1La présente recherche s’inscrit dans le prolongement de l’article publié dans le deuxième numéro du huitième volume de la revue Multilinguales de l’Université de Béjaia (Akmoun et Ouahib, 2020) et qui porte sur la formation en ligne dans le contexte universitaire algérien et particulièrement à l’université Blida 2. Elle s’intéresse essentiellement à l’analyse des interactions en formation asynchrone et part du constat selon lequel malgré les avantages de la formation en ligne, la prise en charge des interactions dans une formation en ligne demeure insuffisante. En effet, les principales données relatives aux perceptions des enseignants de la faculté des sciences humaines et sociales de l’université Blida 2 auprès desquels nous avons réalisé notre expérimentation à l’égard des interactions dans cette modalité de formation montrent que les sujets de notre enquête par questionnaire sont plutôt favorables à l’égard de la formation en ligne et des interactions. Les résultats de cette première partie de la recherche indiquent toutefois que même si les sujets interrogés disent encourager leurs apprenants à s’aider mutuellement et à interagir tout au long de la tâche et de l’activité,

« les consignes proposées favorisent davantage la dimension référentielle, [c’est-à-dire celle qui renvoie à l’interaction entre l’apprenant et le contenu de l’enseignement] ou encore la dimension régulatrice qui permet de revenir sur ses stratégies et ses styles d’apprentissage » (Idem : 52)

que la dimension relationnelle regroupant tous les actes de socialité.

2Dans la deuxième partie de notre recherche, nous tentons de vérifier l’hypothèse selon laquelle les interactions dominantes dans une formation asynchrone seraient de type étudiants-étudiants ou étudiant-groupe et que rares sont les échanges entre le tuteur ou le formateur et les apprenants dans cette modalité de formation en ligne contrairement à la formation synchrone dont « une dominance de l’interaction étudiant/tuteur avec 93 % des réponses obtenues » a été relevée par de nombreux chercheurs dans le domaine. Nous voulons également identifier les autres catégories ou dimensions caractérisant la formation asynchrone en plus de celles citées précédemment et que Peraya en 2005 a mises en place : la dimension relationnelle portant sur les actes de socialité, la dimension régulatrice en rapport avec les mécanismes conversationnels et la dimension référentielle qui concerne les contenus d’apprentissage et regroupe les aspects cognitifs et métacognitifs.

Cadre conceptuel

La formation en ligne

« l’utilisation des nouvelles technologies multimédias de l’Internet dans un but didactique, améliore la qualité de l’apprentissage en facilitant d’une part l’accès à des ressources et à des services, d’autre part les échanges et la collaboration à distance » (La commission européenne, 2006).

Chomienne, Badaoui, Gonzalves, Zene et Gentil (2008) expliquent que dans une classe ouverte sur le numérique, l’apprenant a la latitude de consulter les contenus lorsqu'il le veut et où il veut et l'enseignant qui avait pour habitude de dispenser un cours à un groupe donné, dans un temps et un lieu précis, ne fait plus face à ces contraintes.

4En somme, aujourd’hui en Algérie, l’e-Learning devient une véritable valeur ajoutée à la pédagogie. Il a pour intérêt principal de pallier les difficultés qu'implique une formation à distance (au sens d’écartement géographique entre l’apprenant et l’enseignant), notamment les problèmes d’intercompréhension principalement dus à l’absence d’échange et d’interaction entre les acteurs de la relation pédagogique. D’où l’intérêt d’aborder dans ce qui suit la notion d’interaction en ligne avec tout ce qu’elle implique comme comportements et actions qui concernent la co-construction des savoirs et des savoir-faire dans le cadre d’une formation en ligne.

