1Selon une note de synthèse de l’UNESCO d’aout 2020, la pandémie mondiale du coronavirus a fait subir à tous les systèmes éducatifs un choc sans précédent dans l’histoire, choc qui a bouleversé la vie de près de 1,6 milliard d’élèves et d’étudiants dans plus de 190 pays. Les fermetures d’écoles, de lycées et d’universités ont concerné 94 % de la population scolarisée mondiale. Cette pandémie mondiale a contraint l’ensemble des enseignants à recourir à l’enseignement à distance afin d’assurer la « continuité pédagogique ». Cette situation a permis de rendre compte des effets du digital learning (des outils et des systèmes numériques) sur l’apprentissage, comme de nombreux travaux l’ont montré (Legros, et al., 2000 ; 2001a ; 2001b). Certes, l’ensemble des enseignants n’est pas né à l’ère du numérique, ni à l’heure d’internet, et l’enseignement en ligne a pu alors être subi par certains, ou au contraire, être recherché par d’autres. Des études ont d’ailleurs montré que de nombreux enseignants débutants utilisaient peu les outils numériques (Gudmundsdottir & Hatlevik, 2018). Daniel Peraya et Jacques Viens avaient d’ailleurs souligné dès 2003 « les risques de confusion qu’entraîne l’important degré de technicité des différents outils : « l’objet technique dont l’usager ne maîtrise en aucune façon le processus de fabrication et même le processus interne de fonctionnement se voit en effet rapidement intégré dans un cadre de pensée « mythologique » (Barthes, 1964)

2L’enseignement à distance s’est pourtant imposé quinze ans plus tard, avec la crise obligeant l’ensemble des acteurs pédagogiques à recourir aux plateformes de e-Learning et à repenser complètement leurs pratiques d’enseignement et d’apprentissage. Cette crise sanitaire a ainsi permis d’observer des bouleversements provoqués par la numérisation de l’enseignement sur l’apprentissage, même si l’enseignement à distance n’est pas nouveau, les débats sur son efficacité étant apparus dès les années soixante-dix (Sewart, 1981). Comme l’a en effet précisé Michel Bernard (1999), la question de la distance traverse la formation. Elle est bien antérieure aux apports et usages des technologies numériques. L’oublier, c’est conférer à certains aspects de la distance un poids exagéré et par ailleurs, minimiser d’autres aspects de la pluralité de la distance. Il n’est donc pas surprenant selon l’auteur que les bouleversements des modalités d’apprentissage provoqués par la pandémie aient suscité « des réactions de défense ». La relation pédagogique a toujours concentré les passions et les tensions. Mais l’arrivée de la pandémie du coronavirus a pour la première fois dans l’histoire entraîné la fermeture de toutes les écoles et de toutes les universités et provoqué en urgence le lancement d’un programme généralisé d’enseignement à distance.

3Bien évidemment, et l’idée n’est pas nouvelle, les Technologies de l’Information et de la Communication pour l’Enseignement (TICE) ne sont pas responsables de la réussite de l’apprentissage, ni des nouveautés didactiques, ni des innovations pédagogiques… C’est en réalité la didactisation, dont fait partie le choix des TICE, qui permet de perfectionner et de rendre plus efficace l’apprentissage (voir Legros, et al. 2007). Ainsi, des recherches ont mis en évidence l’importance du design du cours, de la collaboration et des apprentissages actifs, comme l’importance de la communication (Bernard et al., 2004 ; Legros et al. 2001b) ou l’usage et les pratiques réelles que font les enseignants des TICE (Lebrun, 2017), tout comme l’importance de l’accompagnement dans un scénario didactique ouvert (Terzidis & Darbellay, 2017). Tous ces travaux permettent de montrer que les recherches sur le rôle des TICE dans l’enseignement/apprentissage ne peuvent pas être pensées indépendamment de la didactique et d’une réflexion plus vaste sur les enjeux des apprentissages à l’école, en particulier à l’école de demain, à l’ère de la mondialisation (Legros, 2015). Nous proposons, tout d’abord, un état des lieux de l’enseignement/apprentissage en situation de crise, puis une analyse du retour d’expérience des enseignants de l’université de Béjaïa. Dans un troisième temps, nous présentons le e-learning comme moyens de maintenir l’accompagnement des étudiants en temps de pandémie, dispositif que nous décrivons ensuite comme un dispositif hybride. En dernier lieu, nous proposons une synthèse des principaux résultats de notre retour d’expérience.

