1Il est des ellipses qui changent à jamais la dynamique d’un monde fictionnel. C’est particulièrement le cas dans la forme longue audiovisuelle qu’est la série télévisée, qui, au gré d’une montée en complexité narrative dès les années 1990 (Mittell 2015), se prend à jouer avec la temporalité (Ames 2012) et la non-linéarité du récit comme de l’histoire (Booth 2012). Qu’il s’agisse du désormais classique flashforward de trois ans dans Lost (Jeffrey Lieber, J. J. Abrams & Damon Lindelof, ABC, 2004–2010), du bond de 24 ans de Fringe (J. J. Abrams, Alex Kurtzman, Roberto Orci, 2008-2013) voire de l’ellipse de 150 000 ans qui conclut Battlestar Galactica (Ronald D. Moore, 2003-2009), les séries de science-fiction ont su, comme les cycles des genres de l’imaginaire avant elles, procéder à une « exploitation dramatique du motif de l’écoulement du temps » (Besson 2004 : 6) qui permet de reconfigurer ces mondes « saillants » de l’imaginaire (Pavel 1988 ; Besson 2015).
- 1 Pour des raisons de confort de lecture, nous privilégierons le terme « pont » plutôt que les « migr (...)
2Il est toutefois une ellipse unique en son genre parmi les séries télévisées, en ce qu’elle remet en question la cohérence de « l’univers transmédia » auquel elle appartient (Thon 2015). Agents of SHIELD (Joss Whedon, Jed Whedon et Maurissa Tancharoen, ABC, 2013-2020) se concentre pendant sept saisons sur la vie des agents d’une organisation internationale qui, au quotidien, protège la Terre des menaces humaines comme extraterrestres, lorsque les super-héros du Marvel Cinematic Universe – Iron Man, Thor, Captain America et les autres – ne peuvent intervenir. Première série télévisée du MCU, Agents of SHIELD est aussi de loin la plus longue. Pendant ses cinq premières années, elle n’a de cesse de bâtir des « ponts » (au sens du producteur Gary Hayes, 2006) avec les films, mettant en place des « migratory cues1 », des indices parfois subtils permettant au public de naviguer au gré du réseau (Ruppel 2012 : 62) constitué par la narration transmédia, laquelle disperse des éléments fictionnels sur plusieurs médias dans le but de « créer une expérience de divertissement unifiée et coordonnée » (Jenkins 2008 : 97-98). Un schisme se produit pourtant entre les saisons cinq (2018) et six (2019).
3Quand se termine la cinquième saison, en effet, un dernier « pont » est mis en place au milieu de l’épisode « Option Two » (S05E19), qui situe précisément ce dernier tiers de la saison comme se déroulant en même temps que les événements du film Avengers : Infinity War (Anthony et Joe Russo, 2018). Au terme d’Infinity War, le super-méchant Thanos récupère enfin les Six Pierres d’Infinité, enjeu majeur des trois premières « Phases » du MCU, et supprime 50% de la population de l’univers tout entier. Le film suivant de la saga, Avengers : Endgame (Anthony et Joe Russo, 2019), prend place après une ellipse de cinq ans, et résout le cliffhanger d’Infinity War grâce à une victoire des Avengers, lesquels restaurent la population de l’univers sans pour autant effacer ces cinq années connues sous le nom de « Blip ». Quelques mois après la sortie de Endgame, la sixième saison d’Agents of SHIELD s’ouvre sur la mention « One Year Later », soit un an après les événements de la saison 5, et donc, en plein durant le Blip ; pourtant, aucune mention ne sera jamais faite de celui-ci, et le monde fictionnel présenté par les deux dernières saisons d’Agents of SHIELD ne semble pas avoir été affecté par les actions de Thanos. Cette situation contradictoire ne sera jamais résolue dans la diégèse, ni vraiment éclaircie par les scénaristes ; elle souligne alors la relégation de la série, autrefois fer de lance de l’expansion transmédia du MCU, dans les limbes contrefactuelles.
4Jan-Noël Thon propose une solution à ce problème, à savoir considérer que les mondes « locaux » de la série et du reste du MCU sont cohérents avec eux-mêmes, mais contradictoires les uns avec les autres (Thon 2015 : 32), ce qui, du reste, est fréquent dans de nombreuses franchises transmédia beaucoup plus « déséquilibrées » (Mittell 2015 : 294) que dans la vision idéale de Jenkins, mobilisant une instance auctoriale dispersée, démultipliée, produisant des œuvres distinctes, hiérarchisées, plus ou moins canoniques, liées entre elles par des phénomènes principalement « inter-compositionnels » (Dena 2009 : 105-107). Ruppel le rappelle d’ailleurs, les « migratory cues », les « ponts » (au sens de Hayes) qui unissent les œuvres sont souvent unidirectionnels : une œuvre peut pointer vers une autre sans que cette dernière ne « renvoie l’ascenseur » (Ruppel 2012 : 48).
