1Le secteur logistique se définit par un ensemble d’activités contribuant à « la circulation des produits et à la coordination de l’offre et de la demande dans la création d’utilité par la mise à disposition de marchandises en un lieu et à un moment donné » (Heskett, 1976). La logistique occupe une fonction centrale dans le système productif postfordiste en assurant une intermédiation périproductive et en reliant dans l’espace et le temps les différents segments des systèmes productifs et distributifs (Hesse & Rodrigue, 2006). Elle joue dès lors un rôle essentiel dans l’organisation spatialisée des marchés et constitue un facteur d’attractivité (Masson & Petiot, 2012).
2Une revue des différents outils au service du secteur logistique et théories met en relief que l’innovation en logistique peut être de trois natures (Torre & Wallet, 2017). Elle est dite technique lorsqu’elle concerne des motorisations, modes de transports, modes de construction des entrepôts, énergies, systèmes embarqués (robots, lecteurs optiques) et des logiciels (ERP : entreprise ressource planning, WMS : warehouse management systems, TMS : transport management systems). L’innovation logistique impliquant le numérique est comprise comme une innovation de cette nature. Elle est dite organisationnelle lorsqu’elle concerne des modes de coordination des acteurs de la logistique (Le Van Suu & Masson, 2019). Enfin, elle est dite sociale (Cloutier, 2003; Richez-Battesti et al., 2012) lorsque l’innovation répond à un besoin social ou territorial. C’est le cas, par exemple, du développement de solutions de signalétique dans les entrepôts pour permettre de travailler dans le secteur logistique à des publics en situation de handicap. Ces trois types d’innovations ne sont pas exclusifs : les dimensions sociales, techniques et organisationnelles sont en interaction. Le cluster logistique est un dispositif d’innovation organisationnelle, mais vise à stimuler l’innovation technique et sociale.
- 1 Selon les données INSEE en 2018, le taux de marge des activités de transports et d’entreposage s’ét (...)
3L’automatisation et la digitalisation constituent des vecteurs de changements de pratiques, nécessitant de nouvelles formations et qualifications. Dans un secteur dont les marges restent modérées1, ces pratiques sont supposées restaurer la compétitivité des entreprises. En Occitanie, l’amélioration de la performance logistique grâce au numérique est définie comme axe de réflexion par différents documents stratégiques (Occitanie Numérique, ambitions et solutions pour la logistique agroalimentaire et en montagne) ainsi que par les membres du cluster We4LOG. Ce cluster est une association constituée de professionnels de la logistique, de collectivités et d’organismes de formation. Son mode de gouvernance et de financement est mixte : les décisions et les fonds viennent à la fois des collectivités (principalement la Région Occitanie et le Département des Pyrénées-Orientales) et des membres adhérents (privés et publics). Le Cluster We4LOG est une structure permettant la coordination et l’intermédiation territoriale. Cette dernière « doit être entendue et comprise comme une forme d’organisation “institutionnelle” du local, où le territoire en tant que produit de constructions sociales, sert de révélation, de concrétisation à des comportements et des processus d’acteurs, non systématiquement formalisés d’ailleurs ou attendus » (Nadou, 2013, p. 3). Le cluster constitue un dispositif expérimental, qui peut servir de support à la circulation des représentations, connaissances et savoirs au sein des parties prenantes de la logistique. À ce titre, l’évaluation des retombées économiques, sociales et environnementales d’un tel dispositif reste difficile.
4La production d’un discours sur l’innovation et le numérique dans le secteur logistique sera ici analysée comme une composante du marketing territorial, défini comme « un processus itératif et piloté de transformation accélérée du territoire visant à accroître l’attractivité et l’hospitalité de ce dernier en vue de poursuivre un développement territorial harmonieux aux yeux de l’ensemble des parties prenantes. » (Chamard & Schlenker, 2017). Le marketing territorial concerne les représentations et non une réalité quantifiable en dehors des discours. Bien que ce soit un de ses objectifs, la mise en place d’une politique de marketing territorial n’implique pas de développement territorial (qui est cependant éventuellement observable à travers différents indicateurs). Le marketing territorial, en diffusant une image contrôlée, produit des représentations d’un territoire. L’hypothèse principale concerne la politique de marketing territorial mise en place par la Région sur le secteur logistique au travers du cluster We4LOG. Celle-ci modifierait l’interface entre secteur logistique et territoire (Masson & Petiot, 2013) par la production d’un discours spécifique sur l’innovation, qui met en valeur les innovations techniques et un territoire « accueillant » pour des entreprises logistiques. Le discours ne correspond que très partiellement aux réalisations effectives du cluster, qui concernent la mise ne place d’un réseau d’acteurs et de partenaires qui produisent une réflexion sur les évolutions souhaitables du secteur (innovations organisationnelles et réseaux d’acteurs).
5Le principal but du cluster étudié est de créer de la proximité organisée, c’est-à-dire une capacité d’interaction entre et au sein des fonctionnaires territoriaux et chefs d’entreprises du secteur. Le marketing territorial autour du cluster se décline à deux niveaux : pour attirer de nouveaux membres au sein du cluster (ce qui modifie nécessairement la proximité organisée) et pour rendre le secteur logistique en Région plus attractif (ce qui peut nécessiter la construction d’une proximité organisée). L’analyse textométrique vise à quantifier la proximité organisée (Rallet & Torre, 2007), au travers d’une mesure de la similarité des discours au sein du cluster et celles qui sont véhiculées par le marketing territorial à l’échelle de la Région Occitanie. En effet, la construction d’une proximité organisée entre acteurs de la logistique est une condition nécessaire (mais pas suffisante) à la circulation des innovations en matière de numérique au sein du dispositif étudié. À l’inverse, une proximité organisée trop importante rendrait difficile l’inclusion de nouvelles idées et concepts. L’inclusion d’acteurs connexes permettrait d’impulser des dynamiques d’innovation au sein du cluster logistique. Entre la logique d’inclusion de nouveaux acteurs et celle de construction d’un monde lexical en commun, il s’agit de trouver un équilibre au sein de la structure. L’écart entre le discours et les réalisations portées par les acteurs pourrait s’expliquer par des visions divergentes de ce qu’est la logistique, secteur assez vaste qui inclut des activités aussi variées que le transport combiné et la livraison du dernier kilomètre, avec de forts enjeux environnementaux. Dans ce contexte, l’économie des proximités constitue le lien entre la méthodologie retenue et le cadre théorique, c’est-à-dire entre textométrie et marketing territorial. Dans une première partie, un historique du cluster logistique montrera comment la thématique numérique pourrait être mieux prise en compte dans la stratégie régionale de marketing territorial. Dans une seconde partie, les problèmes relatifs au numérique identifiés par les acteurs de la logistique seront développés, en faisant ressortir les points de convergence et divergence. Dans une troisième partie, à partir de l’analyse de l’économie de la proximité, il sera question des changements de gouvernances et de paradigmes pour permettre l’inclusion de cette thématique dans la réflexion.
