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III. Perspectives transversales

De la ville contrôlable à la ville complexe : incertitude de la connaissance et fondements rationnels de l’urbanisme

Giovanni Fusco
p. 187-213

Résumés

L’urbanisme moderne s’est traditionnellement bâti sur la croyance dans une ville contrôlable, car connaissable dans ses fonctionnements et prédictible. Or, les dernières décennies ont été marquées par un changement de paradigme. La ville est de plus en plus appréhendée comme étant un système complexe auto-organisé, dont la connaissance est par définition approximative et incertaine, qui évolue à son tour dans un contexte économique et sociétal également marqué par des fortes incertitudes. Cette prise de conscience crée une tension avec la pratique courante de l’urbanisme, et engendre trois types de réponse différentes : abandonner tout idée de plan en s’en remettant aux mécanismes de marché, éliminer l’incertitude dans des grands projets urbains focalisant le contrôle dans l’espace et dans le temps, intervenir de manière plus flexible, en tirant parti de la complexité de la ville, voire en la favorisant. Chacune de ces propositions trouve ses limites mais contribue à faire émerger des nouveaux concepts : la multiplicité des mécanismes de coordination dans la production de la ville, la dialectique entre tentatives de contrôle et auto-organisation, la nécessaire prise en compte de l’incertitude. De manière plus générale, l’intervention consciente sur la ville semble nécessiter d’un nouvel équilibre entre les trois catégories de la connaissance aristotélicienne, l’épistémè, la techné et la phronesis.

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Texte intégral

I. Du positivisme à la complexité : l’aménagement et l’urbanisme à la recherche de nouveaux paradigmes

1La question de la connaissance incertaine s’impose aujourd’hui, sinon dans la pratique, du moins dans le débat sur l’urbanisme et l’aménagement de l’espace. Même si ce débat est loin d’être achevé, marqué par des nombreuses contradictions, il signifie un revirement profond, tant l’incertitude avait été évacuée au cours de l’histoire, y compris la plus récente. En se confrontant à la question de la connaissance incertaine, l’urbanisme est obligé de redéfinir ses fondements rationnels et même sa manière d’intervenir sur le territoire.

  • 1 Voir B. Hudson, « Comparison of Current Planning Theories : Counterparts and Contradictions », Jo (...)

2À partir des années 1950, la pratique professionnelle de l’aménagement de l’espace et de l’urbanisme a pu se développer dans la confiance à l’égard d’un support croissant de théories et de méthodes prédictives issues de la science régionale et des sciences de l’ingénieur. En consonance avec le développement technocratique de l’intervention publique sur le territoire, ingénieurs, économistes, urbanistes et aménageurs ont consolidé l’approche internationalement connue sous la bannière de « rational comprehensive planning »1. Selon cette approche, le comportement des masses d’individus et des acteurs économiques dans l’espace est connaissable et prévisible, tout comme les trajectoires de développement du territoire dans le temps. Le territoire est ainsi programmable par une action de planification rationnelle fondée sur les faits. L’aménagement et l’urbanisme trouvent leur positivisme. Appliqués pour la première fois à Detroit et Chicago, les modèles de prévision de trafic ont été parmi les produits les plus emblématiques de cette époque, permettant de justifier la planification d’un nouvel appareillage d’infrastructures de transport : autoroutes urbaines et pénétrantes, lignes de métro et parkings échangeurs. Mais la programmation et la localisation d’autres équipements publics ou privés, de centres commerciaux et de nouveaux quartiers résidentiels a suivi les mêmes logiques prédictives, basées sur la reconnaissance tacite d’un parcours de développement et de théories bien établies. L’approche fonctionnaliste est partie intégrante de la vision d’une ville programmable : en décomposant l’espace urbain en fonctions par un plan de zonage, le problème est simplifié, la solution devient connaissable et calculable, la programmation rationnelle peut être assurée.

  • 2 Voir G. Chadwick, A Systems View of Planning : Towards a Theory of the Urban and Regional Plannin (...)

3Au cours des années 1960 et 1970, les approches cybernétique et systémique viennent enrichir les premières modélisations linéaires. Des nouveaux modèles peuvent ainsi coupler de manière dynamique les systèmes de transport et l’occupation du sol. De manière plus générale, des boucles d’interaction peuvent être introduites dans les modèles, des systèmes de suivi sont déployés dans les villes, la planification devient un processus et pose l’objectif d’un contrôle optimal au cours du temps. L’aménagement et l’urbanisme se font systémiques2, mais l’horizon épistémique n’est pas remis en discussion. Le passage de la ville programmable à la ville contrôlable, tout en reconnaissant l’existence de systèmes et de dynamiques temporelles, repose sur le même postulat : une connaissance suffisamment précise et certaine des états présents et futurs du système est possible et justifie les plans et les politiques mises en place.

  • 3 E. Morin, La Méthode, 6 vol., Paris, Seuil, coll. « Opus », 2006 (1re éd. 1977).
  • 4 J.-L. Le Moigne, La théorie du système général, Paris, PUF, 1977.
  • 5 Voir en particulier C.S. Holling, « Resilience and Stability of Ecological Systems », Annual Revi (...)
  • 6 Elles sont notamment proposées par C.S Holling et M.A. Goldberg dans « Ecology and Planning », Jo (...)

4Les années 1970 et 1980 marquent l’éclosion de la réflexion sur les systèmes complexes dans les sciences sociales. En France, l’année 1977 voit la publication de deux travaux majeurs, bien emblématiques de cet effort de renouveau : La Méthode d’Edgar Morin3 et La théorie du système général de Jean-Louis Le Moigne4. Ces ouvrages reconnaissent le caractère complexe et auto-organisé des systèmes sociotechniques et réfléchissent sur le type de connaissance que l’on peut avoir de ces systèmes : une connaissance plus qualitative, incapable de différencier nettement causes et effets, objet et sujet, ni de fournir les certitudes propres à la science des systèmes plus simples. Morin définit les systèmes sociotechniques comme relevant d’une complexité auto-éco-organisée : une organisation émerge au cours du temps de manière autonome, tout en intégrant les relations avec son environnement. En écologie, ce sont les travaux de Holling5 qui montrent l’auto-organisation adaptative des écosystèmes, tout comme leur évolution dans des cycles de changement. Des premières réflexions sont alors proposées6 pour établir des analogies avec la complexité des systèmes urbains et les implications pour leur aménagement.

  • 7 Voir F. Hayek, Studies in Philosophy, Politics and Economics, Londres, Routledge, 1967, et id., N (...)

5En économie, Hayek avait déjà remarqué que les sciences sociales étudient des systèmes essentiellement complexes7. Il opère alors une distinction entre la connaissance de type détaillé et celle de principe. La première est celle qui permet d’identifier les causes et les conséquences de phénomènes et de processus pris individuellement. La seconde porte sur des régularités (jamais absolues) qui surgissent lorsque certaines conditions générales sont satisfaites. Dans les sciences expérimentales, lorsque l’on est capable d’éliminer la complexité du système dans son environnement pour reproduire de façon isolée le phénomène d’intérêt, on peut parvenir à des explications et des prévisions détaillées. Dans les systèmes complexes étudiés par les sciences sociales observationnelles, cela n’est pas possible. Nous devons alors nous contenter de connaissances de principe. D’un point de vue opérationnel il n’est pas possible de préciser le temps, le lieu et la magnitude précise des événements prévus : leur connaissance est qualitative. De surcroît, des incertitudes affectent également leur survenue ou non dans des situations particulières : les conditions générales de survenue ont-elles bien été respectées (leur vérification opérationnelle pouvant être à son tour incertaine), ou bien sommes-nous en présence d’autres conditions, exceptionnelles, et non prises en compte dans le comportement typique du système ?