5Toutefois, il semble que l’incohérence qui émerge au gré d’une série autrefois érigée en parangon de l’expansion transmédia du MCU (McNamara 2014 ; Barr 2014 ; voir aussi Brinker 2017) trahit plus largement la dynamique de cet univers transmédia, fondée sur une mémoire sélective du matériau source mais aussi des expansions transmédias passées. Sa continuité a depuis longtemps atteint un seuil critique, avec, à l’heure actuelle, pas moins de 32 films, 20 séries, 13 courts métrages, plus de 80 comics tie-in ; empruntant aux séries narrativement complexes contemporaines, le MCU s’appuie sur (et se joue de) la mémoire des publics (Mittell 2010). Il peut dès lors sembler pertinent de creuser la nature des « incohérences » qui surgissent peu à peu au sein d’un des plus ambitieux univers transmédia pour mieux comprendre comment évolue son « intended structure » (Thon 2015 : 33), c’est-à-dire la structure que le public perçoit comme étant celle prévue par la ou les instances auctoriales, celle qui permettra de « faire sens » (l’anglicisme est volontaire) du monde fictionnel présenté au gré des œuvres.
6Pour ce faire, cet article empruntera à l’ambiguïté que le MCU cultive entre science et magie pour tisser quelques métaphores à même de guider l’analyse : nous décrirons le MCU en soulignant son modèle déséquilibré, ce qui nous amènera à considérer la résurrection des morts, la nécromancie, comme opération diégétique fortement réflexive ; nous terminerons sur une proposition relative à la cosmologie déployée aujourd’hui par cet univers tentaculaire.
- 2 Voir la contribution d’Anaïs Goudmand dans le présent dossier.
7La division en phases du MCU offre aujourd’hui des points de repères idéaux pour suivre l’évolution de sa structure2. La Phase 1, qui commence avec Iron Man (Jon Favreau, 2008) et se termine avec la réunion des Avengers (Joss Whedon, 2012), est marquée par le rachat de Marvel Entertainment par Disney. Le succès du film de Joss Whedon non seulement augure d’une Phase 2 (2013-2015) plus ambitieuse, mais voit aussi se développer la première des séries télévisées dérivées du MCU, Agents of SHIELD. Pourtant, déjà, le modèle qui s’impose petit à petit est « tangentiel » (Dena 2009 : 244), « satellitaire » (Saint-Gelais 2011 : 313) : le « vaisseau-mère » (Mittell 2015 : 295) se trouve être la série de films, autour de laquelle orbite tout le reste. Il est flagrant de constater que, dans le livre qu’il publie en 2015, Mittell considère Agents of SHIELD comme une « rare exception » plus « équilibrée » (294), plus proche du modèle idéal de Jenkins, ce qui reste encore aujourd’hui assez juste. Puisqu’elle est diffusée de septembre 2013 à mai 2014 sur le network ABC, la première saison de la série récupère le projet des antagonistes de Iron Man 3 (Shane Black, 2013) pour en faire une conspiration à plus grande échelle, et se permet de nombreuses apparitions de personnages des films, à commencer par Maria Hill (Cobie Smulders, S01E01, S01E20) et Nick Fury (Samuel L. Jackson, S01E02, S01E22), figures-clés du SHIELD dans les films centrés sur les Avengers. Quelques jours après la sortie de Thor : The Dark World (Alan Taylor, 2013), les agents enquêtent sur les retombées des événements du film dans « The Well » (S01E08) avant que, quelques mois plus tard, Lady Sif (Jaimie Alexander), personnage de soutien du dieu asgardien, ne fasse une apparition dans le S01E15.
8Le moment le plus remarquable de cette première saison reste toutefois celui qui intervient dans son dernier tiers. L’infiltration du SHIELD par Hydra, ennemi naturel de Captain America, est révélée dans The Winter Soldier (Anthony et Joe Russo) sorti dans les salles le 4 avril 2014 ; en parfaite synchronisation avec cette sortie, la série va évidemment approfondir la chute du SHIELD et ses conséquences sur les agents qui sont les protagonistes de la série. C’est là que se manifeste le « pouvoir des séries télévisées » (Esquenazi 2013) : cette capacité à immerger son public dans un monde fictionnel qui gagne en densité au gré de dizaines d’heures de visionnage, et se nourrit des points de vue variés de nombreux protagonistes. Événement ponctuel et riche en explosions du point de vue des films, la prise de contrôle par Hydra et la destruction de l’organisation SHIELD offrent à la série, dès « Turn, Turn, Turn » (S01E17, 8 avril 2014) l’occasion d’exploiter l’événement traumatique sur le long-terme, et surtout, la possibilité de reconfigurer en profondeur son « arène » au sens de John Truby (2010 : 159). Dans les saisons suivantes, les agents vont reconstruire l’organisation de zéro, sans le soutien officiel du gouvernement et avec des moyens limités, et Hydra deviendra l’ennemi tentaculaire contre lequel les protagonistes lutteront jusqu’à la fin de la série au gré d’une intrigue beaucoup plus feuilletonnante (et donc, plus exigeante pour le public qui doit suivre tous les épisodes). Agents of SHIELD continuera d’approfondir l’univers du MCU ou, tout du moins, le monde « local » (Thon op. cit.) ou « restreint » (Favard 2019 : 101) de la série : ainsi, par exemple, des conséquences des « Accords de Sokovie » (à peine mentionnés dans les films), qui obligent les super-héros à révéler leur identité, y compris certains des protagonistes.