6Plusieurs dispositifs ont précédé le cluster We4LOG et impliquaient également des innovations numériques. L’objectif est de comprendre les constantes des politiques publiques en matière de logistique au sein de ces structures, et les outils et solutions qui ont été privilégiés au cours du temps. Dans un premier temps, le cluster We4LOG, son histoire ainsi que la méthodologie employée seront présentés. Dans un second temps, l’introduction de la dimension numérique dans un cluster qui mène une réflexion principalement centrée sur les modes de transport sera questionnée.
- 2 Dont on trouve les prémisses chez Ricardo (1821)
7Le cluster est défini en première instance comme un réseau d’entreprises regroupées localement et appartenant à une même filière économique. L’intérêt scientifique porté aux clusters s’inscrit dans la perspective des travaux de Marshall (1890) mettant en évidence les avantages liés à la concentration spatiale des entreprises2. Les recherches actuelles sur les clusters possèdent une filiation avec la littérature sur les districts industriels (Becattini, 1991; Garofoli, 1985); celle sur les systèmes productifs locaux (Courlet & Soulage, 1994) ; celle sur les économies d’échelles externes (Krugman, 1991); ainsi que celle soulignant les avantages concurrentiels des technopôles (Porter, 1998). Ces travaux considèrent la proximité géographique d’entreprises de la même filière comme porteuse d’avantages, d’économies d’agglomération, dans la mesure où elle facilite la circulation de connaissances, la diffusion d’une culture commune, le partage de ressources et la disponibilité en matière d’expertises (Feser, 1998; Pecqueur & Zimmermann, 2004; Porter, 1998). L’ensemble de ces facteurs favorise alors l’innovation, la croissance et l’ancrage territorial (Pecqueur & Zimmermann, 2004). Ainsi, la politique des pôles de compétitivité mise en place par l’État français à partir de 2004 s’appuie sur cette approche et vise la dynamisation des entreprises et des territoires en favorisant la coopération entre les différents acteurs concentrés sur un même territoire (Grandclement, 2016). Néanmoins, depuis la définition initiale, les collectivités et l’État regroupent sous ce vocable des dispositifs hétérogènes qui s’éloignent de l’intention initiale portée par l’économie territoriale (Leducq & Lusso, 2011).
- 3 Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires.
8Le cluster WE4LOG, lancé en octobre 2018 à l’initiative de la Région Occitanie, de Carole Delga (présidente de Région) et de Nadia Pellefigue (vice-présidente à l’économie), se définit de la façon suivante sur son site : « We4LOG est une association transverse d’entreprises du monde du transport et de la logistique, gérée et gouvernée par les entreprises, avec le soutien de la Région Occitanie et des institutions. Le Cluster, réparti en 3 collèges, permet d’accueillir entre autres chargeurs, distributeurs, transporteurs, prestataires logistiques, collectivités, universités et institutionnels, entreprises du numérique afin d’échanger des expériences, réfléchir à de nouvelles organisations logistiques, innover et améliorer la performance. » Il se structure en collèges : collège entreprises, institutions, organismes de recherche et formation. Il travaille sur plusieurs dossiers : emploi et formation, multimodalité, logistique urbaine et innovation. Il regroupe une grande variété de membres, représentés spatialement au sein du cluster We4LOG. La Région Occitanie possède comme particularité d’être traversée par de nombreux flux logistiques de « transit », entre l’Italie et l’Espagne et l’Espagne et l’Allemagne, mais aussi entre les deux façades maritimes. Les activités logistiques se répartissent le long des axes structurants de transport, en « doigts de gants » autour de Toulouse et sur l’arc méditerranéen. La répartition des adhérents suit la même logique, avec une forte représentation de l’ex-Languedoc-Roussillon et plus particulièrement du Département des Pyrénées-Orientales qui forment le noyau d’acteurs de ce réseau d’animation (Figure 1). Les zones de forte densité sont bien représentées, ce qui signifie qu’il existe un enjeu autour de la logistique urbaine (Chiron-Augereau, 2009; Guerrero & Proulhac, 2016; Raimbault, 2014). Néanmoins, le SRADDET3 en Région Occitanie précise qu’un travail reste à faire en milieu peu dense et rural, pour prendre en compte la logistique dans ces territoires. Une revue de la littérature et des documents de planification fait apparaître que ces territoires bénéficient d’une couverture et d’un intérêt bien plus faible en matière de logistique (Le Van Suu, 2021).
9Les animateurs de cluster et les acteurs publics ont été majoritairement repris d’un ancien syndicat mixte appelé MP2, créé en 2003, qui avait pour vocation de développer la logistique et le report modal dans les Pyrénées-Orientales. Ce syndicat, à la gouvernance publique, regroupait les dirigeants du centre logistique Saint-Charles et de la plateforme multimodale, des représentants du département et des gestionnaires de Port-Vendres. Les acteurs privés ont été majoritairement repris de l’ancien cluster Translog Sud de France, porté par la Chambre de Commerce et d’Industrie (CCI), qui avait pour but d’animer la filière logistique dans l’ancienne Région Languedoc-Roussillon. Translog s’organisait autour d’une gouvernance privée. Il a lancé des appels à projets sur le numérique (TIC Transport).
Figure : Cluster We4LOG et prédécesseurs : Plusieurs changements de gouvernance en peu de temps (06/05/2021)
10L’opportunité liée à la fusion des Régions et la montée en puissance de l’échelon régional sur les questions économiques aboutissent à la fusion de ces deux structures en 2017-2018 (voir Figure 2).