  • 8 Voir S. Levin, « Complex Adaptive Systems : Exploring the Known, the Unknown and the Unknowable » (...)
  • 9 N. Taleb, The Black Swan : The Impact of the Highly Improbable, New York, Random House, 2007.

6En développant sa réflexion à la fois sur les systèmes biologiques, écologiques et sociaux, Levin8 souligne aussi comment l’étude des systèmes complexes auto-organisés adaptatives est l’étude de systèmes limités dans leur prédictibilité. De manière plus générale, l’étude de ces systèmes est caractérisée par une tension continue entre le connu, l’inconnu et l’inconnaissable, acceptant par-là l’impossibilité d’une connaissance exhaustive, macroscopique et microscopique, de leur état et de leur devenir. Plus récemment, Taleb9 pose la question de l’imprédictibilité comme consubstantielle à l’évolution future des systèmes, remettant en question le fait que l’on puisse se satisfaire des comportements typiques, connaissables en principe selon Hayek. Des phénomènes hautement atypiques (et donc extrêmement rares), qu’il appelle cygnes noirs, peuvent avoir un impact majeur dans le fonctionnement et dans l’évolution des systèmes complexes, modifiant à jamais leur structure.

  • 10 Voir en particulier J. Portugali, Self-Organisation and the City, Berlin, Springer, 2000 ; S. Man (...)

7Le tournant de la science de la complexité ne pouvait pas épargner les études urbaines en détruisant la prétention de capacité prédictive sur laquelle reposait classiquement l’aménagement urbain de l’après-guerre10. Les villes sont des systèmes complexes largement auto-organisés, caractérisés par une multitude d’interactions non-linéaires entre assemblages d’éléments. Elles sont des systèmes en perpétuel déséquilibre, montrent parfois des dynamiques chaotiques et ne sont pas contrôlables. Les premières approches computationnelles de la complexité urbaine ont cependant donné l’impression de pouvoir substituer les modèles précédents, systémiques et déterministes, plus ou moins agrégés et fondés sur la théorie du contrôle optimal, avec les nouveaux modèles de simulation de systèmes complexes. Les décideurs, friands d’expertise dans l’aide à la décision, ont cru pouvoir encore demander à une nouvelle génération de modélisation urbaine des prédictions de l’état futur de la ville.

  • 11 J. Portugali, Self-Organisation and the City, Berlin, Springer, 2000.

8En réalité, la théorie de la complexité montre que les systèmes urbains ne sont ni prédictibles, ni contrôlables. Portugali11 développe ainsi les conséquences de cet état de fait épistémique sur la pratique de l’aménagement et de l’urbanisme. L’intervention sur la ville du rational comprehensive planning se justifiait par la reconnaissance des limites des mécanismes de marché (externalités, tendances à la spéculation, etc.). Surtout, elle était rendue possible par la capacité de la science à expliquer le passé et le présent, et à prédire le futur. Or, si la ville complexe est imprédictible et incontrôlable par nature (et pas seulement par une déficience technique surmontable), si les interventions programmées ne produisent pas les effets escomptés, comment justifier une intervention sur elle ? Y-a-t-il encore un sens à l’aménagement ?

9C’est dans ce contexte que, au cours des années 2000, un nouveau dialogue a pu être entamé entre urbanistes, aménageurs, et chercheurs de l’urbain, essentiellement géographes, réfléchissant à la question de la connaissance des villes (et même de leur connaissabilité) dans le cadre de la science de la complexité, débat qui a mis en évidence la nécessité de nouveaux paradigmes rationnels d’intervention sur les villes. La reconnaissance de l’impossibilité d’une connaissance urbaine dotée de certitude et de précision a également ouvert la voie à l’intégration de connaissances d’un autre type, notamment de connaissances incertaines. Un détour par le concept de connaissance incertaine s’impose à ce point de la discussion.

II. L’incertitude des connaissances, sa graduation et son rapport avec la complexité

  • 12 Sur cette question, voir R. Audi, Rational Belief. Structure, Grounds, and Intellectual Virtue, O (...)
  • 13 A. MacFarlane, « Information, Knowledge and Intelligence », Philosophy Now, vol. 98, 2013, p. 18- (...)

10Au sein du paradigme positiviste, la connaissance scientifique est une connaissance certaine. L’incertitude est apparentée à l’ignorance et le but de la recherche scientifique est précisément de faire reculer ses limites. Or, nous avons la possibilité de formuler d’autres croyances qui ne sont pas des connaissances certaines mais des hypothèses temporaires que l’on souhaite vérifier. Il existe donc un autre type de connaissance affectée d’incertitude, la croyance rationnelle12, pour lequel la connaissance certaine n’est qu’un cas très particulier. Selon MacFarlane13, la capacité des humains à formuler des croyances et à les tester dans l’action est essentielle à notre survie dans un monde en évolution constante. Le récents développement de l’intelligence artificielle, toute comme l’étude des systèmes complexes, permettent de donner un statut à ces connaissances incertaines au sein du processus de production des connaissances des différentes disciplines scientifiques.

  • 14 N. Taleb, The Black Swan…, op. cit.
  • 15 W. Walker, R. Lempert et J. Kwakkel, « Deep Uncertainty », dans S. Glass et M. Fu (éd.), Encyclop (...)
  • 16 J. Kwakkel et E. Pruyt, « Exploratory Modelling and Analysis, an approach for model-based foresig (...)
  • 17 A. Stirling, « Keep it complex », Nature, vol. 468, 2010, p. 1029-1031.
  • 18 W. Walker, R. Lempert, et J. Kwakkel, « Deep Uncertainty », art. cit.

11En réfléchissant sur les processus décisionnels publics et privés, plusieurs auteurs (N. Taleb14 ; W. Walker, R. Lempert, et J. Kwakkel15 ; J. Kwakkel et E. Pruyt16, A. Stirling17) ont proposé l’existence de niveaux gradués d’incertitude entre les deux extrêmes de la connaissance certaine et de l’ignorance complète. Je reprends ici l’essentiel de la graduation proposée par Walker et al.18. Elle a l’avantage de porter l’attention également sur les modélisations qui, comme nous l’avons vu, ont joué un rôle déterminant dans l’émergence du rational comprehensive planning.

12Le premier niveau est celui de l’incertitude marginale, voire négligeable. On dispose d’un et d’un seul modèle de type déterministe des phénomène étudiés que l’on considère valide. La seule incertitude possible est liée à la sensibilité du résultat par rapport à quelques paramètres qui restent à calibrer. Le second niveau, d’incertitude peu profonde (shallow uncertainty), est celui du modèle probabilisé. On dispose d’un et d’un seul modèle, avec des paramètres probabilistes, et susceptible de produire une pluralité de résultats auxquels sont attachés des probabilités. Le troisième niveau est celui de l’incertitude moyenne (medium uncertainty). On dispose de plusieurs modèles du système étudié, relativement comparables, que l’on peut ordonner en termes de plausibilité perçue, autant que leurs résultats.