1.L’enseignement/apprentissage en situation de crise. État des lieux

4La crise sanitaire de 2020 a plongé toutes les sociétés de la planète dans ce nouveau monde, sans transition ni anticipation. Un monde où selon Denny (2021), le numérique est garant des relations humaines, économiques, pédagogiques. Comme l’a rappelé Emmanuelle Villiot-Leclercq (2020) :

« en quelques jours seulement, les évolutions et les changements qui semblaient prendre des années ont connu une accélération fulgurante. Au printemps 2020, l’ensemble des écoles maternelles, secondaires, et universités en France et de par le monde ont dû basculer en quelques jours, au mieux parfois en quelques semaines, vers l’enseignement à distance. Du jour au lendemain, les locaux ont été fermés, les cours en présentiel ont été annulés. De façon foudroyante, la majorité des institutions françaises, européennes et mondiales sont passées de la présence massive à une mise à distance massive, dans tous les sens du terme, distance géographique, distance physique, distance relationnelle, et distance cognitive par rapport à la réalité » (p.9).

5Emmanuelle Villiot-Leclercq (2020) considère que des études au sein de différentes institutions devaient être mises en place rapidement pour étudier l’ampleur des impacts et des changements survenus dans les universités. Selon cette auteure (2020), au vu des informations disponibles et de façon très subjective, on peut supposer que pour l’instant nous avons assisté davantage à une transposition du présentiel au distanciel plutôt qu’à une véritable transition comme d’autres auteurs l’ont constaté (Caron, 2020). Pour reprendre ses termes,

« la tendance a donc été à un renforcement de la « cuisine de l’enseignant », sous la forme de bricolage créatif, artisanal, intuitif, plus qu’à une exploitation massive des connaissances et processus d’ingénierie pédagogique disponibles et largement étudiés et utilisés depuis des décennies » (voir Basque, 2017).

6Si l’on a pu constater que les outils ne manquent pas, les expériences et retours d’expérience ont révélé que les enseignants de l’université de Béjaïa étaient plutôt submergés par le nombre de propositions quant à la gestion des contenus, d’informations relatives à la continuité pédagogique, et d’outils numériques. Certains ont tiré profit de la situation pour créer une connexion entre leur créativité et les nouvelles modalités d’apprentissage, fondées sur les Nouvelles Technologies de l’Information et de la Communication et sur l’enseignement en ligne. Toutefois, face à l’urgence de la situation, beaucoup d’enseignants ont reproduit à distance certaines pratiques enseignantes traditionnelles, plus particulièrement, la conception de fiches pédagogiques à réaliser en ligne. Dans ce cas, les TICE ne sont considérées que comme un support numérique au service d’un schéma didactique habituel. Ces premiers constats montrent tout l’intérêt d’une étude visant d’une part, à établir un état des lieux des pratiques émergentes, et d’autre part à analyser ces mêmes pratiques afin de mieux les comprendre, les accompagner et les optimiser efficacement.