Les interactions en ligne

6Parmi les nombreux avantages que peuvent offrir ces deux approches d’enseignement/apprentissage en ligne (l’autonomie, la motivation, l’adaptabilité du contenu au mode d’apprentissage, etc.), c’est la dimension interactive du e-Learning qui nous intéresse dans le cadre de cet article parce que les interactions en milieu éducatif sont nécessaires pour maintenir l’attention, encourager l’apprentissage, voire assurer sa réussite. Au demeurant, la technologie ne peut pas créer, à elle seule, un bon environnement d’apprentissage. La réussite d’une formation en ligne est en grande partie liée à la qualité des échanges entre les différents partenaires de la relation didactique. Autrement dit, des échanges dynamiques et multiples dans une situation d’enseignement/apprentissage seraient garants de réussite dans la mesure où ils permettent de réguler la dynamique interactive entre pairs. Ils favorisent donc la collaboration dans la construction des apprentissages. D’un point de vue didactique, la sollicitation des interactions en situation d’enseignement/apprentissage est une stratégie pédagogique qui aide les deux partenaires de la relation didactique à atteindre leurs objectifs. Les situations d'apprentissage à distance offrent la possibilité de mettre en co-présence virtuelle, via des échanges asynchrones ou synchrones des apprenants et un tuteur. L’enseignant ne peut plus se contenter de transmettre les savoirs aux apprenants mais il doit y avoir une médiatisation des savoirs. Il n’interagit pas directement avec les étudiants mais à travers les médias, il assure le bon déroulement du processus d’enseignement/apprentissage. Du côté des apprenants, en interagissant, ils développent un savoir collectif, mais également des compétences individuelles. Ils augmentent leur capacité à discuter avec les autres, à partager leurs idées, mais aussi à débattre, négocier et à accepter les idées de leurs pairs (Henri et Lundgren-Cayrol, 2001).

7En somme, à l’instar de Paivandi et Espinosa (2013), nous convenons que l’impact de l’usage des TIC dépend avant tout de la conception pédagogique et de la capacité des principaux acteurs à interagir. Alava (1998) affirme que l’adoption par l’enseignant d’une médiation technologique peut le conduire à reconsidérer la part d’initiative des étudiants dans la relation éducative. De son côté, Jézégou (2009) soutient que la mutation la plus significative de cette relation « technologisée » renvoie à l’autonomie plus large des apprenants à travers les libertés de choix que vient leur offrir le numérique. Ces libertés d’ordre spatio-temporel, pédagogique et communicationnel (telles qu’évoquées par Jézégou, 2009) déterminent la relation éducative et contribuent à l’autonomisation de l’étudiant et au développement d’une pratique enseignante fondée sur l’échange et le partage. Au final, nous pouvons dire que les échanges en ligne synchrones et asynchrones facilitent la communication et le partage des connaissances entre les participants. Ces derniers peuvent commenter, discuter, partager leurs idées, critiquer celles des autres et de la sorte, co-construire leurs connaissances.

Cadre méthodologique

8Tel que nous l’avons expliqué dans l’introduction de cet article, l’objectif de cette recherche est d’identifier les différents types d’interactions dans une formation asynchrone dans un contexte particulier, celui de l’université Blida 2 et de les classer en fonction des trois dimensions établies par Peraya en 2003. Il s’agit également de décrire les consignes qui poussent les participants à ce genre de formation à interagir. Nous rappelons que la recherche s’est effectuée en deux grands temps. Lors de cette deuxième partie de notre recherche, l’idée au départ était de poursuivre notre expérimentation au niveau de la faculté des sciences humaines et sociales, qui a lancé la formation à distance, rappelons-le, en 2016 (donc, bien avant la crise du Coronavirus), étant donné que c’était la seule à l’université Blida 2 qui dispensait ce genre de formation (formation en ligne). Mais suite à la crise sanitaire actuelle et la mise en place de la plateforme Moodle dans le cadre de la formation hybride, au profit des enseignants et des apprenants des quatre facultés de l’université Blida 2, et pour des raisons de faisabilité, nous avons décidé de changer de corpus et d’analyser les forums de discussions pédagogiques du séminaire Objets et Méthodes de la recherche en didactique que nous avons nous-même assuré au profit des étudiants de 1^ère année Master, option sciences du langage et didactique.

Pourquoi le forum de discussion ?

9Trois principales raisons ont motivé notre choix d’analyser le forum de discussion :

• La première tient au fait qu’il soit considéré « comme l'un des outils de communication asynchrones dans une plateforme éducative, peu coûteux et qui abolit les contraintes de temps et d'espace » (El Ouizgani et al., 2008 : 1951) ;

• La seconde est liée au caractère même des échanges qui sont authentiques ;

• La troisième, tel que le précise Marcoccia (2004), est qu’il permet, en outre, « de mettre en évidence certains phénomènes liés à la dynamique des échanges médiatisés par ordinateur, comme la structuration des discussions, la gestion des faces (c’est-à-dire toutes les marques de politesse présentes dans les discussions », de gérer et d’identifier l’attitude des participants au cours d’une interaction.