11La couche informationnelle (systèmes d’information, TIC) de la logistique (Masson & Petiot, 2013) est affichée comme une préoccupation continue de ces structures de coordination. Par exemple, le cluster We4LOG affiche « le numérique au cœur de la performance logistique » comme une priorité, et affirme que « L'activité logistique est fondée sur le pilotage des flux physiques par les flux d'information. ». Un acteur public, référent à la chambre de commerce et d’industrie, affirme que « l’information est reine » (E25). Elle est à la fois un enjeu de pouvoir (Noireaux & Poirel, 2009), mais aussi un enjeu d’optimisation des flux. Les nouvelles technologies de l’information comme la blockchain vont ouvrir de nouvelles possibilités, notamment en garantissant une traçabilité décentralisée et ouverte à tous les acteurs (Ahmed Mohammed et al., 2019). Néanmoins, aucun acteur du numérique n’est à ce jour présent dans le cluster, ce qui compromet la prise en compte de la thématique. Le marketing territorial opère à ce niveau : la démarche de cluster précède celle d’innovation (Pin, 2020), ce qui implique que le discours porté à l’extérieur du cluster soit différent de ses réalisations effectives. Néanmoins, les acteurs présents au sein du cluster mobilisent un champ lexical lié à l’innovation et au numérique, manifestant un intérêt pour le sujet. Selon Bruyère et Verlaque (2009) , il n’est pas nécessaire que tous les acteurs (TIC, logistique, transport…) collaborent en même temps dans la même structure. A contrario, il semble important que le cluster entretienne des liens avec les acteurs du numérique et puisse mobiliser les ressources (Leducq, 2014).
- 4 Une chaîne de signes formant une unité sémantique et pouvant constituer une entrée de dictionnaire
12Notre hypothèse principale est celle d’un écart entre le discours de promotion du cluster et les réalisations de ce dernier. Une méthodologie textométrique est mobilisée pour mesurer d’une part l’importance du sujet « numérique et innovation » au sein du discours, et d’autre part la logique de similitude de la proximité organisée (Torre, 2019). Le partage de valeurs, représentations ou à l’inverse leur incompatibilité peut expliquer une partie des conflits, négociations ou coopérations au sein d’un cluster, mais aussi les différences d’objectifs entre des acteurs qui « font » le marketing territorial régional et ceux qui agissent au sein d'une structure de coordination. Le logiciel Iramuteq permet de réaliser trois catégories d’opérations sur le texte. La première compte les occurrences de lemmes4 : cela permet de voir dans quelle mesure un acteur ou groupe d’acteurs utilise un lemme ou regroupement de plusieurs lemmes faisant sens (par exemple, il est possible de regrouper tous les lemmes relatifs à l’écologie : écologie, écolo, co2, climatique…). Cette opération met en relief les spécificités, c’est-à-dire les acteurs ou groupes produisant un discours différent, au travers d’une mesure de l’écart type (Fig. 6) ou bien une Analyse Factorielle des Correspondances qui concerne tous les lemmes apparaissant plus de 10 fois (Fig. 7). Plus les acteurs sont éloignés de la moyenne ou du centre de la figure (discours « moyen »), plus ils sont producteurs d’un discours « spécifique » (Dans le sens ou les mots qu’ils emploient sont peu ou pas utilisés par les autres acteurs). Par exemple, les acteurs récemment entrés dans le cluster mobilisent de façon plus intensive le champ lexical de l’innovation, et ont un écart important à la moyenne. La deuxième classifie les mots dans des « mondes lexicaux » (Reinert, 1993). Cette opération suit un raisonnement inverse de la première : il ne s’agit plus d’interroger le texte selon des hypothèses, mais d’être interrogé par celui-ci. L’algorithme se charge de classifier les lemmes qui forment un ensemble cohérent dans le discours. La troisième détermine si certains lemmes sont fréquemment utilisés ensemble (cooccurrences : Fig. 3).
13Le raisonnement est dit « abductif » : il se construit du haut vers le bas à partir des hypothèses et du bas vers le haut à partir du texte (Alexandre, 2013; Mayaffre et al., 2019). La recherche interroge le corpus d’entretiens aussi bien qu’elle est interrogée par celui-ci. Les analyses proposées n’entrent pas dans le domaine de l’absolu, mais plutôt du probable ou du possible. Par exemple, le logiciel peut affirmer qu’à 95% deux lemmes sont fréquemment associés ensemble. Pour minimiser l’incertitude, plusieurs échelles d’analyse peuvent être mobilisées : soit sur l’ensemble du corpus, soit sur un groupe d’acteurs en particulier (par exemple : chefs d’entreprises), soit sur une thématique (étiquetée dans le texte, comme l’innovation), soit sur un acteur en particulier. La méthode textométrique peut receler plusieurs faiblesses : toutes les statistiques présentées dépendent fortement des questions posées. Par exemple, comme une question est posée sur les acteurs publics et l’innovation, il n’est pas surprenant de trouver de nombreux lemmes appartenant au champ lexical de l’action publique en la matière. Ces lemmes seront surreprésentés uniquement parce que la question portait justement sur cet aspect-là. Il convient donc de bien mettre en regard les questions et les résultats obtenus par la textométrie, en quantifiant les proportions plutôt que les valeurs absolues. Par ailleurs, il s’agit de prendre de la distance par rapport à ces statistiques et aller au-delà de la simple quantification, en généralisant les données. Ainsi, notre méthodologie repose aussi sur une analyse plus classique des entretiens, en annotant un fichier texte d’une couleur différente.
- 5 Les employés permanents chargés de faire vivre le cluster, de l’administrer et d’animer les réunion (...)
- 6 http://gofile.me/46HY2/C7gHwxDbw
14Le corpus comprend 33 entretiens d’une durée d’une heure environ, au cours desquels étaient posées les mêmes questions. Parmi les répondants, 15 étaient membres du cluster. Par ailleurs, 7 techniciens de l'aménagement ont été entendus, 8 chefs d'entreprise logistique, 7 employés et cadres, 5 animateurs de clusters5 ou structures similaires, 3 élus ou responsables politiques et, enfin, 3 membres ou présidents d'associations. La base de données textuelle anonymisée est disponible en open data6. Par conséquent, les données clefs de l’analyse peuvent être réutilisées et comparées sur un autre territoire en utilisant le logiciel Iramuteq.
