1Le recours à la représentation cartographique en ligne soulève des questions inédites sur le rôle de la cartographie dans les formes d’action publique urbaine contemporaine. Depuis les années 1990, avec la démocratisation du numérique, l’on assiste à un changement radical de paradigme : l’utilisation progressive des représentations spatiales (Debarbieux et Lardon, 2003) a donné à la cartographie un rôle de premier plan dans les processus de planification et de gestion territoriale, la reconnaissant comme un instrument de l’action publique (Lascoumes, 2007) capable de guider les stratégies de développement territorial par son pouvoir représentatif. D’une pratique de la représentation cartographique principalement informative et top down, car produite essentiellement par les acteurs institutionnels, est né progressivement un courant critique qui a engendré une pratique de la représentation cartographique collaborative (Joliveau et al., 2013 ; Noucher, 2017) où l’on assiste à la participation du public dans les processus de gestion territoriale (Mericskay et Roche, 2011). Ledit Web 2.0 (ou « Web participatif ») a permis aux utilisateurs, grâce à ses fonctionnalités interactives, de produire des informations par soi-même ou collectivement et de les partager publiquement (sans pour autant être informaticien ou cartographe). Cela a permis un engagement croissant du grand public dans l’interprétation et la création de « cartographies sans cartographes » (Palsky, 2010 : 49), qui se sont multipliées ainsi progressivement sur le réseau Internet.
2En France, où la concertation est obligatoire pour les grands projets d’intérêt public et a été généralement encouragée suite aux lois votées au début des années 2000 (Bacqué et Sintomer, 2011), l’utilisation de la carte à la fois comme outil politique et vecteur de participation a été manifeste. À Paris en particulier, depuis l'élection d’Anne Hidalgo à maire de Paris en 2014, la collectivité territoriale a fait preuve d'utilisation massive de plateformes numériques pour stimuler la participation de ses habitants, qui peut être interprété comme le signal d’un renouveau de la part de la gauche socialiste française, voulant s’afficher plus « participative » et « moderne » à travers l’emploi d’outils numériques interactifs. La cartographie en ligne a été souvent mobilisée au sein de ces plateformes participatives municipales : l’application Dans ma rue et le site du Budget Participatif sont les plus connus et utilisés par les citadins, et ils mobilisent la cartographie comme support principal pour la récolte et l’affichage des informations.
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3La production de données cartographiques semble devenir même une injonction, dont la raison est à rechercher certainement dans la plus grande accessibilité aux technologies numériques, mais aussi dans les processus de mimétisme entre grandes métropoles (Mény, 1993 ; Ratouis et Vallet, 2018). Plusieurs villes avant Paris ont activé des dispositifs de cartographie collaborative : San Francisco1, Glasgow2, Barcelone3… Cela entraîne des processus d’émulation, qui traduisent ces initiatives en best practices à diffuser, sans questionner le sens et les impacts qu’elles pourraient induire au sein de divers espaces urbains.
4Dans ce contexte, les politiques parisiennes en faveur de la végétalisation urbaine ont également fait l’objet d’une démarche participative soutenue par la représentation cartographique. D’une part, depuis 2015 la Mairie de Paris, comme d’autres métropoles, a lancé un dispositif de végétalisation urbaine participative (Ramos, 2018 ; Dechamps, 2021) : le Permis de végétaliser, qui a rencontré un large succès auprès de la population, autorise les habitants qui en font la demande à jardiner dans l’espace public près de chez soi. D’autre part, la plateforme Végétalisons Paris, lancée également par la collectivité en 2015, a été pensé pour recenser ces projets de végétalisation et pour rendre visible cet élan participatif souhaité : la cartographie collaborative en ligne permet de comptabiliser le nombre de projets existants sur Paris, incite les habitants à signaler leur projet de végétalisation, les autorise à demander de l’aide pour des actions de jardinage (dont l’arrosage), propose un espace dédié où pouvoir laisser des photos ou des commentaires sur l'avancement de chaque projet.
- 4 Nous faisons référence à la définition de citadinité donnée par Jean-Pierre Lévy et Michel Lussault (...)
5Cette contribution s’intéresse ainsi en particulier au processus de représentation cartographique qui a accompagné les démarches de végétalisation urbaine participative à Paris depuis 2015. Elle se concentre sur la relation entre la représentation cartographique et les pratiques citoyennes de végétalisation urbaine, afin d’interroger l’écart entre la cartographie comme outil politique et la végétalisation participative comme expérience complexe et collective de citadinité.4 Ce faisant, elle entend questionner la capacité de cette cartographie collaborative en ligne, telle qu’elle a été conçue, à restituer effectivement la complexité des dynamiques qui accompagnent la végétalisation urbaine participative, et s’il ne s’agissait pas, au fond, de chercher à cartographier des dynamiques urbaines incartographiables.
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- 6 L’observation participante induit l’immersion du chercheur sur les lieux de l'enquête, lui permetta (...)