9La « hype » (Gray 2010 : 49) générée par la première saison d’Agents of SHIELD retombe bientôt, à mesure que le modèle déséquilibré du MCU se cristallise pour devenir un système à « média-maître inaltérable » (Groupierre 2013 : 72), où l’unidirectionnalité des ponts établis entre les œuvres rend Agents of SHIELD incapable d’avoir une influence sur les films ; pire, les showrunners sont bridés, ne pouvant pas évoquer certains sujets (la magie, les androïdes, …) avant qu’ils n’aient été abordés dans les films (Vineyard 2020). Ce statut secondaire des séries télévisées se confirme au gré de la Phase 3 (2016-2019). Sur ABC, Agent Carter (Christopher Markus, Stephen McFeely, 2015-2016) se déroule plusieurs décennies dans le passé, mobilisant le personnage éponyme joué par Hayley Atwell dans les films sans risquer qu’elle ne croise des Avengers ; Inhumans (Scott Buck, 2017) est un échec annulé au cours de sa première saison. Les multiples séries diffusées sur Netflix possèdent, pour leur part, la particularité de se dérouler toutes à New York, sans toutefois montrer la Tour Stark, élément majeur de la skyline new-yorkaise des films. Cet oubli, qui laisse encore les fans perplexes, est volontaire, pour mieux ancrer ces œuvres dans un New York qui pourrait être le nôtre (Grebey 2017), donc un New York moins « saillant » au sens de Pavel (1988 : 76), alors qu’il s’agit de la même ville qui essuyait une invasion extraterrestre en 2012 dans Avengers, invasion dont les protagonistes de ces œuvres vivent les conséquences à long terme…
10Une hiérarchie s’impose, qui voit les séries produites par Marvel Television (pour ABC, Netflix, Hulu, Freeform) rester dans l’ombre du MCU, sans jamais pouvoir s’élever au rang des films. Il n’en va pas tout à fait de même pour les séries produites par Marvel Studios pour la plateforme Disney+. Leur durée relativement courte, d’une part, les rapproche du format minisérie, avec une seule saison comptant entre 6 et 9 épisodes. Leur diffusion est donc plus ponctuelle et elles ne sont pas écrites en flux tendu, tout en bénéficiant d’un budget accru qui les rapproche d’un film en termes de production value. Le format court des séries des Phases 4 (2021-2022) et 5 (2023-2024) les rend sans doute plus faciles à insérer dans le calendrier de production de plus en plus chargé du MCU, ce qui permet en retour une lecture plus linéaire de la nouvelle intrigue organisée autour du super-méchant Kang et du multivers.
11Kevin Feige, le producteur supervisant le MCU depuis ses débuts, utilise les « ponts » entre les œuvres comme argument de vente, valorisant par exemple la transition qui s’opère entre la série WandaVision (Jac Schaeffer, Disney+, 2021) et son prolongement, Doctor Strange : Multiverse of Madness (Sam Raimi, 2022) (Maas 2022). Feige, en réponse aux nombreuses critiques portant sur la qualité des séries Marvel, reconnaît toutefois que le MCU est encore en phase d’expérimentation quant au format de ces œuvres (Goggan 2023). Cette période trouble n’est pas étonnante au regard de la forte « hypergranularité » de nombreuses séries des plateformes de SVoD (Favard 2023) qui, malgré la conservation de certains effets de seuil, réduisent l’importance de l’épisode comme unité structurante au profit des scènes et de la saison, produisant des œuvres qui ont parfois un « ventre mou », une tension narrative qui retombe dans le milieu de saison. Ces critiques ne sont pas nouvelles puisqu’elles étaient déjà émises à l’encontre des séries Marvel diffusées sur Netflix (Sepinwall 2018). Au-delà d’enjeux formels, on remarque que de nombreuses séries comme Moon Knight (Jeremy Slater, 2022) ou Mrs Marvel (Bisha K. Ali, 2022) continuent de présenter des mondes « locaux » qui, s’ils font référence aux films, semblent encore très compartimentés et n’ont pas d’influence sur le « vaisseau-mère » à l’ombre duquel ils se déploient.
