1Si nous voulons résumer la généalogie du jeu sérieux Urbax1, nous pouvons dire qu’au départ il y a, pour son auteur, une expérience de terrain de l’aménagement urbain dans une ville, puis un essai de lecture de cette réalité complexe à travers l’analyse systémique, pour en arriver finalement à un jeu de rôles à visée pédagogique.
2En France, la tradition accorde une importance primordiale à la planification spatiale, schémas de cohérence territoriale (SCOT) et plans locaux d’urbanisme (PLU) principalement, pour réguler le développement et l’évolution des tissus urbains. Mais la pratique révèle bien vite les limites de cette planification si elle n’est pas accompagnée par une implication active des collectivités locales dans le jeu des acteurs locaux.
3La planification spatiale ne suffit donc pas et elle peut même aboutir à des résultats contraires lorsque les acteurs adaptent leurs actions pour tirer parti des intentions affichées par les collectivités. Par exemple, les propriétaires et les professionnels font monter les prix des terrains dans les zones destinées à l’urbanisation, rendant ensuite les opérations impossibles à équilibrer financièrement.
4L’aménagement ne peut se comprendre que comme un système d’acteurs sur un espace donné. C’est à partir de ce constat, lors d’un premier poste d’urbaniste dans une ville moyenne, que j’ai entrepris un approfondissement méthodologique avec l’analyse systémique, en particulier l’analyse stratégique de Michel Crozier et Erhard Friedberg.
5Par la suite, quand il m’a été imparti de préparer des enseignements, d’abord en formation permanente puis en formation initiale, j’ai constaté que les cours magistraux et les présentations d’études de cas ne suffisent pas pour rendre compte de la dimension systémique de l’aménagement. D’où l’idée d’élaborer un jeu de rôles associant collectivités locales, opérateurs de l’immobilier et de l’aménagement, entrepreneurs et industriels, et agriculteurs. C’était aussi l’époque où la micro-informatique rendait le numérique accessible aux utilisateurs et aux concepteurs. Le numérique permet de développer une « simulation jouée », c’est-à-dire un processus dans lequel la simulation de l’aménagement est faite à la fois par les joueurs et par un modèle économétrique qui reproduit l’environnement spatial, économique et social dans lequel s’inscrit le jeu des acteurs locaux décisifs. Le modèle simule de manière probabiliste le comportement des acteurs trop nombreux pour être dans le jeu de rôles (habitants en tant que citoyens et acquéreurs de logements, petits propriétaires fonciers, entreprises de services et organisations non lucratives à l’origine des emplois indirects). Il simule également, mais de manière non probabiliste, les acteurs ayant un comportement relativement « mécaniste » et prévisible tels que les banquiers ou les évaluateurs fiscaux.
6Le logiciel est indépendant des études de cas réels qui servent à paramétrer des applications différentes selon les projets pédagogiques. Chaque application est donc l’occasion d’analyser empiriquement une situation locale réelle, ville, bourg ou quartier, mais toujours selon une grille systémique. Celle-ci s’est affinée et consolidée avec le temps, non seulement lors des applications Urbax mais à l’occasion de nombreuses interventions en études, conseils et recherches pour des collectivités territoriales et pour des administrations d’État.
7Ainsi, l’expérience de terrain, l’approfondissement de la méthode systémique appliquée à l’aménagement, et les versions successives d’Urbax se sont nourris mutuellement, apportant la matière d’une conceptualisation pour des ouvrages et des articles (Vilmin 1999, 2015).
8Avant d’en venir à la description du jeu sérieux Urbax lui-même, nous présenterons la conception théorique du système de l’aménagement urbain qui le sous-tend, puis nous aborderons la question de la modélisation à partir de cette conception systémique.
9Une société, un groupe humain, s’inscrit dans un espace. Une société citadine s’inscrit dans un espace urbanisé, c’est-à-dire, un espace doté d’infrastructures, d’équipements et d’espaces publics ou privés, de bâtiments abritant des logements ou des activités.
10Cette urbanisation « en dur » est le support du fonctionnement de la société urbaine, de ses multiples flux de matières, d’énergie, d’information, de monnaie. Elle est le support de son métabolisme d’être vivant, tout comme le squelette dans le corps humain. Dans cet article nous nous intéresserons à l’urbanisation « en dur », à sa production et à sa régulation par un sous-système du système plus global de la société urbaine, que nous dénommerons le système de l’aménagement urbain. Nous n’aborderons pas directement le fonctionnement de la société urbaine, sujet excessivement vaste, difficile à englober dans une seule perspective.
11L’urbanisation s’organise selon une trame de voies et d’espaces publics. Ce sont les « creux » sur lesquels vont s’accrocher les « pleins », c’est-à-dire, les constructions privées (logements, locaux d’activités) et publiques (abritant les services publics). Cette trame urbaine est partagée par tous les acteurs de la ville, ils en sont tous solidaires. Elle ne peut être laissée à l’initiative de chacun. Elle exige au contraire une coordination des parties prenantes. Cette coordination est effectuée par une instance que nous appellerons l’autorité locale, compétente pour les décisions locales d’urbanisme, qu’elle soit décentralisée (élue et légitimée par les citadins) ou déconcentrée (nommée par un pouvoir central).
12Un système vivant est, d’abord, un tout qui peut être isolé par la pensée de son environnement et dont les parties qui sont reliées dynamiquement, sont en interaction. L’ensemble de la structure du système se modifie lorsque l’on intervient sur l’état ou la position de l’un de ses composants.
13La seconde caractéristique d’un système vivant est l’existence d’un régulateur, c’est-à-dire, d’un centre de commande qui agit sur ses éléments pour maintenir la stabilité interne du système et pour l’adapter en permanence aux variations de son environnement. Le système tend à se conserver, à assurer sa survie. Démuni de ce désir vital, le système ne peut, par définition, exister durablement. Cependant, dans les écosystèmes naturels, à la différence des systèmes sociaux, le centre de commande n’est pas individualisé. Le système s’autorégule spontanément par l’équilibre de ses composants : si le nombre de prédateurs augmente, la population des proies diminue et, à son tour, celle des prédateurs se réduit par manque de nourriture. Le système urbain étant totalement dominé par une seule espèce vivante, l’homme, il ne peut s’autoréguler comme un écosystème. Il nécessite une régulation centralisée pour fonctionner et maintenir son existence.