13Les deux niveaux successifs sont ceux de l’incertitude profonde (deep uncertainty). Dans le quatrième on dispose d’une pluralité de modèles, aux structures différentes et difficilement comparables. On ne peut pas ordonner ces modèles et leurs résultats par ordre de plausibilité perçue, car les connaissances expertes et les hypothèses théoriques sont contradictoires et les références empiriques insuffisantes. On peut néanmoins explorer des vastes ensembles de résultats possibles. Dans le cinquième niveau aucun modèle complet du système étudié n’est disponible, mais seulement quelques éléments très partiels de connaissance et plusieurs conjectures : nous savons ne pas savoir et nous sommes dans le domaine de l’ignorance reconnue, qui est en tous cas différent de l’ignorance totale.

14Ces niveaux d’incertitude ne sont pas nécessairement des stades de progression de la connaissance. De surcroît, si les connaissances dans certains domaines ont pu migrer d’un état d’incertitude à l’autre, elles l’ont fait dans les deux sens. Dans certains domaines, la compréhension de mécanismes jusque-là peu éclairés a pu réduire la profondeur des incertitudes ; dans d’autres, la prise de conscience de la complexité des interactions, précédemment ignorées, et l’accumulation de théories alternatives ont en revanche rendu le cadre des connaissances plus incertain.

15Les niveaux d’incertitude sont davantage liés à la complexité des phénomènes étudiés et, indirectement, à l’ampleur des questionnements formulés, à la façon de découper le réel en mécanismes isolés ou en systèmes et sous-systèmes plus ou moins complexes, à l’ambition de vouloir aborder ou non les évolutions structurelles de l’auto-organisation du système. Corrélativement, ces niveaux renvoient à des méthodologies différentes dans le traitement des connaissances incertaines.

  • 19 N. Taleb, The Black Swan…, op. cit.
  • 20 W. Weaver, « Science and Complexity », American Scientist, vol. 36, 1948, p. 536-544.

16Les incertitudes négligeables caractérisent en effet les problèmes simples, où des mécanismes isolables dans des contextes expérimentaux impliquent un faible nombre de variables et sans processus d’interaction non linéaire et d’accumulation. Les modèles déterministes y sont possibles. Les incertitudes peu profondes sont encore maitrisables par la théorie des probabilités, essentiellement dans une approche fréquentielle bien adaptée à des phénomènes stables. C’est le domaine que Taleb19 qualifie de Médiocristan et que l’on peut même étendre à la complexité non organisée (déjà définie par Weaver dans son article fondateur de 194820), comme celle de la multitude des molécules d’un gaz : les tendances centrales des distributions des éléments du système sont informatives du comportement macroscopique du système dans son ensemble.

17Les incertitudes moyennes renvoient déjà à des niveaux de complexité supérieure, car elles caractérisent la connaissance de sous-systèmes bien délimités et structurellement stables au cours du temps, dans le cadre de systèmes complexes. La reproduction expérimentale des mécanismes hors de leur contexte devient très difficile, voire peu informative (le système ne peut être compris que dans son interaction avec l’environnement). L’élicitation de connaissance experte doit être couplée à celle acquise des données par le biais de formalismes plus sophistiqués de la connaissance incertaine (probabilités bayésiennes, probabilités imprécises, théories des évidences et des possibilités).

  • 21 F. Hayek, New Studies in Philosophy, Politics, Economics and the History of Ideas, op. cit.
  • 22 N. Taleb, The Black Swan…, op. cit.

18Les incertitudes profondes caractérisent des systèmes complexes auto-éco-organisés appréhendés dans leur globalité, dans leur évolution structurelle au cours du temps, et offrant des plans d’observation tellement différents que des approches théoriques différentes peuvent fournir des modélisations apparemment incompatibles entre elles. Lorsque ces différents modèles sont au moins disponibles auprès des experts (niveau 4), les formalismes de la connaissance incertaine (par exemple la théorie des possibilité qualitatives) peuvent encore être employés pour essayer de mieux structurer nos connaissances. On pourrait éventuellement parvenir à des explications de principe du fonctionnement de ces systèmes complexes, au sens d’Hayek21 : identifier qualitativement les attracteurs des dynamiques possibles et faire différentes conjectures sur l’issue des dynamiques observables. Ces différentes approches nécessitent néanmoins de la stabilité structurelle des phénomènes. En voulant aborder les transformations structurelles des systèmes complexes auto-éco-organisés, on glisse graduellement dans les incertitudes profondes de niveau 5. Les dynamiques cumulatives et non linéaires des interactions, l’extrême variété des perturbations externes pouvant intervenir sur elles rendent imprédictibles les évolutions structurelles sur le long terme. Les distributions statistiques de différentes variables clés de ces systèmes montrent des queues épaisses, souvent des lois de puissance, pour lesquelles les paramètres statistiques classiques de la moyenne et de la variance ne sont pas stables et ne sont en tous cas pas informatifs des phénomènes macroscopiques émergeant dans le temps. Ceux-ci peuvent être impactés par des valeurs extrêmes pour lesquelles on ne peut identifier aucun temps de retour fiable. Pour Taleb22, on est dans le domaine de l’Extremistan, celui des cygnes noirs. Qu’il s’agisse de systèmes écologiques ou sociotechniques, les changements structurels soudains qui peuvent y survenir ne sont explicables qu’a posteriori et de façon qualitative. La théorie de l’évolution des espèces, par exemple, ne peut pas être employée pour prédire ni les caractéristiques d’une nouvelle espèce, ni le temps, le milieu et les modalités de son apparition. Des nombreux domaines des sciences sociales manquent même de cadres théoriques aussi englobants que celui de l’évolution des espèces. Ainsi, nous ne disposons d’aucune théorie prédictive à longue terme de l’évolution des systèmes sociotechniques, la ville en étant un bien particulier, avec ses spécificités.

  • 23 N. Taleb, Antifragile. Things that gain from disorder, New York, Random House, 2012.

19Reconnaître ces domaines d’ignorance ne revient cependant pas à être dans une situation d’ignorance absolue. À ce propos, Taleb23 suggère d’adopter une épistémologie négative dans ces situations d’incertitude profonde : on peut conclure avec une certaine confiance qu’un système ne possède pas une certaine caractéristique, qu’une règle d’association n’est pas valable, qu’un certain phénomène n’en cause pas un autre, qu’un état particulier du système n’est pas atteignable. Cette via negativa reste une boussole précieuse en contexte d’incertitude profonde : si l’on peut déterminer ce qui est faux, on connait déjà beaucoup. De manière tout à fait générale, l’incertitude profonde oblige à une grande modestie épistémique et conduit à adopter des approches qualitatives.

20Or, quelles répercussions a eu la reconnaissance de l’incertitude des connaissances dans les domaines de l’aménagement de l’espace et de l’urbanisme ?

III. Incertitude superficielles et profondes en aménagement et urbanisme

  • 24 Y. Chalas et O. Soubeyran, « Incertitude, environnement et aménagement : Quelle rupture ? », dans (...)
  • 25 Voir K. Christensen, « Coping with Uncertainty in Planning », Journal of the American Institute o (...)

