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Les espaces de coworking : un phénomène éphémère ou durable ? Enseignements d’une enquête menée en région AURA avant et après la crise sanitaire liée à la COVID-19

Coworking spaces: an ephemeral or sustainable phenomenon? Lessons from a survey conducted in the AURA region before and after the health crisis related to COVID-19
Patricia Lejoux, Aurore Flipo, Nathalie Ortar et Nicolas Ovtracht

Résumés

Les espaces de coworking (ECW) constituent-ils un nouveau mode d’organisation du travail éphémère ou durable ? Cet article vise à répondre à cette question à partir de l’analyse des ECW implantés dans la région Auvergne-Rhône-Alpes avant et après la crise sanitaire liée à la COVID-19. Les résultats obtenus témoignent d’une bonne résistance des ECW face à la crise sanitaire et d’une vision optimiste des créateurs d’ECW sur l’avenir du coworking. Cette pérennité des ECW semble liée à leur capacité à pouvoir répondre à des besoins personnels et professionnels que les modes d’organisation du travail traditionnels ne permettaient pas de satisfaire jusqu’à présent.

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Texte intégral

Introduction

  • 1 Le contexte sanitaire restant très incertain, il est difficile d’identifier clairement une période (...)

1Depuis l’apparition de Spiral Muse et de la Hat Factory à San Francisco en 2005 (Brown 2017 ; Liefooghe et al. 2013), les espaces de coworking (ECW) ont connu un développement sans précédent. Les acteurs à l’origine de leur création se sont diversifiés : à côté de ces espaces pionniers, on trouve désormais des tiers-lieux associatifs, des start-ups comme WeWork, des filiales de grands groupes immobiliers comme Wojo (Bouygues Immobilier/Accor) ou des centres d’affaires comme Regus. Les lieux d’implantation des ECW ont évolué : après s’être localisés au cœur des grandes métropoles mondiales, ils gagnent désormais les villes moyennes et les espaces périurbains et ruraux (Capdevila, 2021). Initialement associés à l’initiative privée, certains ECW sont désormais financés par les pouvoirs publics (Leducq et Demazière, 2021). Il n’est pas évident, dans ces conditions, de donner une définition consensuelle des ECW. Nous les envisageons ici comme des lieux intermédiaires entre le domicile et le lieu de travail traditionnel dont l’activité principale consiste à mettre à disposition de leurs utilisateurs un espace de travail incluant des services mutualisés et à encourager l’échange et la collaboration. Les ECW sont devenus en quelques années un objet de recherche à part entière pour les sciences sociales. Celles-ci s’y sont intéressées à partir d’une triple entrée : celle des pratiques, des liens et des lieux (Liefooghe et al., 2013). Les travaux issus des sciences de gestion se sont focalisés sur les modèles de gouvernance, de collaboration et de coopération implémentés par ces espaces et la manière dont ils suscitent l’innovation. La sociologie et l’anthropologie ont décrit les relations entre utilisateurs, ainsi que les liens et les rites qui caractérisent ces nouvelles communautés sociales et spatiales. Enfin, la géographie économique et l’urbanisme se sont intéressés aux conditions de leur émergence, à leur localisation et aux enjeux qu’ils soulèvent en termes d’aménagement de l’espace (Leducq and Ananian, 2019; Mariotti, Vita, et al., 2021). Le nombre croissant de travaux publiés sur les ECW au cours de ces dernières années laisse penser implicitement qu’il s’agit d’un phénomène durable, entendu dans son sens premier, c’est-à-dire de nature à durer longtemps. Or, la crise sanitaire liée la COVID-19 a contribué à déstabiliser ce nouveau mode d’organisation du travail en plein essor. En France, les ECW ont dû fermer pendant les périodes de confinement, entrainant une baisse significative de leur fréquentation, et donc de leurs revenus. Dans les mois qui ont suivi de nombreux doutes ont été émis sur la pérennité de ce nouveau mode d’organisation du travail dans ce contexte de crise. La nécessité de mettre en place des mesures sanitaires et de distanciation physique, par exemple, s’est révélée particulièrement contraignante dans ces espaces conçus pour faciliter les échanges et les collaborations à travers le partage de bureaux et de lieux de convivialité (coin cuisine, coin salon, etc.). La crise économique a également contribué à fragiliser la situation économique des entreprises et des indépendants, pouvant les amener à résilier leurs abonnements et à télétravailler depuis leur domicile. En s’appuyant sur les résultats du projet ANR Coworkworlds mené dans la région Auvergne-Rhône-Alpes (AURA), cet article propose de s’interroger sur la durabilité des ECW : s’agit-il d’un nouveau mode d’organisation du travail éphémère ou, au contraire, destiné à s’inscrire dans le temps long ? En s’intéressant au contexte de la crise sanitaire liée à la COVID-191, il s’agit d’interroger la résistance et la stabilité des ECW. Cette question n’est pas sans rappeler, bien entendu, les longs et anciens débats sur la pérennité du télétravail (Barthe and Vidal, 2011; Schütz and Camille Noûs, 2021). Après avoir mis en évidence les atouts et les fragilités des ECW identifiés dans la littérature scientifique (1), nous exposerons la méthodologie de la recherche (2). Nous présenterons ensuite les principales caractéristiques des ECW de la région AURA avant la crise sanitaire (3), puis leurs perspectives d’avenir (4).

1. Atouts et fragilites des espaces de coworking

2Si les premiers travaux sur les ECW datent des années 2007-2008, c’est à partir de 2012 qu’ils deviennent un objet de recherche à part entière pour les sciences humaines et sociales (Flipo and Lejoux, 2020). Depuis, les travaux sur les ECW se sont multipliés (Akhavan, 2021), laissant penser implicitement qu’il s’agissait d’un nouveau mode d’organisation du travail destiné à s’installer durablement dans le temps (1.1). Pourtant, l’arrivée de la crise sanitaire liée à la COVID-19 a contribué à interroger la pérennité de ce phénomène (1.2).