14Dans un système complexe, le centre de commande n’est jamais sûr de parvenir du premier coup, par une action directe, au résultat escompté. Le dosage de l’action ne peut être qu’approximatif car le système est mouvant et incertain par sa complexité même. Les actions du régulateur produisent des effets latéraux (ou « pervers ») qui sont le résultat des nombreuses interactions. Ces effets latéraux non voulus au départ, souvent aléatoires et imprévisibles, doivent être corrigés à leur tour. Mais ces corrections risquent d’introduire de nouveaux effets pervers. Plus généralement, il n’existe pas de système parfait qui rendrait inutile la régulation, qui ne nécessiterait aucune correction de cap une fois institué. Nous sommes condamnés, y compris en aménagement urbain, à l’apprentissage par l’erreur et devons nous contenter de systèmes imparfaits et en perpétuel devenir.
15Dans un tel contexte, le centre de commande procède donc par une évaluation de l’écart entre l’effet obtenu et l’effet recherché et modifie son intervention jusqu’à se rapprocher le plus possible du but visé. Il agit par rétroaction. Pour opérer cette rétroaction, le régulateur doit impérativement obtenir de l’information sur l’état du système et son environnement. Il doit pouvoir identifier les effets de ses actions pour rectifier et ajuster celles-ci. Cette information en retour qui lui est indispensable est aussi ce que l’on appelle le « feed back ». Privé de cette information, le régulateur ne peut fonctionner correctement et, à terme, le système finit par disparaître, victime de l’entropie (c’est-à-dire, de la tendance naturelle des systèmes clos à se désagréger avec le temps).
- 2 Il conviendrait ici de distinguer entre les systèmes « compliqués » mais dont la connaissance exhau (...)
16L’aménagement urbain tel que nous l’avons défini comporte plusieurs dimensions : technique (le génie urbain, la construction), formelle (la composition urbaine, l’architecture), juridique (les procédures, le droit attaché aux parcelles de terrain), économique (les emplois), financière (les financements, les bilans), et aussi naturelle car pour les plantes et les animaux la ville est un écosystème. L’approche systémique nous aide à saisir simultanément ces différentes dimensions, à essayer d’envisager l’aménagement urbain dans sa globalité et non plus seulement selon l’angle particulier de chaque corporation de spécialistes. En effet, l’analyse systémique est une méthode qui convient pour décrire les phénomènes complexes avec de multiples éléments et interdépendances. Phénomènes complexes pour lesquels la méthode analytique et réductionniste de Descartes (« diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se pourrait et qu’il serait requis pour les mieux comprendre ») trouve vite ses limites en raison de la multiplicité des éléments à examiner avant de comprendre le tout et parce que le tout est toujours plus que la somme des parties (du fait des relations qui s’établissent entre les parties). Or, un système complexe peut toujours être décomposé en sous-systèmes plus simples. Si le contenu et l’organisation interne d’un sous-système sont provisoirement mal connus (ou sont indéterminés par nature2), il suffit de savoir quelle est la fonction de ce sous-système, ce qu’il admet en entrée (information, énergie ou matière) et ce qu’il produit en sortie. Ce concept de la « boîte noire » permet d’aller plus vite à la compréhension globale sans être arrêté par l’insuffisance temporaire ou définitive de l’analyse. Il permet de se situer au niveau optimal d’explication compte tenu des moyens d’investigation disponibles à un moment donné. Un système complexe peut ainsi être envisagé comme un agencement de « boîtes noires ». Si chacune de ces « boîtes noires » conserve sa part de mystère, du moins le système dans son entier devient-il plus intelligible.
17Par définition, la finalité d’un système vivant est d’assurer sa survie. Sans désir de vivre, le système ne se maintient pas longtemps face aux perturbations venues de son environnement.
18Pour assurer sa survie, le système essaye de maintenir sa stabilité morphologique et fonctionnelle en dépit des perturbations venues de son environnement extérieur (c’est ce que l’on appelle l’homéostasie). Mais cette aspiration à la stabilité ne signifie pas toujours que le système tend vers l’immobilisme, qu’il cherche à conserver toutes ses variables dans leur état initial. Dans certains cas, l’impératif de survie l’amène à se transformer profondément, à agir à la fois sur ses variables de « structure » (les aspects qualitatifs) et sur ses variables de « performance » (les aspects quantitatifs) pour s’adapter à son environnement.
19Un système urbain est régulé par un groupe social dominant, ou par une alliance de groupes sociaux. Ce groupe ou cette alliance tend naturellement à préserver et renforcer sa position de pouvoir et pour cela à conforter sa base sociale, c’est-à-dire, dans un système démocratique, le groupe des électeurs qui le soutiennent. Comme tout groupe humain, le système local tend vers sa reproduction.
20La régulation opérée par l’autorité locale porte notamment sur la taille de l’urbanisation, son extension dans l’espace ou en hauteur. En général, les agglomérations ne se sont pas opposées à la croissance de leurs activités économiques et de leur population. Mais des autorités locales peuvent adopter une attitude de prudence par rapport au développement urbain. Avec les plans d’urbanisme et les divers instruments juridiques dont elles disposent les autorités locales peuvent jouer sur de nombreux registres pour orienter leur développement urbain, ou pour le bloquer.
21Mais le groupe au pouvoir dans une ville ne peut pas créer directement sa base sociale si les habitants sont libres d’aller et venir. La ville est donc un système ouvert dont le devenir échappe en partie au pouvoir de son instance régulatrice (de son gouvernement). En particulier, les activités productives en économie de marché ne sont pas au pouvoir des gouvernements municipaux. Or elles sont à la base du développement ou du déclin des villes.