15Le système logistique « met en correspondance l'offre et de la demande en matière de logistique [...] se situe ainsi à la jonction du modèle productif et des pratiques territoriales » (Masson & Petiot, 2013). Il comprend trois couches : une couche physique : flux, nœuds, réseau de transport, entrepôts, routes, ports, infrastructures de transports combinés, gestion du foncier ; une couche organisationnelle : gestion des interfaces, des rythmes, synchronisation ; et une couche informationnelle : systèmes d'information, outils numériques.
16Ce modèle révèle des rétroactions entre la dimension territoriale, physique de la logistique et sa dimension informationnelle (Masson & Petiot, 2013). Par exemple, un outil visant à optimiser les tournées de livraison ou la collecte de déchets générera des nuisances dans certains territoires, s’il est diffusé à grande échelle, mais mal programmé : pollution sonore, visuelle, congestion, blocage de camions dans des rues étroites (Boudouin & Morel, 2002). La mise en œuvre d’un espace mathématique et informatique sur un territoire a des conséquences importantes qu’il convient de prendre en compte (Wackermann & Corbin, 2005). Le secteur logistique déploie ses espaces (entrepôts, stockages sécurisés), mais impose aussi ses rythmes. Les temps, plannings et organisations de la logistique impliquent des mouvements de véhicules qui vont marquer les espaces (Abbad et al., 2016). Par exemple, les applications mobiles de livraison à domicile se présentant pour le livreur sous forme de « jeu » avec des temps limites se traduisent par des opérateurs à vélo ou motorisés contraints par le temps dans les centres-villes (Aguilera et al., 2018).
17Pour partager les bonnes pratiques, il conviendrait d’inclure les acteurs parties prenantes. Si les acteurs publics sont présents au sein du cluster We4LOG (gestionnaires de ports, d’infrastructures de transports, transporteurs, collectivités…), les acteurs du numérique sont en revanche peu représentés : seules quatre entreprises proposent des solutions innovantes, et une seule possède une expertise en matière de numérique.
18Un acteur affirme que l’intérêt d’un cluster est « de permettre dans une structure reconnue de faire rentrer des acteurs qui sont dans des mondes connexes. Et même improbables. C'est une des opportunités d'un cluster. Et donc on devrait trouver dedans des industriels qui amènent des solutions, des informaticiens [...] des représentants du monde de l'agroalimentaire, du monde agricole, de l'industrie, du monde de la santé, qui sont tous, des utilisateurs de la logistique, et qui donc au travers de cette transversalité viendrait exprimer soit des attentes, soit conseiller » (E19).
19Les entretiens font apparaître que les acteurs au sein du cluster ne cherchent pas tous la même information (E10-E18 par ex.), ce qui rend difficile la définition d’objectifs en commun, notamment en ce qui concerne le numérique. Les collectivités et institutions viennent chercher une information agrégée de flux pour les aider à la décision politique, tandis que les acteurs privés seront plus attentifs à réaliser une veille concurrentielle sur des données économiques (Froehlicher & Barès, 2014; Rychen & Zimmermann, 2008). Les outils numériques permettant l’un et l’autre ne sont pas de même nature, bien qu’essentiels à la prise de décision de part et d’autre (Dablanc, 2019).
20Le marketing territorial, en sélectionnant l’information qui est communiquée, véhicule des représentations du secteur logistique qui ne correspondent pas nécessairement à la réalité. Cette sélection n’est pas neutre et procède de choix techniques et politiques : cette partie se focalise sur les rétroactions entre processus d’élection et de hiérarchisation des « bonnes innovations » d’une part, et campagne de communication d’autre part.
- 7 basé sur la spécialisation des tâches
21Les parties prenantes rencontrées établissent une sélection de l’innovation et une acceptabilité des solutions techniques impliquant le numérique, qui impliquent des dimensions politiques et techniques. En Occitanie, les acteurs territoriaux (fonctionnaires, citoyens et élus) et sectoriels (chefs d’entreprises et employés) s’entendent sur ce qu’ils ne veulent pas. Par exemple, le « voice », qui implique que l’opérateur entende les tâches logistiques à effectuer dans un casque (prendre un colis sur un rayonnage par exemple) est jugé peu souhaitable par les acteurs sectoriels comme territoriaux. Plus généralement, le modèle d’organisation du travail7 proposé par certaines firmes du e-commerce est critiqué (Bourgeois, 2013) . En revanche, la présence d’une diversité de représentations et de solutions aux problèmes posés par le numérique au secteur logistique rend difficile la proposition d’un cadre d’action.
22Les acteurs de la logistique rejettent ou souhaitent certaines innovations numériques. La question du commerce en ligne est particulièrement présente dans les entretiens et associée à des lemmes à connotation négative. Dans le corpus général, il apparaît que le commerce en ligne est associé à des mots tels que problématique, inacceptable, difficulté, absence (voir Figure 3).
Figure : Lemmes associés à Amazon et commerce en ligne : un champ lexical du problème (indice de cooccurrence, 29/01/2021)
23Le commerce en ligne pose des problèmes majeurs en termes de massification des flux. En effet, selon les acteurs entendus, la gratuité de la livraison affichée par certains logisticiens comme Amazon incite le client à effectuer de nombreuses commandes avec un seul article de faible masse et volume. Cela rend difficile le remplissage des véhicules. Un opérateur de logistique urbaine affirme :
24« aujourd’hui,[…] je livre des gens tous les jours, tous les jours, […], et je livre deux paquets de gâteaux. » (E4)
25« ce développement à tout crin des petites livraisons fait que les camions sont vides, c’est aussi simple que ça» (E25)
26Le commerce en ligne est un problème pour les entrepreneurs de la logistique, puisqu’il implique une profonde remise en cause des pratiques, des modèles économiques et sociaux (Harnay, 2019), notamment dans les villes (Courmont & Le Galès, 2019). De même, il interroge aussi les acteurs publics, élus et fonctionnaires, qui s’engagent au niveau régional à soutenir le commerce local. Par exemple, les panneaux publicitaires des villes de la Région se sont parés d’une campagne de communication en faveur du commerce local et des circuits courts (Figure 4).