6Pour cela, l’article se structure en deux parties, qui mettent en miroir la création de la plateforme au sein des services municipaux et les pratiques habitantes de végétalisation participative que l’outil numérique visait à accompagner. Tout d’abord, l’analyse de la façon dont la représentation cartographique est mobilisée pour accompagner les processus institutionnels de végétalisation urbaine à Paris est supportée par une enquête ethnographique menée au sein des bureaux de la collectivité territoriale. Ce travail d’enquête s’est appuyé d’une part sur neuf entretiens semi-directifs réalisés auprès des agents du Service Communication et Evénements (SCEV) de la Direction des Espaces Verts et de l'Environnement (DEVE), ayant en charge la gestion de la plateforme Végétalisons Paris.5 D’autre part, les données proviennent de six mois d’observation participante (de septembre 2017 à février 2018) dans les bureaux des agents publics au travail.6 L’enquête ethnographique nous a permis de suivre les débats internes à l’administration, les questionnements techniques, les valeurs et les objectifs politiques que la municipalité cherchait à véhiculer à travers la création de la plateforme Végétalisons Paris.
- 7 Les 80 permis de végétaliser ont été choisis selon deux critères : ils étaient tous recensés sur la (...)
- 8 Les échanges eus avec les citadins visaient à comprendre ce que n’émergeait pas de la végétalisatio (...)
7Dans un deuxième temps, l’article s’intéressera aux pratiques de végétalisation urbaine portées par les citadins que la plateforme visait à inciter ou à accompagner. Ces pratiques ont été relevées grâce à une année d’enquête ethnographique (2017-2018) conduite auprès des citadins menant des projets de végétalisation de l’espace public parisien. Parmi ceux-ci, 80 permis de végétaliser7 ont fait l’objet d'une enquête ethnographique plus approfondie, qui s’est servie d’échanges (non-directifs) et d’une série de questions (semi-directives) auprès des citadins.8 Bien que chaque projet ait sa propre histoire et ses caractéristiques diverses, le croisement des données issues de l’enquête nous a permis de dégager des lignes directrices, ainsi que des controverses majeures, qui caractérisent les pratiques de la végétation urbaine participative à Paris et qui nous ont permis de relever les limites de la représentation cartographique en ligne.
8En conclusion, seront soulèvés des questionnements liés aux usages effectifs de cette plateforme (tant du côté des habitants, que des services administratifs), qui conduiront à en expliciter les principales controverses.
9Dans le vaste champ des politiques de végétalisation urbaine mises en œuvre par la mairie de Paris, la cartographie conçue en tant qu’instrument de gouvernance (Lascoumes et Le Galès, 2005), remplit donc une fonction qui n’est pas neutre. En effet, elle répond au besoin de l’acteur public de repenser son rôle au sein des politiques en faveur de la nature en ville, qui voient des centaines de citadins-individus devenir les nouveaux référents, responsables et gestionnaires de la végétalisation urbaine. Si la municipalité a pu se désengager partiellement de la gestion des micro-espaces verts urbains, en revanche, le dilemme de savoir comment rendre visible ce qui a été entrepris par l’administration, sans perdre le contrôle sur les actions individuelles menées par les citadins, s’est imposé. En d’autres termes, bien que la gestion de la nature en ville fasse l’objet d’une délégation partielle auprès des citadins, la municipalité a sans cesse cherché à valoriser les résultats obtenus dans le cadre d’un discours municipal plus global.
10En 2014, au lendemain des élections municipales, la mairie de Paris annonce un objectif d’ampleur : le projet 100 hectares engage la collectivité dans la création de plusieurs hectares de nature dans un contexte urbain à forte densité. Pour atteindre cet objectif, une série de projets urbains de grande envergure sont annoncés et, en parallèle, la démarche de végétalisation urbaine participative est lancée à travers le dispositif du Permis de Végétaliser. Ce dernier incite désormais à la participation du citoyen-individu, sans l’intermédiation d’un acteur institutionnel de type collectif (de Biase et al., 2018) : ce faisant, il enclenche l'émergence d’une multitude de micro-projets de végétalisation dans l’espace public (du mur végétalisé au pot de fleur sur un trottoir). Des centaines de micro-projets apparaissent donc dans l’espace public parisien, mais leur nombre croissant, leur petite taille et leur gestion assurée par les citadins, les rendent initialement difficilement gouvernables. C’est dans ce cadre que la cartographie assume une valeur politique fondamentale, en tant qu’instrument capable de restituer de manière simple, et surtout quantifiable, cet ensemble de micro-actions, afin d’atteindre les 100 hectares de nature en ville promis aux citoyens. Ainsi, c’est précisément cette capacité intrinsèque de la représentation cartographique à rendre la réalité mesurable, synthétique et définie qui en fait un outil gouvernemental au service de l’action publique.
11La plateforme Végétalisons Paris, avec sa cartographie collaborative, naît de ce souhait de disposer d’un espace virtuel par lequel afficher, à travers un processus d’accumulation des micro-actions, l’engagement municipal en matière de meilleure qualité de vie en ville, de développement durable et de valorisation de la biodiversité urbaine. En particulier, outre le soutien des objectifs municipaux globaux, la plateforme a cherché à incarner l’œuvre individuelle de l’adjoint aux espaces verts de la mairie de Paris. En ce sens, la plateforme Végétalisons Paris confirme la montée en puissance des espaces numériques comme nouveaux espaces publics plébiscités pour la communication politique : elle signe le changement de direction municipale et se transforme même en instrument personnel de campagne politique.