22À l’origine, ce sont les entreprises et les institutions privées et publiques créatrices d’emplois qui ont mis le système urbain en mouvement, assuré sa dynamique, déterminé sa croissance ou son déclin. À l’époque néolithique, la population tendait à se répartir de manière diffuse sur l’ensemble du territoire utilisable pour la culture et l’élevage. En améliorant leur rendement, les activités agricoles ont été en mesure de dégager un surplus pour l’échange. Ce surplus permettait alors de nourrir des hommes qui ne travaillaient plus dans l’agriculture mais qui exerçaient des activités politiques, religieuses, militaires, commerciales ou artisanales. Les villes se sont ainsi constituées par regroupement dans des centres d’échanges de ces activités non agricoles. En effet, ces activités non agricoles ont besoin les unes des autres et tendent à s’agglomérer en un point donné qui devient une ville. À l’époque industrielle ce phénomène s’est accéléré à mesure que l’activité agricole représentait une part décroissante du produit global et de la population active. C’est la création d’emplois dans les villes par ces institutions et entreprises non agricoles qui a attiré les populations venues des campagnes et ainsi déterminé la naissance puis la croissance des cités. Aujourd’hui, en sens inverse, le déclin de l’industrie dans certaines régions entraîne dans son sillage le déclin des villes.
23Emplois exportateurs et emplois domestiques
24Traditionnellement, le rôle des activités créatrices d’emplois dans l’extension des villes est éclairé par la théorie de la base économique. Selon la formulation initiale de cette théorie, le développement des activités « exportatrices », c’est-à-dire des activités qui produisent des biens et services pour des consommateurs extérieurs à la ville, est le facteur premier de la croissance urbaine. Ce sont les emplois « exportateurs » (appelés aussi emplois « directs ») qui constituent la « base économique » sur laquelle s’appuie le développement de la ville.
25À leur tour, les emplois exportateurs génèrent localement des emplois « domestiques » (appelés également « indirects » ou « induits ») qui travaillent à la satisfaction des besoins marchands et non marchands des habitants de la ville. Le nombre d’emplois domestiques est fonction du nombre d’emplois exportateurs.
26Une usine de fabrication d’ordinateurs crée des emplois exportateurs. Ceux-ci engendrent des emplois dans les commerces (le boulanger, le boucher, etc.), l’artisanat (l’électricien, le maçon, etc.), les services (le coiffeur, l’agent d’assurances, etc.) et les administrations locales (l’instituteur, le personnel de la mairie et des services sociaux…). Une caserne de soldats, une administration nationale ou régionale créent aussi des emplois directs dans la mesure où le service est rendu à des agents extérieurs à la ville. Ces emplois doivent être considérés comme basiques au même titre que les emplois de l’industrie.
27Les emplois générés par le tourisme sont aussi des emplois basiques. Les services touristiques ne sont pas exportés à proprement parler car les touristes viennent les consommer sur place mais ils n’en constituent pas moins des recettes dans la balance commerciale locale.
28Inversement, le départ d’emplois directs à la suite de la fermeture d’une usine, d’une caserne ou d’une administration entraîne la disparition d’emplois induits.
29Homer Hoyt, l’un des premiers tenants de la théorie de la base économique, estimait le rapport entre emplois directs et emplois induits de l’ordre de 1 (chaque emploi direct génère un emploi induit).
30Cette formulation initiale de la théorie de la base économique considère les emplois et non les revenus des habitants. Mais depuis plusieurs décennies, la relation de causalité entre activités exportatrices et urbanisation s’est distendue pour plusieurs types de raisons, notamment, l’accroissement de la mobilité et l’importance prise par les transferts dans les revenus des ménages.
31Des phénomènes comme la généralisation de l’automobile, l’amélioration des infrastructures routières, les trains à grande vitesse ont permis d’allonger considérablement les distances parcourues quotidiennement pour le travail ou pour d’autres usages. Les citadins peuvent ainsi habiter dans les territoires ruraux et, en sens inverse, les campagnards adopter des modes de vie urbains. La ville s’est diluée dans l’espace et il est parfois difficile de l’identifier dans de vastes aires urbaines aux polarités multiples. Cependant, les autorités locales en charge de l’aménagement urbain conservent des frontières administratives permanentes et nous pourrons toujours nous placer de leur point de vue même si le système urbain qu’elles sont censées réguler est devenu de plus en plus ouvert.
32La part des transferts dans les revenus des ménages n’a fait qu’augmenter avec les progrès du « welfare state ». Ces transferts correspondent aux prestations versées par l’État et les institutions publiques : pensions de retraite et d’invalidité, indemnisation des chômeurs, allocations familiales, minima sociaux, etc. Ces transferts publics peuvent être alimentés par des institutions internationales. Les transferts sont d’origine privée lorsque les actifs expatriés envoient une partie de leurs revenus du travail à leur famille restée au pays. Les revenus du capital s’ajoutent à ces transferts et lorsqu’ils sont suffisants, ils permettent à leurs bénéficiaires de vivre en dehors des zones d’emploi.
33Du point de vue de la théorie de la base économique, ces transferts ont les mêmes effets que les emplois exportateurs : ils génèrent une « économie résidentielle » créant localement des emplois qui peuvent être assimilés à des emplois induits. Certains territoires ont une base exportatrice très réduite et vivent principalement des transferts. Si le nombre de bénéficiaires de ces transferts augmente localement, l’urbanisation en est stimulée d’autant.
34Les créations d’emplois directs et induits ainsi que les augmentations des revenus locaux créent un appel d’air pour un apport migratoire venu de l’extérieur. Cet apport migratoire s’ajoute à la croissance naturelle de la population (l’excédent des naissances sur les décès). La croissance économique de la ville entraîne sa croissance démographique. Le phénomène joue aussi en sens opposé, la décroissance économique entraîne un déclin démographique. Mais il fonctionne dans ce sens opposé avec une plus grande inertie car les populations privées d’emplois cherchent d’abord à se maintenir sur place tout en vivant des allocations ou de leurs réserves.