21Selon Chalas et Soubeyran24, l’incertitude n’a jamais été complètement absente dans la théorie et dans la pratique de l’urbanisme et de l’aménagement. Mais il s’agissait traditionnellement d’incertitudes résiduelles et c’était précisément par le plan que l’on sécurisait les objectifs fixés, en les mettant à l’abris des aléas de la conjoncture et des décisions autonomes des acteurs. L’effort de réduction et d’élimination de l’incertitude devenait la raison même de l’action planificatrice. Christensen pouvait ainsi écrire que les aménageurs détestent l’incertitude et s’efforcent pendant toute leur vie professionnelle de la réduire25. Pourtant, la même auteure reconnaissait aussi que, dans cette lutte contre l’incertitude, les aménageurs vont parfois trop loin. Pour la première fois (nous sommes dans les années 1980), on reconnait des situations où l’action aménagiste, classiquement comprise, est au moins prématurée, car le contexte d’intervention présente des incertitudes qu’il est impossible de lever simplement.

22Christensen propose ainsi de différencier les cas où les technologies de l’aménagement, au sens large, sont connues, de ceux où elles ne le seraient pas. Il s’agit de technologies d’intervention et de programmation pour atteindre les objectifs fixés, mais également de méthodologies analytiques et de modèles prédictifs. Mais elle propose également une distinction entre les situations où les objectifs seraient connus et partagés parmi les acteurs, et celles où ils n’auraient pas encore été définis et coordonnés. Le domaine du rational compréhensive planning est clairement celui des technologies connues pour des objectifs définis : l’aménageur peut l’utiliser pour réduire les incertitudes résiduelles. Dans les autres domaines, cet effort serait vain, car des incertitudes plus profondes ne le permettraient pas. La situation des technologies inconnues demanderait ainsi des approches d’expérimentation et d’innovation, où l’erreur devient un élément d’apprentissage (learning by doing) et où l’on accepte une situation épistémique moins confortable que celle du rational compréhensive planning. En l’absence d’objectifs partagés, en revanche, les aménageurs devraient travailler davantage sur la négociation entre acteurs et sur la facilitation, voire s’engager dans la démarche de l’advocacy planning pour faire émerger des voix qui resteraient sous-représentées. La situation de technologies inconnues face à des objectifs non définis serait encore plus problématique et demanderait un investissement conjoint de décideurs et aménageurs dans le domaine du problem building (définition de la question). Les aménageurs ont souvent ignoré ces trois situations de connaissance imparfaite, se précipitant vers une programmation et/ou des objectifs prématurés : le résultat a été souvent une augmentation des conflits et des résultats inattendus. Si, pour Christensen, l’aménageur doit reconnaitre son déni d’incertitude pour revenir à des phases préalables, l’horizon est toujours celui d’un travail en amont pour parvenir à terme à la situation où le rational comprehensive planning pourrait être valablement appliqué.

  • 26 Voir Y. Chalas et O. Soubeyran, « Incertitude, environnement et aménagement… », art. cit.

23Une autre tradition de prise en compte des incertitudes en aménagement et urbanisme est celui de l’anticipation des conséquences non intentionnelles des plans et des projets26. La réponse encore une fois consiste à essayer de maitriser ces incertitudes par des études d’impact, en simulant les conséquences des interventions dans des modélisations probabilistes des différentes aléas. On reste donc dans le cadre d’un territoire prévisible, même si ce n’est que de manière probabiliste.

24Les incertitudes profondes, en revanche, sont celles qui mettent le plus radicalement en crise les approches classiques du rational comprehensive planning. Il est question de connaissances contradictoires et de pluralité de modèles incomparables ou encore d’absence de modèles et de non connaissabilité. Elles caractérisent précisément les connaissances qui portent sur un système complexe dans son ensemble, tel qu’une ville ou une aire métropolitaine lorsqu’il s’agit de proposer un plan directeur ou un grand projet urbain, avec une visée prospective de plusieurs décennies.

  • 27 S. Marshall, « Planning, Design and the Complexity of Cities », dans J. Portugali et al. (éd.), C (...)
  • 28 Y. Chalas et O. Soubeyran, « Incertitude, environnement et aménagement… », art. cit.

25Marshall27 reconnait trois aspects de non connaissabilité qui concernent l’urbaniste et l’aménageur. Le premier est la non connaissabilité de l’état et des fonctionnements précis du système complexe qu’est la ville aujourd’hui, une situation épistémique que l’urbaniste partage avec le géographe, le sociologue ou l’économiste. Le second est la non connaissabilité des effets des interventions, des plans et des projets, sur les fonctionnements futurs de la ville. À ce propos, Chalas et Soubeyran28 reconnaissent aussi qu’une intervention sur l’espace dont les conséquences et, in fine, le sens même, émergeraient a posteriori, met en discussion la pratique de l’aménagement et de l’urbanisme en tant qu’intervention consciente et délibérée sur l’espace géographique.

  • 29 Voir K. Lynch, Good City Form, Cambridge MA, MIT Press, 1981.

26Marshall identifie en tous cas un troisième aspect de non connaissabilité : celle d’un état futur optimal d’organisation et de fonctionnement de la ville, état optimal qui aurait une valeur normative pour justifier les interventions de l’urbaniste. Un artefact (un bâtiment, une machine) fonctionne de façon optimale lorsqu’il permet de réaliser les prestations prévues par ses concepteurs. De même, l’organisme biologique atteint un état optimal lorsqu’il est capable de se reproduire, selon le programme de son code génétique. Mais les fonctionnements des systèmes non téléologiques tels que les écosystèmes et les villes ne peuvent pas être évalués à l’aune d’un petit ensemble de fonctions objectifs. Quels sont les objectifs de la ville et, par rapport à ces derniers, quelle est sa taille optimale ? Quelle est son organisation interne optimale ? Quels sont ses fonctionnements optimaux ? Voilà quelques questions qui ont nourri des belles controverses dans l’histoire de l’urbanisme, sans pouvoir parvenir à des conclusions consensuelles, ni théoriques, ni opérationnelles29. L’analogie de la praxis de l’urbaniste avec celle de l’ingénieur qui optimise sa machine ne peut plus tenir si l’on accepte le caractère complexe et auto-organisé de la ville.

  • 30 I. Blecic et A. Cecchini, Verso una pianificazione antifragile. Come pensare al futuro senza prev (...)

27Selon Blecic et Cecchini30, en ce qui concerne la prévision dans les systèmes complexes que sont les villes, il y a peut-être des obstacles ontologiques, il y a en tout cas des obstacles théoriques et de modélisation et certainement des obstacles opérationnels (impossibilité d’identifier et de calibrer toutes les relations du système et ses multiples relations avec l’environnement extérieur, impossibilité de mesurer son état fait d’innombrables variables objectives et subjectives, etc.). Or, ces derniers suffisent largement à nous faire prendre conscience de notre faible capacité à faire des prévisions sur lesquelles fonder l’action aménagiste. Mais, continuent ces auteurs, il ne s’agit pas d’une imprévisibilité absolue, car des patterns de comportement sont parfois identifiables (comme dans l’explication de principe de Hayek). Le problème est que l’approche traditionnelle de l’aménagement urbain se fonde sur des prévisions locales et précises pour justifier ses plans et ses politiques, qui s’imposeront à l’ensemble des acteurs urbains, parcelle par parcelle. Or, c’est exactement le type de prévision que les obstacles identifiés rendent très incertain, difficile et souvent impossible. Une tension surgit alors entre la logique conventionnelle de l’aménagement et la demande de prévision.

28Face à cette nouvelle tension, théoriciens et praticiens de l’urbanisme proposent trois solutions possibles : abandonner tout idée de plan, éliminer l’incertitude dans des grands projets urbains, intervenir en tirant parti de la complexité de la ville, voire en la favorisant.