12L’exception notable est sans doute Loki (Michael Waldron, 2021-), qui, non contente de faire basculer l’univers du MCU d’une « cosmologie classique » (une seule ligne d’événements) à une « cosmologie plurielle » (une infinité de réalités parallèles) (Ryan 2010), a le mérite de présenter la première le super-méchant qui structurera l’intrigue des Phases 4 à 6. Ces deux événements sont simultanés et interviennent dans le dernier épisode, quand les protagonistes de la série, des « variants » ou versions alternatives du personnage de Loki, rencontrent Celui qui Demeure, le créateur de la Time Variance Authority, une organisation qui veille à effacer toutes les entités contrefactuelles pour ne conserver qu’une seule version des événements et éviter l’émergence d’un multivers. Le meurtre de Celui qui Demeure provoque la chute de la Time Variance Authority et l’éclatement de la timeline en d’infinies variations, ouvrant la Saga du Multivers (Phases 4 à 6). Ce meurtre à l’origine de la naissance des mondes a bien sûr une forte dimension symbolique, hérité des mythes de la création. Il ouvre aussi la porte à la « résurrection » de Celui qui Demeure par l’entremise de ses doubles, puisqu’il s’agissait en réalité du terrible Kang. Au risque de pousser trop loin la métaphore, il apparaît que ces morts et résurrections de personnages ont une valeur toute particulière dans le MCU, en ce qu’elles sont directement liées à la dynamique expansionniste de l’univers transmédia, et notamment à la compartimentation des mondes « locaux », ainsi qu’à sa dimension mémorielle.
- 3 Ce mystère sert aussi, on le devine, à faire « patienter » le public tandis que la première saison (...)
13Loki est ainsi à la « Saga du Multivers » ce que Agents of SHIELD était à la « Saga des Pierres d’Infinité » : le creuset d’une nouvelle dynamique transmédia pour le MCU. L’ironie du sort veut que Loki soit le meurtrier de l’agent Phil Coulson, protagoniste majeur du SHIELD ; et les points de connexion entre les deux séries mettent en lumière cet usage très réflexif de la « résurrection » des personnages. Diffusée dès 2013, Agents of SHIELD fait très directement suite au film Avengers (2012). Focalisée sur l’agence gouvernementale déjà mentionnée dans les précédents films de la saga, la série construit la promotion de sa première saison sur un coup de théâtre. L’agent Coulson, qui courtisait Tony Stark dans Iron Man et traquait le dieu Thor dans le film homonyme (Kenneth Branagh, 2011), est tué par Loki dans Avengers juste avant la Bataille de New York, qui voit l’équipe de super-héros assemblée par le SHIELD triompher d’une invasion extraterrestre. Or les premières bandes-annonces de la série montrent Coulson bien vivant après ces événements, générant ainsi une question majeure de l’intrigue à long-terme de la série (Favard 2019), un mystère qui structurera principalement l’arc narratif des deux premières saisons3.
14Il y a déjà là une particularité de la série : contrairement à d’autres univers transmédiatiques, ou même, plus simplement, à d’autres séries dérivées si l’on en reste au petit écran, Agents of SHIELD choisit de faire revenir un personnage d’entre les morts, une prouesse qui, si elle est expliquée plus tard dans la série, n’est jamais mentionnée dans les films : sur le grand écran, Coulson est toujours considéré comme mort par les Avengers. Sur le plan diégétique, le sacrifice de Coulson est la motivation majeure des Avengers ; sur le plan extradiégétique, les publics qui suivent les films et la série ne se recoupent pas totalement. La compartimentation liée à la résurrection et la dimension secondaire du personnage de Coulson dans les films renforce possiblement cette segmentation des publics, en même temps qu’elle participe d’un modèle transmédia fortement déséquilibré dès sa création.
15Huit ans plus tard est diffusée Loki, dans laquelle le protagoniste éponyme se retrouve dans une situation unique : puisque les Avengers voyagent dans le temps dans Endgame (2019) pour récupérer les fameuses Pierres d’Infinité, une tentative ratée en 2012, lors des événements du film Avengers, permet à Loki d’échapper aux forces de l’ordre après avoir été capturé à la suite de la Bataille de New York. Le problème vient de ce qu’il crée ainsi un paradoxe temporel, une nouvelle ligne narrative contrefactuelle à ce que racontaient jusque-là les films, qui voyaient le personnage ramené sur Asgard, puis, plus tard, tué des mains du super-méchant Thanos au début de Infinity War.
- 4 On note aussi, ce n'est sans doute pas un hasard, comment les deux séries partagent un même creuset (...)
16Phil Coulson et Loki sont donc deux personnages dont les séries dédiées débutent sur leur retour d’entre les morts4. De longues scènes de dialogues occupent près de la moitié du S01E01 de Loki, entre le protagoniste et l’agent Mobius de la Time Variance Authority, au cours desquelles Mobius montre à Loki la ligne d’événements « officielle » en organisant une séance de projection réflexive où les deux personnages regardent et commentent des scènes des précédents films, notamment Avengers et Infinity War. Le clou du spectacle, c’est bien sûr le moment où le variant Loki assiste à la mort de sa version « officielle » et comprend qu’il n’est plus qu’une copie coupée du monde (voir Fig. 1 et 2). Cette scène à forte dimension métatextuelle met en abyme la posture spectatorielle, et semble subvertir l’une des premières scènes de Agents of SHIELD, où la réaction de la nouvelle recrue, Ward, face à un Coulson bien vivant après la Bataille de New York, diégétisait déjà la réaction possible du public pour mieux insister sur le mystère entourant ce retour (voir Fig. 3 et 4).