1.1 Les ECW, un mode durable d’organisation du travail ?

3Avant la crise sanitaire, les travaux sur les ECW se sont peu interrogés sur la pérennité de ces espaces et ont davantage insisté sur leurs atouts que sur leurs faiblesses (Gandini, 2015). Quatre axes de recherche principaux ont été développés. Le premier s’est attaché à identifier les caractéristiques des ECW afin de les définir et les distinguer d’autres modes d’organisation du travail. De nombreuses typologies ont été élaborées à partir de différents critères (Akhavan, 2021; Boboc et al., 2014; Brown, 2017; Liefooghe et al., 2013; Mariotti et al., 2017; Perrin and Aguiléra, 2017; Spinuzzi, 2012). Mais aucune de ces typologies ne questionne la fragilité éventuelle de certains types d’ECW par rapport à d’autres, notamment au regard de leur modèle économique (privé, public). Le deuxième axe de recherche s’est intéressé aux pratiques collaboratives qui se développaient dans ces espaces afin de voir dans quelle mesure celles-ci pouvaient être à l’origine ou non de nouvelles formes de création de valeur et de diffusion de l’innovation (voir notamment Capdevila, 2016; Fabbri and Charue-Duboc, 2016; Gill et al., 2019; Scaillerez and Tremblay, 2016; Suire, 2013). Le troisième axe a cherché à identifier les caractéristiques socio-professionnelles des coworkers et les raisons de l’adoption de ce nouveau mode d’organisation du travail (voir notamment Akhavan, 2021; Avdikos and Kalogeresis, 2017; Blein, 2017; Brown, 2017; Spinuzzi, 2012; van de Koevering, 2017). Enfin, plus récemment, le quatrième axe a abordé l’analyse du contexte géographique des ECW en s’intéressant à leurs effets sur leur environnement immédiat, qu’il s’agisse d’espaces urbains ou ruraux (Mariotti et al., 2021). Parmi les rares travaux ayant questionné la pérennité des ECW, certains ont émis l’hypothèse d’une « bulle de création d’espaces de coworking », alimentée par la crise économique de 2009 et la dépression du marché de l'immobilier de bureau (Moriset, 2017). D’autres ont soulevé les problèmes de fréquentation que rencontraient certains espaces (Salgueiro et al., 2017), notamment dans les territoires ruraux où les ECW pouvaient se révéler aussi peu fructueux que les anciens télécentres (Moriset, 2011).

1.2 Les ECW fragilisés par la crise sanitaire liée à la COVID-19 ?

4L’apparition de la crise sanitaire liée à la COVID-19 en mars 2020 a contribué à fragiliser, comme beaucoup d’autres activités économiques, les ECW. Ce changement de contexte a suscité beaucoup d’interrogations sur la pérennité de ce nouveau mode d’organisation du travail. Trois éléments laissaient craindre une baisse significative de la fréquentation, et donc des revenus, des ECW, remettant en cause leur caractère durable. Le premier est lié aux conséquences des mesures de confinement. En France, celles-ci se sont traduites par l’interdiction des déplacements entre le domicile et le lieu de travail et une incitation générale à télétravailler à domicile pendant les trois périodes de confinement, qui se sont déroulées du 17 mars au 11 mai 2020, du 30 octobre au 15 décembre 2020, puis du 3 avril au 3 mai 2021. Ces mesures ont été complétées par une obligation de fermeture des lieux accueillant du public qui a touché les ECW et la mise en place de couvre-feux, obligeant les actifs à rentrer plus tôt à leur domicile. Le deuxième élément concernait la mise en place de mesures sanitaires et de distanciation physique, particulièrement contraignantes dans ces espaces conçus pour faciliter les échanges et les collaborations à travers le partage de bureaux et de lieux de convivialité (coin cuisine, coin salon, etc.). Par ailleurs, la promiscuité encouragée par la configuration des locaux pouvait constituer un repoussoir pour certains travailleurs ayant peur d’être contaminés sur leur lieu de travail. Enfin, le troisième élément était lié au ralentissement général de l’économie qui pouvait potentiellement tarir la principale source de revenu des ECW, en fragilisant la situation économique des entreprises et des indépendants, les amenant à résilier leurs abonnements aux ECW.

5S’il est encore difficile d’évaluer l’impact de la crise sanitaire liée à la COVID-19 sur la pérennité des ECW, des travaux menés récemment laissent penser que cet impact pourrait être limité, voire que la crise sanitaire pourrait même leur être profitable (Leducq, 2021). En effet, les évolutions intervenues durant la crise sanitaire comme l’expérimentation du télétravail ou les questionnements autour de la qualité du cadre de vie (rejet des métropoles, exode urbain, etc.) pourraient constituer des éléments favorables au développement des ECW, notamment dans les espaces ruraux (Manzini Ceinar and Mariotti, 2021). L’incitation à télétravailler a permis à un nombre inédit d’actifs d’expérimenter pour la première fois ce mode d’organisation du travail, même si les conditions n’ont pas toujours été optimales. Elle a également favorisé son acceptabilité au sein des entreprises, montrant que le travail à distance pouvait favoriser la productivité, en supprimant notamment les déplacements inutiles par le recours à la visioconférence. Les entreprises ont pu également y trouver un intérêt financier à travers la possibilité de réduire la taille de leurs locaux en incitant leurs salariés à télétravailler dans d’autres lieux, notamment dans des ECW. Par ailleurs, les périodes de confinement ont accentué la sensibilité à la qualité du cadre de vie, renforçant un rejet des fortes densités métropolitaines et un attrait pour les espaces ruraux. Selon certains auteurs, l’hypothèse d’une relocalisation des ECW et des coworkers du centre des métropoles vers les villes petites et moyennes ne doit pas être sous-estimée (Mariotti and Di Matteo, 2022). D’ailleurs, certains travaux mettent en évidence une augmentation du nombre de télétravailleurs dans les espaces ruraux, en Italie (Mariotti, Akhavan, et al., 2021) et en Angleterre (Bosworth et al., 2021), suite à la crise sanitaire. Face à ces incertitudes, cet article vise à apporter de nouveaux éléments de connaissance à travers l’analyse de la situation des ECW de la région AURA avant et après la crise sanitaire liée à la COVID-19.