35Ce phénomène joue aussi qualitativement. Des emplois de cadres attirent des classes moyennes ou supérieures. Des emplois d’exécution attirent des populations d’ouvriers et d’employés. À chaque base économique est associée une base sociodémographique.
36La croissance démographique a pour conséquence la création de logements et d’équipements publics et privés. Elle suscite un besoin d’aménagement ou de réaménagent urbain auquel l’autorité locale doit répondre.
37Même si le nombre d’emplois ne varie pas et si le solde migratoire reste nul, il existe toujours des besoins en logements qu’il faut satisfaire. Ces besoins viennent d’abord du solde naturel si les naissances sont supérieures aux décès. Mais ils proviennent aussi de la tendance des ménages à se desserrer, c’est-à-dire à occuper toujours davantage de surface de plancher par personne. Tendance qui est liée à la fois à la diminution de la taille des ménages (la décohabitation) mais aussi à l’augmentation du niveau de vie qui pousse à consommer toujours davantage d’espace. Enfin, le renouvellement du parc, c’est-à-dire, le remplacement des logements trop anciens ou inadaptés est également une source de besoin.
38En sens inverse, la transformation de résidences secondaires en résidences principales ou la diminution du nombre de logements vacants sont des moyens de répondre à la demande sans avoir à construire des logements nouveaux.
39L’augmentation de la population provoque également une demande d’équipements et de services auprès de l’autorité locale. Habitants et activités sont aussi des contribuables qui alimentent en recettes le budget de l’autorité locale et permettent de financer les équipements.
40Logements, locaux d’activités et équipements requièrent des terrains aménagés. Ils consomment de la ressource foncière.
41Enfin, la collectivité, pour mettre de l’ordre dans le développement de l’urbanisation, est amenée à instaurer des plans d’urbanisme et une réglementation de la construction.
42L’enchaînement des causalités se présente donc ainsi : Activités et Transferts -> Habitants -> Logements -> Foncier -> Équipements -> Plan d’urbanisme
43En fait, les causalités ne sont pas aussi simples, aussi linéaires. Elles sont en partie circulaires en ce sens que les éléments induits sont aussi, à leur tour, inducteurs. Par exemple, les entreprises avant de s’implanter examinent dans quelle mesure l’offre et le prix des logements permettront d’accueillir leur personnel. En effet, elles ne souhaitent pas investir directement dans la construction de logements ou augmenter les salaires de leurs employés pour faire face à des loyers localement trop élevés. Il existe donc, dans le système, une rétroaction du logement vers les activités.
44Les entreprises sont aussi sensibles au niveau d’équipement, à la possibilité de disposer de terrains aménagés et de locaux d’activité à des prix raisonnables. Elles prennent en considération le niveau de la fiscalité locale. Plus généralement, la rétroaction de l’urbain sur l’économique est aujourd’hui plus forte que du temps où la théorie de la base économique avait été formulée. Les services et la haute technologie sont plus dépendants d’une infrastructure urbaine préexistante que ne l’étaient les industries d’extraction et de transformation.
45La ville est un système ouvert sur l’extérieur, à la différence des systèmes clos qui fonctionnent en circuit fermé. Elle subit de fortes influences de son environnement naturel (pollutions de l’eau et de l’air, caprices du climat, catastrophes naturelles comme les inondations, etc.) et humain (actions de l’État, du département, de la région, des entreprises et autres acteurs socio-économiques nationaux ou multinationaux). Son gouvernement local, n’a prise que sur certains composants du système urbain. Une bonne partie des éléments clefs du système urbain lui échappent comme nous le verrons ci-après. Un système ouvert de ce type peut paraître plus fragile, à la merci des événements ou des décisions prises en dehors de lui. Mais son ouverture l’enrichit en informations et en possibilités d’actions, lui donne une plus ample « variété ». À l’inverse, un système clos, sans diversité interne et sans apport de variété externe, est exposé à disparaître si son environnement se modifie.
46Le degré d’ouverture du système urbain, c’est-à-dire, la maîtrise qu’en a l’autorité locale, varie selon les domaines. Pour apprécier ce degré d’ouverture nous pouvons décomposer le système urbain en six catégories d’éléments (ou sous-systèmes) en commençant par les plus concrets :
47 - le foncier, l’espace sur lequel s’inscrit la ville dans ses limites administratives et qui n’est pas seulement une donnée physique mais aussi la réalité sociologique de la propriété foncière (à quels groupes sociaux appartiennent les terrains ?) ;
48 - les équipements tels que les infrastructures (routes et voies ferrées, réseaux souterrains…) et les services publics (écoles, hôpitaux, centre sociaux ou culturels, bâtiments administratifs, installations sportives, espaces verts…) ;
49 - le bâti : habitations, bâtiments et installations pour la production ;
50 - les activités de production de biens et services qui prennent place sur le territoire de la ville et qui fournissent emplois et revenus ;
51 - la population de la ville avec ses particularités sociodémographiques : tranches d’âge, catégories socioprofessionnelles, attitudes et comportements, etc.;
52 - et enfin, les documents d’urbanisme et le droit des sols, c’est-à-dire les plans et les règles écrites applicables à l’aménagement et à la construction et qui sont sanctionnées par une juridiction.
53Sur chacun de ces six registres, les moyens d’action de l’autorité locale sont inégaux.
54Le foncier est un domaine privilégié d’intervention de la commune. Par sa proximité, elle a une bonne connaissance du foncier dans ses dimensions physiques et sociologiques. Elle dispose de prérogatives de puissance publique qui lui permettent d’acquérir des terrains contre la volonté des propriétaires (préemption, expropriation) ou encore d’obliger ces derniers à remembrer leurs parcelles. Elle peut ensuite remettre ces terrains sur le marché, éventuellement après les avoir équipés, afin de créer une offre et de peser sur les prix.
55Les équipements, infrastructures et services, sont aussi largement de la responsabilité de la commune qui peut mettre en œuvre les dispositifs financiers nécessaires pour en payer l’investissement et le fonctionnement. Selon les pays, elle dispose d’un pouvoir plus ou moins étendu de fixer le niveau des impôts locaux sur les ménages et sur les entreprises qui lui reviendront. Elle institue les redevances, taxes et participations qui lui sont dues à l’occasion d’actes comme la construction d’immeubles ou la viabilisation de terrains et leur raccordement aux réseaux publics.