IV. Une position extrême : face à la complexité, abandonner la téléocratie, poursuivre la nomocratie

  • 31 Voir S. Moroni, « Rethinking the theory and practice of land-use regulation : Towards nomocracy » (...)
  • 32 N. Alfasi et J. Portugali, « Planning rules for a self-planned city », Planning Theory, vol. 6, n(...)
  • 33 A. Bertaud, Order without Design. How Markets Shape Cities, Cambridge MA, MIT Press, 2018.

29La position d’Hayek sur l’impossible connaissance certaine de l’état d’un système social complexe a exercé une certaine influence au-delà de l’économie. En ce qui concerne l’aménagement et l’urbanisme, Moroni31, tout comme Alfasi et Portugali32, ou Bertaud33, y trouvent une justification pour une position relativement extrême, qui repose davantage sur les mécanismes de coordination des marchés que sur ceux des plans d’urbanisme. Il faut abandonner la poursuite d’une structure urbaine souhaitée (en termes de localisation d’activités, de bâtiments, etc.), identifiée dans un plan qui s’imposerait aux acteurs de la ville, car cette structure se fonde sur une connaissance impossible à obtenir. Il faut, au contraire, laisser la libre interaction des agents (ménages, promoteurs immobiliers, entrepreneurs) faire émerger la structure urbaine qui s’adaptera le mieux à un futur inconnu. La solution aux problèmes de l’aménagement sera l’auto-organisation que les décideurs publics devront tout simplement favoriser.

30Cette position demande un changement complet des outils mobilisés pour l’aménagement : il faut abandonner les instruments de structuration de l’espace par le projet (patterning instruments, comme les plans de zonage de l’urbanisme règlementaire et les plans de masse des projets urbains) et se concentrer sur des instruments qui donnent un cadre de règles simples pour les actions autonomes des projets individuels (framework instruments). Les patterning instruments seront alors utilisés seulement pour les projets publics financés sur des fonds publics (infrastructures et équipements publics) dans un souci de transparence démocratique et d’orientation pour les actions des acteurs privés. Les règles serviront essentiellement pour interdire des externalités négatives non désirées, pour permettre à chaque acteur privé de pouvoir exclure un certain nombre de nuisances de la part des propriétaires des parcelles avoisinantes, et pour échanger des droits à bâtir. Elles servent à filtrer les possibles et devraient, selon ces auteurs, être toujours exprimées de manière négative, laissant pleine liberté à tout ce qui n’est pas spécifiquement interdit. Dans le contexte de l’inconnaissabilité des états futurs et des solutions optimales à poursuivre, il y a dans ces préconisations un lien avec la via negativa dans la gestion d’un système complexe.

31Deux questions centrales semblent néanmoins fragiliser cette position. D’abord, comment obtenir la coordination entre les acteurs individuels ? Selon ces auteurs, les signaux envoyés par les marchés (les prix) et les décisions autonomes des acteurs économiques sont suffisants. La coordination du marché serait plus souple que celle des plans : les prix s’ajustent rapidement à un changement de contexte, là où les plans suivent des procédures de révision bien plus longues. Surtout, les marchés se fondent sur l’intelligence collective d’une multitude d’acteurs, les plans sur des connaissances impossibles à ressembler. Or, quels sont les présupposés dans la capacité de l’interaction entre acteurs à parvenir à des solutions collectivement souhaitables (un élément essentiel dans l’approche libérale de Hayek) ? La théorie économique identifie la capacité des marchés à optimiser l’allocation des ressources aux acteurs qui sont capables d’en tirer le meilleur bénéfice. Or, l’allocation optimale des sols et des droits à bâtir entre les acteurs, tout en respectant quelques règles d’interdiction de nuisances, est-elle suffisante à produire une ville souhaitable ? Et pour en venir aux preuves empiriques, quelle a été la part de la coordination par le marché dans la production de la ville auto-organisée souvent observée au cours de l’histoire urbaine ?

  • 34 J. Vance, The Continuing City. Urban Morphology in Western Civilization, Baltimore, Johns Hopkins (...)
  • 35 M. R. G. Conzen, « Alnwick, Northumberland : a study in town-plan analysis », Transactions and Pa (...)
  • 36 S. Muratori, Studi per una operante storia di Venezia, Rome, Istituto Poligrafico dello Stato, 19 (...)
  • 37 G. Caniggia et G. Maffei, Lettura dell’edilizia di base, Florence, Alinea, 1979.
  • 38 D. Badariotti, « Les processus morphodynamiques des villes, énigmes et traces », 13es journées de (...)
  • 39 B. Hakim, Arab-Islamic City. Building and Planning Principles, New York, Kegan Paul International (...)

32Des auteurs comme Vance34, Conzen35, Muratori36, Caniggia et Maffei37 ou Badariotti38, montrent que la ville traditionnelle du moyen-âge européen n’était pas le simple produit émergeant d’actions individuelles disparates. Hakim39 fait de même pour la ville arabo-islamique. L’émergence des structures urbaines était régie par des règles culturelles, codifiées ou même simplement coutumières, qui subordonnaient les projets des acteurs individuels. Les types architecturaux, les matériaux utilisés, les ordres, les styles, la manière de concevoir l’assemblage des bâtiments le long des rues et des places, d’interconnecter des rues entre elles, le rapport entre le minéral et le végétal, les hauteurs maximales, sont des règles culturelles qui se sont imposées à l’initiative individuelle au cours des siècles. Est-ce encore le cas aujourd’hui ? Dans une certaine mesure, les règles de la libre initiative dans une économie de marché ont eu comme objectif et comme conséquence l’affaiblissement et le dépassement des contraintes culturelles qui régissaient traditionnellement l’interaction socioéconomique entre les acteurs humains. La liberté d’entreprendre a eu un rôle essentiel dans la révolution industrielle et, par la suite, dans les nouvelles vagues d’innovation sociotechnique dont les NTIC ne sont que la toute dernière. On peut en dire autant des règles de fabrication de la ville. Même si des normes culturelles continuent à influencer l’offre et la demande de types architecturaux et de formes urbaines, celles-ci n’exercent qu’une coordination relativement fragmentée : la fabrication de la ville s’apparente plus à l’assortiment d’un étalage de supermarché (organisé par segments de clientèle) qu’à la réalisation d’une culture urbaine partagée.

33Après tout, qu’entend-on par solution collectivement souhaitable ? Et quelle connaissance (même incertaine) justifie les règles de la coordination par les marchés ou par les cultures urbaines ?

  • 40 S. Moroni, « Complexity ant the inherent limits of explanation and prediction… », art. cit.
  • 41 E. Talen E, City Rules : How Urban Regulations Affect Urban Form, Washington, Island Press, 2012.

34Une seconde considération, fragilisant la position de Moroni, Bertaud, Alfasi et Portugali, est que leur raisonnement se focalise toujours sur la disposition de quantités de bâtiments et de fonctions dans l’espace urbain. Aucune attention n’est portée à la forme urbaine. Moroni40 prend même expressément distance avec Talen41, urbaniste américaine qui explore la possibilité de concevoir un système de règles ayant pour but de produire des formes souhaitables. Pour Moroni, contraindre les formes est déjà glisser vers le « patterning » du projet. Or, les règles culturelles étaient surtout des règles régissant l’assemblage des formes, y compris en ce qui concerne les espaces publics, elles ne concernaient qu’exceptionnellement les types d’activités admissibles ou la quantité du bâti.