2. Méthodologie

6Les résultats présentés dans cet article sont issus d’un projet intitulé Coworkworlds, financé par l’Agence nationale de la recherche française de 2018 à 2021 (Lejoux et al., 2022). Il a eu pour terrain d’étude la région Auvergne-Rhône-Alpes qui comptait en 2018 7,9 millions d’habitants, dont 3,7 millions d’actifs, représentant ainsi la deuxième région la plus peuplée de France. Elle présente l’avantage de pouvoir étudier l’implantation des ECW dans une diversité de territoires : des métropoles (Lyon, Grenoble, Clermont-Ferrand, Saint-Étienne), des villes intermédiaires (Annecy, Chambéry, Valence, etc.) et des petites villes polarisant des espaces ruraux (départements de l’Ain, de l’Ardèche, de la Drôme, du Cantal, de la Haute-Savoie, de la Savoie, etc.). Dans la région AURA, la création d’ECW a davantage été impulsée par le bas, à travers l’initiative d’acteurs privés (entreprises, indépendants, associations, etc.), que par la haut, par le biais des acteurs publics. Ceux-ci ont néanmoins apporté leur soutien aux ECW à travers la mise à disposition de locaux à des tarifs préférentiels ou la participation à la création de réseaux locaux d’ECW (Coworking Grand Lyon, Cédille dans la Drôme, La Trame 07 en Ardèche, Co-alpin, etc.) ou régionaux (Relief). Les rares ECW créés par des acteurs publics ont rencontré un faible succès, soit parce qu’ils ne correspondaient pas à la demande des coworkers, soit parce qu’il n’existait pas de demande locale.

7Trois types de matériaux sont mobilisés ici : une base de données recensant les ECW de la région AURA avant et après la crise sanitaire (2.1), des entretiens semi-directifs effectués auprès des créateurs d’ECW avant la crise sanitaire (2.2) et une enquête par questionnaire réalisée auprès des créateurs d’ECW après la crise sanitaire. Il est important de préciser qu’en raison de l’irruption de la crise sanitaire liée à la COVID-19 en plein milieu du projet, nous avons dû faire évoluer notre méthodologie. Ainsi, la création de la base de données et la réalisation des entretiens semi-directifs auprès des créateurs d’ECW en 2018-2019 correspondent aux objectifs initiaux du projet, c’est-à-dire recenser les ECW de la région AURA et comprendre les motivations à créer un ECW. Le changement de contexte lié à la crise sanitaire à partir de mars 2020 nous a obligé à repenser notre méthodologie. Nous avons dû renoncer à notre dernière phase d’enquête qui visait à collecter des traces numériques afin de mieux connaître les pratiques de mobilité des coworkers. A la place, nous avons considéré qu’il pouvait être intéressant de fournir des éléments de connaissance sur l’impact de la crise sanitaire liée à la COVID-19 sur le coworking. Nous avons alors pris l’initiative de réaliser en 2021, dans les deux derniers mois du projet, une actualisation de la base de données sur les ECW de la région AURA et une enquête en ligne auprès des créateurs d’ECW pour mesurer les effets de la crise sanitaire sur le devenir de ces structures.

2.1 La construction d’une base de données inédite des ECW de la région AURA

8Pour comparer l’évolution du nombre et de la localisation des ECW avant et après la crise sanitaire, nous nous appuyons sur une base de données recensant les ECW de la région AURA, créée pour les besoin du projet Coworkworlds. Pour cela, nous avons élaboré une définition précise des ECW. Elle se base sur l’addition de trois critères : la notion de troisième lieu (Oldenburg, 1989) ; la spécialisation sur la fonction travail ; l’importance de la dimension collective. Les ECW correspondent, d’abord, à des lieux intermédiaires, entre le domicile et le lieu de travail classique. Ceci se reflète notamment dans leur aménagement intérieur qui emprunte à la fois au bureau traditionnel et à la sphère domestique (présence d’un coin cuisine, d’un salon, etc.). Ces lieux restent, pour autant, dédiés au travail (location d’un bureau, connexion haut-débit, mise à disposition d’imprimantes, de salles de réunions, etc.), ce qui permet de différencier les ECW des tiers-lieux (activité associative, culturelle, etc.) ou des cafés et des hôtels qui intègrent un espace de coworking (Accor, etc.). Enfin, ces lieux présentent une dimension collective (volonté d’échanger, présence d’un animateur, organisation d’évènements, etc.) ce qui permet de différencier les ECW des lieux dédiés à la simple location d’espaces de travail (WeWork, Regus, télécentres, centres d’affaires, pépinières d’entreprises, etc.). Nous définissons ainsi les ECW comme des lieux intermédiaires entre le domicile et le lieu de travail traditionnel dont l’activité principale consiste à mettre à disposition des utilisateurs un espace de travail partagé incluant des services mutualisés tarifés (imprimantes, connexion haut débit, salles de réunions, etc.) et à encourager l’échange et la collaboration à travers l’organisation de moments de convivialité (coin cuisine, coin salon, évènements, etc.). En nous basant sur cette définition, nous avons recensé les ECW de la région AURA à partir de différentes sources : des sites Internet généralistes, des sites Internet spécialisés (néo-nomade, coworking-France, etc.), les sites Internet des ECW, les réseaux locaux d’ECW (Coworking Grand Lyon, Cédille, La Tram 07, Co-alpin, etc.), le rapport de la Mission coworking (Levy-Waitz, 2018), etc. Ces éléments nous ont permis d’identifier 126 ECW correspondant à notre définition au sein de la région AURA. Nous avons cependant introduit une certaine souplesse dans la sélection des ECW pour tenir compte du fait que ceux situés dans les petites villes s’apparentaient parfois davantage à des tiers-lieux qu’à des ECW. Mais, au sein de ceux-ci, nous n’avons retenu que ceux où l’activité coworking, et donc de travail, était fortement développée. De même, nous avons pris au départ en considération les ECW de certaines chaines (Regus, Wojo, etc.), car, dans leur présentation, ils ne se différenciaient pas fondamentalement des autres ECW sur les trois critères que nous avions identifiés. N’ayant jamais répondu à nos sollicitations lors des différentes phases d’enquête, ils ne figurent finalement pas dans l’analyse. Cette base de données a été constituée pour la première fois en 2018 et a été depuis régulièrement mise à jour. Elle comprend plusieurs variables : nom de l’ECW, adresse, type de localisation (métropole centre, périurbain, ville intermédiaire, petite ville), type d’ECW (espace autonome, chaine), année de création, mode de financement (public, privé, cofinancement), appartenance à un réseau local, type de bâtiment (immeuble collectif, maison, ancienne usine, etc.). Il a, par contre, été très difficile d’identifier un nombre de coworkers par ECW car ceux-ci ne les comptabilisent pas de la même façon (nombre de places disponibles, nombre de coworkers inscrits, nombre de coworkers réellement présents, etc.). Afin d’évaluer l’impact spécifique de la crise sanitaire sur les ECW au sein de la région AURA, cette base de données a été actualisée en décembre 2021. L’identification des ECW ayant fermé ou nouvellement ouvert s’est basée sur la consultation des sites Internet des ECW et sur des contacts téléphoniques. Ceci nous a permis de recenser 168 ECW dans la région AURA en 2021.