[Figures 1 et 2] : Loki face au film de sa propre mort (Loki, S01E01)
[Figures 3 et 4] : Ward rappelle la « mort » de Coulson dans son debriefing avant de découvrir qu’il est en vie (Agents of SHIELD, S01E01)
17Cependant une autre scène du S01E01 de Loki s’avère tout aussi importante : celle où Mobius rappelle, images à l’appui, l’assassinat de Coulson par Loki (voir Fig. 5 et 6). Elle est déterminante sur plus d’un plan. Intradiégétiquement, Mobius se garde bien de révéler à Loki que Coulson a été sauvé (le sait-il seulement ?). Extradiégétiquement, on comprend qu’après huit ans passés à l’ignorer, révéler la résurrection de Coulson à un public qui n'a peut-être jamais vu Agents of SHIELD aurait généré de la confusion. Le MCU choisit sciemment d’omettre la résurrection de Coulson tout en rappelant sa mort, procédant ainsi à une gestion précise de ce dont doit se souvenir le public, et de ce qu’il est incité à oublier.
[Figures 5 et 6] Personnages et public assistent à une rétrospective des films du MCU, dont la mort de Coulson dans Avengers (Loki, S01E01)
18Loki ne semble guère mieux placé que Coulson dans la première saison de sa série dédiée : il est en effet isolé dans sa propre ligne narrative, oublié des autres personnages de l’univers car considéré comme mort. La fin de la première saison, et le meurtre de Celui qui Demeure, mais aussi l’inclusion d’une scène de la seconde saison après le générique du film Ant-Man and the Wasp : Quantumania (Peyton Reed, 2023), prouvent pourtant que le MCU présente Loki comme une œuvre fondamentale des Phases 4 à 6. Loki sort alors de l’ombre du MCU pour être érigée en tant que série dont les films se rappellent, et dont le public doit se rappeler pour comprendre l’intrigue de la Saga du Multivers.
19Colin B. Harvey soutient qu’il est possible de comprendre les dynamiques d’adaptation et d’extension des univers transmédia en se focalisant sur la notion de mémoire. Celle-ci est d’abord légale : pour Harvey, ce sont les éléments d’un « supra-monde » (en quelque sorte du canon d’un univers transmédia donné) qu’un « infra-monde » (une adaptation ou expansion particulière) va réemployer ou pas, suivant ce que les scénaristes souhaitent entreprendre, mais aussi, trop souvent, en raison de questions de droits (2015 : 186). C’est flagrant dans le MCU, qui, se nourrissant du canon élaboré par les comics de l’éditeur Marvel, choisit d’exploiter certains personnages, certaines lignes narratives, mais se trouve aussi parfois contraint d’oublier certaines portions majeures de l’univers Marvel.
20Par exemple, les X-Men, dont les droits d’adaptation au cinéma furent longtemps la propriété de la 21th Century Fox avant son rachat en 2019 par Disney, ne sont pas censés exister dans le MCU avant cette même date. L’arc narratif de la « guerre civile », exploité au cinéma dans Captain America : Civil War (Anthony et Joe Russo, 2016), se fait donc sans les X-Men, lesquels font cependant partie intégrante de l’équation dans les comics. De même, dans la première saison d’Agents of SHIELD, le scientifique Leopold Fitz clame que les « mutants n’existent pas », au grand dam, sans doute, des fans de Marvel, ce qui est d’autant plus ironique que la série utilisera les Inhumains (des humains dotés de pouvoirs) comme une alternative pour réemployer les lignes narratives propres aux mutants dans les comics (discriminations, inscription sur des listes, construction d’une communauté…).
21C’est ici que les « résurrections » de Phil Coulson et Loki trouvent un écho. Le MCU semble en effet mobiliser une forme de « nécromancie métatextuelle » pour structurer son univers transmédia, et ce, peut-être, dès ses débuts. Ainsi l’origin story d’Iron Man implique-t-elle la survie in extremis de Tony Stark, qui fabrique sa première armure à la fois pour échapper aux terroristes qui l’ont enlevé et pour empêcher un shrapnel d’atteindre son cœur ; le film se trouve aussi mettre en abyme la renaissance de l’acteur Robert Downey Jr. après une longue traversée du désert. C’est surtout la question de l’intégration des X-Men au MCU après le rachat de la 21th Century Fox en 2019 qui se manifeste aujourd’hui par le biais de ces résurrections réflexives. Un élément troublant fait ainsi surface dans WandaVision, lorsque le personnage de Pietro, le frère de Wanda tué dans Avengers : Age of Ultron (Joss Whedon, 2015), semble revenir à la vie. Cette fausse résurrection (il s’agit d’un imposteur) a cela de fascinant que l’acteur jouant Pietro n’est pas Aaron Taylor-Johnson (qui l’incarne dans le MCU) mais Evan Peters, qui prête ses traits au même personnage dans la version des films X-Men de la 21th Century Fox. L’espace d’un épisode, WandaVision donne à croire que les pouvoirs magiques de Wanda, qui ont déjà ressuscité son compagnon Vision, sont à même de ramener d’entre les morts au sein du MCU non seulement son frère, mais toute la franchise « X-Men ». Là encore, la surprise du public est diégétisée puisque des agents du SWORD, l’agence qui succède au SHIELD, commentent le retour de Pietro en l’observant sur un petit écran, et s’étonnent de ce « recast » (Fig. 7 à 10).