Figure : Campagne en faveur de la consommation locale de la Région Occitanie (Région Occitanie 24/06/2020)
27La deuxième innovation impliquant le numérique qui est contestée au sein des fonctionnaires et formateurs du cluster est le « voice », qui permet, en donnant des indications à l’opérateur, d’obtenir des gains de productivité. Les formateurs du secteur logistique s’interrogent sur les conséquences sociales de ce type de dispositifs de manière négative :
28« en termes humains, je pense que c’est une catastrophe ; travailler sept heures d’affilée sur le Voice, c’est une catastrophe, pour moi c’est sûr, par contre en termes de productivité ça fonctionne » (E22)
- 8 La plateforme vient remplacer une chaîne d’approvisionnement et d’information existante et devient (...)
29Ces perceptions sont complétées par des études qui montrent les effets de tels dispositifs sur la santé des employés et la perte de sens associée au travail (Gaborieau, 2015, 2017; Gomez & Chevallet, 2011). Enfin, la troisième innovation la plus contestée est la désintermédiation-réintermédiation (Lambrecht, 2016)8 par les plateformes numériques pour la livraison de repas, courses… dont la plus connue est Uber. Le secteur logistique est touché de plein fouet par ce phénomène (Blancheton, 2018). Une désintermédiation-réintermédiation s’opère entre le client et le transporteur qui brouille les frontières entre entreprise, firme, clients, salariés et chefs d’entreprises. En même temps, dans l’entretien E4, il apparaît que l’acteur juge bénéfique cette innovation, car la perçoit comme une opportunité pour innover et proposer des alternatives.
30Au sein du panel d’acteurs, le rejet d’une innovation s’accompagne de deux argumentaires. Le premier considère les innovations mentionnées comme nuisibles. Dans ce cas, l’innovation fait l’objet d’un regard essentiellement critique. Les acteurs pointent du doigt l’insuffisante réflexivité du processus d’innovation en logistique, qui bénéficie d’une connotation positive sans que les conséquences soient suffisamment évaluées. Le second argumentaire considère l’innovation pertinente, mais problématique dans sa mise en place (par exemple au niveau des conditions de travail des opérateurs dans le cas des plateformes de désintermédiation ou du e-commerce). Dans ce cas, les acteurs proposent souvent une alternative. Celle-ci prend la forme d’une Société Coopérative d’intérêt collectif (SCIC) pour lutter contre les plateformes numériques de livraison à domicile dans le cas de l’entretien E4. Elle prend la forme d’une innovation technique pour lutter contre le « voice ». Une entreprise met en place des signaux lumineux pour guider l’opérateur dans les tâches logistiques (E6, hors cluster). Il s’agit de permettre l’inclusion d’un public en situation de handicap : « On est aujourd’hui en relation avec une société qui s’appelle handiwork. » (E6). Ces alternatives ont une fonction d’innovation sociale. Cette forme d’innovation tire sa pertinence des besoins du territoire, et non des besoins sectoriels (Richez-Battesti et al., 2012) . Cela apparaît particulièrement chez certains acteurs multi-casquettes du cluster (Gumuchian, 2003), qui sont impliqués par ailleurs dans d’autres structures de coordination territoriale ou des associations locales (E16,E19). Le numérique est une thématique mobilisée principalement par les fonctionnaires territoriaux et dans une moindre mesure par les animateurs de cluster, les entrepreneurs et employés du secteur logistique. Les élus se mobilisent peu sur ce sujet, et pour cause, la Région poursuit son agenda politique sur la « Région à énergie positive » en développant les énergies alternatives pour les poids lourds (GNV, hydrogène, électricité) et le report modal. Les acteurs poursuivent des objectifs variés : construction d’une légitimité politique, amélioration de la performance d’une entreprise ou encore développement d’outils informatiques.
31Le « positionnement perceptuel » (Proulx & Tremblay, 2006) désigne la pratique du marketing territorial qui vise à présenter une image différente selon les catégories d’acteurs. La Région Occitanie doit faire face à un double impératif souvent contradictoire : présenter une image attractive à la fois aux acteurs privés de la logistique, mais aussi à la société civile. Par exemple, la campagne contre le e-commerce et Amazon donne un signal positif aux acteurs engagés contre ces pratiques, par exemple les associations environnementales, mais entre en conflit avec l’action publique menée à d’autres échelles administratives. En effet, la mairie de Rivesaltes a accueilli une implantation d’un prestataire d’Amazon. Un journaliste local remarque qu’alors que « certaines collectivités locales comme la Région Occitanie appellent au boycott des produits Amazon, la communauté urbaine de Perpignan semble au contraire accueillir à bras ouverts le géant américain » (David, 2020). Dans la communication régionale, l’accent est mis sur la transition énergétique et le report modal, avec des engagements notamment sur la question du fret ferroviaire (Andreu, 2019; Marion, 2019). Ce positionnement permet d’obtenir un soutien de la société civile, mais aussi de certains transporteurs multimodaux (AFRA, 2020). Au sein du cluster, la communication régionale est différenciée puisque celui-ci comprend une majorité de transporteurs routiers : la compétitivité des petites et moyennes entreprises, le changement de motorisations, la formation et l’emploi sont mis en avant (véhicules hydrogènes, GNV, livraisons électriques dans les centres-ville). Ces politiques de marketing territorial participent de la construction d’une légitimité régionale, notamment sur la volonté politique de report modal sur le ferroviaire (Revelli, 2019). Plus généralement, le discours institutionnel porté par la Région tourne autour d’innovations de rupture ou de changements de grande ampleur (Fig. 5). La figure ci-dessous met en relief les mots les plus fréquents dans les articles publiés par We4LOG sur l’innovation. Il reste difficile de déterminer ce qui relève du marketing territorial régional dans ce discours, et ce qui relève des préoccupations des acteurs au sein du cluster. Néanmoins, les articles et communiqués de presse (Gil, 2018) semblent plutôt indiquer que lemmes correspondent au marketing territorial régional.