2.2 Des entretiens semi-directifs effectués auprès des créateurs d’ECW

9Pour identifier les éléments qui pouvaient jouer en faveur ou en défaveur de la durabilité des ECW avant la crise sanitaire, nous mobilisons une série d’entretiens semi-directifs réalisés auprès de 26 créateurs d’ECW de la région AURA. Ceux-ci ont été choisis de façon à diversifier au maximum notre échantillon afin d’avoir une vision la plus large possible. Pour assurer cette diversité, trois critères ont été retenus : la localisation (métropole-centre, métropole-périurbain, ville intermédiaire, petite ville polarisant l’espace rural), le type d’espace (espace autonome ou appartenant à une chaîne) et le type de financement (privé, public). La plupart des entretiens ont été réalisés avec les créateurs des ECW, à l’exception de deux qui ont été effectués avec les gestionnaires actuels, les fondateurs ayant quitté depuis plusieurs années l’ECW. Les entretiens semi-directifs, d’une durée d’une heure et demie environ, réalisés en face à face, visaient à comprendre les motivations à créer un ECW. Ils avaient pour objectif de retracer les trajectoires professionnelles des créateurs (parcours professionnel, valeurs, intérêt porté à ce mode d’organisation du travail, etc.), l’histoire de la création de l’espace (objectifs du projet, valeurs, définition du coworking, partenaires, choix de localisation, évolutions envisagées, etc.), son mode de fonctionnement (statut juridique, mode de financement, services proposés, partenariats, etc.) et d’obtenir des premiers éléments d’information sur le profil et les motivations des coworkers. L’exploitation des entretiens a été réalisée à partir du logiciel d’analyse de données qualitatives MAXQDA.

2.3 La passation d’un questionnaire auprès des créateurs d’ECW

10Afin d’évaluer l’impact de la crise sanitaire liée à la COVID-19 sur les ECW situés dans la région AURA, nous avons réalisé en décembre 2021 une enquête auprès des créateurs d’ECW. Celle-ci a consisté à envoyer un questionnaire en ligne aux 168 ECW que nous avions recensés dans la base de données actualisée en 2021. Nous avons obtenu 95 retours, soit un taux de réponse de 56 %. Le questionnaire avait, d’abord, pour objectif de comprendre comment les créateurs d’ECW avaient vécu la crise sanitaire. Des questions leur ont été posées sur leur fermeture éventuelle, sur la durée de celle-ci, sur les mesures qui les avaient le plus impactés (limitation des déplacements liés au travail, couvre-feu, interdiction d’accueillir du public, mesures sanitaires et de distanciation physique, etc.). Il visait, ensuite, à identifier l’impact de la crise sanitaire sur la situation des ECW en les interrogeant sur leur perte de revenus (résiliation d’abonnements, impossibilité de louer des salles, etc.), sur l’évolution du nombre et du profil des coworkers (salariés, indépendants, etc.) et sur leur situation actuelle (stable, en croissance, fragile, etc.). Enfin, une série de questions cherchait à savoir comment les créateurs d’ECW envisageaient l’avenir du coworking (degré de confiance, éléments qui pourraient encourager la pratique du coworking, etc.).

11Ces différentes approches méthodologiques nous ont permis de caractériser la situation des ECW de la région AURA avant et après la crise sanitaire et de mettre ainsi en évidence les éléments qui semblent militer en faveur ou en défaveur de la durabilité de ce nouveau mode d’organisation du travail.

3. Les ECW de la région AURA avant la crise sanitaire liée à la COVID-19

12Pour évaluer la durabilité des ECW avant la crise sanitaire, nous analyserons d’abord leur répartition spatiale au sein de la région AURA (3.1). Puis, sur la base d’une typologie des ECW construite à partir des motivations de leurs créateurs (3.2), nous identifierons les éléments qui semblent jouer en faveur ou en défaveur de la durabilité des ECW de la région AURA (3.3).

3.1 Des territoires d’implantation privilégiés

13Avant la crise sanitaire liée à la COVID-19, nous avons comptabilisé 126 ECW correspondant à notre définition au sein de la région AURA. Il est important de préciser que durant cette première phase, entre le premier recensement effectué au début de l’année 2018 et le dernier effectué fin 2019, ce nombre a régulièrement fluctué au rythme des créations et des disparitions d’ECW. Ces éléments mettent ainsi en évidence une certaine fragilité des ECW dont la durée de vie peut être très variable. Afin d’analyser la répartition spatiale de ces ECW au sein de la région AURA, nous avons identifié des profils de territoire. Ceux-ci ont été construits à partir du zonage en aires urbaines 2010 de l’INSEE qu’il a fallu adapter afin de tenir compte à la fois des spécificités de la localisation des ECW et du système urbain de la région AURA. Ceci nous a conduit à identifier quatre types de territoires :

  • Le centre des métropoles : ensemble des communes centres situées dans une aire urbaine de 400 000 habitants et plus et ayant le statut de Métropole (Lyon-Villeurbanne, Grenoble, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand)

  • La couronne périurbaine des métropoles : ensemble des communes situées dans une aire urbaine de 400 000 habitants et plus ayant le statut de Métropole, hors Lyon-Villeurbanne, Grenoble, Saint-Étienne, Clermont-Ferrand

  • Les villes intermédiaires : ensemble des communes situées dans une aire urbaine de 50 000 à 399 000 habitants

  • Les petites villes et les espaces ruraux : ensemble des communes situées dans une aire urbaine de moins de 50 000 habitants et des communes situées hors d'une aire urbaine

14En comparant la répartition des ECW au sein de la région AURA par rapport à la répartition de la population active, nous constatons une surreprésentation des ECW dans deux types de territoires : le centre des métropoles et les petites villes polarisant les espaces ruraux (cf. Tableau 1).

