stratégie et le plan d’action nationaux pour l’environnement du Cambodge (2016-2023), élaborés avec l’assistance technique de la Banque asiatique de développement, décrivent les priorités politiques et les améliorations recommandées en matière de gouvernance, ainsi que les mécanismes de financement favorables à un développement durable sur le plan environnemental. Le Cambodge bénéficie également d’une assistance technique de l’Agence japonaise de coopération internationale, tout particulièrement pour la collecte et l’élimination de déchets dans la capitale (Phnom Penh). Cependant, la législation en faveur de la protection de l’environnement est inégale et généralement incohérente, et les décharges illégales et l’incinération des déchets sont encore monnaie courante (ibid. : 46 sq.). La Malaisie a adopté en 2018 la Feuille de route malaisienne pour zéro plastique à usage unique (2018-2030) et suit l’initiative des 3R (réduction, réutilisation et recyclage) dans la vie quotidienne24.
- 25 L’année 2018 est une année particulière puisque la journée du 5 juin a été déclarée par les Nations (...)
- 26 Voir Kartika Sumolang, « Sperm Whale Washed up in Indonesia Had Plastic Bottles, Bags in Stomach », (...)
- 27 Ce plan national sur les débris plastiques marins a été présenté pour la première fois dans le cadr (...)
- 28 En mars 2019, le ministère coordonnateur des Affaires maritimes et de l’Investissement s’est associ (...)
49En Indonésie, la loi n° 32 de 2014 sur la mer a introduit dans le corpus législatif indonésien un régime général de protection environnementale maritime, visant tout à la fois la conservation marine, le contrôle et la prévention de la pollution marine et la gestion des désastres marins. Puis a été adoptée la loi sur la gestion des déchets n°18 de 2008 qui vise à prévenir la pollution marine par la pollution terrestre25. Le 18 novembre 2018, alors que fut découvert un cachalot mort dans les eaux de l’île de Kapota (qui se situe dans le parc national de Wakatobi, au sud-est de Sulawesi), il fut constaté que son estomac contenait près de 6 kg de déchets plastiques. Cette nouvelle fit la une de l’actualité internationale26. Dans ce contexte, fut adopté le règlement présidentiel indonésien no 83 de 2018 sur la gestion des déchets marins (Peraturan Presiden Republik Indonesia Nomor 83 Tahun 2018). Celui-ci prévoit, d’une part, la création d’un plan d’action national sur la gestion des déchets marins 2018-2025 (article 2)27, et, d’autre part, la mise en place d’une équipe de coordination nationale pour la gestion des déchets marins qui rend compte directement au président et qui a pour mission d’élaborer des politiques et d’assurer la coordination, le contrôle et l’évaluation de la pollution par les débris plastiques marins28. Sous son article 1, paragraphe 1, ce règlement présidentiel a le mérite de contenir une définition du terme « pollution marine », il s’agit de :
- 29 Pencemaran laut adalah masuknya makhluk hidup, zat, energi, dan/atau komponen lain ke dalam lingkun (...)
L’introduction de tout organisme, substance, énergie et autres composants dans l’écosystème océanique, causée par des activités humaines et entraînant une dégradation de l’eau de mer, qui se traduit par une norme de qualité de l’eau de mer inférieure à la limite fixée29.
50Par ailleurs, dans le même texte, les déchets marins sont définis comme les sous-produits solides résiduels des activités humaines quotidiennes et/ou des processus naturels qui proviennent de la terre, des masses d’eau et de la côte qui se jettent dans la mer, ou même proviennent d’activités menées dans la mer (Ulya Yasmine & Adzhana Luthfia 2019). On peut imaginer que de nouvelles mesures et initiatives viendront occuper l’agenda des ministères et des enceintes parlementaires du fait de l’adoption de la loi n° 32 de 2009 sur la protection et la gestion de l’environnement qui donne aux communautés le droit et l’accès à la participation en soumettant des propositions, des objections et des plaintes au gouvernement (ibid. : 180). Par exemple, alors que le gouvernement de ce pays a annoncé qu’il commencera à interdire les produits en plastique à usage unique d’ici à la fin de 2029 en lieu et place de la situation actuelle d’une fiscalisation de l’emploi des sacs plastiques (Sodik 2021 : 131), une telle mesure pourrait peut-être être avancée selon la pression des consommateurs30. Enfin, toujours au niveau national, il faut souligner que le gouvernement indonésien impose aux producteurs de mener un processus de recyclage en vertu de l’article 13 du règlement gouvernemental n° 81 de 2012 sur la gestion des déchets ménagers et des types de déchets similaires. Un programme de banque de déchets introduit en 2012 encourage les ménages à trier leurs déchets dans des contenants spécifiques, qui sont ensuite déposées dans une banque centrale de déchets qui leur fournit des retours monétaires. Il existe également un projet de nettoyage des océans sous l’égide d’une organisation à but non lucratif, Ocean Cleanup, qui vise à se débarrasser des plastiques dans les océans en utilisant des solutions innovantes telles que l’unité d’interception utilisée le long des rivières et des océans entourant les pays d’Asie du Sud-Est31.
