- 1 La DREES avance que trois médecins généralistes sur quatre avaient mis en place un système personne (...)
1La crise du Coronavirus a eu des conséquences sur la réorganisation des services à la population. Elle a permis au numérique de renforcer son rôle d’opérateur de lien territorial et a révélé de nouveaux usages en matière de téléconsultation1. Cette offre a ainsi émergé en tant qu’outil de coordination distant entre patients et médecins (Da Silva, Rauly, 2016) en se déployant via des plateformes qui invitent le patient à une appropriation autonome (dans le chez-soi ou au travers de ses équipements personnels) ou à pratiquer dans des lieux ouverts au public accueillant des bornes et cabines de téléconsultation.
2Devant l’ampleur du phénomène, la question qui se pose est l’impact que peut avoir la téléconsultation sur un territoire tel que la Normandie, notamment lorsque se pose sur elle le soupçon de déshumanisation et de marchandisation de la santé. Il est un fait incontestable que la téléconsultation perdure bien au-delà du confinement, certes dans des proportions moins importantes, mais avec des promesses de développement extrêmement fortes que ce soit dans le cadre de pratiques autonomes ou accompagnées.
3Cette thèse s’inscrit dans une approche géographique qui puise dans les travaux de chercheurs en géographie de la santé comme dans ceux de la géographie du numérique. Dans le premier cas, il s’agit de s’inscrire dans une tradition de travaux interrogeant l’accès aux soins, leurs modalités, la justice spatiale, et la justice sociale. Dans le deuxième cas, la question qui se pose est celle de la capacité du numérique à offrir des solutions aux problèmes socio-territoriaux. D’autres disciplines seront mobilisées au premier rang desquelles l’aménagement du territoire et l’urbanisme, la sociologie des usages, de même que quelques incursions dans d’autres disciplines comme la gestion ou l’économie.
4Ce croisement de la géographie de la santé et de la géographie du numérique permet de traiter de façon plus riche des questionnements bien repérés par les chercheurs en santé (les difficultés d’accès aux soins qui devraient être plus lourdes encore avec l’avancée en âge de la population, la désertification médicale et la crise des urgences et réenvisagés par la géographie du numérique sous l’angle de l’économie des plateformes et de ses impacts socio-territoriaux.
5La question de la téléconsultation renvoie à un grand nombre de pratiques d’une part et de lieux de pratique d’autres part. Dans le cas de cette thèse deux grandes configurations qui se déploient concomitamment nous intéressent. La première porte sur la téléconsultation en autonomie dans le chez-soi, en situation de mobilité, dans des conditions d’usage qui dépendent essentiellement du patient.
6La seconde est beaucoup plus territorialisée renvoie à des conditions d’usage potentiellement accompagnées par des tiers, pouvant être des professionnels de santé ou des personnes formées pour ces pratiques. Nous n’aborderons pas, dans cette thèse toutes les situations où la téléconsultation est mobilisée. Les téléconsultations qui se font dans les cliniques, depuis les hôpitaux et qui renvoient finalement à de la téléexpertise sont laissées de côté. Ce choix de circonscrire les deux types de téléconsultation en autonomie et accompagnée s’explique en raison du fait que cette thèse interroge la capacité de cette nouvelle offre de consultation à palier les grandes difficultés qui s’annoncent et l’appropriation usagère de ces nouvelles possibilités. Ce sont ces deux retours d’usages qu’il s’agit d’interroger dans cette thèse, dans les relations qu’ils tissent avec le territoire, à l‘échelle de la Normandie.
7Cette thèse dépasse la simple logique de l’offre de téléconsultation pour envisager plus rigoureusement les différentes logiques d’usage dans des configurations territoriales préalablement identifiées. En l’occurrence, la Normandie offre un panel de situations territoriales suffisamment large pour comprendre et comparer les retours d’usage, que ceux-ci soient réalisés en situation d’autonomie ou dans des lieux ouverts au public.
8Cette thèse a ainsi vocation à prendre la mesure de l’adhésion (volontaire, par défaut, non-adhésion…) des usagers à cette pratique de la téléconsultation. Le territoire normand, via des études de cas déterminées, sera examiné pour apporter, face à cette logique proactive de l’offre, les enseignements en provenance des logiques d’usages partant de l’hypothèse qu’in fine c’est l’usager qui valide ou invalide l’innovation territoriale.