Population active

ECW

Métropole centre

15 %

37 %

Métropole périurbain

37 %

19 %

Ville intermédiaire

30 %

20 %

Petite ville et espace rural

18 %

24 %

Ensemble

100%

100 %

Tableau 1 - Répartition de la population active et des espaces de coworking au sein de la région AURA selon le type de territoire en 2019, en %

Source : P. Lejoux et N. Ovtracht, à partir des données Coworkworlds 2019, INSEE – RP 2015

15Ces éléments montrent que les ECW n’ont pas vocation à s’implanter dans n’importe quel territoire et que le choix du lieu d’implantation d’un ECW constitue un élément important de sa pérennité. Plus précisément, au sein des espaces métropolitains et des espaces ruraux, l’implantation des ECW apparaît relativement discriminante, puisqu’elle bénéficie surtout aux territoires les plus attractifs comme le centre de la métropole de Lyon ou les espaces ruraux de la Drôme et de l’Ardèche qui présentent de fortes aménités résidentielles et touristiques.

Carte 1 – Localisation des espaces de coworking au sein de la région AURA selon le type de territoire

Source : P. Lejoux et N. Ovtracht, à partir des données Coworkworlds 2019, INSEE ZAU 2010.

16C’est particulièrement vrai dans les espaces ruraux où, au-delà des aménités naturelles, les créateurs d’ECW semblent rechercher la présence d’un minimum de services (commerces, écoles, gares, etc.), privilégiant ainsi une localisation dans les centres-bourgs plutôt que dans les portions reculées de ces territoires. Ces éléments, confirmés par les créateurs d’ECW lors des entretiens, laissent penser qu’une part du succès ou de l’échec des ECW repose, en grand partie, sur les caractéristiques des territoires d’implantation. A ce titre, il ne suffit pas d’avoir des locaux disponibles et de vouloir les transformer en ECW pour leur assurer un caractère durable. Il faut qu’il y ait également une demande locale, qui semble plus importante dans les espaces métropolitains et ruraux déjà attractifs, bien connectés aux infrastructures de transport et numériques (Pink S. et al., 2022). Comme en témoigne Céline, une créatrice d’ECW dans le département de la Haute-Savoie, le lieu ne suffit pas, il faut aussi la communauté :

17« C’est que c’est plus simple de construire la communauté et l’espace autour, que l’inverse. C'est-à-dire que si vous identifiez des gens qui vont avoir besoin de ce que vous créez comme espace et que vous les embarquez avec vous dans le projet au point que le jour où vous ouvrez, ils sont tous à faire la queue derrière la porte pour venir l’utiliser, c’est beaucoup plus facile même si on n’est pas encore à l’équilibre financier. C’est beaucoup plus facile que d’ouvrir comme je l’ai fait et puis d’attendre et de communiquer et d’attendre que ça vienne. »

3.2 Une typologie des ECW en fonction des motivations de leurs créateurs

18Au-delà des logiques de localisation, la pérennité des ECW dépend, en grande partie, du projet qui est à l’origine de leur création. L’exploitation des entretiens semi-directifs effectués auprès des créateurs d’ECW nous a permis d’établir une typologie des ECW en fonction des motivations de leurs fondateurs. À travers l’analyse des discours retraçant l’histoire de la création de l’espace, son mode de fonctionnement, les trajectoires professionnelles des fondateurs et les valeurs auxquelles ils sont attachés, nous avons identifié quatre idéaux types : le « coworking business », le « coworking d’opportunité », le « coworking de camaraderie » et le « coworking d’ancrage ». Pour la clarté de l’exposé, nous présenterons successivement ces quatre types, puis nous analyserons dans la section suivante les enjeux qu’ils soulèvent en termes de durabilité.

19Le « coworking business »

20Dans ce premier cas de figure, les motivations à créer un espace de coworking sont d’abord d’ordre professionnel : elles sont le reflet d’un projet entrepreneurial. Les créateurs, qui s’apparentent à des « serial entrepreneurs », cherchent à réaliser un projet entrepreneurial qu’ils présentent volontiers comme novateur, bâti autour de la valorisation de l’accès à un réseau professionnel. Soit ce réseau préexiste et l’ECW prend la forme d’un espace spécialisé sur un secteur d’activité (média, image, numérique, etc.), soit le réseau n’existe pas encore et l’ECW vise à le développer en créant souvent une chaîne d’ECW. Pour mettre en avant ce réseau professionnel, les créateurs font référence aux valeurs pionnières du coworking, notamment à la communauté. Cela permet de développer l’image de marque de l’ECW et cela devient in fine un argument commercial pour se différencier sur le marché. Ces espaces se distinguent par les nombreux évènements organisés, l’animation étant le « produit » proposé aux coworkers. Si ce type d’ECW est très présent dans le centre des métropoles, on le retrouve également dans des villes intermédiaires, voire des petites villes.

21Le « coworking d’opportunité »

Dans ce deuxième cas de figure, les motivations à créer un ECW sont également d’ordre professionnel, mais contrairement au cas précédent, l’ECW ne constitue pas le cœur du projet entrepreneurial. Il ne s’agit que d’une activité secondaire souvent liée à la volonté des créateurs de rentabiliser des locaux devenus trop grands dans le cadre de leur activité principale. Ils apprécient le fait de côtoyer des entrepreneurs venant d’autres secteurs d’activité, mais davantage par curiosité intellectuelle que pour les potentialités de collaboration qui pourraient en découler. Dans ces espaces, peu d’animations sont proposées et les environnements de travail restent très classiques, mais très qualitatifs (haut débit, imprimante laser, salles de visioconférence…). Le coworking est pratiqué comme une solution temporaire pour des gens de passage, en reconversion professionnelle ou qui ont ponctuellement besoin de locaux (pour se rencontrer, pour travailler sur un projet, etc.). Ces types d’espaces se retrouvent surtout dans le centre ou les espaces périurbains des métropoles et dans les villes intermédiaires.