- 32 C’est sur la base du décret n° 33/2010 du ministre des Affaires intérieures sur la gestion des déch (...)
- 33 Cette énumération de règlementations régionales est extraite de l’article d’Andreas Pramudianto, « (...)
- 34 #Beakfreefromplastic, « Single-Use Plastics Ban in Indonesia: Evidence of the Implementation of Was (...)
51Il existe également des réglementations régionales en Indonésie adoptées spécifiquement pour réduire l’utilisation du plastique et les rejets de déchets plastiques32, notamment le règlement du gouverneur de Bali no 97 de 2018 concernant la limitation des déchets plastiques jetables, le règlement du maire de Denpasar no 36 de 2018, celui du maire de Balikpapan no 8 de 2018 et celui du maire de Bogor no 61 de 2018 concernant tous les trois la réduction de l’utilisation des sacs en plastique, le règlement du maire de Padang no 36 de 2018 concernant le contrôle de l’utilisation des sacs d’achat en plastique et plusieurs autres réglementations33. Ces réglementations régionales peuvent parfois susciter des réactions de contestation lorsqu’elles sont considérées comme imposant des normes supplémentaires. C’est le cas par exemple du règlement (pergub) n° 97 de 2018 du gouverneur de Bali que ce dernier avait adopté après que 30 tonnes de déchets plastiques ont été trouvées lors d’une collecte d’ordures dans 150 localités de la province de Bali. Ce règlement prônait l’interdiction des sacs en plastique à usage unique, des pailles en plastique et l’emploi du polystyrène (styromousse) à partir du 1er juillet 2019. L’Association indonésienne de recyclage du plastique (ADUPI), ainsi que deux hommes d’affaires spécialisés dans les sacs en plastique (Didie Tjahjadi et Agus Hartono Boedi Santoso) ont attaqué en justice la teneur de ce règlement au motif que le gouverneur avait établi une nouvelle norme au-delà de ce que prévoit la loi sur la gestion des déchets n° 18 de 2008. La Cour suprême a rejeté la requête des trois requérants jugeant notamment que le gouverneur de Bali n’avait pas outrepassé ses pouvoirs en édictant un tel règlement. Implicitement, la Cour suprême a considéré que la loi sur la gestion des déchets donnait une délégation aux localités pour réglementer la gestion des déchets ménagers et des déchets assimilables à des déchets ménagers par des règlements locaux34.
52En Thaïlande, le secteur pétrochimique est actuellement le deuxième d’Asie du Sud-Est et le seizième au rang mondial (Thailand Investment Review 2017), l’industrie du plastique représentant 7 % du produit intérieur brut du pays. Avec une consommation individuelle moyenne de 40 kg par an, la Thaïlande est le plus gros consommateur de plastique par habitant en Asie. Pourtant, la réglementation environnementale locale est peu appliquée rigoureusement, notamment celle en faveur de la réduction des sacs plastiques à usage unique. La Thaïlande est probablement le pays le moins avancé parmi les membres de l’ASEAN pour lutter efficacement contre l’augmentation de la pollution plastique (Marks, Miller & Vassanadumrongdee 2020).
53Au Viêt Nam, les déchets plastiques sont généralement gérés conformément à la réglementation sur les déchets solides. Le Viêt Nam dispose d’un système relativement complet d’instruments juridiques sur la gestion des déchets. La loi sur la protection de l’environnement de 2014 comporte un chapitre distinct la concernant (chapitre IX). Le décret n° 38/2015/ND-CP sur la gestion des déchets et des rebuts exige le tri des déchets plastiques solides domestiques et des déchets solides industriels en vue de leur recyclage ; ces déchets doivent être gérés de la génération à la collecte, au transport et à la manutention. Les sacs en plastique non biodégradables font l’objet d’une taxe spéciale en application de la loi sur la taxe pour la protection de l’environnement de 2010 (Akenji & Bengtsson 2019 : 90).
- 35 What a Waste 2.0 : A Global Snapshot of Solid Waste Management to 2050. La Banque mondiale aborde l (...)
- 36 Des projets similaires sont à l’étude en Indonésie, voir Sari et al. (2022).
- 37 Pour une présentation de cette loi, voir entre autres Aidonojie et al. (2024 : 76 sq.).