- 9 2014 est l’année de démarrage du mandat politique du nouvel adjoint.
- 10 Les prénoms cités dans le texte sont une fantaisie des auteures pour en assurer l’anonymat.
12« C’est une manière de personnaliser le résultat. Elle [l’adjointe aux espaces verts de la mairie de Paris] veut montrer que tout ce qu’il y a à Paris c’est elle, que la végétalisation c’est elle et uniquement elle. Et tu vois, c’est aussi pour ça qu’on ne met pas sur ce site des choses qui ont été faites avant 2014.9 » (André10, employé de la mairie de Paris, 2018)
- 11 La charge de travail nécessaire au bon fonctionnement de la plateforme était jugée très significati (...)
13Le projet de la plateforme prévoyait initialement un copilotage entre la Direction des Systèmes d’Information et du Numérique (DSIN) pour ses compétences informatiques et la Direction des Espaces Verts et de l’Environnement (DEVE) pour son expertise en matière de nature en ville. Les compétences nécessaires à la gestion de la plateforme ont eu des implications sur l'accès des divers services municipaux à ses fonctionnalités et informations : la DSIN accédait à tous les contenus, tandis que la DEVE pouvait modifier et gérer que certain parties de la plateforme, notamment les aspect plus liés à la communication vers l'extérieur.11 Si cette double attribution peut sembler évidente, le processus d’attribution des responsabilités entre les services municipaux a subi plusieurs changements au fil du temps. Les directions concernées étant structurées en sous-départements, la gestion de la plateforme est passée d’un service à l’autre au sein de la DEVE. Ces transitions, aussi insignifiantes soient-elles en apparence, reflétaient en réalité les changements et les enjeux politiques que la plateforme et la cartographie collaborative en ligne cherchaient à véhiculer. Tandis qu’à l’origine, la gestion et le développement des contenus de la plateforme incombaient au service en charge du projet des 100 hectares, ils ont été transférés par la suite au Service Communication Espaces Verts (SCEV). Ce changement traduit la finalité politique dont l’outil numérique a été le vecteur : si, dans un premier temps, la plateforme et sa cartographie devaient servir uniquement à quantifier les superficies de nature en ville introduites à Paris depuis 2014, dans un second temps, la dimension participative, et plus encore communicationnelle, a pris le devant.
14« [...] à l’origine, [la plateforme] était pilotée par Marta, d’un autre service. [...] c’était juste pour compter tout ce que la ville avait fait pour les 100 hectares [de nature en ville], les 30 hectares [d’agriculture urbaine], donc c’était assez logique que le service en charge de l’objectif 100 hectares s’occupe de cette plateforme. Parce que c’était plus un outil de comptabilisation, ce n’était pas envisagé tout de suite comme un outil de communication [...], elle n’était pas au Service Communication. Et la dimension participative est arrivée plus tard. Ce n’était pas la première ambition de la plateforme. Au début, ils appelaient ça vraiment ‘le compteur’, c’est la raison pour laquelle le projet plateforme a été confié à un service opérationnel, et pas à un service communication. » (André, employé de la mairie de Paris, 2018)
15« La ville savait assez ce qu’elle voulait : il y avait un but de saisir des données, d’avoir des données… c’était à cheval entre des trucs collaboratifs et institutionnels. » (Guy, employé de la mairie de Paris, 2019)
- 12 La nature en ville est devenue une arène de compétition mondiale depuis la Convention de Bonn de 20 (...)
16La plateforme Végétalisons Paris met ainsi en scène une représentation politique qui se joue sur deux arènes (différentes, bien que connexes) : (1) une arène locale, destinée aux citadins, par laquelle la plateforme se présente comme un espace de participation et de co-conception pour une ville plus durable, où les habitants peuvent se confronter et partager leurs expériences avec le soutien de la municipalité ; (2) une arène internationale, destinée aux institutions, organisations et entreprises qui, depuis une décennie, ont transformé la nature en ville dans une arène de compétition urbaine à caractère mondial.12 Face à de tels enjeux de représentation politique, la quantification joue à la fois un rôle réducteur et catalyseur : elle résume la complexité des actions en un chiffre, en transformant plus de 1800 actions de végétalisation dans une quantité finie d’hectares, dont la mesure correspond davantage aux standards métropolitains ou internationaux qu’aux dynamiques locales.
17Comme il ressort des entretiens menés avec le Service Communication, les enjeux politiques liés à ce dispositif numérique étaient en réalité prépondérants depuis sa création, puisque la dimension participative, maintes fois affichée, a ensuite été fortement minorée, au point de n'avoir aucun poids dans les décisions concernant le développement de l’outil informatique.