[Figures 7 à 10] Le champ/contre-champ entre Wanda et son « frère » Pietro redoublé par le raccord regard entre l’écran (de télévision, de surveillance) et l’astrophysicienne Darcy Lewis (WandaVision, « On a Very Special Episode… », S01E05).
22Au motif de la résurrection s’ajoute alors la figure du double (plus ou moins identique), qui se rattache à la dimension métasérielle du clone, « produit d’une production standardisée, condamné au recyclage » (Boillat 2022 : 21, nous traduisons). Les deux Pietro, les multiples « variants » de Loki, mais aussi, les résurrections suivantes de Coulson (il meurt en saison 5, se voit remplacé par un clone, puis un androïde) attestent de la dimension sérielle, cyclique, d’un univers transmédia lui aussi « condamné au recyclage ». Dans le même temps, ces personnages fonctionnent aussi comme les derniers « vestiges » d’une époque révolue : ils gardent en mémoire (et rappellent au public) les états passés d’un univers sériel au long cours qui a changé et les a oublié (Favard 2021).
23La dimension « vestigiale » des personnages est particulièrement prégnante si l’on en revient aux X-Men. Wanda, la nécromancienne du MCU, est aussi sa « machine à mondes » (Boillat 2022). C’est elle encore qui, dans Doctor Strange : Multiverse of Madness, tente cette fois-ci de ramener ses enfants à la vie, eux qui n’étaient qu’une production de son imagination dans WandaVision. Dans l’une des réalités parallèles présentées dans le film, Wanda rencontre, entre autres, le professeur Xavier (incarné par Sir Patrick Stewart, comme dans les premiers films X-Men des années 2000) et… le tue, pour mieux retarder, symboliquement, le retour annoncé des X-Men. Le choix de Stewart (plutôt que James McAvoy, qui incarne le personnage jeune dans les films des années 2010) permet à Doctor Strange : Multiverse of Madness d’exploiter la dimension « vestigiale » du Professeur Xavier pour lier ensemble des productions ayant plus de 20 ans d’écart.
24Deadpool 3 (Shawn Levy, 2024) se livrera lui aussi à cette nécromancie métatextuelle : le super-héros y côtoiera Wolverine, qui sera campé par Hugh Jackman, là encore comme dans les films des années 2000 et 2010 produits par la 21th. Ramener Wolverine – et, donc, un point de jonction majeur avec le reste des X-Men – semble là encore consister en une opération de nécromancie, au sens où le personnage, dans une continuité déjà troublée par des voyages dans le temps, est mort dans Logan (James Mangold, 2017). Il n’y a pas là d’incohérence fondamentale entre ces différents mondes « locaux », surtout que les Phases 4 à 6 du MCU autorisent l’usage de réalités parallèles pour opérer ce que l’on pourrait voir comme une forme rétroactive de transfictionnalité (Saint-Gelais 2011). Reste qu’il s’agit d’un retour d’entre les morts à la fois pour Wolverine et, métaphoriquement, pour Hugh Jackman, qui avait quelques années auparavant annoncé qu’il ne rempilerait plus dans le rôle.
- 5 Voir les contributions d’Anne Besson et Anaïs Goudmand au présent dossier.
25Si cette métaphore filée sur la magie, les ombres et la nécromancie peut sembler quelque peu artificielle, force est de constater qu’un autre sorcier, le Doctor Strange, est impliqué dans des événements qui semblent être la mise en récit la plus littérale des principes explorés par Colin B. Harvey (2015). Dans Spider-Man : No Way Home (John Watts, 2021), une fois son identité révélée au monde entier, Spider-Man, alias Peter Parker, demande l’aide de Strange afin que tout le monde l’oublie ; au lieu de quoi, ce sont les super-méchants des films produits par Sony avant le partenariat avec Disney qui investissent le MCU, bien vite suivis par les deux derniers Spider-Men, incarnés par Tobey Maguire et Andrew Garfield. Les choses sont d’autant plus compliquées pour l’actuel Spider-Man (Tom Holland) que les super-méchants en question sont morts dans leur réalité d’origine après avoir affronté les autres versions de l’Homme Araignée. Au plaisir du public de revoir les anciens Spider-Men des années 2000 et 2010 se conjugue la menace métatextuelle d’antagonistes de légende, ramenés à la vie, intradiégétiquement, par le sort de Strange, et extradiégétiquement par l’opération tout aussi ésotérique du partenariat entre Disney et Sony5. Ce faisant, c’est le MCU qui, là encore, se rappelle des films de la 21th pour les intégrer à son multivers fraîchement ouvert au début de la Phase 4 en ressuscitant des personnages qui sont les derniers vestiges d’une autre époque dans le perpétuel recyclage de Spider-Man. La démarche semble fonctionner à l’inverse d’une autre franchise majeure de Disney, Star Wars, au sein de laquelle un riche univers transmédia « étendu » s’est vu reléguer au rang de « Legends », de portion désormais non-canonique. Face à cette démarche soustractive, le MCU fonctionne actuellement sur un mode additif : il embrasse la multi-auctorialité typique des vastes franchises transmédia en employant l’astuce diégétique du multivers pour assimiler des œuvres produites avant l’établissement d’une structure transmédiale rigide. Néanmoins, ce mouvement expansif hors de ses frontières laisse intacte la question du statut trouble d’Agents of SHIELD.