Critères d’analyse

10En vue de vérifier notre hypothèse, les indices de participation retenus pour l’analyse de notre corpus sont ceux proposés par Peraya en 2005 et qui permettent de dégager les types d’interactions qui dominent dans une formation asynchrone, à savoir : étudiants/étudiants ou étudiants/ formateur. Nous avons également, dans ce dernier type, tenté d’identifier les consignes qui poussent les étudiants à interagir et nous avons enfin classé ces consignes selon les catégories ou dimensions et sous-dimensions que ces interactions impliquent et à montrer que le travail en interaction en ligne favorise davantage la co-construction de nouvelles connaissances et permet ainsi de remédier aux difficultés d’apprentissage. Le principal indice de participation rendant compte de la part de chaque intervenant par rapport à l’ensemble des participations et du volume total des interventions correspond au taux de participation de chaque membre par rapport à l’ensemble des interventions. Nous avons ainsi évité de calculer le nombre de mots car, plusieurs séquences (ou interventions) ne contenaient pas de transition ou d’énoncé conclusif, et étaient, très souvent, interrompues par d’autres interventions. L’absence de marque formelle et de transition entre les différentes participations rendaient ainsi difficile la catégorisation des interventions et leur codification.

11Nous avons ensuite procédé à l’élimination de certaines séquences superflues et sans lien direct avec les objectifs de la recherche et avec les interactants visés par notre expérimentation. Il s’agit, entre autres, des interventions monologiques de type « je suis seul », « les autres n’ont pas encore rejoint », « je dois attendre longtemps apparemment » ou encore des séquences générées par le système, à l’instar des interventions suivantes : « Yasmine a quitté », « Leila s’est déconnectée ». Le total des interventions avant ces suppressions était de 850 alors que le corpus retenu est constitué de 784 interventions effectives.

Corpus et analyse des résultats

12L’approche adoptée pour l’analyse des données de notre corpus est de type qualitatif. Nous tenons, en revanche, à préciser, à titre descriptif, que le groupe visé par l’étude est composé de 254 étudiants sur lesquels 26 % n’ont jamais accédé à la discussion (soit un total de 66 étudiants). Les sujets débattus sur ce forum sont en relation directe avec le séminaire Objets et Méthodes de la recherche en didactique et tournent autour des contenus des cours et des activités que les étudiants étaient appelés à réaliser individuellement ou en binôme. Les fils de discussion retenus pour notre analyse portent sur une activité d’interprétation du schéma de Meirieu (1996) sur le transfert des apprentissages. Les étudiants étaient donc appelés à interpréter le schéma selon les notions déjà étudiées pour mettre en exergue la dynamique du processus.

13Les discussions analysées ont été classées, tel que nous l’avons précisé plus haut, selon trois principales dimensions :

• Dimension relationnelle dans laquelle nous avons regroupé les traces socio-affectives présentes dans les interactions formateur/étudiants et/ou étudiants/étudiants : Elle comprend toutes les formules de salutations, les remerciements et autres formules de politesse utilisées ou aspects indiquant une prise de position ou des émotions. Cette dimension est très importante parce qu’elle permet d’établir des liens très significatifs susceptibles de déterminer la nature des collaborations éventuelles futures.

• Les exemples : Bonjour, merci beaucoup, vous me sauvez, merci de votre aide, pourriez-vous m’expliquer, je suis sincèrement désolée, ….

• Dimension référentielle (appelée par certains chercheurs « dimension cognitive ») : renvoyant aux différents échanges autour du cours ou des activités réalisées sachant que dans ce type de productions, les participants peuvent soit fournir l’information soit la solliciter même implicitement, dans la mesure où tout en la produisant, ils attendent la confirmation ou l’infirmation par les pairs ou par la formatrice elle-même.

• Dimension régulatrice : qui assure la gestion du groupe et permet de réguler les mécanismes conversationnels afin d’établir la communication en classe (virtuelle, dans ce cas).

Figure 1 : Critères d’analyse des interactions définis à partir de la grille de Peraya et Dumont (2005)

Type de dimension	Nature	Description
Dimension référentielle	Centré	Portant essentiellement sur le contenu
	Digressif	Contenu évoqué mais amène une digression
	Différé	Contenu évoqué mais son traitement est reporté
	Métaréférentiel	Modalités de traitement du contenu
	Sollicitant	Poser une question (pro-actif)
	Réceptif	Répondre à une question (réactif)
	Neutre	Absence de modalité particulière que ce soit dans le contenu ou dans le schéma intonatif
Dimension relationnelle	Cordialité
	Interpellation directe	S’adresser à l’apprenant en le nommant par son prénom ou son nom
	Interpellation indirecte	S’adresser au groupe en utilisant un vous qui peut désigner une personne, une partie du groupe ou tout le groupe
	Humour
	Empathie
Dimension régulatrice	Explicitation	Exposition des règles de communication
	Régulation	Problèmes techniques ou relationnels

Sur un total de 1250 consultations, 784 discussions ont été enregistrées avec 75 discussions déposées par la formatrice pour poser les questions, répondre à certaines questions, orienter les participants, les corriger ou rappeler les délais du dépôt des activités. Sur les 75 interventions, 18 consignes poussent les étudiants à interagir et à échanger avec leurs pairs.