18« […] le site a changé d’objectifs plein de fois [...]. Le moment où elle [l’adjointe aux espaces verts de la mairie de Paris] a eu l’idée de faire le site, elle pensait que ça roulerait tout seul, elle avait juste besoin de montrer ce qu’elle faisait, donc c’était juste un compteur. Puis au bout de quelques mois, elle était très inquiète, elle se disait ‘je ne vais jamais tenir mon objectif, je n’y arriverai jamais…’ Et elle s’est dit ‘je ne pourrai jamais faire 100 hectares toute seule, il va falloir qu’on compte ce que fait la ville mais aussi ce que font les gens’. Or, pour savoir ce que font les gens, il faut que les gens le déclarent. Alors elle s’est dit ‘cette plateforme […], le compteur, pourquoi pas la transformer pour que ça puisse aussi nous aider à compter ce que font les gens ?’. Donc là, c’est devenu participatif. C’était comme ça la motivation première… Et puis ben, c’est très long à développer, on développe toute cette partie participative, on essaie d’en faire une sorte de réseau social même, en disant ‘les gens vont échanger des petites annonces, on verra’ et puis le temps passe et puis finalement, elle est rassurée sur ses objectifs et elle se dit ‘je vais y arriver toute seule, on va faire 100 hectares, je n’ai pas besoin de la contribution des gens’. Ce qu’on voit, c’est qu’elle ne s’intéresse plus trop au participatif, mais elle ne nous dit pas d’arrêter... [...] Nous, on parle jamais avec elle, et ce que son cabinet nous a dit c’est qu’en fait régulièrement on devait faire des points avec eux pour régler des détails techniques [...] et on a remarqué qu’à chaque fois ils insistaient sur des points qui étaient [pour la] mise en valeur de la ville, et on a attiré leur attention sur des dysfonctionnements sur la dimension participative... Ils nous disaient ‘ce n’est pas grave’.” (André, employé de la mairie de Paris, 2018)
19Les fonctionnalités de la plateforme en ligne permettent en effet un nombre réduit d’actions de la part du citoyen : d’une part, il peut ajouter à la carte collaborative son propre projet de végétalisation, en déclarant uniquement la position, la superficie occupée (horizontalement et verticalement), le type de végétation (comestible ou non) ; d’autre part, il peut déclarer le souhait de recevoir l’aide d’autres citadins pour entretenir son permis de végétaliser (Figure 1).
Figure 1 - Page dédiée à la saisie des projets de végétalisation par les citadins. Source : https://vegetalisons.paris/ (page consultée le 18/09/20).
20L’objectif politique de « compter et faire compter les citoyens » a ainsi été atteint par le biais de la représentation cartographique utilisée dans le site. L’échelle adoptée confirme également le caractère politique incarné par l’outil informatique : bien qu’il soit possible de zoomer, la carte présente à l’utilisateur par défaut une vue aérienne de tout Paris, recouvert de nombreuses icônes représentant des feuilles, indiquant chacune un projet de végétalisation (Figure 2). Une telle représentation valorise davantage la quantité des projets, plutôt que leur localisation, leurs caractéristiques ou les acteurs mobilisés. Il faudra ensuite cliquer sur chaque icône pour obtenir des informations supplémentaires de chaque projet de végétalisation.
Figure 2 - La carte des projets de végétalisation sur la plateforme Végétalisons Paris. Source : https://vegetalisons.paris/ (page consultée le 18/09/20).
21Parmi les 1704 projets de végétalisation cartographiés en 2020, plus de la moitié ont été saisis par les services municipaux de la mairie de Paris. André, agent public, nous raconte la trajectoire de la stratégie de communication au sein de la municipalité : tandis que, initialement, l’idée était de permettre à la plateforme de se remplir progressivement par les projets renseignés par les citadins, dans un deuxième temps, l’impératif politique de montrer les résultats atteints a amené les équipes municipales à ajouter tous les projets déjà existants et réalisés également par la municipalité. Ce choix, de fait, a réduit l’élan participatif de la démarche, en contredisant les usages qui caractérisent une cartographie en ligne qui se voudrait collaborative.
22« Au début, [...] les Parisiens n’ont pas renseigné leurs projets. C’est normal, [...] quand on voit une carte qui est remplie, ça n’incite pas à participer. Le Parisien, il se dit ‘ben tout est déjà fait !’ Donc nous, notre stratégie, c’était de faire une montée en puissance, progressive : on met d’abord des projets dans tous les arrondissements, et puis toutes les semaines, on en met un peu plus, comme ça ça donne envie aux gens beaucoup plus de revenir, de voir des nouveautés, et ça leur donne envie à eux d’ajouter leurs petites choses [...]. Même si aujourd’hui, on a très peu de participation, on a quand même deux projets par semaine : si toutes les semaines il y a deux projets des Parisiens et dix projets de la ville, il y a quand même une montée en puissance ! C’était ça notre stratégie, et elle [l’adjointe aux espaces verts de la mairie de Paris] a dit ‘bah non, surtout pas, moi je veux que tous les projets de la ville viennent au début’... » (André, employé de la mairie de Paris, 2018)
23Le système de classification des projets proposé par la plateforme confirme également l’imposition d’un récit politique qui a accompagné les processus de végétalisation urbaine. Chaque projet renseigné devait nécessairement être accompagné d’un ou plusieurs tags (des étiquettes numériques), qui faisaient référence aux différents programmes politiques de végétalisation mises en place par l’équipe municipale. Cela exclut, de fait, la possibilité de valoriser les actions citadines qui sortent du cadre institutionnel et qui contribuent au projet plus global de végétaliser Paris.