35Ce que je veux dire par ces deux considérations est qu’une connaissance urbaine est toujours injectée dans l’urbanisme des règles. Cette connaissance peut nous venir de l’analyse empirique de l’histoire urbaine, ou bien des modélisations à base de règles implémentables aujourd’hui sur un support informatique, avec toutes les incertitudes liées au passage du cas d’étude à la règle générale ou du modèle à la réalité. Un système de règle n’impose pas directement une solution spatiale unique, morphologique ou fonctionnelle, mais il en exclut déjà certaines (cette fonction de filtre est reconnue par Moroni). Or, si les règles n’imposent rien sur la coordination des formes, seuls certains tissus urbains et certaines configurations pourront être produits, et pas d’autres. Pour être très concret : des tissus de bâtiments mitoyens et alignés aux rues (comme ceux des formes traditionnelles, spontanées ou planifiées, de la ville européenne jusqu’au début du xxe siècle) ne pourront pas émerger d’un système de règles donnant pleine liberté dans la disposition des bâtiments au sein des parcelles ou même interdisant expressément de se situer en bordure de parcelle. Finalement, ce qui doit être collectivement souhaitable est-il une solution de localisation de bâtiments et de fonctions ou une forme ? Ou encore une articulation entre les deux ?

36Aucun des auteurs cités n’aborde cette question. Il est probablement sous-entendu que la résultante des interactions de marché sera par définition la solution collectivement souhaitable, car elle prendra en compte les préférences de tous les acteurs qui y auront participé. D’autre part, Moroni et Bertaud demandent encore à la puissance publique de fournir un plan des infrastructures publiques (rues, équipements, etc.). Or, quelle organisation spatiale faut-il donner à ces interventions publiques ? Tout particulièrement, la morphologie urbaine montre que le réseau des rues est un élément essentiel de la forme urbaine. Les connaissances que nous avons sur la complexité structurelle de la ville, même si elles sont qualitatives et incertaines, ne devraient-elles pas être exploitées pour guider cet effort d’intervention consciente sur la ville ?

V. S’abstraire de la complexité et de l’incertitude : les grands projets urbains

  • 42 Voir N. Arab, L’activité de projet dans l’aménagement urbain : processus d’élaboration et modes d (...)
  • 43 Le projet des Docklands de Londres a concerné 2200 ha, entre 1981 et 1998.
  • 44 M. Bédard et S. Breux, « Non-lieux et grands projets urbains. Une inéluctable équation ? Perspect (...)

37Une seconde manière de répondre à la crise de l’aménagement urbain traditionnel a été le recours aux grands projets urbains42. Les plans directeurs du rational compréhensive planning avec leurs zonages et leurs prescriptions ne sont plus justifiables et, surtout, ne sont plus en mesure d’assurer leur pertinence et leur réalisation à terme. À partir des années 1980 et 1990, les aménageurs vont alors se focaliser sur des sites urbains stratégiques, sur des étendues pouvant aller de quelques dizaines à plusieurs centaines d’hectares, voire plus43, et concevoir des démarches d’urbanisme opérationnel ambitieuses, mais extrêmement contrôlées. Loin de n’être qu’un simple plan de masse qui s’imposerait aux tiers, le projet urbain crée jusque dans les détails la ville physique et ses fonctions, planifie financièrement sa réalisation et sa commercialisation. Il s’agit très souvent de partenariats public-privé, où l’entité publique assure la maitrise foncière et les procédures exceptionnelles de validation, et où l’entité privée fournit des capitaux et la commercialisation. Un grand projet urbain se gère sur 20 ans, parfois même davantage, mais pour assurer sa réussite il faut le soustraire aux aléas des dynamiques urbaines. Dans un contexte de plus en plus incertain, l’extrême contrôle du projet est à la fois la clé de sa réussite et sa raison d’être. Si la ville n’est pas contrôlable dans son ensemble, elle l’est au moins dans des fragments significatifs. Londres a ainsi produit son énorme projet des Docklands, Paris les grands projets de la Défense et de Rive Gauche, Lyon a lancé son projet Confluence, Marseille son EuroMéditerranée. Les démarches sont exceptionnelles également dans la gouvernance. En France, c’est souvent un établissement public d’aménagement qui assure la maîtrise d’ouvrage et pilote le projet avec les partenaires privés, dépassant les contraintes de l’urbanisme réglementaire ordinaire. L’incertitude est niée mais elle ne disparait pas pour autant. Les capitaux investis sont considérables, le contrôle doit assurer la réussite du projet, au moins jusqu’à sa commercialisation. Or, les risques de ces démarches ne sont pas les mêmes pour les investisseurs privés et pour les collectivités locales. Les premiers doivent gérer le risque d’un échec commercial au sein d’un portfolio de projets lancés au niveau international. Ils minimisent ce risque d’abord en démultipliant et en diversifiant les projets. En second lieu, ils le font en élargissant leur marché et en répondant à une demande de plus en plus globale d’immobilier d’entreprise ou résidentiel. Une certaine standardisation des solutions proposées et leur relative indifférence aux lieux, en dépit de la signature d’un grand architecte, ont ainsi été souvent soulignées44. Les seconds supportent un risque énorme non seulement financier, mais surtout en termes de fragilisation du seul territoire dont ils disposent : l’avenir d’une ville entière risque d’être lié au succès du grand projet. Bien évidemment, c’est la taille relative entre le projet et la ville qui compte et Paris ou Londres pourront résorber l’échec de l’aménagement de 200-300 ha de leurs territoires, bien plus aisément que Lyon ou Marseille. Le risque d’échec pour la collectivité ne s’arrête d’ailleurs pas à la commercialisation : les dysfonctionnements et l’incapacité à s’adapter à un contexte incertain et changeant pourraient émerger à des horizons temporels beaucoup plus lointains.

38Se pose également la question du raccord, toujours difficile, entre fragment contrôlé et ensemble métropolitain incontrôlable. La logique du contrôle pousse la plupart des grands projets urbains à rechercher un raccord minimal avec le contexte urbain environnant : la poursuite de quelques grands axes, voire des connexions de transport (métro, ligne ferrée, autoroute urbaine) ne nécessite pas la continuité urbanistique. La continuité des liaisons piétonnes n’est pas toujours souhaitée, et devient souvent impossible (lorsque, par exemple, un tramage de voirie ordinaire tous les 50-80 mètres doit se raccorder aux grands îlots et aux énormes parcelles des projets urbains). Rarement des interfaces d’échelle humaine (places et placettes, petits jardins publics) facilite le mélange des populations sur les bords des grands projets : les différentiels socioéconomiques sont souvent forts entre les habitants et usagers de la ville ordinaire, et ceux des grands projets urbains, aux coûts de réalisation nécessairement élevés, compte tenu de la grande capitalisation dont fait l’objet leur foncier. Surtout, il est formellement interdit à la logique de l’auto-organisation incontrôlable de la ville ordinaire de venir contaminer le grand projet urbain : pas de parcellaire menu laissé à de simples particuliers ou à de petits promoteurs, aucun droit à la modification des projets lauréats des concours, pas d’extension, pas de surélévation, pas de changements dans les affectations, même pas de changements dans l’esthétique de lieux (régis davantage par les règles du droit d’auteur que par celles de la naturelle évolution des pratiques culturelles). Les formes et les fonctions du projet doivent être strictement contrôlées pour éliminer toute incertitude à la réussite commerciale du projet, sensée proposer des produits bien spécifiques à une clientèle cible dans un laps de temps donné.