22Le « coworking de camaraderie »

23Dans ce troisième cas de figure, les motivations à créer un espace de coworking sont d’ordre personnel : il s’agit de rompre l’isolement social et de créer une séparation entre vie personnelle et vie professionnelle (Flipo and Ortar, 2020). Ces créateurs, habitués à travailler à leur domicile, dans des centres d’affaires ou des pépinières d’entreprises, sont à la recherche de sociabilité et de convivialité (prendre un café, déjeuner ensemble, discuter avec des collègues, etc.) tout en disposant d’un cadre de travail adapté. Dans ces ECW, l’animation est peu présente, les temps collectifs étant majoritairement informels. Les valeurs mises en avant sont la bienveillance et la camaraderie et la dimension utilitaire du réseau social n’est pas valorisée, voire rejetée. Créés à l’initiative d’une ou plusieurs personnes, ils permettent également de mutualiser les coûts et bénéficient souvent du soutien des collectivités locales. Ce type d’ECW se retrouve essentiellement dans des petites villes ou dans les espaces périurbains des métropoles.

24Le « coworking d’ancrage »

25Dans ce quatrième cas de figure, les motivations à créer un ECW sont à la fois d’ordre personnel et professionnel. La création d’un ECW constitue le point de départ d’un nouveau projet de vie qui se traduit souvent par une reconversion professionnelle, suite à un licenciement ou à une démission. Il doit permettre d’expérimenter un autre mode de vie et de travail, porteur de sens et d’utilité sociale. Attachés aux valeurs de bienveillance et de qualité de vie, les créateurs de ces ECW souhaitent, à travers l’organisation d’évènements, développer une communauté qui dépasse le cadre strict de l’ECW et s’étende à des acteurs du territoire (collectivités locales, entreprises, associations, habitants). Il peut avoir pour objectif de développer une vie de quartier dans le centre d’une métropole, de participer au réaménagement d’un quartier de gare dans une ville intermédiaire ou encore de constituer un nouvel équipement dans des espaces ruraux ou montagneux.

3.3 La question du modèle économique des ECW

26À travers cette typologie, nous constatons que la création d’un ECW repose bien souvent sur des motivations d’ordre professionnel. Elle est une composante d’un projet entrepreneurial, que ce soit à titre principal ou secondaire, comme le révèlent les cas de figure du « coworking business », du « coworking d’opportunité » et dans une moindre mesure du « coworking d’ancrage ». Se pose alors la question du modèle économique qui sous-tend ce projet. Si certaines typologies s’y sont intéressée (Kojo and Nenonen, 2016), rares sont celles qui ont réfléchi à son implication en matière de durabilité. Cette question du modèle économique se pose avec une acuité particulière dans la région AURA où la plupart des ECW reposent sur l’initiative privée. Le cas de figure le plus répandu est celui d’un espace unique, pouvant accueillir 10 à 20 coworkers en même temps, ayant le statut de SARL, de SCOP ou d’association. Pour financer leur projet, les créateurs d’ECW ont soit investi en fonds propres, soit réalisé un emprunt bancaire, soit fait appel au crowdfunding. Leur principale dépense concerne le paiement du loyer des locaux qu’ils occupent. Ceux-ci peuvent se situer dans des immeubles anciens, des bâtiments modernes, des locaux commerciaux ou d’anciens entrepôts industriels. Pour faire face à cette dépense importante, les créateurs d’ECW font parfois appel au soutien des pouvoirs publics. C’est plus souvent le cas dans le « coworking de camaraderie » et dans le « coworking d’ancrage » et dans les petites villes, voire les villes intermédiaires. Les pouvoirs publics leur louent des locaux municipaux à des tarifs inférieurs au marché ou progressifs, voire rénovent (école) ou construisent pour l’occasion des locaux partagés avec d’autres organismes (bâtiment passif). Les principales ressources des ECW sont constituées par les abonnements payés par les coworkers auxquels s’ajoute de plus en plus souvent la location de salles de réunions voire de l’ensemble des locaux à des entreprises extérieures afin d’organiser des événements. Quel que soit le type d’ECW étudié, l’ensemble des créateurs s’accordent à reconnaître que le modèle économique des ECW reste encore à trouver et qu’il ne s’agit pas, pour l’instant, d’une activité rentable. Pour autant, pour eux, la faiblesse du modèle économique ne semble pas remettre en cause le caractère durable du phénomène des ECW. D’une part, la plupart des créateurs d’ECW conservent une activité principale qui leur assure un revenu régulier et, d’autre part, pour beaucoup d’entre eux la recherche du profit et de la rentabilité ne figure pas au premier rang de leurs motivations à créer un ECW, à l’exception du « coworking business ». Leur principale contrainte sur le plan économique consiste à pouvoir faire face aux charges courantes qui, de leur point de vue, ne sont pas très élevées et sont globalement couvertes par les abonnements et la location de salles de réunions.