54D’après un rapport de la Banque mondiale35, Singapour se distingue nettement des autres pays de l’ASEAN pour la qualité et l’efficacité de la gestion des déchets marins car il emploie de nombreuses innovations parmi lesquelles le processus contrôlé de combustion de déchets non organiques pour produire de l’énergie électrique36. La ville-État a investi dans des campagnes de sensibilisation du public afin d’éduquer les citoyens à l’élimination responsable des déchets et à l’impact environnemental de la consommation de plastique. Le pays adopte par ailleurs une politique stricte pour réduire au maximum les rejets de déchets plastiques dans la mer et a notamment créé une île spéciale (Pulau Semakau) pour les décharges publiques (Chomariyah & Dwi Rafiqi 2024 : 10-11). La loi singapourienne sur la durabilité des ressources (Resource Sustainability Act) de 2019 a également été adoptée pour traiter de l’utilisation durable des ressources, de la réduction des déchets et du recyclage37.
55La coopération dans le domaine des déchets plastiques entre l’UE (dont les États membres disposent à ce jour de la législation la plus évoluée en matière de retour, collecte et recyclage d’emballages et déchets plastiques) et l’ASEAN fait suite à l’initiative du projet ASEAN-UE sur l’économie circulaire qui s’est tenu les 11 et 12 juin 2019 à Kuala Lumpur, en Malaisie au cours duquel l’Union européenne (UE) a présenté ses politiques et sa réglementation relative aux plastiques et la gestion des déchets plastiques (Sabatira 2020 : 65). Puis, dans le cadre du Enhanced Regional EU-ASEAN Dialogue Instrument (e-READI) (Instrument de dialogue régional avancé UE -ASEAN) (Akenji & Bengtsson 2019), les deux organisations régionales ont adopté en 2021 la EU-ASEAN GreenTech Dialogue and Innovation Mapping Initiative (Dialogue UE-ASEAN sur les technologies vertes et initiative de cartographie de l’innovation), laquelle est pilotée par les Philippines. Un de ses objets est d’affronter la question des déchets plastiques, notamment grâce à des transferts de technologies et de savoir-faire et des actions conjointes de coopération en matière de recherche et d’études scientifiques. L’UE mise notamment sur un transfert des meilleures pratiques et meilleures technologies pour permettre aux États membres de l’ASEAN de mieux affronter la pollution marine. La conservation de la biodiversité et la gestion des zones protégées sont également des secteurs particulièrement concernés par la coopération inter-régionale (Lyons, Su & Neo 2019 : 54).
56Lancée en 2022, l’initiative « Save Our Seas » de l’U.S. Agency for International Development (USAID, Agence des États-Unis pour le développement international) a pour objet la lutte contre la pollution plastique des océans dans 14 pays, dont le Viêt Nam, l’Indonésie et les Philippines. Dans le cadre de cette initiative, l’USAID s’est associée à Circulate Capital pour soutenir les entreprises locales indonésiennes de gestion des déchets et de recyclage. PT Prevented Ocean Plastic Indonesia a déjà doublé sa capacité de collecte des déchets plastiques en vue de leur recyclage pour atteindre plus de 10 tonnes par jour (East-West Center 2023).
- 38 « World Bank approves US$20 Million Regional Grant for ASEAN to Combat Marine Plastic Pollution in (...)
57En 2022, la Banque mondiale a décidé de financer à hauteur de 20 millions de dollars le projet World Bank, Southeast Asia Program on Combating Marine Plastics (SEA-MaP)38 (Programme de lutte de la Banque mondiale contre les plastiques marins en Asie du Sud-Est). L’objectif d’un tel programme qui devrait prendre fin en 2027 est de réduire la consommation de plastique, augmenter le recyclage et minimiser les fuites afin de prévenir la pollution plastique marine d’origine terrestre en Asie du Sud-Est.
58Ce n’est que récemment que la Banque asiatique du développement (BAD) a concentré des investissements massifs et a accordé une assistance financière dans la région Asie Pacifique pour la santé des océans et une économie bleue. C’est un engagement de 5 milliards de dollars qu’elle a consacré sur la période 2019-2024 (Lyons, Su & Neo 2019 : 55).
59Elle a également annoncé des initiatives de financement des océans incluant le secteur privé.
60Les plastiques marins sont considérés comme une menace grave pour la santé des écosystèmes océaniques. On peut donc s’attendre à des projets en Asie du Sud-Est dans le cadre de ce nouveau plan d’action. L’approche de la BAD comporte cinq volets principaux39. :
- catalyser l’utilisation de technologies numériques de haut niveau pour la gestion des déchets, la gestion des ressources et la planification des villes côtières ;
- renforcer le cadre politique et réglementaire ;
- partager les connaissances sur les coûts socio-économiques, les impacts et les besoins d’investissement ;
- soutenir la coopération régionale sur les questions de santé des océans ;
- engager les femmes, les jeunes et les communautés.