26Pour mieux comprendre comment qualifier le fonctionnement de ces patchworks cosmologiques, il peut être utile d’en revenir à l’ellipse qui, trois ans avant la diffusion de Loki, pose les fondements de l’approche du multivers typique du MCU. Au milieu de l’épisode « Option Two » (S05E19) de la série Agents of SHIELD, la super-héroïne Quake rencontre Tony Caine, un allié de l’organisation. Lors de cette scène qui concerne principalement l’échange d’une technologie vitale pour la conclusion de l’arc narratif de la saison, Caine opère d’abord une rapide digression [dès 21’38’’] :
Caine : Have you seen all this weird stuff happening in New York?
- 6 Caine : Vous avez vu tous les trucs bizarres qui se passent à New York ? ; Quake : Je ne regarde pa (...)
Quake: I can’t watch the news, it makes me crazy.6
27Le fait que Quake change immédiatement de sujet n’a sans doute pas empêché les fans du MCU de savoir immédiatement qu’il s’agissait là d’un « pont » menant vers Avengers : Infinity War. Pourtant Agents of SHIELD opère ici ce qui s’apparente presque à une lettre d’adieu : la protagoniste majeure balaye la remarque de Caine pour recentrer le propos sur les enjeux de la série, comme si celle-ci devenait, le temps de cette scène, le centre du MCU. Le geste est là encore réflexif : Agents of SHIELD paraît déclarer son indépendance.
28La mention « One Year Later » qui ouvre la saison 6 n’a donc pas pour fonction de situer la série durant la période du Blip, et plus les épisodes passent, plus l’absence de toute mention d’une disparition de 50% de la population génère quelque chose qui tient du malaise diégétique. La série, connectée aux films pendant cinq saisons, n’est plus nulle part. C’est d’autant plus troublant que la saison 5 met en place une boucle temporelle durant laquelle les personnages, d’abord projetés dans un futur où la Terre a été détruite, se retrouvent ensuite dans le présent pour tenter de l’empêcher. De manière classique, leurs actions semblent pourtant amorcer les événements qui mèneront précisément à la destruction de la Terre. Cette vision éternaliste du temps, dans laquelle tout est déjà écrit (voir par exemple Garcia 2011 : 472), définit les modalités aléthiques (Doležel 1998 : 115) de la série depuis au moins la saison 3, et l’apparition d’un personnage, Charles Hinton, capable de prédire – sans faute – l’avenir (« Spacetime », S03E15). La perspective éternaliste est aussi au diapason des trois premières Phases du MCU, qui n’acceptent qu’une seule et même continuité, une seule ligne d’événements. C’est cette même contrainte qui se trouve diégétisée dans la série Loki sous la forme de la Time Variance Authority, qui empêche la création de réalités parallèles : tuer Celui qui demeure, c’est libérer le MCU d’une continuité linéaire pour autoriser mille et une variations, et démultiplier ainsi la sérialité de l’univers.
29Agents of SHIELD, qui construit l’intrigue de la saison 5 de manière téléologique, change aussi les règles dans le dernier épisode de la saison, diffusé après Infinity War mais avant Endgame : la Terre est sauvée in extremis. La saison 6 confirme alors que les actions des protagonistes ont créé une nouvelle branche temporelle, et le personnage de Deke Shaw est le premier à affirmer que cela confirme l’existence du multivers (là encore, le commentaire a une valeur métatextuelle). On pourrait considérer que sauver la Terre à la fin de la saison 5 constitue un point de divergence suffisant pour expliquer la disjonction qui se produit entre la série et le reste du MCU : le problème vient de ce que la ligne temporelle que les protagonistes tentaient d’effacer en saison 5 (où la Terre est détruite en 2018) n’est pas plus compatible avec les films du MCU que ne l’est la timeline de la saison 6, où les agents du SHIELD n’ont jamais subi les conséquences des actions génocidaire de Thanos. La saison 7, qui, par le biais du voyage dans le temps, crée une troisième ligne temporelle, n’est pas plus compatible avec les films ; pourtant, puisque le Royaume Quantique, qui donne accès au multivers, est mis en place dans le film Endgame, cette dernière saison peut enfin se permettre de l’utiliser.