  • 45 Voir T. Paquot, Désastres urbains : Les villes meurent aussi, Paris, La Découverte, 2015.

39Sans arriver à la position extrême d’un Thierry Paquot45, pour lequel ces grands projets constituent par définition des désastres urbains, la fragilisation des territoires qui les accueillent mérite une plus grande attention en élargissant les échelles spatiale et temporelle de l’analyse : nier l’incertitude pour assurer la réalisation d’un grand projet peut avoir des coûts cachés rédhibitoires pour tout un territoire.

40Comment rendre compte des grands projets urbains dans l’auto-régulation par les marchés proposée dans la section précédente ? La vision d’acteurs individuels nécessitant quelques règles claires pour interagir et ayant pleine liberté pour tout ce qui n’est pas explicitement interdit semble en effet très éloignée de cette nouvelle réalité dans la fabrication de la ville, tout comme la multitude de petits acteurs individuels interagissant sur un marché parfaitement concurrentiel à la Adam Smith ne correspond plus à la réalité de nos économies contemporaines. Des groupes de promotion immobilière peuvent aujourd’hui produire des quartiers entiers, imposant sur des centaines d’hectares une infrastructure morphologique (le découpage des rues et des parcelles), des structures bâties et l’essentiel de la localisation des fonctions. Où est l’auto-organisation dans de tels processus de fabrication de la ville ? Qui plus est, il y a un passage de responsabilité (liability) des acteurs privés vers la collectivité locale. Une fois la phase de production-commercialisation terminée (un horizon qui se situe dans l’ordre de 10-20 ans), les dysfonctionnements des formes produites doivent être gérés par la ville (et, financièrement, par les contribuables), et non pas par les promoteurs qui ont conçu le quartier. Dès lors, pouvons-nous vraiment laisser un acteur privé concevoir tout seul la forme urbaine avec un mécanisme de prix aveugle aux disfonctionnements surgissant dans plusieurs décennies ?

  • 46 S. Marshall, « Planning, Design and the Complexity of Cities », art. cit.

41Pour Marshall46, face à l’incertitude des connaissances sur les systèmes complexes, il nécessaire de donner également une certaine complexité au système de gouvernance et d’intervention sur les formes de la ville. Celui-ci devra s’articuler sur trois composantes : un plan à base de design (patterning instrument), des règles (framework instrument), des procédures de contrôle des projets individuels, permettant de gérer des possibles exceptions aux plans et aux règles. On reconnait ainsi que les grands projets urbains ne sont pas gérables par un simple jeu de règles, ni par un patterning strict imposé par un plan (qui ne pourrait pas anticiper de tels projets). Force est de constater que, en dépit de la crise des plans d’aménagement urbain, aucune ville européenne n’a cédé aux acteurs du privé le pouvoir de décider de la forme d’un grand projet urbain en renonçant à des procédures de contrôle et de validation. Reste la question de quelle forme donner aux éléments résiduels de patterning urbain et quels critères utiliser pour valider les propositions des gros projets individuels.

VI. Accepter et favoriser une ville complexe à la connaissance incertaine

42La reconnaissance du fait que la ville est un système complexe auto-éco-organisé ne pose pas seulement des limites à sa connaissabilité et un usage différent de sa modélisation. Elle est également une manière de reconnaitre des propriétés que les urbanistes n’avaient pas l’habitude de lui accorder. Et d’identifier des nouvelles stratégies d’intervention sur la ville faisant trésor de ces propriétés.

43L’essor de l’urbanisme à cheval entre le xixe et le xxe siècles était justifié par une vision partagée parmi les élites culturelles qui en étaient porteuses. Sans une intervention consciente et planifiée sur la ville, cette dernière ne serait que chaos. La loi de l’offre et de la demande ne pourrait que produire spéculation, conflits d’usage, promiscuité et finalement l’émergence de faubourgs industriels surpeuplés et pollués, comme on en observe souvent dans les villes industrielles de l’Angleterre victorienne. Il s’agit d’une vision fondatrice aux antipodes de la position de confiance dans les marchés. Et il s’agit probablement d’une des causes de la méfiance réciproque entre la plupart des urbanistes et les tenants des mécanismes de marché.

44En définitive, par le marché ou par la culture, et même par des règles qui formalisaient différemment au cours du temps ce qui pouvait être le domaine de l’un ou de l’autre, les villes ont fait preuve, pendant une histoire plurimillénaire, d’une grande capacité d’auto-organisation. Dans des moments plus spécifiques de fort changement de contexte, des mécanismes de coordination plus formels, tels que les plans et les politiques, ont aussi joué un rôle important. Tel a été le cas des premiers plans d’urbanisme des villes occidentales après la révolution industrielle.

  • 47 Voir C. S. Holling, « Resilience and Stability of Ecological Systems », Annual Review of Ecology, (...)
  • 48 N. Taleb, Antifragile. Things that gain from disorder, op. cit.
  • 49 En réalité, Taleb oppose son concept d’antifragilité à celui de résilience, appréhendée comme une (...)

45Or, une ville essentiellement auto-organisée partage des propriétés fondamentales propre à tous les systèmes complexes auto-organisés : une grande adaptativité et même transformabilité, que nous désignons sous le terme de résilience. Suivant la théorie de la résilience générale des écosystèmes47, il ne s’agit pas ici de la simple capacité d’un système à revenir à la normale après une perturbation (la résilience des ingénieurs). De manière beaucoup plus générale, il s’agit de la capacité d’un système complexe à permettre une grande pluralité de réponses autonomes à toute sorte de perturbation et de changement de contexte pour les absorber. Cumulativement, ces réponses peuvent également éloigner le système de son état initial, faire déplacer des seuils de fonctionnement de différents éléments et relations : le système s’est adapté. Des nouveaux éléments et de nouvelles fonctions pourraient apparaitre, d’autres disparaitre et le système pourrait atteindre une nouvelle organisation interne, tout en gardant l’essentiel de ses relations fonctionnelles : le système s’est transformé. Une résilience générale hautement adaptative et transformative est une caractéristique clé des systèmes complexes auto-organisés. C’est la caractéristique tout à fait générale qui permet à ces systèmes d’exister et d’évoluer dans le temps. Cette résilience générale n’est pas très différente du concept d’antifragilité proposée par Taleb48 : la capacité d’un système à s’améliorer et à se complexifier au cours du temps, en vertu de son exposition à une série d’innombrables sollicitations et changements de son environnement49. Pour un système, complexité et résilience ou antifragilité sont intimement liés, tout comme les concepts antinomiques de simplicité et de fragilité.

  • 50 I. Blecic et A. Cecchini, Verso una pianificazione antifragile…, op. cit.
  • 51 O. Romice, S. Porta et A. Feliciotti, Masterplanning for Change : Designing the Resilient City, L (...)
  • 52 Le Corbusier, La Charte d’Athènes, Paris, Plon, 1943.

46À nouveau, un changement de paradigme est demandé aux urbanistes et aménageurs. Si la ville complexe est, au moins dans certaines limites, résiliente et capable d’auto-organisation, les plans que l’on se propose de rajouter à cette auto-organisation doivent composer avec elle et contribuer à sa résilience. La perspective avancée par Blecic et Cecchini50 ou par Romice et al.51 est alors celle d’une intervention consciente sur la ville complexe pour augmenter sa résilience ou son antifragilité. Le plan ne doit pas réduire la complexité de l’organisation de la ville physique pour en optimiser le fonctionnement à un moment donné, comme cela est prôné par l’approche fonctionnaliste en suivant la Charte d’Athènes52. Au contraire, la complexité de la ville est une ressource, susceptible s’assurer son adaptativité et sa transformabilité face à des changements de contexte, imprévisibles au moment du plan. Tout plan ou toute politique urbaine qui doit interagir avec l’auto-organisation de la ville n’est pas simplement un projet dans, mais un projet pour la complexité : la complexité n’est pas seulement le contexte de l’action, elle est de façon tout à fait générique son but.