3.4 Une réponse à de vrais besoins

27Parallèlement, cette typologie révèle l’importance des motivations d’ordre personnel qui interviennent dans la décision de créer un ECW. Elles montrent que les ECW constituent également une réponse à de vrais besoins que les modes d’organisation du travail traditionnels ne permettaient pas de satisfaire jusqu’à présent. A ce titre, ils apparaissent comme un phénomène destiné à durer. Pour certains créateurs ayant expérimenté le travail à domicile, dans des centres d’affaires ou des pépinières d’entreprises, créer ou fréquenter un ECW constitue d’abord un moyen de rompre l’isolement social des travailleurs indépendants ou des télétravailleurs. Il permet de développer une sociabilité ordinaire (discuter de manière informelle, partager des moments de convivialité, etc.), mais aussi d’établir une séparation claire entre la vie professionnelle et la vie familiale comme le révèle le « coworking de camaraderie ». Si ces éléments reviennent dans de nombreux travaux, ils sont rarement mis au centre des analyses car celle-ci interrogent peu les motivations d’ordre personnel (Boboc et al., 2014; Liefooghe, 2018; Merkel, 2015; Petch, 2011; Peuter de et al., 2017; Spinuzzi, 2012 ; Petch 2011 ; Peuter de et al. 2017 ; Spinuzzi 2012). Par leur souplesse et leur flexibilité d’usage (coûts mutualisés, durée d’engagement limitée, diversité des localisations, etc.), les ECW proposent également un mode d’organisation du travail qui permet de concrétiser de nouveaux projets de vie, comme l’ont souligné certains travaux (Krauss and Tremblay, 2019). Ils peuvent se traduire par des reconversions professionnelles qui nécessitent d’avoir un cadre de travail approprié, notamment pour les actifs qui ont eu l’habitude de travailler en entreprise, comme le montre l’exemple du « coworking d’ancrage ». Mais, ils peuvent également s’incarner par des mobilités résidentielles. Quel que soit le type d’ECW, les créateurs ont été nombreux à citer des exemples d’utilisateurs arrivés récemment sur le territoire pour concrétiser des projets résidentiels, qu’il s’agisse d’eux-mêmes ou de coworkers fréquentant leurs espaces. Ces projets, fondés autour du nomadisme comme de l’ancrage, profitent aussi bien aux métropoles qu’aux petites villes et ont comme point commun la recherche d’un cadre de vie de qualité (Flipo and Ortar, 2020).

4. Les ECW de la région aura après la crise sanitaire liée a la COVID-19

28Malgré les limites de leur modèle économique, les ECW sont parvenus à s’installer durablement dans le paysage jusqu’à la crise sanitaire liée à la COVID-19 car ils répondaient à une demande pour ce type de lieu de travail alternatif. Le changement brutal de contexte en mars 2020 a contribué à fragiliser, comme beaucoup d’autres activités économiques, les ECW. Comment les ECW de la région AURA ont-ils traversé cette crise ? Après avoir dressé le tableau des principales évolutions intervenues dans le nombre et la répartition spatiale des ECW (4.1), nous présenterons les mesures que les créateurs considèrent comme ayant eu le plus d’impact sur leur activité (4.2), puis nous conclurons sur la façon dont ils envisagent l’avenir du coworking (4.3).

4.1 Une bonne résistance des ECW de la région AURA à la crise sanitaire

29Au sein de la région AURA, les ECW semblent avoir bien résisté à la crise sanitaire liée à la COVID-19, puisque leur nombre a augmenté entre 2019 et 2021. Grâce à l’actualisation de la base de données établie en 2019, basée sur la même définition des ECW, nous constatons que leur nombre est passé de 126 ECW en 2019 à 168 ECW en 2021. Pour autant, on ne peut pas dire que la crise sanitaire n’a pas eu d’effet, puisque 18 ECW ont fermé, ce qui représente 14 % de l’échantillon de départ. Ces fermetures ont été moins marquées dans les petites villes et les espaces périurbains que dans le centre des métropoles et les villes intermédiaires.

30Sur le plan de la répartition spatiale des ECW au sein de la région AURA, celle-ci n’a pas fondamentalement été remise en cause par le phénomène de disparition/création des ECW. En comparant la répartition des ECW au sein de la région AURA en 2021 par rapport à la répartition de la population active, nous constatons toujours une surreprésentation des ECW dans le centre des métropoles et dans les petites villes polarisant les espaces ruraux (cf. Tableau 2). Concernant ces dernières, si le nombre d’ECW continue d’augmenter, la part qu’ils représentent semble désormais stagner. Ceci peut s’expliquer par le fait que ces espaces plus faiblement peuplés que les autres ne peuvent pas accueillir un nombre indéfini d’ECW. Après avoir beaucoup cru ces dernières années, leur nombre tend à se stabiliser, contrairement à ce qui a pu être observé dans d’autres pays (Bosworth et al., 2021; Mariotti, Akhavan, et al., 2021).

Population active

ECW en 2019

ECW en 2021

Métropole centre

15 %

37 %

35 %

Métropole périurbain

37 %

19 %

23 %

Ville intermédiaire

30 %

20 %

25 %

Petite ville et espace rural

18 %

24 %

18 %

Ensemble

100%

100 %

100 %

Tableau 2 - Répartition de la population active et des espaces de coworking selon le type de territoire en 2019 et 2021, en %

Source : P. Lejoux et N. Ovtracht, à partir des données Coworkworlds 2019 et 2021, INSEE – RP 2015

31Si la répartition spatiale des ECW au sein de la région AURA n’est pas bouleversée, un phénomène de rattrapage semble néanmoins s’opérer dans les villes intermédiaires et dans les couronnes périurbaines des métropoles qui voient leur part augmenter respectivement de 5 points et de 4 points entre 2019 et 2021 (cf. Tableau 2). Il pourrait s’expliquer par une arrivée à maturité du phénomène du coworking. En 2019 ce nouveau mode d’organisation du travail restait encore mal connu, notamment dans ces territoires, comme nous avions pu le constater lors des entretiens menés avec les créateurs d’ECW. Avec le développement spectaculaire des ECW durant les années qui ont précédé la crise sanitaire, il est possible que les projets de création se soient multipliés dans ces territoires qui apparaissaient jusque-là moins propices à leur implantation. Il est possible aussi que les élus, plus au fait du phénomène des ECW, accordent davantage de subventions qu’avant dans ces territoires.

4.2 L’impact non négligeable de la crise sanitaire sur le fonctionnement des ECW de la région AURA

32La passation d’un questionnaire en ligne auprès des créateurs d’ECW de la région AURA nous a permis, ensuite, de mieux comprendre comment ils avaient traversé la crise sanitaire liée à la COVID-19 et l’impact qu’elle avait pu avoir sur eux. Nos résultats montrent que les ECW de la région AURA ont fortement été touchés puisque 67 % d’entre eux ont été dans l’obligation de fermer. La durée de fermeture a été variable, allant de 15 jours jusqu’à 8 mois.