14Nous avons repris les exemples des consignes enregistrées dans ce sens :

• « essayez de voir avec ceux qui sont plus avancés dans la réalisation de l’activité »,

• « demandez à vos camarades »,

• « travaillez en petits groupes, ça vous aidera à aller plus vite »,

• « remettez votre solution à l’un de vos camarades et demandez-lui ce qu’il en pense, ça pourrait vous aider, … »

• « Le travail doit être déposé avant le 15 du mois en cours »

15Par ailleurs, l’analyse montre que sur l’ensemble des discussions, 32 % portent sur le contenu et sont donc de type référentiel (« on parle de projection pro-active qui renvoie aux situations futures dans lesquelles les acquis, connaissances et compétences, peuvent être réinvestis ou transférés », « le raisonnement analogique permet de repérer les similitudes sans lesquelles le transfert serait impossible », « projection rétroactive, c’est de trouver parmi les connaissances antérieures, celles qui peuvent être transférées »), alors que 28 % d’entre elles sont consacrées à la régulation des mécanismes de conversation (« tu ne devrais pas écrire ça », « quand on s’adresse à son prof, on le vouvoie », « non, pas comme ça ») et 40 % sont d’ordre relationnel. Ces dernières renvoient dans leur majorité, comme nous l’avons déjà expliqué, aux salutations et sont automatiquement générées par le système. Ainsi, contrairement à la formation synchrone où l’apparition d’un nouveau participant n’entraine pas obligatoirement une interruption du fil de discussion (dans la mesure où elle est perçue systématiquement grâce au canal visuel), ce phénomène peut gêner la communication dans une formation asynchrone puisque le nombre d’interventions à caractère relationnel augmente vu que l’apparition d’un nouveau participant ne peut être perçue que par le biais du canal de conversation.

16En ce qui concerne la dimension référentielle, les recherches sur les interactions en ligne auprès d’un public de jeunes apprenants (élèves de 13 à 14 ans) à l’instar de celles réalisées par Tausch (2002) observent un pourcentage plus élevé des interventions de type Enseignant/apprenants que celles de type Enseignant/Groupe. Ces résultats révèlent que le style, la modalité de formation (présentiel/ en ligne ; synchrone/asynchrone) ainsi que la formation des enseignants, leur âge et le type d’activités influent sur la gestion du flux de la communication dans un cours en ligne. C’est aussi le cas pour la dimension régulatrice dans la mesure où les interventions appartenant à cette catégorie sont pour la plupart d’entre elles de type formateur/apprenants. La prédominance de ce type d’interactions dans les deux dimensions (référentielle et régulatrice) peut s’expliquer par le fait que les remarques et commentaires relatifs aux contenus d’apprentissage et aux comportements émanent généralement du formateur et s’adressent aux apprenants. Elles sont valables pour l’ensemble du groupe même si l’enseignant ne s’adresse qu’à un seul apprenant. Toutefois, il est à préciser que les interactions centrées essentiellement et exclusivement sur le contenu du cours ne semblent pas dominer dans cette modalité de formation en ligne. Elles sont plutôt diversifiées et peuvent être de différentes natures.

17Au terme de cette étude sur l’analyse des interactions en ligne dans le contexte universitaire algérien, nous pouvons dire que notre hypothèse sur les types d’interactions qui dominent dans une formation asynchrone est validée. Nous pensons toutefois, que notre échantillon constitué d’un seul groupe (même si le nombre d’étudiants est assez important) et le nombre de séances de notre corpus ne soient pas assez représentatif surtout que nous n’avons analysé que les cours que nous avons-nous-mêmes dispensé au profit des sujets de l’enquête (bien qu’initialement ce cours n’était pas destiné à cette fin). Par ailleurs, à la lumière de nos analyses, notamment celles liées au rapport entre le type d’activités et celui des interventions des apprenants, une recherche ultérieure sous-forme d’une étude comparative entre les interactions dans les deux modalités de formation en ligne et entre plusieurs types d’activités qui permettraient réellement de généraliser les résultats obtenus.