56Pour le bâti, logements et locaux d’activités, la mairie doit compter davantage sur ses partenaires, entreprises, particuliers et administrations, que sur elle-même. Cependant, en produisant du terrain équipé ou en obtenant des financements aidés par l’État, elle est capable d’orienter la construction vers les catégories de logements qu’elle entend favoriser (comme, par exemple, le logement social).
57Les activités sont un champ où les décisions n’appartiennent pas vraiment à la mairie mais à des acteurs extérieurs qui raisonnent sur des échelles spatiales plus larges, régionales ou internationales. Si l’autorité locale ne peut créer directement les emplois productifs, du moins peut-elle encourager leur implantation en offrant des terrains équipés ou des locaux pour les entreprises et en développant les services dont celles-ci ont besoin.
58La mairie ne contrôle pas non plus sa population. Celle-ci est libre d’aller et venir, de s’installer ou de déménager. La commune peut seulement jouer indirectement sur l’offre de logements pour influencer le type de catégories socioprofessionnelles, modestes ou aisées, qu’elle souhaite attirer.
59Le droit local que la commune génère est essentiellement le droit des sols, celui qui détermine l’usage que les propriétaires peuvent faire de leurs terrains. Ce droit local est lui-même enserré dans un droit national qui limite ce que l’autorité locale peut mais elle n’en conserve pas moins une latitude importante pour déterminer la constructibilité attachée à chaque parcelle.
60En définitive, les domaines sur lesquels la commune à une prise directe sont ceux qui concernent l’aménagement de son espace : la gestion foncière, le plan et le droit des sols, les équipements publics et leur financement. Dans les autres domaines, activités, population, bâti, elle ne peut pas jouer aussi directement le rôle de régulateur. Elle doit coopérer avec d’autres centres de contrôle qui opèrent à des échelles géographiques différentes, comme l’État ou les entreprises. Mais à travers l’aménagement de son espace, la mairie agit indirectement sur les autres domaines car il y a interaction entre le contenant, le cadre physique équipé, et le contenu, la population, les logements et les activités. C’est en aménageant son espace que l’autorité locale prépare la construction ou la réhabilitation de tels ou tels types de logements et l’installation de telles ou telles activités qui vont conditionner les classes de populations des quartiers.
61L’analogie avec les systèmes cybernétiques pourrait, cependant, favoriser une vision mécaniste et déterministe de l’aménagement urbain, l’idée d’une machinerie dont le régulateur, la commune, n’aurait qu’à connaître les lois physiques d’évolution pour en maîtriser le devenir. Mais les choses ne sont pas si simples. La mairie n’est pas seule à jouer. Elle a en face d’elle d’autres acteurs, entrepreneurs, propriétaires fonciers, aménageurs et constructeurs, professionnels et intermédiaires, associations d’habitants, qui ont un poids décisif. Le comportement de ces acteurs n’est pas toujours prévisible. Les sociologues des organisations ont montré que dans tout système d’action organisé, les participants s’ingénient à accroître le domaine d’incertitude qu’ils contrôlent pour renforcer leur pouvoir vis-à-vis des autres parties prenantes. Les acteurs s’efforcent de déjouer les prévisions afin de pouvoir ensuite négocier cette incertitude au mieux de leurs intérêts. Pour parvenir à cette imprévisibilité, les acteurs utilisent la marge de jeu disponible entre, d’un côté, les ressources dont ils bénéficient et, de l’autre, les contraintes qui s’imposent à eux. L’aménagement urbain n’échappe pas à cette donnée des comportements des groupes et des individus. Les principaux acteurs conservent une latitude importante de ne pas se conformer aux attentes de la mairie. Les entreprises et les promoteurs ont la possibilité d’aller exercer leur activité dans un autre territoire. Les propriétaires fonciers ont le temps pour eux, plus que la mairie soumise à des échéances électorales. Ils peuvent choisir d’attendre. Les groupes d’habitants qui s’organisent dans un but particulier, par exemple, la défense de l’environnement, vont chercher à faire pression sur le régulateur pour obtenir une réorientation de son action vis-à-vis des autres acteurs de l’aménagement. À certains égards, ils font partie de ce régulateur.
62Mais tous les acteurs du système urbain dépendent les uns des autres. Les entreprises ont besoin de l’autorité locale pour leur fournir l’environnement de services et d’infrastructures qui leur est indispensable. Elles ont besoin des constructeurs pour loger leur personnel. Les promoteurs (aménageurs et constructeurs) attendent des propriétaires qu’ils leur cèdent les terrains supports et de la commune qu’elle réalise des équipements et leur donne l’autorisation d’utiliser le sol. Ils attendent des entreprises qu’elles procurent des revenus aux habitants afin que ceux-ci acquièrent des logements. À son tour, l’autorité locale dépend des autres acteurs : des entreprises et des ménages pour les impôts locaux, des promoteurs pour loger les habitants et les activités, des propriétaires pour porter financièrement les terrains.
63En raison de cette liberté des acteurs, de leur faculté de fabriquer de l’incertitude, le système de l’aménagement urbain est en partie indéterminé, à la différence d’un système mécanique. Malgré les exercices de planification et de programmation, ce qui advient n’est pas toujours conforme à ce qui avait été prévu à l’origine. À propos de la guerre, Clausewitz écrivait que le plan de bataille est nécessaire mais qu’il est caduc à l’instant même où s’engage le combat. L’aménagement urbain n’a pas la violence ni le rythme de la guerre mais il est un champ sur lequel des acteurs coopèrent et s’affrontent. Le plan d’aménagement urbain est tout aussi nécessaire que le plan de bataille. Mais l’expérience a montré qu’il ne faut pas se faire trop d’illusion sur la pérennité d’un schéma prévisionnel d’urbanisme car il est bien difficile de prévoir le comportement des acteurs. Doter le document d’urbanisme d’un caractère juridique ne suffit pas à s’assurer de sa réalisation. Mais ce constat d’indétermination ne veut pas dire que l’autorité locale est dépourvue de moyens d’agir. Le caractère aléatoire du système ne supprime pas les possibilités d’actions et de rétroactions. L’autorité locale bénéficie d’une capacité de structurer le jeu des autres acteurs par son action sur les trois leviers que sont le droit des sols, le financement des équipements et le foncier, même si sa liberté n’est pas totale dans ces trois domaines car elle est soumise aux lois de l’État et aux grands principes du droit qui deviennent autant de ressources que ses partenaires peuvent mobiliser contre elle.