24« [...] les Parisiens, ils s’en foutent de savoir si c’est dans l'opération 30 hectares, dans l’opération 100 hectares. Ils s’en foutent. Ce qu’ils veulent, c’est que ça soit de la végétalisation. Ça, cette classification, n’intéresse que certains journalistes, peut-être, mais surtout la mairie, quoi. » (Christelle, employée de la mairie de Paris, 2018)
- 13 De janvier à octobre 2018, le nombre de visiteurs sur la plateforme a été de 366 en moyenne par sem (...)
25Dans leur ensemble, ces processus de communication politique et de représentation cartographique en ligne ont affaibli la valeur participative initialement imaginée pour l’outil informatique et souhaitée par les services techniques, comme souligné à plusieurs reprises par les fonctionnaires publics lors des entretiens et comme le montrent les statistiques d’utilisation de la plateforme13 qui concernent l’année 2018. La plateforme Végétalisons Paris, et sa cartographie collaborative, sont ainsi utilisées avant tout comme une vitrine de l’action municipale.
26« Notre chef a demandé qu’on reprenne de manière précise les objectifs de la plateforme, en disant : ‘dites-nous, pour vous à quoi ça sert cette plateforme ? Est-ce que c’est une vitrine ?’ » (André, employé de la mairie de Paris, 2018)
27Afin de mieux comprendre les limites et les atouts de la représentation cartographique proposée par la municipalité, principalement orientée en faveur de la communication politique et mettant en second plan la participation en ligne des citadins, l’équipe de recherche a été conduite à enquêter sur le phénomène lui-même qui a été cartographié. Cela nous a incité à suivre de près les micro-projets de végétalisation urbaine participative, nous rapprochant des habitants qui en étaient à l’origine.
- 14 Un exemple, ce sont les actions de végétalisation portées par le mouvement Les Incroyables Comestib (...)
28L’enquête de terrain menée auprès des habitants nous a montré un foisonnement significatif de micro-actions de végétalisation urbaine dans l’espace public parisien. Aux côtés de diverses actions de végétalisation urbaine non supporté par des initiatives institutionnelles (de type guerilla gardening14) et les projets urbains plus ambitieux (notamment en matière d’agriculture urbaine), les micro-projets accompagnés d’un permis de végétaliser (Figure 3 et 4) ont été les plus remarquables dans le processus de végétalisation de la capitale, à la fois du point de vue médiatique (en raison de l’action promotionnelle des pouvoirs publics locaux, décrite plus haut), à la fois selon le vécu intense et significatif dont les habitants ont déclaré avoir fait l’expérience. Étant l’un des dispositifs les plus recensés sur la plateforme Végétalisons Paris, nous avons décidé d'observer et d'analyser davantage la vie de ces permis de végétaliser et leur relation avec la cartographie participative municipale.
Figure 3 et 4. Deux permis de végétaliser à Paris. Source : Photographies réalisées par les étudiants de l’ENSA Paris La Villette, cours d’Anthropologie urbaine, © LAA, 2017.
- 15 Pdv est l'abréviation de « permis de végétaliser ». La numérotation des 80 permis de végétaliser an (...)
- 16 Les pieds d’arbres sont les espaces les plus fréquemment choisis par les citadins pour demander un (...)
29Déposer un permis de végétaliser signifie pour les habitants devenir responsable d’un petit « bout de ville » : « L’arbre en lui-même ne nous appartient pas, mais la surface du pied de l’arbre nous appartient et donc on est vraiment responsable de celui-ci ! » (pdv-5815) affirmait un habitant jardinant sur son permis de végétaliser. Une fois l’espace ciblé16, il fallait demander à la mairie le permis de le végétaliser par le biais d’un service numérique municipal dédié. Une organisation « en mode projet » se met ainsi en place : le citadin choisit les plantes, la disposition des cultures, la décoration qui les accompagne, les acteurs qu’il pourrait mobiliser pour mener à bien son projet… Ce faisant, il porte à la fois des considérations pratiques sur la faisabilité de son projet de végétalisation (son emplacement, son appréciation par le voisinage, le coût et le matériel nécessaire), mais aussi un regard plus large sur les autres projets portés par d’autres citadins (les cultures qui caractérisent la ville et son quartier, la capacité du projet à perdurer et à évoluer dans le temps). Témoignant d’un engagement à la fois social, environnemental, économique et esthétique, voire même technique pour ce qui relève de la gestion de projet, le permis de végétaliser devient le support d’un micro-projet de transformation urbaine.