2. Analyse du retour d’expérience des enseignants de l’université de Béjaïa

7L’objectif de notre étude, qui s’appuie sur une synthèse d’une revue de la littérature et sur l’expérience que nous avons vécue lors de la crise sanitaire, consiste à décrire et à comprendre les effets de l’Enseignement à Distance (EAD) perçus par les enseignants sur leur attitude de formateur et leurs interactions avec les étudiants. Nous mettrons, plus précisément, l’accent sur l’expérience des enseignants de l’université de Béjaïa. Contrairement aux travaux antérieurs (Boissonneault, 2009 ; Ferone, 2017 ;2019 ; Lameul et al., 2014), notre investigation se caractérise principalement par le contexte exceptionnel de la pandémie. En effet, dès le printemps 2020, les enseignants des universités algériennes ont été contraints de mettre en ligne leurs contenus pédagogiques. Cette situation revêtait un caractère particulier à l’université où nous exerçons, puisque les cours étaient assurés presque totalement en présentiel. Il était donc judicieux de penser que la plupart des enseignants avaient très peu d’expérience en EAD. Observera-t-on les mêmes effets que dans les cas où l’EAD était implanté volontairement par l’institution et où les enseignants étaient impliqués de leur propre gré dans cette modalité d’enseignement ?

8Le passage à un enseignement à distance constituait un défi de taille pour tous, mais surtout pour les enseignants appelés à transformer leur salle de classe en cours virtuels en l’espace de quelques jours. L’enjeu prioritaire était de maintenir « une continuité pédagogique » pour tous les acteurs. Ainsi, en Algérie, lors du confinement, la mise en œuvre de cette « continuité pédagogique » prenant la forme d’un impératif institutionnel, a déstabilisé les habitudes professionnelles des enseignants, formateurs ou chercheurs intervenant dans les différents paliers de l’enseignement. Cette dérégulation sans précédent a provoqué l’émergence de pratiques enseignantes distancielles complètement nouvelles et plus ou moins efficaces au regard de l’enjeu recherché. La question que l’on se pose ici est donc la suivante : en quoi leur rapport au numérique et leur rapport au savoir sont-ils de nature à freiner ou à dynamiser l’adaptabilité de leurs pratiques d’enseignement. L’urgence et la particularité de la situation semble ainsi, poser des questions fondamentales pour (re)penser l’école et partant, la formation des enseignants, premiers acteurs de cette école. Que se passe-t-il lorsqu’une crise de l’ampleur de celle de la Covid intervient, obligeant tous les enseignants à basculer du jour au lendemain à l’enseignement en ligne ? Quel est l’impact d’une telle contrainte en termes de modification des pratiques pédagogiques ? Quelles sont les difficultés rencontrées ? Dans quelle mesure la formation des enseignants pourrait aider à surmonter les difficultés ? Jusqu’à quel point et comment les enseignants s’approprient-ils les outils numériques : se positionnent-ils en tant qu’auteurs d’innovations pédagogiques favorables aux étudiants ? Est-ce que les différentes postures adoptées face à la crise modifient leurs attitudes vis-à-vis des TICE ? Y a-t-il un impact sur leur capacité à se projeter dans un enseignement en ligne pour les années à venir ? 

9Ces questions et les éléments de réponse qu’elles ont suscités permettent de proposer quelques pistes de réflexion pour penser les transformations de l’école en lien avec la transformation de la société et les nouveaux paradigmes d’apprentissage (Boëton, 2013). Ces questions en effet nous interpellent et nous obligent à réfléchir à l’accompagnement nécessaire des étudiants et des enseignants pour les aider à faire leur chemin dans cette société numérique caractérisée par des outils qui ne cessent de se multiplier. Il est donc nécessaire d’analyser avec précision les nouveaux environnements d’apprentissage, leurs composantes et leur pertinence en fonction des situations et des visées d’apprentissage, (Clark, 2009a ; Basque, Contamines & Maina, 2010 ; Dessus, 2008). Ainsi, s’adapter, rechercher ou imaginer des solutions adaptées à chaque contexte, faire face aux changements constants et rapides requièrent des compétences nouvelles pour répondre à ces défis permanents. La créativité et l’innovation didactiques (Terzidis, 2020) et pédagogiques (Cros, 1997 ; Capron Puozzo, 2016), dans une perspective de lifelong learning, pour reprendre les termes de Piot (2009) apparaissent dès lors comme des clés de cette formation, qui doit permettre aux enseignants de s’adapter en permanence et de façon durable aux changements de pratiques professionnelles (Terzidis & Darbellay, 2017), et aux élèves, futurs citoyens, de faire face aux défis d’un avenir incertain (Charbonnier, & Gouëdard, 2020 ; Prensky, 2010). Ainsi, quelques réflexions tirées de cette période particulière, appuyées par les recherches de ces dernières années sur l’enseignement/apprentissage à distance (Clark, 2009b ; Escalier & Legrain, 2020 ; Bernard et al. 2004) devraient permettre selon Jefferson & Anderon, (2017) de proposer une tentative de synthèse d’un glissement du paradigme éducatif autour du développement des 4C : Communication, Créativité, Collaboration, Critical thinking (Kembara, Rozak, Hadian, 2019) pour tracer les voies d’accompagnement des enseignants et étudiants, et construire une école de demain plus ouverte et plus adaptée au monde dans lequel nous évoluons.