9La pratique de téléconsultation est souvent vue de façon univoque et caricaturale : l’ordinateur remplacerait le médecin et la distance remplacerait la proximité. Cette thèse a vocation à montrer qu’il existe sur ces questions toute une série de positionnements entre atterritorialité et reterritorialisation des pratiques, permettant d’envisager la téléconsultation autrement que dans le registre du « pour » ou du « contre ». La téléconsultation n’est pas seulement une innovation technique ou médicale mais aussi une innovation socio-territoriale.
10Nous faisons donc l’hypothèse que la téléconsultation peut améliorer l’offre de soin à partir du moment où l’on sortira des projections caricaturales ou par trop tranchées pour envisager une approche plus nuancée de la question afin de replacer, au cœur de la réflexion, les notions de distance, territorialité, proximité, appropriation et usages.
11De cette hypothèse principale découle trois autres sous-hypothèses :
12En première hypothèse nous considérons que c’est la contrainte qui amène l’usage plus que sa praticité en comparaison avec des pratiques classiques de soin. Cette logique de la contrainte s’exprime notamment par une situation de sous-densité médicale, des complications au niveau des services d’urgence et des difficultés grandissantes dans l’exercice des mobilités. Ce conditionnement de l’usage par la contrainte n’est pas sans conséquences sur la réceptivité des dispositifs par les patients ceux-ci peuvent avoir le sentiment d’une médecine à deux vitesses et d’une prise en charge dégradée. Il importe donc dans cette thèse de faire une part capitale de cet « usage par la contrainte » afin d’en comprendre les impacts en matière d’acceptabilité socio-territoriale.
13La deuxième sous hypothèse qui peut valider ou invalider la proposition « téléconsultation », porte sur la post-adoption c’est-à-dire l’usage réitéré du dispositif sociotechnique que celui-ci débouche sur une téléconsultation en autonomie ou qu’il débouche sur une téléconsultation accompagnée dans des lieux dédiés. Nous faisons l’hypothèse que le succès de la téléconsultation dépend de la confiance renouvelée dans le dispositif par les patients y compris quand son recours n’est pas guidé par l’urgence ou une situation de sous-densité médicale. Ainsi le dispositif s’intégrera dans une offre de soins territorialisée au même titre ou en complémentarité d’une offre médicale classique.
14La dernière sous-hypothèse interroge la capacité des dispositifs à se positionner non plus seulement comme c’est le cas aujourd’hui comme une solution de repli vis-à-vis d’une offre défaillante mais comme un chainon additionnel venant en complémentarité d’une offre de soin devenue éventuellement plus qualitative avec le numérique. Nous faisons l’hypothèse que cette réinvention d’une médecine de proximité augmentée par le numérique, passe par la mise en place des tiers-lieux de santé (principalement dans les pharmacies aujourd’hui mais demain dans les mairies, résidences seniors, maisons de santé…). Ces lieux hybrides accueillant des dispositifs de téléconsultation, des entreprises de la French Tech (H4D, Medadom, Tessan, Healphi) peuvent permettre de reconstituer un lien entre les habitants et leur territoire en matière de santé. Ces tiers-lieux seraient ainsi des têtes de pont de la réinvention d’une médecine de proximité qui ne se limiterait pas pour autant au périmètre communal, départementale ou régional. Ces tiers-lieux donneraient ainsi lieu à une approche beaucoup plus complexe des territoires de soin fait d’ici et d’ailleurs, de proximité et de distance, renouvelant finalement le rythme des soins à l’échelle des territoires vécus.
15Ce travail de thèse s’appuie sur un protocole méthodologique assez classique qui en appelle à la fois à un état de l’art scientifique, à des approches quantitatives et à des approches qualitatives. Enfin de façon moins habituelle il mobilise un jeu sérieux ayant vocation à « faire parler les acteurs ».
16L’état de l’art scientifique qu’il s’agit de réaliser à vocation à prendre la mesure des productions académiques sur le sujet. Le corpus scientifique jusqu’ici réuni montre un relatif impensé géographique et aménagiste, en dépit des enjeux socio-territoriaux posés par ces dispositifs de téléconsultation médicale. Pour autant d’autres travaux en provenance d’autres disciplines (médecine, pharmaceutique, droit, gestion, marketing) sont à retenir bien qu’ils ne fassent une part marginale à la question territoriale. Cette faiblesse n’est pour autant pas définitive certaines analyses commencent à paraître dans la littérature nationale et internationale. Cet état de l’art permettra non seulement de comprendre les différents questionnements et méthodes qui environnent le sujet à l’échelle des sciences humaines et sociales mais il offrira aussi une opportunité de mise en discussion des résultats observés à l’échelle de la Normandie au regard des autres contextes territoriaux.