Figure : Lemmes les plus fréquents - article sur l'innovation, proposé par le cluster We4LOG (16/02/2022)
32Les innovations de rupture possèdent un potentiel de mobilisation bien plus important, car le positionnement touche le plus grand nombre (élus, citoyens, associations, fonctionnaires territoriaux…). Or, les véhicules autonomes, la robotisation des entrepôts sont des thèmes peu abordés par les chefs d’entreprise et employés de la logistique. Dans les entreprises du secteur logistique ou services publics en prise avec la logistique (par exemple les hôpitaux), les demandes portent plus sur des innovations incrémentales. Un acteur du cluster affirme :
33« Je trouve que la part de choses plus... simples entre guillemets comme justement, la meilleure informatisation des entreprises, sont des choses dont j'ai assez... dont j'ai entendu parler, mais dans une beaucoup... moindre mesure et je pense que ce sont des choses qui sont plus simples et plus rapides à mettre en place que des parcs entiers avec des motorisations différentes ou des entrepôts robotisés [...] j'ai l'impression que la première marche elle est trop haute, de la manière dont elle est définie actuellement. [...] des interfaces d'échange avec les demandeurs les clients les chargeurs, les entrepôts, et tout ça, ça faciliterait déjà beaucoup la vie, ça permettrait en même temps de manière passive de recueillir tout un lot d'informations qui faciliteraient la prise de décision au niveau institutionnel » (E23)
34Les innovations du côté des acteurs publics de la Région et des acteurs privés se déroulent sur des temporalités différentes. Tandis que les premiers sont sur le temps long, sur des transitions impliquant des changements de paradigmes (la Région communique sur l’énergie hydrogène, le report modal), les seconds sont sur des temporalités hétérogènes, parfois essayant de rattraper certains retards, parfois moteurs du changement.
35Dans ce contexte, la numérisation et l’innovation ne correspondent pas à la même réalité chez les uns et les autres. Le discours est un révélateur des positionnements de part et d’autre.
36La logique de similitude de la proximité organisée qui désigne les représentations, valeurs, systèmes d’idées des acteurs qui se recoupent ou s’opposent (Torre, 2014). Celle-ci peut être mesurée et appréhendée avec la textométrie (Le Van Suu, 2021). Au sein de We4LOG, les entreprises du numérique sont absentes, mais font l’objet de plusieurs demandes venant du cluster. L’inclusion d’acteurs connexes (Fig. 9) permettrait d’impulser des dynamiques d’innovation au sein du cluster logistique, car la forte similarité des acteurs et discours conduit à un phénomène d’enfermement qui est nuisible au processus d’innovation (Boschma, 2004).
37Le numérique et l’innovation sont deux concepts liés (Barlatier, 2016), mais mobilisés par des acteurs différents avec des intensités variées. Par exemple, en prenant les lemmes « innovation » ou « innover », il apparaît qu’ils sont mobilisés principalement par la catégorie des entrepreneurs (Figure 6). À l’inverse, le mot numérique est principalement mobilisé par deux fonctionnaires territoriaux qui sont présents dans le cluster.
Figure : Mobilisation des mots innovation, innover en fonction des catégories d'acteurs (écart type 02/06/2021)
38La thématique de l’innovation, qui faisait l’objet de plusieurs questions, est mobilisée de manière très hétérogène entre catégories d’acteurs. Elle est hétérogène quantitativement : lorsque l’acteur est en prise avec l’innovation dans son quotidien, il développera nécessairement plus le sujet, comme dans E4 : « l’ubérisation m’a fait très mal, m’a fermé des portes, sauf qu’aujourd’hui, il y a des ubers qui se sont fait avoir ». Elle est hétérogène qualitativement : les préoccupations dépendent des représentations de chacun. Si les animateurs de cluster entendent par innovation une structure organisationnelle pour favoriser la communication entre acteurs de la logistique, ce que fait le cluster, les transporteurs routiers et fonctionnaires territoriaux y voient la transition digitale ou les nouvelles motorisations. La méthodologie textométrique possède des limites : des chefs d’entreprises, fonctionnaires et élus peuvent mobiliser rarement les lemmes associés à l’innovation, mais développer une réflexion qui entre totalement dans ce cadre, par exemple sur des organisations différentes et un fonctionnement coopératif dans le ferroviaire (E31).
Figure : Innovation et discours (Analyse factorielle des correspondances, 02/06/2021)
39La mobilisation du concept d’innovation au sein du cluster logistique vient des acteurs (entrepreneur de la logistique fluviale, cadre de la logistique agroalimentaire, animateur de cluster et cadre dans le domaine des énergies alternatives) dont la spécificité des discours est grande, c’est-à-dire qui apparaissent en périphérie sur la Figure 7. Cette figure affiche sur le même plan la spécificité des mots employés regroupés par acteurs. Plus un acteur est éloigné du centre, plus il mobilise des mots que les autres n’ont pas utilisés. Ces acteurs sont généralement de « nouveaux entrants » par rapport aux réseaux existants. L’inclusion d’une réflexion sur l’innovation se fait par l’apport de nouvelles idées et de nouveaux discours au sein du cluster, ce qui se traduit au niveau de la textométrie par l’utilisation de mots « spécifiques ». Autrement dit, une trop grande proximité au sein d’une structure de coordination ne permet pas la circulation de l’innovation au sein du cluster.
40Or la similitude dans les discours des acteurs hérités des deux structures qui préfigurent le cluster We4LOG, MP2 et Translog est importante (acteurs au centre de la Figure 7). Même s’il est difficile d’en tirer des généralités sur le « poids » de l’histoire dans les processus de clustering, celui-ci est important dans le cas du cluster We4LOG. L’inertie apporte un noyau de préoccupations, notamment sur le report modal et la transition énergétique du secteur, un noyau d’acteurs et une persistance des liens entre secteur et territoire. Néanmoins, le phénomène d’enfermement peut nuire au processus d’innovation (Boschma, 2004). Un lien existe entre mise en place de pratiques innovantes au sein du cluster logistique et ajout de nouveaux acteurs, dans une mesure qui ne menace pas la cohésion du groupe. Pour cette raison, le modèle d’ouverture du cluster proposé est concentrique, en intégrant progressivement des sphères d’acteurs de plus en plus éloignées (Fig. 9).