10Ces axes, intrinsèquement liés, pourraient ainsi bénéficier de l’expérience de la crise de 2020 pour être parallèlement étudiés, et déboucher sur un modèle paradigmatique tel que « l’innovation bleue » (Capron Puozzo,2020), au service des environnements d’enseignement/apprentissage. En effet, la digitalisation de notre monde, les perpétuels changements de celui-ci, ses nombreux défis à venir laissent apparaître, de plus en plus, l’importance de l’utilisation de ces nouvelles technologies de l’information et de la communication, plutôt que de recourir à des connaissances fixes et évidentes, parfois vite désuètes. Ainsi, les TICE peuvent être porteuses de ces changements, mais à certaines conditions qu’il s’agit de bien saisir et d’expliciter. Nous pensons donc que la définition du cadre paradigmatique éducatif dans lequel nous souhaitons évoluer constitue la première étape pour une mobilisation des TICE pertinente et efficiente, voire moteur de transformations.

3. Le e-learning et l’accompagnement des enseignants et des étudiants en temps de pandémie

11Le e-learning révolutionne les usages établis au sein du milieux universitaire. Il provoque, assurément, un changement dans les pratiques d’enseignement/apprentissage. Certains jalons (spatiaux, temporels, communicatifs) sont métamorphosés. L’application de « protocoles anciens à ces techniques nouvelles » est, selon Mongenot (2004), une étape nécessaire pour les utilisateurs afin de se rassurer, de baliser cet environnement, pour beaucoup encore inconnu. Cependant, cette façon de procéder ne permet pas forcément l’appropriation de l’outil et du processus dans toute son ampleur. Les critères de temps et d’espace sont atténués en e-learning mais sans pour autant complètement disparaître. Si nous y regardons de plus près, une plate-forme d’apprentissage en ligne peut être construite sur une structure conforme à celle d’une institution éducative classique : espace de cours, salle des étudiants et des enseignants … Le e-learning nécessite aussi une organisation, un planning de tâches mais qui est transposable au domaine de l’enseignement. Ainsi, pour gérer son calendrier ou les délais d’une épreuve ou d’une évaluation, enseignants et étudiants se retrouvent face à des « impératifs organisationnels non négligeables » comme l’a montré Barrère il y a presque deux décennies (2003), indépendamment de la modalité dans laquelle se déroule leur travail. Mais alors que le quotidien du présentiel est « fortement conditionné par les permanences de la forme scolaire, et sa manière de rythmer les heures et les jours » (Barrère, 2003), le e-learning ne détermine pas toujours ces indications.