Figure Le système urbain. Auteur : Thierry Vilmin.
64L’analyse du système urbain repose sur l’identification de six domaines, mis en mouvement par cinq catégories d’acteurs et de deux groupes d’interactions :
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Activités-Population-Logements : la création d’activités par les entreprises et les administrations ainsi que les revenus de transferts génèrent une pression migratoire et un afflux d’habitants. L’arrivée de ces habitants entraîne une demande de logements à laquelle répondent les promoteurs (aménageurs, développeurs). En retour, un parc de logements disponibles et la présence d’une main d’œuvre qualifiée parmi les habitants facilitent l’implantation des entreprises.
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Foncier-Equipements-Droit des sols : le droit des sols a un impact direct sur les prix du foncier. Les équipements (infrastructures) et les participations financières ont aussi un impact sur les prix du foncier. L’autorité locale peut agir directement sur ces trois domaines, foncier, équipements, droit des sols. En revanche, elle ne peut pas agir directement sur les trois autres domaines, activités et transferts, démographie, et bâti.
65La communication entre les deux groupes d’interactions se fait par le foncier et les équipements qui sont le support des logements et des activités. C’est par l’aménagement de son espace que l’autorité locale agit indirectement sur les variables du système urbain qui dépendent des autres acteurs.
- 3 « La théorie du système général », page 74.
66Rappelons avec Jean-Louis Le Moigne3 que « le système est un produit artificiel de l’esprit des hommes […] non pas pour expliquer mais pour représenter les objets que l’homme veut connaître ». Un modèle est une tentative de représentation d’un fragment de la réalité mais comme il n’est basé que sur des analogies fonctionnelles et morphologiques avec ce fragment, il ne peut prétendre en être une théorie explicative. Mais l’exercice de construction du modèle est susceptible d’en apporter une meilleure intelligibilité. Le modèle ne produit donc pas de preuve scientifique mais sa validité peut être appréciée, en simulation, par la comparaison de ses résultats avec la réalité observée.
67Un modèle reste donc une construction personnelle, une invention, du modélisateur et, à cet égard, il reflète les préoccupations de celui-ci, ses idées préconçues, ses intérêts matériels et psychologiques. Dans cet article, nous avons analysé l’aménagement urbain comme un système d’acteurs économiques et politiques (laissant de côté les acteurs sociaux ou culturels). C’est ce même projet intellectuel qui nous guide dans nos essais de réalisation d’un modèle. Ces essais rencontrent deux types de difficultés : à quel degré de détail descendre dans la reproduction de la réalité ; comment rendre compte du comportement des acteurs de l’aménagement.
68Un modèle d’une réalité aussi complexe que celle de l’aménagement urbain ne peut pas prétendre être isomorphe de cette réalité (dans un modèle isomorphe, à chaque élément de la réalité correspond un élément, et un seul, du modèle). À supposer que ce soit conceptuellement possible, les coûts de réalisation et d’utilisation seraient très élevés. Et un modèle qui serait aussi riche que la réalité décrite serait si lourd et touffu qu’il ne permettrait guère de donner une vue d’ensemble. Les arbres cacheraient la forêt. Dans la construction d’un modèle explicatif d’une réalité sociale, surtout si l’on veut utiliser ce modèle pour un projet pédagogique, une forte dose d’abstraction et de simplification est nécessaire. Le modèle ne peut être au mieux qu’homomorphe : à chaque élément du modèle correspond un élément au moins de la réalité mais la réciproque n’est pas vraie.
69La seconde difficulté est celle de la modélisation des acteurs de l’aménagement. Leurs comportements sont-ils tous reproductibles par des équations mathématiques ? Lorsque ces agents sont nombreux comme les habitants d’une ville, il est possible de s’en remettre à la loi des grands nombres (les comportements aberrants dans un sens ou dans un autre se compensent). C’est un comportement moyen qui est alors formalisé mathématiquement. Dans d’autres cas, les agents sont moins nombreux mais leur comportement professionnel obéit à un rôle prédéfini, à une rationalité qui peut être modélisée de manière plus ou moins mécanique : les banquiers, les juges de l’expropriation, les évaluateurs des services fiscaux, les créateurs d’emplois de service, etc. D’autres agents comme les propriétaires ont aussi une rationalité plus floue qui peut être décrite en termes probabilistes.
70Mais le problème de la modélisation se pose de manière plus aiguë si l’on veut représenter le comportement des grands acteurs peu nombreux qui ont un poids décisif dans l’évolution du système urbain. Ces grands acteurs ont une liberté de décision telle que l’on ne peut les enfermer dans la loi des grands nombres. Ils ont la faculté de se coaliser, de coopérer ou, au contraire, d’entrer en conflit. Ils peuvent aussi « déserter », c’est-à-dire, aller exercer leurs activités ailleurs.
71Par ailleurs, la rationalité de certains des grands acteurs qui interviennent dans le système urbain, comme les entreprises, doit aussi s’apprécier à l’échelle d’un territoire qui dépasse très largement les limites géographiques du système local. Ces grands acteurs opèrent sur des échelles régionale, nationale ou internationale. Il est impossible pour l’observateur du système local de saisir globalement cette rationalité. De sorte que les décisions de ces grands acteurs ne sont pas vraiment prévisibles pour un échelon local qui les subit sans les comprendre. Leurs stratégies échappent aux capacités cognitives du régulateur (l’autorité locale) dont la rationalité se trouve ainsi fortement limitée.