Figure 9 : Modèle d’ouverture théorique (21/05/2021)
41Les acteurs du cluster se caractérisent par une faible prise en compte de la dimension numérique, qui ne fait pas partie des priorités. Dans les 16 entretiens concernant les membres du cluster, le mot numérique n’apparaît que 6 fois, contre 58 fois pour innovation, 81 fois pour hydrogène, 111 fois pour solution. Cela pourrait être dû à la composition des acteurs du cluster « logistique » qui sont avant tout des transporteurs routiers, moins en prise avec la dimension numérique. Les acteurs connexes tels que les clients, les associations de consommateurs, les gestionnaires de points relais, les chargeurs utilisent au quotidien les outils numériques de la logistique. Ces outils pourraient être mieux pensés pour l’utilisateur si ces acteurs étaient partie prenante du cluster. Plus généralement, une réflexion s’impose sur les interfaces homme-machine dans le domaine du transport et de la logistique (Klumpp & Zijm, 2019; Martinez-Toro et al., 2019).
42Une fois toutes les solutions techniques et organisationnelles identifiées, les acteurs pourront mener une réflexion sur les innovations prioritaires et souhaitables pour leur territoire. Dans ce cadre, un programme d’action se dessine au sein du cluster, qui priorise d’autres actions dans l’immédiat.
43La sélection des innovations peut se faire en fonction des besoins territoriaux. Au regard du peu d’occurrences des mots associés à la thématique numérique au sein du corpus d’entretiens (qui est plutôt abordée par les acteurs sous un angle critique), il est possible que dans le cluster We4LOG, la priorité soit donnée à la coordination et l’interconnaissance avant de penser à celui de l’innovation numérique.
44« Par contre sur le fait d'apprendre à connaître les autres il n'y a pas eu vraiment d'espace pour le faire. » (E23)
- 9 Zones à faibles émissions : dans ces zones, les livraisons devront se faire en véhicule à faible ém (...)
45L’innovation numérique nécessite un support organisationnel qui peut être fourni par le cluster We4LOG en Occitanie. Celui-ci est relativement récent, puisqu’il a été lancé en 2018 et a été ensuite touché par la crise sanitaire. Il est difficile, à ce stade, d’évaluer les conséquences de la mise en place de ce dispositif et d’une communication à destination des entreprises. Il existe un enjeu de représentativité pour qu’il y ait une diffusion de « bonnes pratiques » au sein du secteur à partir du Cluster logistique. La classification du corpus général par la méthode Reinert met le mot innovation dans un « monde lexical » qui fait référence à l’aménagement du territoire et à l’institutionnel (Classe 3, bleue). L’observation participante fait apparaître que les acteurs privés sont en attente de contenu pour les accompagner dans les différentes transitions (numérique, énergétique, écologique). De même, plusieurs contraintes réglementaires comme les ZFE9 interrogent les acteurs du secteur logistique. Si la classe 4 est mobilisée par un fonctionnaire territorial en charge des infrastructures, les classes 1 par des acteurs privés (entrepreneurs du transport) et la classe 2 par les acteurs du cluster, la classe 3, dans laquelle se trouve le lemme innovation, se caractérise par une forte prégnance chez les acteurs publics, des entrepreneurs « multi casquettes » qui sont aussi dans les institutions de représentation (E19,E16) et d’un acteur (hors cluster) du numérique appliqué à la logistique (E6).
Figure : Classification Reinert sur le corpus général (classes phase 1=10, simple sur segments de texte, 02/06/2021)
46Une forte attente de l’ensemble des parties prenantes de la logistique concerne l’« accompagnement » public des mutations en cours dans le secteur logistique. La sphère publique a montré dans bien des contextes différents son rôle moteur dans l’innovation (Mazzucato, 2014). La formation (classe verte) est aussi amenée à jouer un rôle majeur dans la numérisation des pratiques logistiques. Dans l’entretien EA, l’acteur affirme que certains opérateurs ne maîtrisent pas encore les outils de saisie de données, les systèmes embarqués liés à la logistique. La montée en compétence sur les outils numériques des différents intervenants de la chaîne logistique paraît essentielle.
47Par ailleurs, il existe une forte concurrence entre acteurs de la logistique qui implique une réticence dans le partage de données et d’informations. Le secteur logistique possède ses spécificités en matière de gestion de l’information : la traçabilité, l’immédiateté et la sécurité de la transmission sont importantes, et bien que l’intérêt à mutualiser les flux d’informations comme physiques soit acquis (Abbad et al., 2016), chaque entreprise ne souhaite pas révéler ces informations stratégiques. Des jeux de pouvoir et de contrôle de l’information existent au sein des chaînes logistiques (Noireaux & Poirel, 2009). Cela implique un comportement différencié par rapport à d’autres secteurs d’activités, qui s’accompagnera de technologies particulières telles que la blockchain (Ahmed Mohamed et al., 2019).
48Si le cluster n’arrive pas à attirer des acteurs de la transition numérique logistique au sein du cluster, une autre stratégie existe. Un cluster constitue une « frontière », avec un extérieur et un intérieur, dont les acteurs établissent des règles transactionnelles pour la circulation de l’information entre membres et non-membres. L’articulation entre l’extérieur du cluster et l’intérieur nécessite la définition d’une stratégie de communication et d’objectifs communs dans un but d’intégration de nouvelles connaissances. Dans cette perspective, le partage d’information doit être bilatéral. Pour l’instant, peu de liens sont établis : France Logistique, porté par Anne Marie Idrac, mène une démarche d’interclustering entre clusters logistiques, mais il n’existe pas de rencontres prévues, formelles ou informelles, entre le cluster We4LOG et les clusters du numérique sur le territoire de la Région Occitanie.