12Le fait de suivre une FAD en e-learning ne se cantonne pas aux interactions. Apprendre via ce nouveau « mode distanciel » d’apprentissage requiert un travail qui dépasse amplement l’activité en ligne. En effet, en tant qu’enseignants appelés à gérer les contenus pédagogiques sur la plate-forme en ligne dédiée à l’enseignement/apprentissage, nous nous interrogeons souvent sur ces nouvelles modalités de travail. En d’autres termes, la question du temps imparti à la lecture, aux études ou à la recherche mérite d’être, clairement, étudiée. De plus, l’expérience que nous (enseignants de l’université de Béjaïa) avons vécue pendant la pandémie, nous permet de nous interroger, également, sur la possible immixtion des espaces privés et publics qu’est susceptible de générer le e-learning. La réponse à toutes ces questions nous conduit, inévitablement, à analyser le phénomène de la participation et des interactions sur la plate-forme en ligne. En remettant en question le travail dans sa totalité, nous pouvons tenter d’éclairer ce qui favorise cette participation ou ce qui la freine. Comme l’a souligné Perrenoud (2005), « tout acteur un peu expérimenté dose son investissement dans l’action, par exemple le travail scolaire, en fonction des besoins qu’il éprouve et des buts qu’il se fixe ». De ce fait, nous pouvons penser que la participation dépasse la seule motivation, mais qu’elle peut être, également, considérée comme une stratégie que l’apprenant met en œuvre dans son processus d’apprentissage.

13Dans cet ordre d’idées, il convient de souligner que ces interrogations nous permettent, par ailleurs, d’approcher cette population qui demeure silencieuse en ligne et qui, malgré tout, suit le cursus de formation et en réussit les épreuves d’évaluation. Analyser le travail de l’apprenant permet de dépasser le simple examen de la face visible de son activité. En nous orientant vers le travail réel des apprenants, nous pouvons approcher la face immergée de l’iceberg, souvent méconnue mais pourtant capitale. Autrement dit, lorsque chaque apprenant est confronté aux mêmes consignes que ses camarades, chacun d’eux crée une organisation personnelle, pratique des méthodes et adopte une gestion du temps qui lui est propre. Mais dans un système où les règles traditionnelles du temps et de l’espace sont converties, cette organisation peut-elle simplement se transposer ou doit-elle être adaptée ? Peut-on considérer que le e-learning transforme le mode d’enseignement/apprentissage au point de modifier le travail des étudiants ? Assiste-t-on à une révolution du travail des étudiants en e-learning ou à une simple évolution de la forme scolaire qui, somme toute, ne modifie que très peu les tâches des étudiants.

4. Un dispositif hybride

14Le déconfinement progressif a donné naissance à des dispositifs d’enseignements hybrides alternant présentiel et distanciel de diverses manières en fonction des contextes et des sujets. Le mode d’enseignement hybride est mixte et associe enseignement par projet, classe inversée et cours magistraux. L’enseignement par projet permet d’atteindre les objectifs fixés et répond aux exigences d’alignement pédagogique entre objectifs et activités d’enseignement comme l’a montré Biggs (2011 ; 2014). Les classes inversées fusionnant « cours à distance et devoirs en classe » et « contextualisation à distance puis présentation en classe » permettent d’atteindre les résultats visés et de dynamiser l’enseignement (Bergman & Sams, 2012). Les cours magistraux offrent aux étudiants un soubassement théorique, indispensable non seulement à l’atteinte des objectifs fixés, mais aussi au bon déroulement des activités à distance. Le mode d’évaluation pratiqué est l’évaluation continue et implique trois modalités de travail : travaux individuels, travaux en groupe et tests de connaissance. Ce type d’évaluation permet de positionner tous les étudiants sur une échelle de niveaux. Selon Lebrun (2015), l’évaluation continue est particulièrement adaptée aux classes inversées, car elle supporte efficacement la responsabilisation et le partage des responsabilités entre étudiants, la livraison des productions attendues, la visibilité des compétences déployées, la co-construction du dispositif, et l’évaluation de ces différents éléments.

5. Synthèse des principaux résultats du retour d’expérience et conclusion

16Les principaux résultats issus de notre retour d’expérience sont les suivants :

• On a réussi à assurer « une continuité pédagogique » car la plateforme d’enseignement était un moyen de travail utilisé par notre université depuis des années avec des usages divers. En cette période de crise sanitaire, cette plateforme en ligne est devenue l’outil de référence pour les étudiants, les enseignants et les responsables administratifs.