L’un des grands défis méthodologiques de cette thèse est de parvenir à obtenir des données d’usage tant pour la téléconsultation en autonomie que pour la téléconsultation accompagnée. Ceci passera par la récupération des données auprès de la Caisse Nationale d’Assurance Maladie (CNAM) et d’autres organismes susceptibles de nous en fournir (le « cœur-expert » santé du DATALAB Normandie). L’exploitation de ces données, une fois obtenues, sera statistique et cartographique. Statistiquement, nous aurons une claire idée des volumes de téléconsultation engagée en Normandie tandis que d’un point de vue cartographique une partie de ces données nous permettra de mieux connaître les conditions territoriales présidant à ces pratiques de téléconsultation. En plus de ces données volumétriques de la CNAM, une base de données déjà largement réalisée permettra de mieux connaître les lieux de déploiement de la téléconsultation en pharmacie ou dans d’autres lieux hybrides. Ainsi, cette approche quantitative permettra de dépasser les conjectures et d’avancer un porter à connaissance en phase avec les réalités normandes.
17En fonction de l’indicateur d’Accessibilité Potentielle Localisée (APL) (Bardet et al, 2012), produit par la Direction de la Recherche, des Etudes, de l’Evaluation et des Statistiques (DREES), permettant à l’échelle communale de connaître l’offre de soin potentielle, nous choisirons six configurations territoriales en Normandie afin de voir dans quelle mesure ces nouvelles possibilités d’accès aux soins répondent plus ou moins bien aux besoins territoriaux.
18Ces cas d’usage seront sélectionnés au regard de l’APL mais aussi d’indicateurs moins synthétiques comme ceux mettant au jour les difficultés dans le domaine des urgences, du vieillissement de la population. De même cette approche par l’APL sera complétée par des niveaux plus fin d’analyse autour des territoires vécus à l’échelle des IRIS (désignant des « Ilots Regroupés pour l'Information Statistique » et faisait référence à la taille visée de 2 000 habitants par maille élémentaire2).
19A l’intérieur de ces cas d’usage c’est tout un système d’acteurs qu’il s’agit d’interroger en veillant particulièrement à leur capacité à nous « parler des usages » et des débats engagés notamment avec les habitants/ patients sur la question de la téléconsultation :
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Les médecins du territoire pratiquant ou non de la téléconsultation ;
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Les pharmacies intégrant ou non des dispositifs de téléconsultation accompagnée ;
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Les élus promouvant ou pas la téléconsultation à l’échelle de leur territoire.
20Nous faisons le choix de ne pas interroger a priori les patients du territoire devant les difficultés méthodologiques que cela représente. Toutefois, si dans le cadre de ce travail de terrain, il s’avère possible de mener des entretiens semi-directifs avec une dizaine de patients par cas d’usage, soit une soixantaine d’entretiens au total, alors nous considèrerons cette possibilité. Quoiqu’il en soit, l’obtention des données fiables auprès de la CNAM permettra de traiter ces retours d’usage dont il est question dans cette thèse.
- 3 Projet RIN (Réseau d’Intérêt Normand), financé par la région Normandie via le fond FEDER de l’Union (...)
21Ces six terrains d’études normands seront également l’occasion de faire jouer les acteurs identifiés à un jeu sérieux que nous avons créé (Communaut’Health). Ce jeu, créé dans le cadre du projet RIN EDeTeN3 a pour but de mettre en situation les acteurs face aux défis de la désertification médicale et du vieillissement de la population en posant un regard prospectif sur l’ensemble des options qui se présentent comme autant de choix possibles d’aménagement en matière de santé sur un territoire. Nous orienterons le débat autour de la question de la téléconsultation en adaptant ce jeu à cette question si spécifique de la e-santé. Nous obtiendrons ainsi un verbatim, l’ensemble de la partie étant enregistré et transcris, qui sera analysé (analyse textuelle et lexicale) avec le logiciel IRaMuTeQ.