49Le numérique est une dimension de l’innovation technique, qui interagit avec les innovations organisationnelles, sociales et territoriales de la logistique. Dans un premier temps, les modes de portage et de gouvernance de l’outil étudié ont été rappelés. Dans un deuxième temps, la question du choix des innovations selon les choix stratégiques des acteurs a été traitée. Dans un troisième temps, les attentes des acteurs de la logistique au regard du concept d’innovation ont été décrites. Il apparaît que le numérique est plutôt affiché dans les communiqués de presse et la communication institutionnelle, sans qu’il soit une priorité des acteurs interrogés. Les acteurs semblent privilégier des innovations incrémentales ou concernant la gouvernance aux innovations numériques dans l’immédiat. D’autres clusters, comme Transten (Cluster transport routier en Occitanie : « transition énergétique et numérique »), ont choisi de mettre le numérique au centre de leur réflexion. Les deux clusters Transten et We4LOG ont programmé une fusion en 2022, ce qui laisse entendre que le réseau d’acteurs et les thématiques traitées devraient évoluer prochainement. Une nouvelle analyse textométrique permettra de mettre en lumière les changements dans les discours des différents participants : la dimension temporelle apparaît pertinente pour comprendre l’inclusion de la thématique numérique au sein du cluster. Un des apports de cet article concerne l’instruction du lien entre proximité et innovation par la textométrie. Cette dernière constitue un moyen intéressant de quantifier la proximité, bien que la seule dimension linguistique de l’analyse de discours soit insuffisante pour expliquer les processus d’innovation et de marketing territorial à l’œuvre. Des études complémentaires pourraient déterminer les effets de la logique de similitude sur l’innovation en territoire. Dans le cadre du marketing territorial, il est difficile de déterminer des indicateurs portant sur le développement du secteur logistique en territoire et l’adoption de « bonnes pratiques ».
50Enfin, les modalités de l’ouverture du cluster vers les acteurs dits « connexes » restent à définir : acteurs du numérique, clients, associations de consommateurs, gestionnaires de points relais, chargeurs et clients utilisent au quotidien les outils numériques de la logistique. Au vu des intérêts des différents participants, il est peu probable que l’innovation numérique soit une préoccupation priorisée à court terme. Pour l’instant, les objectifs et la destination du cluster sont plutôt en cours de discussion entre les membres ; or il s’agit de la première étape avant l’inclusion de nouveaux membres selon un modèle concentrique. Les logiques de définition d’objectifs, de construction d’un monde lexical en commun, mais aussi d’ouverture du dispositif à des sphères d’acteurs plus éloignées se complètent et permettent de trouver un équilibre entre les différentes proximités.
Entretiens réalisés
Fonction
|
Type
|
Temps
|
Date
|
Id
|
Fonctionnaire territorial 1
|
Semi-directif exploratoire
|
1 h 45
|
25/04/19
|
E0
|
Fonctionnaire territorial 2
|
Semi-directif exploratoire
|
1 h 30
|
05/08/19
|
E1
|
Animateur de cluster 1
|
Semi-directif
|
1 h
|
24/09/19
|
E2
|
Membre association
|
Semi-directif exploratoire
|
1 h
|
20/06/19
|
E3
|
Chef d’entreprise logistique urbaine
|
Semi-directif
|
1 h 30
|
27/01/20
|
E4
|
Élu collectivités
|
Semi-directif exploratoire
|
1 h
|
28/01/20
|
E5
|
Chef d’entreprise innovation logistique
|
Semi-directif
|
45 min
|
30/07/20
|
E6
|
Agence d’Urbanisme
|
Semi-directif
|
1 h 30
|
07/02/20
|
E7
|
Agence de Développement économique
|
Semi-directif
|
1 h
|
02/03/20
|
E8
|
Chef d’entreprise transport multimodal
|
Semi-directif
|
1 h
|
04/03/20
|
E9
|
Fonctionnaire territorial 3
|
Semi-directif
|
1 h
|
11/03/20
|
E10
|
Agence d’Urbanisme 2
|
Semi-directif
|
1 h
|
29/04/20
|
E11
|
Chef d’entreprise primeurs
|
Semi-directif
|
15 min
|
04/05/20
|
E12
|
Animateur de cluster 2
|
Semi-directif
|
1 h
|
05/05/20
|
E13
|
Syndicat CGT
|
Semi-directif
|
1 h
|
22/06/20
|
E14
|
Cadre entreprise énergies alternatives
|
Semi-directif
|
1 h
|
13/07/20
|
E15
|
Chef d’entreprise fluvial
|
Semi-directif
|
45 min
|
23/07/20
|
E16
|
Responsable La Poste
|
Semi-directif
|
1 h 15
|
24/07/20
|
E17
|
Responsable logistique entreprise agro-alimentaire
|
Semi-directif
|
1 h
|
22/07/20
|
E18
|
Elu CCI
|
Semi-directif
|
1 h 15
|
25/08/20
|
E19
|
Animateur de cluster 3
|
Semi-directif
|
15 min
|
25/08/20
|
E20
|
Formateur 1
|
Semi-directif
|
1 h
|
04/09/20
|
E21
|
Formateur 2
|
Semi-directif
|
1 h
|
09/09/20
|
E22
|
Chef d’entreprise conseil
|
Semi-directif
|
45 min
|
17/08/20
|
E23
|
Fonctionnaire territorial 4
|
Semi-directif
|
1 h
|
17/08/20
|
E24
|
Cadre CCI
|
Semi-directif
|
2 h
|
12/10/20
|
E25
|
Animateur de cluster 4
|
Semi-directif
|
1 h
|
12/10/20
|
E26
|
Association environnementale
|
Semi-directif
|
30 min
|
31/10/20
|
E27
|
Responsable politique (programmatique)
|
Semi-directif
|
1 h 15
|
31/10/20
|
E28
|
Association environnementale 2
|
Semi-directif
|
1 h 15
|
02/11/20
|
E29
|
Élu d’opposition collectivité
|
Semi-directif
|
1 h 15
|
03/11/20
|
E30
|
Chef d’entreprise du ferroviaire
|
Semi-directif
|
1 h 00
|
18/01/21
|
E31
|
Animateur de cluster 5
|
Semi-directif
|
50 min
|
20/01/21
|
E32
|
Fonctionnaire
|
Téléphone informel
|
1 h
|
27/02/20
|
EA
|
Fonctionnaire territorial 5
|
Téléphone informel
|
2 h
|
13/04/19
|
EB
|
Tableau 1 : entretiens réalisés