30« On est quand même des gens qui en général sont impliqués, qui ont envie d’avoir une nouvelle vision de la ville. Il y en a une qui travaille dans l’alimentation par exemple, des choses comme ça... Des gens qui se sont déjà posés des questions, quoi. » (pdv-48)
31« Pour décrire ce projet, je dirais que c’est un projet social et pédago-ludique, qui crée des liens, mais aussi un projet, de mon point de vue, qui change un peu le monde [...]. On verdit la ville, et du coup le monde. » (pdv-50)
32Bien que la plupart des permis de végétaliser soient demandés par un citadin-individu, nous avons observé des réseaux d’acteurs significatifs qui participent à leur entretien, si on le compare à la micro-échelle spatiale qu’ils occupent. Outre une attention aux vols des plantes ou aux dégradations des décorations, ces petits espaces verts demandent un entretien hebdomadaire important : Janine nous raconte qu’elle s’occupe régulièrement du pied d’arbre dont elle est responsable environ deux fois par semaine et que l’arrosage est l’une des tâches les plus dures à effectuer (en raison du manque de point d’eau à proximité). C’est pourquoi elle demande régulièrement l’aide de son mari et de sa fille.
33Tandis que la participation à un projet de végétalisation se fait souvent par des liens de parenté ou de voisinage, d’autres habitants déclarent la construction de réseaux d’entraide qui dépassent la sphère familiale ou immédiatement proche, et qui touchent aux échelles du quartier, de l’arrondissement, de la ville. Outre les associations, les commerces de proximité sont par exemple nombreux à s’être engagés dans la demande d’un permis de végétaliser. Disposant d’une entrée en rez-de-chaussée ouverte vers l'extérieur, les commerçants ont largement participé à ce dispositif municipal pour « verdir » leur « coin de rue », cherchant ainsi à attirer plus de clientèle. D’autres commerçants, qui ne sont pas directement responsables d’un permis de végétaliser, ont tout de même largement contribué aux projets de leur voisinage, en devenant des personnes-ressources fondamentales pour les citadins, notamment pour aider à l’arrosage.
34« [le permis de végétaliser] ça permettait d’apporter une touche de verdure et plus chaleureuse au restaurant. C’était aussi une décision stratégique on peut dire, pour attirer plus de clients, qui sont de plus en plus à la recherche d’un petit coin de verdure à Paris. En plus de ça, je trouvais l’idée vraiment intéressante, de pouvoir contribuer à la végétalisation de Paris. » (pdv-40)
35Initiés autour d’un besoin d’aide matérielle (de bulbes, terreau, eau, outils), ces réseaux d’acteurs deviennent progressivement des groupes avec qui partager un moment de loisir, de sociabilité et d’échange de conseils. Bien que ces pratiques ne trouvèrent pas de place symbolique, ni de support organisationnel, sur la cartographie collaborative proposée sur la plateforme Végétalisons Paris, certains habitants ont néanmoins essayé d’utiliser l’outil avec ces finalités, tout en montrant les limites qui les poussaient ainsi à se tourner vers d’autres dispositifs numériques. Ainsi, nous avons progressivement interrogé les citadins sur les canaux de communication par lesquels s’articulaient les diverses interactions autour d’un micro-projet de nature en ville. Plusieurs habitants ont déclaré avoir des pratiques de communication intenses autour de leur projet de végétalisation, et cela à l’intérieur d’un cercle de connaissances plus ou moins restreint. A l’exception de quelques personnes fermement opposées ou d’autres mal à l’aise face à l’usage des dispositifs numériques, les responsables des permis de végétaliser ont mobilisé divers outils pour accompagner l’avancement de leur projet. Nous avons pu diviser ces actions en trois grandes catégories, selon les objectifs déclarés les plus récurrents : (1) se raconter, (2) consolider des réseaux sociaux, (3) s’organiser.
36Montrer l’avancement de leurs projets est l’une des activités qui a fortement mobilisé les citadins. Nombreux sont ceux qui annoncent fièrement prendre des photographies de leur projet. Certains les gardent pour eux, d’autres les diffusent par des mails privés à un cercle restreint, d’autres encore par les réseaux sociaux à un public plus large (c’est notamment le cas des commerçants). Ici, le but consiste à témoigner de l’évolution du projet, mais aussi à garder une mémoire de leur action ou à valoriser les gestes accomplis.
37« J’aime voir et montrer comment mes petites plantes ont évolué depuis que je les ai plantées, et voir à quel point cela fleurit bien. D’ailleurs je mets de temps en temps des photos sur la page Facebook du restaurant ou sur le compte Instagram. » (pdv-40)
38« Ce sont des gens du quartier qui passent et qui disent que c’est bien ce que l’on fait, ils demandent comment nous en sommes arrivées là, comment faire, c’est quoi les démarches, est-ce qu’on peut planter des choses, comment pouvons-nous aider [...]. À chaque fois, je prends leurs adresses mail et ça fait un petit groupe auquel j’envoie l’histoire [du permis de végétaliser]. » (pdv-58)
39Bien que la plateforme Végétalisons Paris permet de partager les projets de végétalisation sur d’autres canaux de communication (Facebook, Twitter et par mail) et d’ajouter les informations supplémentaires de chaque permis (fichiers ou photographies) (Figure 5), en revanche elle ne permet pas aux citadins de disposer d’une page personnalisée. Cela donne à la cartographie collaborative une certaine rigueur : en cliquant sur un point de la carte, on peut visualiser une « fiche projet » technique et standard qui laisse peu d’espace et de possibilité de personnalisation aux usagers de la plateforme. Par conséquent, hormis quelques rares exceptions, les habitants déclarent passer par d’autres canaux de communication afin de valoriser leurs projets : réseaux sociaux, mailing lists, blogs et même des sites Internet personnels. La végétalisation devient ainsi le support d’autres interactions en dehors du jardinage : raconter une histoire de soi par la nature en est une.