33L’interdiction des déplacements entre le domicile et le lieu de travail et l’obligation de fermeture des lieux accueillant du public apparaissent comme les deux mesures ayant le plus impacté les créateurs d’ECW : 41 % d’entre eux considèrent qu’elles ont eu un impact négatif très élevé. La mise en place de mesures sanitaires et de distanciation physique au sein des locaux ne semble pas avoir perturbé le fonctionnement des ECW, puisque 31 % des créateurs considèrent que leur impact a été moyennement élevé. Enfin, l’instauration d’un couvre-feu semble les avoir peu touchés également.

34Sur le plan financier, c’est avant tout l’impossibilité de pouvoir louer les salles de réunion ou les locaux de l’ECW à des entreprises extérieures qui a été à l’origine de la baisse des revenus  : 59 % des créateurs considèrent qu’elle a eu un impact élevé à très élevé. La résiliation d’abonnements a eu un impact moins important, mais significatif : 43 % des créateurs estiment qu’elle a eu un impact élevé à très élevé.

4.3 Quelles perspectives d’avenir pour les ECW de la région AURA ?

35Enfin, une partie du questionnaire visait à recueillir l’avis des créateurs sur les perspectives d’avenir de leur ECW et du coworking en général. Avec l’amélioration de la situation sanitaire, 82% d’entre eux constatent l’arrivée de nouveaux coworkers au sein de leur espace. Pour 33 % d’entre eux, il s’agit aussi bien de salariés que d’indépendants, pour 25 % surtout d’indépendants et pour 20 % essentiellement de salariés. De nouveaux profils émergent parmi les coworkers avec la présence notamment d’enseignants et d’étudiants. Si ces éléments laissent à penser que les ECW ont démontré leur durabilité, tout n’est pas encore acquis. Questionnés sur la situation actuelle de leur ECW, un tiers la qualifie de « en croissance », un tiers de « retour à la normale » et un tiers de « fragile ».

36Au final, 86% des créateurs d’ECW se déclarent confiants dans l’avenir du coworking. Deux raisons justifient cet optimisme. La première réside dans la meilleure acceptabilité par les entreprises du télétravail, liée à son expérimentation à grande échelle à l’occasion de la crise sanitaire (télétravail à domicile, développement de la visioconférence, etc.). 61 % des créateurs considèrent qu’elle aura un impact élevé à très élevé. La volonté des entreprises de réduire la taille de leurs locaux aura, selon eux, un impact plus modéré sur le développement des ECW. La deuxième raison qui motive leur optimisme est la prise de conscience des limites du télétravail à domicile (isolement social, absence de séparation entre vies familiale et professionnelle) : 62 % des créateurs considèrent qu’elle aura un impact élevé à très élevé.

Conclusion

37Les ECW correspondent-ils à un nouveau mode d’organisation du travail éphémère ou, au contraire, destiné à s’inscrire dans le temps long ? Les résultats de cette recherche menée dans la région Auvergne-Rhône-Alpes incitent à envisager les ECW comme un phénomène durable. Plusieurs arguments viennent étayer cette affirmation. D’abord, les ECW semblent avoir bien résisté à la crise sanitaire liée à la COVID-19, puisque leur nombre a augmenté entre 2019 et 2021, passant de 126 à 168 ECW. Si 14 % d’entre eux ont disparu, leur nombre a augmenté dans tous les types de territoires (métropole centre, périurbain, ville intermédiaire, petites villes polarisant les espaces ruraux) et un rattrapage semble même s’opérer au bénéfice des espaces périurbains et des villes intermédiaires. Ensuite, si le modèle économique des ECW reste encore à trouver, il a tout de même fait ses preuves face à la crise économique. Les fermetures occasionnées par les trois confinements, l’impossibilité de pouvoir louer les salles de réunion et la résiliation d’abonnements par les coworkers ont impacté les revenus des ECW. Malgré ces éléments, un tiers des créateurs d’ECW qualifient la situation de leur espace de « retour à la normale » et un tiers « en croissance ». En effet, 82% d’entre eux constatent l’arrivée de nouveaux coworkers au sein de leur espace. Cet engouement pourrait s’expliquer par le fait que les ECW apportent une réponse à des besoins que les modes d’organisation du travail traditionnels ne permettaient pas de satisfaire jusqu’à présent. Qu’il s’agisse de rompre son isolement social, de mieux séparer sa vie familiale et sa vie professionnelle, de concrétiser un projet résidentiel ou d’opérer une reconversion professionnelle, les ECW, par leur souplesse et leur flexibilité d’usage, permettent de concrétiser des projets professionnels, mais aussi personnels. Ces éléments expliquent peut-être l’optimisme des créateurs d’ECW : s’ils ont fortement été éprouvés par la crise sanitaire liée à la COVID-19, 86% n’en demeurent pas moins confiants dans l’avenir du coworking.

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Notes

1 Le contexte sanitaire restant très incertain, il est difficile d’identifier clairement une période post-COVID-19. Pour le cas de la France, nous considérons que celle-ci commence après la fin du 3e et dernier confinement, soit à partir du 3 mai 2021.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Patricia Lejoux, Aurore Flipo, Nathalie Ortar et Nicolas Ovtracht, « Les espaces de coworking : un phénomène éphémère ou durable ? Enseignements d’une enquête menée en région AURA avant et après la crise sanitaire liée à la COVID-19 »Netcom [En ligne], 36-1/2 | 2022, mis en ligne le 13 février 2023, consulté le 10 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/netcom/6894 ; DOI : https://doi.org/10.4000/netcom.6894

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Auteurs

Patricia Lejoux

Chargée de recherche, Univ. Lyon, ENTPE, LAET, 3 rue Maurice Audin, 69120, Vaulx‐en‐Velin, patricia.lejoux@entpe.fr

Aurore Flipo

Chargée de recherche contractuelle, Univ. Lyon, ENTPE, LAET, 3 rue Maurice Audin, 69120, Vaulx‐en‐Velin, aurore.flipo@gmail.com

Nathalie Ortar

Directrice de recherche, Univ. Lyon, ENTPE, LAET, 3 rue Maurice Audin, 69120, Vaulx‐en‐Velin, nathalie.ortar@entpe.fr

Nicolas Ovtracht

Ingénieur d’études, Univ. Lyon, CNRS, LAET, 14 avenue Berthelot 69 007 Lyon, nicolas.ovtracht@cnrs.fr

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