30Jed Whedon et Maurissa Tancharoen expliquent s’en remettre à l’excuse du multivers pour expliquer cette incompatibilité, et confirment qu’une scène coupée au montage aurait dû expliquer comment les protagonistes ont échappé au Blip (Vineyard 2020). L’absence d’explication intradiégétique fait écho aux propos de Jan-Noël Thon, qui souligne que le public aura tendance à chercher d’abord des causes externes aux incohérences entre les mondes « locaux » d’un univers transmédia (2015 : 27-28) ; en l’occurrence, une fois passée la sortie de Endgame, on peut supposer que les fans attendaient un éclaircissement intradiégétique, mais comprenaient les raisons extradiégétiques de cette disjonction. En effet, les scénaristes et le casting de la série ne furent pas avares de critiques envers les contraintes imposées par Marvel, affirmant que la série était de longue date considérée comme un « mouton noir » malgré les promesses initiales d’interconnectivité (Baysinger 2020, Mitovich 2020).
31La disjonction qui se produit entre les saisons 5 et 6 n’est pas intradiégétique par nature ; elle est la conséquence d’un modèle déséquilibré à l’auctorialité dispersée. À ce titre, la situation incohérente de Agents of SHIELD au sein du MCU laisse à penser que sa relégation loin des films consiste en une descente vers les limbes. Nathalie Maroun décrivait la façon dont les scénaristes placent des personnages dans les « limbes » en les faisant quitter indéfiniment une série pour éventuellement s’en resservir plus tard (2009 : 267). On pourrait être tenté ici de penser qu’à l’échelle de l’univers transmédia tout entier, Agents of SHIELD ne se retrouve pas explicitement étiquetée comme une réalité parallèle à la continuité des films, mais plutôt comme une œuvre autrefois connectée au MCU et aujourd’hui mise en réserve du fait de sa contrefactualité.
32La différence est peut-être subtile, mais elle apparaît fondamentale. La série possède alors le même statut que d’autres adaptations mobilisant des personnages de l’éditeur Marvel hors MCU (par exemple, les adaptations des Fantastic Four/ 4 Fantastiques) : elle est oubliée, et ce jusqu’à ce que, peut-être, un jour, elle soit réactualisée, recyclée comme réalité parallèle clairement identifiée au sein d’un univers en perpétuelle expansion. C’est ici que les franchises Star Wars et Marvel se recoupent : si la première a principalement remanié sa structure de manière soustractive après le rachat par Disney, la seconde procède actuellement de manière additive ; toutefois, le MCU, de manière implicite, semble aussi avoir soustrait de son canon certaines séries des Phases 2 et 3. Star Wars et le MCU proposent, au niveau diégétique, des cosmologies variées : « classique » pour Star Wars, « classique » puis « plurielle » pour le MCU (Ryan 2010). Les deux franchises, désormais riches de plusieurs décennies de productions, fonctionnent aussi en exploitant une cosmologie des « limbes » qui n’a pas de valeur diégétique explicite, et fonctionne comme un palimpseste composé de matériaux autrefois actualisés dans l’univers transmédia (et qui peuvent toujours être recyclés). Ces « embranchements » de l’univers ne sont pas vraiment coupés de l’arbre des possibles narratifs, pas plus qu’ils n’y sont clairement rattachés, se retrouvant alors dans un état de superposition que ne renierait pas le chat de Schrödinger : à la fois canoniques et non-canoniques jusqu’à ce qu’une action des instances auctoriales ne décide clairement de leur sort. Ce qui caractérise le MCU, c’est finalement le double mouvement constitué par une expansion explicite (le rattachement aux précédents films Spider-Man, le retour des X-Men version 21th) et une soustraction implicite (le statut liminal de quelques séries des Phases 2 et 3, autrefois valorisées comme partie intégrante de cet univers).
- 7 Le but étant aussi d’offrir une fin possible à la série en cas de non-renouvellement.
- 8 Il renvoie aussi aux fréquentes morts et renaissances des personnages dans les comics d’origine, dé (...)
33Pour en revenir une dernière fois à Agents of SHIELD, le plus troublant est peut-être que la série acte sa libération des contraintes du MCU dans le dernier épisode de la saison 5, en tuant – une seconde fois – l’agent Coulson7… pour le ramener encore une fois d’entre les morts, sous la forme d’un doppelgänger (saison 6) puis d’un androïde (saison 7). Le « sacrifice » de son dernier lien avec le MCU semble alors tenir d’un rituel commun à d’autres œuvres du MCU8. Au gré de cette exploration des incohérences, des disjonctions et des mise en réseau des œuvres composant le MCU, il apparaît clairement que, malgré les promesses de Kevin Feige, le modèle déséquilibré qui primait durant les premières Phases continue de faire recette, quand bien même la « Saga du Multivers » semble chercher à équilibrer sa structure, laissant quelques séries sortir de l’ombre des films pour intégrer la chaîne causale de l’intrigue à long terme des Phases 4 à 6. Ces dernières semblent attachées à mettre en abyme les processus de jonction et de disjonction avec d’autres segments de l’univers Marvel par le biais de résurrections réflexives, une nécromancie métatextuelle fort à propos lorsqu’il s’agit de créer des mondes. Inévitablement, cette (re)construction perpétuelle occasionne des dégâts collatéraux, laissant sombrer dans les limbes contrefactuelles des œuvres autrefois fortement connectées au MCU. Il reste à voir comment cet univers transmédia perpétuera, ou pas, le difficile équilibre entre soustraction et addition au gré de son évolution future.
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