Figure 5. Des habitants ont mis sur la plateforme des photos avec les plantes qu’ils ont cultivées. Source : https://vegetalisons.paris/ (page consultée le 05/08/20).
40La construction d’espaces de socialisation entre personnes engagées dans la végétalisation urbaine a également été observée. Entreprendre la demande d’un permis de végétaliser est perçu par certains comme la possibilité d’accéder « à une communauté, à une grande famille » (pdv-2) avec laquelle échanger des conseils pratiques autour du jardinage, mais également à l’intérieur de laquelle faire émerger de nouveaux liens sociaux.
41« Le permis [de végétaliser] c’est super, ça m’a ancré dans une dynamique en fait, ça m’a permis de connaître les évènements, d’aller là-bas, de savoir ce qui se passait autour, et de ne pas se sentir seul, quoi ! Moi j’agis, mais après je m’en sers surtout comme d’un point-ressource. » (pdv-44)
42« Aussitôt qu’on jardine, les gens s’arrêtent, il vous causent, ils trouvent ça formidable. C’est bien pour les rapports humains. Je jardine, et dans les dix minutes qui suivent je cause avec plein de gens : des passants, des familles, les commerçants de la boutique d’en face. » (pdv-43)
43Ces interactions sociales se consolident via les outils de communication ayant des fonctionnalités interactives : là aussi, la cartographie collaborative municipale ne propose pas de fonctionnalités de communication instantanées, ou simplement collectives. Si elle permet d’entrer en contact avec la personne responsable d’un permis de végétaliser au travers d’un service de messagerie, il est nécessaire de disposer d’un compte numérique municipal pour pouvoir y accéder. En outre, si cela permet d’écrire au détenteur du permis, il faut passer par d’autres canaux pour que la communication soit partagée entre plusieurs personnes. Ainsi, les habitants déclarent utiliser plutôt des messages téléphoniques, mais surtout les outils proposant des chats et des fils de discussion en commun (Facebook, Instagram ou Twitter) pour rester en contact avec la « communauté » à laquelle ils se sentent appartenir.
44La cartographie collaborative propose une seule fonctionnalité plus interactive de mise en réseau entre les usagers de la plateforme : l’abonnement à un projet. La fonction d’abonnement permet aux citadins de « suivre » un permis de végétaliser, mais cela concerne uniquement l’organisation nécessaire pour l’arrosage des plantes. En effet, l’arrosage est l’une des tâches du jardinage la plus compliquée à assurer par les responsables d’un permis de végétaliser. Elle demande une présence constante, notamment pendant les mois les plus chauds de l’année.
45« L’arrosage, on m’avait prévenu, c’est le plus compliqué : tu peux voir qu’il n’y a pas de fontaine à proximité ou d’accès à l’eau. Donc je dois venir avec l’eau que je prends de chez moi et que je transporte jusqu’ici. Je sais qu’il y a des possibilités d’arrosage avec la mairie, j’ai vu ça, mais ça a l’air un peu compliqué, donc je m’en occupe. » (pdv-42)
46La municipalité a ainsi cherché à donner un support technique à ces usages par le biais de la cartographie collaborative : après des discussions internes sur une possible application mobile externe à la plateforme, des arbitrages politiques et économiques ont conduit à l’intégration d’une nouvelle fonctionnalité sur la cartographie existante. En s’abonnant aux projets, il est possible de recevoir des notifications : l’on pourra ainsi visualiser sur la carte les permis ayant besoin d’arrosage (affiché par un logo d’une couleur différente) (Figure 2) et notifier les autres utilisateurs une fois l’arrosage effectué (en cliquant sur le bouton dédié « je viens d’arroser ») (Figure 6).
47Bien que quelques citadins interrogés déclarent utiliser la plateforme pour la fonction d’aide à l’arrosage, cependant sur les 80 permis de végétaliser suivis la plupart déclarent passer par des réseaux personnels et de proximité ou par d’autres outils numériques (Facebook, Google Drive, Whatsup, Slack, Asana, Ulule). En effet, outre à l’arrosage, d’autres tâches impliquent les citadins : il est courant de s’échanger des conseils, de s’entraider dans le jardinage, de se prêter du matériel.
- 17 L’un des freins majeurs à la mise en place d’outils numériques municipaux interactifs réside dans l (...)
48Si l’enjeu de l’arrosage a été une opportunité intéressante pour faire évoluer la cartographie collaborative, lui permettant de soutenir effectivement l’une des pratiques citadines de végétalisation et donc d’être plus approprié par les habitants, les limites techniques et politiques liées aux outils numériques municipaux17 en ont arrêté l’élan.
Figure 6. Chaque fiche projet renseigne l’état d’arrosage des plantes. Source : https://vegetalisons.paris/ (page consultée le 05/08/20).