61Jusqu’en 2017, approximativement 70 % des déchets plastiques mondiaux étaient exportés pour être recyclés vers la Chine (principalement par les États-Unis, pays jusqu’alors peu vertueux dans la réduction et le recyclage du plastique), mais, depuis, constatant que deux-tiers des entreprises chinoises de recyclage ne respectaient pas la réglementation environnementale, ce pays a largement changé de politique et désormais restreint les autorisations d’importations de déchets plastiques à hauteur de 10 % seulement (Mull 2020 : 7-8). Or, en Asie du Sud-Est, région vers laquelle se sont orientés les pays exportateurs de leurs déchets plastiques, l’accumulation de ceux-ci aux Philippines, en Indonésie, Malaisie, Thaïlande et au Viêt Nam est devenue considérable et dépasse de loin la situation dans les autres pays. Sur le plan réglementaire, la prohibition d’importation de déchets plastiques est heureusement désormais devenue la règle dans la plupart des pays d’Asie du Sud-Est. Cependant, du fait de la corruption largement pratiquée dans la plupart de ces pays (Kis-Katos & Schultze 2013), les déchets plastiques contaminés sont encore largement introduits illégalement par des pays tiers. Or, les usines de traitement de ces déchets illégaux utilisent des technologies peu performantes et des méthodes grandement dommageables à l’environnement.
- 40 Nations unies, Division de la population, World Population Prospects : The 2022 Revision, New York.
62Le plan d’action du G20 sur les déchets marins, établi lors du sommet de Hambourg en juillet 2017, a été le déclencheur de la mobilisation de très nombreux pays, parmi lesquels l’Indonésie, en matière de lutte contre la pollution et les débris plastiques. Ce plan d’action a été suivi de la définition d’un cadre d’action du G20 sur les déchets plastiques marins en juin 2019, puis approuvé par les dirigeants de 19 pays, dont l’Indonésie, lors du sommet d’Osaka, par le biais de la « Vision de l’océan bleu d’Osaka », qui vise à réduire à zéro les déchets plastiques marins d’ici 2050 (Chomariyah & Dwi Rafiqi 2024 : 10). L’Indonésie, précisons-le, est le plus grand archipel au monde. Il compte 275,5 millions d’habitants en 202240, est constitué de 16 056 îles (chiffre officiel en 2017) et détient le record mondial de superficie de rivages marins. C’est là que sont concentrés 65 % de sa population. L’Indonésie dépend fortement du secteur de la pêche, qui peut représenter jusqu’à 2,66 % du produit intérieur brut (PIB) national (Maheswara 2023 : 129). Il est donc impératif que ce pays puisse se mobiliser au maximum pour protéger ses reliefs et fonds marins et ses concitoyens. À cet effet, dès 2017, une zone de plus de 19 millions d’hectares a été classée zone maritime protégée.
63Le développement inégal de la région de l’ASEAN a entraîné un déplacement important de la population des zones rurales vers les zones urbaines au cours des dernières décennies. Étant donné que le taux d’urbanisation de l’ASEAN devrait dépasser les 70 % d’ici à 2050 (Ng et al. 2023), les problèmes de gestion des déchets risquent de s’aggraver dans les années à venir, car de nombreuses villes sont mal préparées à accueillir cet afflux continu de gens depuis les milieux ruraux, ce dont sont bien conscients les dirigeants des États membres. Les zones les plus touchées par la dégradation environnementale en Asie du Sud-Est sont le golfe de la Thaïlande, les baies de Jakarta et de Manille, et les deltas du Mékong et le delta du Fleuve rouge (Nord Vietnam). Les pays d’Asie du Sud-Est sont certes en marche sur le plan juridique pour adopter des réglementations, dispositifs et plans d’action afin de combattre dans leur région la « plastisphère ». Les gouvernements des États membres font preuve de leadership politique et d’engagement pour fixer et atteindre des objectifs de plus en plus ambitieux dans la mesure du possible, compte tenu de leurs ressources limitées et de l’ampleur des défis. Les réflexions et plans d’action adoptés consistent à intervenir tant en amont (au niveau de la production et consommation de polymères plastiques vierges), qu’en aval à la fois au niveau de la conception et de l’utilisation des produits, ainsi qu’à celui de la gestion et du traitement des déchets plastiques. Le plus dur reste l’éveil des consciences pour modifier les comportements de consommation et pallier le manque aigu d’infrastructures de collecte, de traitement, de gestion et de recyclage. Il faut également parvenir à un engagement plus soutenu du secteur privé dans la démarche de dépollution, recyclage et de mise au point de solutions alternatives durables. En outre, des mécanismes adéquats de respect et d’application des lois existantes ou nouvelles devraient être conçus. L’UE et chacun de ses membres ainsi que les autres donateurs internationaux doivent continuer à renforcer leur influence (notamment pour combattre les positions monopolistiques de certains fabricants de plastiques), soutien financier et leurs partenariats avec l’ASEAN et ses États membres et leurs chambres de commerce respectives.