“Stratégie islamique en Malaisie (1975‑1985)”, de Laurent Metzger
Laurent Metzger, Stratégie islamique en Malaisie (1975‑1985), Paris, L’Harmattan, 1996, 309 p.
Texte intégral
1Dans la « stratégie islamique en Malaisie », l’auteur distingue, à partir de 1975, trois périodes de cinq ans, qui se chevauchent parfois et révèlent clairement trois attitudes de la population malaise face à l’islam : d’abord la « redécouverte » ensuite les controverses et, enfin, une certaine acceptation par la « majorité de l’opinion » de la politique du gouvernement en matière de religion islamique.
2Dès les années 1970, se prépare la première phase : des signes précis du développement islamique sont notés dans le vêtement, l’alimentation, les spectacles, l’autopsie, l’acte de fumer, ou les implications qu’il y a à traiter quelqu’un de « mécréant ». L’auteur met très bien en valeur les débats, plus ou moins publics, noués à propos de ces questions entre personnalités politiques, religieuses et littéraires (les ulémas, les muftis, les écrivains) et au sein des institutions de la Fédération malaise (le gouvernement, le Conseil national des fatwas, le Conseil des affaires islamiques, etc.), et dont la presse et l’édition se font l’écho.
3La seconde phase est marquée par de violentes controverses et par un activisme musulman de la part de divers groupes qui visent à renverser l’État et à instaurer un État islamique, ce qui se traduit par des affaires « meurtrières, mais ponctuelles ». Contrairement à d’autres groupes, l’organisation AI-Arqam, qui défraya la chronique pendant dix ans et prétendait faire remplacer le premier ministre, n’eut pas recours à la violence. Elle sera interdite et ses membres devront se « repentir et de reprendre le droit chemin de l’islam ». Le gouvernement, dans ces circonstances, « a agi avec la plus grande circonspection et de façon rationnelle et progressive ».
4Metzger présente, parmi les mesures politiques du gouvernement malaisien, le Concours de psalmodie du Coran et l’organisation du pèlerinage à La Mecque. Le gouvernement a fait de ce concours international un véritable événement, célébré avec faste, dans la vie religieuse du pays. Le Fonds des pèlerins (Tabung Haji), créé bien auparavant, dans les années 1960, pour leur offrir une assistance matérielle et valoriser leurs versements, prend donc en charge les pèlerins, dès leur déclaration d’intention et jusqu’à leur retour. En dépit de ces dispositions, ceux-ci se sont plaints de défauts d’organisation de leur séjour en Terre Sainte. li leur a été répondu que l’Arabie Saoudite en était responsable.
5Depuis 1981, dans d’autres domaines encore, le gouvernement a pris l’islam en compte. L’éducation islamique a été développée, au point d’être désormais présente dans tout le système d’enseignement, du jardin d’enfants jusqu’à la recherche, à travers conférences et séminaires. Le droit ayant aussi, bien sûr, été touché par la prise de conscience islamique, de nouvelles lois furent promulguées, en particulier dans le domaine de la famille (le divorce, l’héritage). La juridiction des tribunaux islamiques recoupe parfois celle des cours non islamiques et la constitution d’une Cour d’appel islamique a même été évoquée. Tous les États de la Fédération n’adoptent pas les mêmes lois : l’État de Kelantan, par exemple, voudrait appliquer un droit plus purement islamique et, en particulier, en matière pénale. Cependant, la population non musulmane (40 %) s’inquiète de l’extension de l’application du droit islamique.
6Certaines activités du monde de l’entreprise sont également transformées par l’intervention de l’État. La création de banques islamiques, dans lesquelles les parties contractantes participent aux pertes et aux gains sans usure, représente un défi au système capitaliste. Dès leur apparition en 1980, elles connurent un vif succès, mais la question se pose de savoir si les non-musulmans peuvent en bénéficier. Dans la même dynamique, une compagnie d’assurances islamique a été fondée.
7Les deux partis politiques malais, l’UMNO, au pouvoir, et le PAS, dans l’opposition, rivalisent dans ce domaine comme dans les autres. L’UMNO ne peut pas se montrer moins musulman que son rival, qui a intégré à son nom le mot « islam » (Parti Al-Islam Semenanjung). Le discours politique est donc fortement polarisé par la rôle de l’islam dans la société. Une des principales préoccupations concerne « l’enseignement déviationniste » et les groupes qui se sont créés autour de celui-ci. Certains voulaient même que leurs adeptes soient arrêtés pour raison d’État, mais il fallait éviter de diviser la population malaise et, pour cela, veiller à « inculquer des valeurs islamiques ». L’UMNO, dont les assemblées annuelles font le point sur « le développement de l’islam dans le pays », se veut « un des plus grands partis islamiques du monde ».
8Le gouvernement souligne son refus de l’extrémisme, son esprit de tolérance et sa volonté de non-ségrégation envers les non-musulmans. De fait, les références à l’extrémisme se raréfient dans les années 1980 et 1990. Mais le caractère officiel de l’islam dans le discours, ainsi que le rôle volontariste du gouvernement, demeurent très clairs. De plus, dans toutes ces questions, la Malaisie veut aussi s’octroyer une position au niveau international et elle se pose en modèle, même si la « forme d’État islamique » qu’elle propose n’est encore qu’en cours d’élaboration.
9Le titre de l’ouvrage définit très précisément son champ d’étude, la Stratégie, et la période concernée, 1975-1985. Cependant, nous aurions souhaité pouvoir mieux saisir les implications de cette stratégie, pour tenter d’évaluer la solidité de ce « consensus » dans la société malaisienne.
Pour citer cet article
Référence papier
Ghislaine Loyré, « “Stratégie islamique en Malaisie (1975‑1985)”, de Laurent Metzger », Moussons, 1 | 2000, 126-127.
Référence électronique
Ghislaine Loyré, « “Stratégie islamique en Malaisie (1975‑1985)”, de Laurent Metzger », Moussons [En ligne], 1 | 2000, mis en ligne le 06 juin 2022, consulté le 11 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/moussons/8918 ; DOI : https://doi.org/10.4000/moussons.8918
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