• La généralisation de l’enseignement à distance a engendré une surcharge conséquente de travail pour la majorité des enseignants, en raison de l’utilisation de fonctionnalités qu’ils n’utilisaient pas auparavant. Cette surcharge est due aux nouvelles méthodes de conception pédagogique à mettre en place, à la formation aux TICE, aux nouvelles règles de communication avec les étudiants, au fait de devoir se référer à chaque fois à la plateforme et enfin aux nouvelles modalités de passation des examens.

• L’implémentation de plusieurs pratiques pédagogiques nouvelles dans l’urgence : activités plus courtes, passage en classe inversée, utilisation de systèmes d’enquête en ligne, travail en groupe à distance, production de ressources asynchrones (enregistrements de cours et diffusion asynchrone a posteriori, production de vidéos spécifiques dans quelques cas), utilisation de vidéos…

• Les examens en ligne ont augmenté les risques perçus de tricherie, lesquels ont été particulièrement difficiles à résoudre. Malgré une multitude de formats, peu de formules entièrement satisfaisantes ont été conçues et mises en œuvre.

• Aucune orientation apparente sur les scénarios d’hybridation à mettre en place n’a été examinée, dans la mesure où les avis qui ont pu être exprimés variaient selon les programmes, les matières enseignées, et les préférences pédagogiques des enseignants. 

Il est, donc, à noter que si les enseignants ont fait usage de nombreux nouveaux outils, il n’est pas sûr que l’on puisse parler d’appropriation de ces mêmes outils, ce qui permettrait d’expliquer en partie les incertitudes sur le maintien de ce mode d’enseignement pour les années à venir. Dans cet ordre d’idées, une question retient notre attention : la pandémie Covid-19 a-t-elle converti les enseignants aux TICE et facilité l’innovation pédagogique ?

17Jusqu’à la crise de la Covid, l’appropriation des technologies numériques par les enseignants du supérieur apparaissait ambivalente. D’un côté, ils avaient massivement intégré les supports et contenus numériques, de l’autre, ils résistaient à la transformation de leur métier arguant notamment d’un manque de formation (Abboud-Blanchard & Emprin 2009). Le remplacement du professeur par des ressources numériques pré-enregistrées était jugé peu réaliste, en raison de l’organisation des emplois du temps et des statuts (Baron 2010). Le coronavirus aurait-il bouleversé les cartes de l’innovation pédagogique à base de numérique ? Généralement, les recherches d’avant la crise tendaient à montrer que l’innovation technologique ne déterminait pas l’innovation pédagogique (voir Bernard & Fluckiger 2019) et ne modifiait pas systématiquement l’organisation des tâches scolaires (voir Tricot 2017). Dans la littérature, les facteurs de l’appropriation semblent liés à l’engagement volontaire, s’appuyant sur l’auto-détermination des enseignants dans leurs choix pédagogiques. Par exemple, une étude de Audran et Dazy-Mulot (2019) sur les pratiques de quatre volontaires de l’utilisation du tableau blanc a montré que leur appropriation est issue d’une posture assumée en tant qu’auteur assortie d’une éthique professionnelle centrée sur le bénéfice didactique pour les élèves. D’autres auteurs ont mis en avant l’importance de facteurs organisationnels comme la possibilité de collaborer avec d’autres enseignants (Hanna & Charalampopoulou 2019) ou la politique de l’établissement (Schaming & Marquet 2019), notamment l’usage d’indicateurs obligeant à mutualiser les ressources et retirant une part d’initiative aux enseignants (Baron 2010). Mais l’observation de l’expérimentation d’une tablette numérique en classe (Picard 2017) a montré que tous les enseignants ne se pliaient pas forcément à une injonction d’innovation, la majorité restant en dehors, certains parlant même de dictature numérique (Forest, 2020).