49Les végétalisation urbaine participative cache ainsi une riche et complexe articulation d’acteurs et de pratiques individuelles et collectives. Ces interactions et ces gestes, exceptionnels et quotidiens, ne trouvent pas de support sur la cartographie collaborative, qui traduit surtout un regard à grande échelle et qui s’appuie sur une logique de comptage et de mise en catalogue des projets, servant peu aux porteurs des micro-projets que nous avons rencontrés sur le terrain. En contrepartie, ils utilisent une panoplie d’autres outils (Labelle, 2007) non municipaux, qu’ils soient numériques ou non, et qui viennent en support à la gestion de leurs micro-projets de nature en ville.
50« Chaque époque cultive un tropisme cartographique et chaque époque sécrète de l’incartographiable, une réserve réfractaire à l’appréhension. » (Roelens, 2018 : 7)
51Le double terrain d’enquête que nous avons présenté nous a permis de questionner la représentation cartographique institutionnelle en ligne, à la fois du point de vue de ceux qui la conçoivent (l’acteur public) et de ceux qui la reçoivent (les citadins). En insistant sur l’écart entre ce qui est représenté et ce qui est vécu, la cartographie en ligne proposée par l’acteur public n’arrive pas à dépasser la simple mise à disposition d’informations et se montre incapable de proposer des processus collectifs de gestion et d’aménagement de l’espace urbain. En effet, elle ne restitue pas la complexité et la richesse des pratiques habitantes, alors qu’elles sont le véritable moteur des processus de végétalisation urbaine. La quantification des résultats de la démarche à des fins politiques est privilégiée, comme c’est souvent le cas (Joliveau, 2001), par rapport à la valorisation des pratiques et des interactions entre humains et non humains. Dans ce sens, la représentation cartographique numérique des processus de végétalisation urbaine souffre de limites similaires à celles qui émergent de l’analyse des outils statistiques : la quantification traduit des compromis politiques, finissant par produire une réalité différente de celle qu’elle entend quantifier (Desrosièrs, 2010) et par faire émerger une seule et unique vision et régulation possibles entre les sphères politique et sociale (Lascoumes, 2007).
52Or, la cartographie collaborative proposée sur la plateforme Végétalisons Paris semble ne répondre ni aux attentes des habitants, qui se saisissent d’autres outils numériques pour la gestion de leurs projets, ni aux besoin des services administratifs, qui n’arrivent pas à l’utiliser comme un outil de travail en appui à la gestion des espaces verts. Proposer une vitrine pour l’action publique municipale peut bien relever d’une stratégie politique ciblée et assumée, néanmoins nous pouvons nous questionner sur certaines controverses qui émergent de l’usage institutionnel de la représentation cartographique.
53La pratique cartographique appliquée à la végétalisation urbaine nous a montré tout d’abord une fausse représentation du phénomène. La cartographie à grande échelle montre un Paris « rempli de vert », alors que sur le terrain les projets de végétalisation sont souvent un petit bac, un pot de fleur, un mur avec des plantes grimpantes. Entretemps, la complexité des processus qui caractérisent les projets de végétalisation urbaine (faits d’une gestion de projet difficile, un besoin constant d’entraide dans certaines tâches, de nouveaux réseaux sociaux qui recomposent un sentiment de voisinage et de citadinité) semble devenir incartographiable, étant réfractaire à une appréhension qui voudrait la figer à travers une carte qui, pour dynamique qu’elle soit, sera toujours plus statique par rapport à la réalité sociale qu’elle entend représenter. Autrement dit, un poids représentatif trop grand est accordé aux micro-projets de nature en ville par rapport à leur taille réelle et, inversement, la richesse des interactions sociales et économiques qui les sous-tendent n’est pas valorisée (provoquant ainsi une sorte de « fallacie représentative »).
54L’enquête fait émerger également un thème qu'il serait intéressant d'explorer davantage à l’avenir : l’écart entre la capacité des plateformes numériques à produire une grande quantité de données et l’absence d’un usage effectif des ces dernières. Les seules données exploitées par la municipalité sont les superficies, le nombre absolu de projets, le nombre d’accès (par authentification) et les visites sur la plateforme (sans authentification), les abonnements aux projets. Aucune exploitation n’est faite des données sur les motivations qui amènent les citadins à végétaliser, les temporalités des pratiques de jardinage, les essences, les typologies de plantations ou les réseaux d’acteurs. Certes, l’exploitation de ces données, si qualitatives et changeantes, ne serait pas une tâche simple : l’enquête nous démontre que les processus de végétalisation participatifs ne sont pas constants et peuvent évoluer rapidement. Les motivations de ces changements peuvent être complexes et incontrôlables, comme le déménagement d’une personne, le manque de moyens pour l’entretien, les temps que les acteurs ont à disposition, les conflits entre riverains, etc. En outre, les citadins ne voient toutefois pas un intérêt direct dans la mise à jour des données qui les concernent, limitant donc la faisabilité d’une telle perspective. Cela grandit l’écart entre réalité physique et réalité numérique de la végétalisation urbaine, un écart qui questionne, encore une fois, la pertinence d’un outil cartographique pour leur accompagnement.