72Programmer un phénomène aléatoire comme le comportement des grands acteurs, même avec des marges de probabilité, c’est donc introduire artificiellement un déterminisme qui n’existe pas dans la réalité. Comment résoudre alors le problème si l’on veut simuler le système de l’aménagement urbain ? Une solution est de faire jouer les rôles principaux par des acteurs en chair et en os mis en situation de se projeter dans ces emplois, c’est-à-dire, en complétant le modèle par un jeu de rôles. La simulation devient ainsi une « simulation jouée ». C’est le parti que nous avons adopté pour le modèle « Urbax » (voir description ci-après), à la fois pour ces raisons conceptuelles mais aussi parce que la technique du jeu de rôles est efficace pour la formation. L’usage pédagogique apporte une utilité économique immédiate au modèle.
73Par définition, le modèle d’une réalité complexe ne peut fournir de prévision de l’évolution de celle-ci car certains de ses éléments sont par nature imprévisibles, tels les comportements des principaux acteurs, comme nous l’avons souligné, Ces acteurs sont aussi capables de récupérer les prévisions annoncées afin de les déjouer en fabriquant de nouvelles incertitudes.
74D’autre part, pour être considéré comme opérationnel, le modèle devrait avoir été validé et étalonné sur une situation urbaine réelle pendant plusieurs années. Mais toutes les situations urbaines sont différentes.
75Cependant, utilisée dans sur un contexte réel pré-opérationnel, la simulation permet d’explorer des scénarios, de manière prospective et non prédictive, en testant des stratégies d’acteurs. Elle permet aussi d’expérimenter des outils ponctuels d’aide à la décision sur un segment quantifiable et monétisable du système de l’aménagement urbain : bilans prévisionnels des aménageurs, des promoteurs et des investisseurs, programmation et répartition du coût des équipements publics… Elle permet aux protagonistes locaux de l’aménagement (élus, techniciens, citoyens) d’apprendre à parler le même langage et à développer une culture commune, favorisant ainsi l’action collective et la cohésion du groupe. Elle montre enfin que la ville se forme et évolue à la suite d’une multitude de décisions d’acteurs, dans une dialectique permanente entre planification et initiatives individuelles.
76Urbax est une simulation jouée de l’aménagement urbain conduite par un meneur de jeu et assistée par un programme informatique. Les joueurs simulent les rôles décisifs de l’aménagement urbain : collectivité locale, opérateurs (promoteurs, aménageurs, bailleurs sociaux), industriels, grands propriétaires (5 à 7 équipes regroupant 15 à 20 stagiaires au total).
77Les objectifs pédagogiques sont de trois ordres
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Comprendre les logiques propres et les stratégies des acteurs : collectivités locales, opérateurs publics et privés, industriels, propriétaires.
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Comprendre le système de l’aménagement urbain et ses interactions complexes.
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Savoir choisir et utiliser les outils d’aménagement et les méthodes en fonction du contexte (sans entrer toutefois dans le détail procédural de la mise en œuvre).
78Le module de simulation est conçu de manière à équilibrer réalisme, maniabilité et portabilité dans des situations nationales différentes. Il effectue donc une simplification nécessaire de la réalité afin de rendre celle-ci intelligible pour les stagiaires mis en situation dans des rôles actifs. Le modèle reprend la structure du système de l’aménagement urbain telle qu’elle est exposée ci-dessus. Les interactions principales suivent le schéma de causalités déjà vu :
79Activités -> Habitants -> Logements -> Foncier -> Équipements -> Plan d’urbanisme
80Mais le modèle comporte de nombreuses boucles de rétroaction (également décrites ci-dessus) qui font que tous les éléments du système sont en interaction, directe ou indirecte. Par exemple, l’offre de logements et d’aménités urbaines conditionne la structure socio-professionnelle qui conditionne à son tour le type d’activité susceptible de venir s’implanter dans la ville.
81Le produit pédagogique se compose du logiciel de simulation et d’une étude de cas inspirée d’un cas réel ou reconstruite de toute pièce pour les besoins de la pédagogie.
82Le logiciel simule le contexte urbain ainsi que les acteurs nombreux ayant des comportements déterminés ou probabilistes modélisables : habitants (électeurs), acquéreurs de logements, petits entrepreneurs et commerçants (activités induites), propriétaires fonciers et immobiliers, banquiers, évaluateurs fiscaux, juge de l’expropriation.
83Le logiciel effectue en outre les tâches suivantes :
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guider le déroulement séquentiel du jeu dans la durée en reproduisant la temporalité des étapes de l’aménagement urbain ;
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enregistrer les événements et tenir la comptabilité des équipes ;
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fournir à tout moment l’information sur l’état du système, en données alphanumériques et sous forme de cartes thématiques ;
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mettre à jour les indicateurs de développement durable selon les trois piliers : social, économique, environnemental (émissions de GES, notamment).
84Le jeu de rôles est mis en œuvre par des animateurs agréés ayant à la fois la culture de l’aménagement et l’aptitude à conduire une dynamique de groupe. Eux seuls manipulent le logiciel. Aucune connaissance informatique n’est requise des stagiaires.
85Cette étude de cas a été constituée de toute pièce pour simuler, sous un format maniable et simple, une ville de 8000 habitants comportant, sur un espace restreint, toutes les problématiques urbaines : centre ancien à réhabiliter, quartier péricentral à restructurer, secteur d’habitat social paupérisé, friches industrielles, zones agricoles.
86Les rôles comprennent, outre la mairie, le bailleur social et les trois promoteurs, deux industriels aux prises avec des enjeux urbains et des activités déclinantes et dont les interventions vont être décisives pour la régénération de cette ville fictive.
87Les moyens financiers de la mairie étant limités, elle devra tirer le meilleur parti de la coopération avec les acteurs privés, ces derniers ayant toujours la possibilité d’investir leurs ressources ailleurs si la politique urbaine locale ne leur convient pas.
88Cette étude de cas permet donc de travailler sur l’ensemble des interactions du système de la ville tel qu’il est décrit dans cet article. Elle est indépendante d’un contexte national donné et est utilisée, sans modification, dans des pays différents.
89Cette étude de cas est basée sur l’exemple d’une ville moyenne réelle dont un grand secteur très proche du centre doit faire l’objet d’un renouvellement urbain progressif car, aux côtés de friches industrielles, de nombreuses entreprises sont encore en place et continuent leurs activités même si leurs locaux sont obsolètes et insalubres.
90L’objectif de la mairie est cependant de renouveler en priorité ce secteur pour répondre à la demande de logements et de locaux sans consommer d’espaces agricoles.
91Une nouvelle zone d’activités doit être aménagée à l’ouest, à l’intérieur de la rocade. Elle pourra servir à reloger les activités existantes. Le but de la mairie est en effet de restructurer son vaste secteur péricentral tout en maintenant ou améliorant l’équilibre habitat emploi.
- 5 Étude de cas préparée avec le CAUE de l’Eure.
92Ce bourg de près de 1000 habitants, situé dans l’aire d’attraction d’une grande ville et desservi par un échangeur d’autoroute, s’est développé jusqu’ici de manière radiale, en diffus le long des voies existantes. Il comporte un noyau ancien de qualité et offre une large gamme de services. L’objectif du SCOT est donc d’en faire un pôle relais de cette région périurbaine et d’y produire une offre de logements et de services capable de fournir une alternative à l’urbanisation dispersée aux alentours dans les hameaux ou les petites communes rurales excentrées démunies de services et d’équipements.
93L’enjeu est de susciter des opérations d’ensemble greffées sur le tissu existant pour parvenir à un développement maillé et radioconcentrique assurant la transition ville campagne et le voisinage avec les activités agricoles. Il s’agit également d’assurer une répartition équitable des dépenses d’équipements publics par une négociation bien conduite entre propriétaires, opérateurs et collectivité locale afin de préserver les finances de celle-ci.
94Cette étude de cas a été construite à partir d’un projet réel d’éco-quartier ayant pour but de terminer l’extension d’une agglomération en raccrochant à la ville des amorces de mitage et en assurant la cohabitation de l’agriculture et de l’urbanisation. Il s’agit aussi d’assurer l’évolution d’une activité industrielle comportant un risque pour le voisinage et classée « Seveso ».
95L’objectif est de réaliser un éco-quartier cohérent face aux tendances centrifuges du marché foncier, d’assurer une mixité sociale mais aussi fonctionnelle en intégrant les activités économiques dans l’urbanisation nouvelle. L’accent est mis particulièrement sur les indicateurs de développement durable : bilan carbone des logements, des activités et des équipements ; intégration de la nature en ville, reconstitution d’écosystème, agriculture de proximité.
96Les rôles comprennent, outre la mairie et son bailleur social (aussi aménageur), un petit promoteur local, un promoteur régional, un groupe privé national, un industriel et un agriculteur. Ces rôles peuvent diversifier leurs interventions aussi bien dans l’immobilier que dans les activités économiques. Ils peuvent aussi choisir d’investir leurs ressources ailleurs si les projets de la mairie ne leur conviennent pas.
- 6 Étude de cas préparée avec le CAUE de l’Eure.
97Petite vallée en zone rurale mêlant métallurgie très ancienne mais fragile et activités agricoles et forestières. Après un lent déclin, la population a recommencé à augmenter mais il s’agit d’un périurbain « subi », en raison du très faible prix des lots à bâtir, non justifié par une croissance des emplois.
98Le jeu de rôles comprend cinq communes regroupées dans une structure de coopération. Tout en étant concurrentes sur certains enjeux comme la répartition des équipements (scolaires, sportifs et culturels) ou des logements nouveaux, elles sont solidaires pour redonner de l’attractivité et du dynamisme à leur territoire en utilisant cinq leviers :
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moderniser le tissu industriel, à la condition qu’il y ait une offre de logements et d’équipements adaptés à la demande d’une main d’œuvre plus qualifiée ;
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tirer parti de la biomasse (forêt, élevage) pour attirer des entreprises ayant besoin de chaleur et d’électricité en continu, et tendre vers un territoire à énergie positive tout en améliorant les revenus des agriculteurs par des diversifications à plus haute valeur ajoutée ;
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jouer la carte de l’économie résidentielle en équipant le territoire en infrastructure numérique et en espaces de cotravail, pour tenir compte de la présence de nombreuses résidences secondaires ;
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développer le tourisme environnemental et rural (la capitale est à 140 km) ;
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réanimer le tissu commercial local en restructurant l’offre et en faisant venir des commerces à destination des touristes et des résidents secondaires.
- 7 Étude de cas préparée avec le CEREMA.
99Cette étude de cas porte sur un territoire rural et périurbain intégré dans une région urbaine de plus d’un million d’habitants. Le jeu de rôles comprend quatre communes regroupées dans une structure de coopération.
100Ces communes partagent des enjeux collectifs, notamment :
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Assurer le développement sur place des industries existantes et en accueillir de nouvelles ;
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Conforter l’agriculture, qui gère les paysages, tout en apportant les suppléments de revenus nécessaires aux agriculteurs ;
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Tirer parti des atouts touristiques du territoire, en particulier du fleuve qui le borde ;
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Mettre en œuvre le Plan Climat Energie Territorial, avec un objectif de réduction des émissions de GES de 20% d’ici la fin du mandat ;
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Répondre à une demande de logement abordable tout en économisant l’espace ;
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Restructurer l’offre commerciale et faciliter le retour de commerces anomaux dans les centres-bourg réhabilités.
101Mais les communes doivent aussi faire entre elles des arbitrages pour répartir l’offre de logements nouveaux et pour rationaliser les équipements existants en supprimant les doublons. L’état des finances locales impose de réaliser des économies de fonctionnement tout en modernisant l’offre de service.
102Le challenge de la simulation jouée est donc de construire une gouvernance publique locale associant également des acteurs privés souvent mobiles et susceptibles d’aller investir ailleurs.