  • 53 Voir S. Muratori, Studi per una operante storia di Venezia, op. cit. ; G. Caniggia et G. Maffei, (...)

47Mais quels doivent être les principes d’organisation visés par ces nouveaux types de plans ? Il existe aujourd’hui une riche littérature scientifique proposant des lignes guides pour un urbanisme qui permettrait à l’organisation de la ville physique de posséder les mêmes principes d’organisation de tout système complexe auto-éco-organisé. Le point de départ est la reconnaissance de la valeur des solutions traditionnelles sédimentées au cours de l’histoire urbaine. Telle est, par exemple, la position de fondateurs de la morphologie urbaine53, qui soulignent également le caractère processuel des organisations de la ville physique : la forme et l’étendue de la ville, la localisation de ses activités, les usages des lieux, évoluent avec le temps, même si certains éléments (les réseaux des voies et des espaces publics, le parcellaire) ont une permanence supérieure à d’autres (les bâtiments et leurs usages).

  • 54 Ch. Alexander, S. Ishikawa et M. Silverstein, A pattern Language. Towns, Buildings, Construction, (...)
  • 55 N. Taleb, Antifragile. Things that gain from disorder, op. cit.
  • 56 B. Mandelbrot, The Fractal Geometry of Nature, New York, Henry Holt and Company, 1982.
  • 57 M. Mehaffy et al., A New Pattern Language for Growing Regions : Places, Networks, Processes, The (...)

48Dans « A pattern language »54, Alexander et al. proposent un ensemble de patterns urbanistiques et architecturaux, solutions de forme physique sédimentées par les sociétés humaines au cours des siècles. De ce point de vue, ils rappellent les types architecturaux et les morphotypes (tissus urbains) étudiés par la morphologie urbaine. Mais si ces types sont historiquement et culturellement situés, les patterns ressemblent davantage à une collection des meilleures solutions trouvées au cours de l’histoire (au moins dès qu’un problème se présentait historiquement) à des problèmes types. Les patterns sont préscientifiques : avant d’être prouvés par une démarche analytique qu’opérationnalise une théorie scientifique, les patterns sont d’abord fondés sur l’observation empirique du succès des solutions qu’ils offrent. Les patterns sont liés entre eux pour former un véritable langage, car intervenir sur un élément du système nécessite de considérer toutes les implications sur les autres éléments, aux différentes échelles, eux aussi régis par d’autres patterns. Dans la pratique, le langage des patterns répond à un double problème : c’est d’abord une manière de comprendre et possiblement de contrôler un système complexe, et c’est ensuite un outil nécessaire à la conception de solutions structurellement et fonctionnellement cohérentes tirant profit de l’expérience accumulée par les réponses données dans le passé aux mêmes problèmes. Les solutions types identifiées par Alexander ont été mises à l’épreuve du temps et sont vraisemblablement moins fragiles que celles proposées par les approches cartésiennes du mouvement moderne (qui inévitablement, pour optimiser un aspect fonctionnel à une échelle donnée oublient la multitude de relations complexes inobservées), et l’assonance est forte avec l’approche de l’antifragilité par le temps, proposée par Taleb55 et auparavant par Mandelbrot56. La recherche de patterns pour l’aménagement et l’urbanisme se poursuit pour répondre aux nouveaux défis urbains du xxie siècle57.

  • 58 N. Salingaros, Principles of Urban Structure, Delft, Techne Press, 2005.
  • 59 M. Mehaffy et N. Salingaros, « Towards Resilient Architectures I : Biology Lessons », Metropolism (...)
  • 60 O. Romice, S. Porta et A. Feliciotti, Masterplanning for Change…, op. cit.
  • 61 G. Fusco, A. Venerandi, C. Chaumery et Ph. Dardelet-Doya, Formes résilientes, urbanisme et métrop (...)
  • 62 I. Blecic et A. Cecchini, Verso una pianificazione antifragile…, op. cit.

49D’autres travaux ont développé la théorie des structures urbaines complexes, résilientes et auto-éco-organisées, jusqu’aux lignes guides pour l’urbanisme et l’aménagement des espaces urbains. La réflexion théorique plus englobante est probablement celle de Salingaros58, qui établit également un lien entre la théorie de la complexité et l’approche des patterns. Salingaros et Mehaffy59 posent également les bases d’une théorie de la forme urbaine résiliente. Romice et al.60 et Fusco et al.61 la déclinent pour effectuer des analyses de cas d’étude et pour parvenir à des lignes guide pour l’urbanisme. Blecic et Cecchini62 reviennent sur le principe d’antifragilité de Taleb, avec une plus grande attention aux processus décisionnels ouverts, capables d’intégrer l’intelligence collective.

  • 63 Voir F. Scherrer et M. Vanier (dir.), Villes, Territoires, Réversibilités, Paris, Hermann Éditeur (...)
  • 64 Voir M. Zandwoort et al., « Designing with Pathways : A Spatial Design Approach for Adaptive and (...)

50Le concept de réversibilité en urbanisme et ses possibles opérationnalisations est également une piste de réflexion importante63. Une nouvelle approche pour un urbanisme flexible en contexte d’incertitude est aussi celui du Design with pathways 64 : urbanistes et aménageurs, en interaction avec les acteurs, doivent concevoir non pas un état final de l’organisation spatiale de la ville, mais un ensemble de parcours de développement, avec des seuils de déclenchement d’actions possibles, et d’autres servant à écarter des actions préalablement entreprises, compte tenu également des réponses non prévisibles des différentes composantes du système. Avec une grande attention aux possibles irréversibilité de parcours (et en essayant de les limiter au maximum), acteurs et décideurs auraient ainsi une stratégie d’intervention, toujours perfectible, permettant de suivre les transformations de l’espace et la succession des actions à entreprendre. L’incertitude des connaissances n’est pas niée, mais intégrée à la stratégie d’intervention sur le système complexe.

  • 65 N. Taleb, Antifragile. Things that gain from disorder, op. cit.
  • 66 M. Mehaffy et N. Salingaros, « Towards Resilient Arhitectures I : Biology Lessons », art. cit.
  • 67 I. Blecic et A. Cecchini, Verso una pianificazione antifragile…, op. cit.
  • 68 O. Romice, S. Porta et A. Feliciotti, Masterplanning for Change…, op. cit.

51On peut également identifier, par la via negativa, les interventions à éviter. A priori, il s’agit de la spécialisation fonctionnelle, des systèmes de règles interdisant toute évolution spontanée et des projets dont les éléments correspondraient seulement à une échelle précise. Un point de convergence entre les réflexions générales de Taleb65 et celles plus spécifiques de Mehaffy et Salingaros66, de Blecic et Cecchini67 et de Romice et al.68, est le refus de l’optimisation : un système hautement résilient et antifragile n’est pas optimisé, mais montre une certaine redondance permettant de mieux s’adapter au changement.

Conclusions : connaissance, conscience et résilience urbaine

52Que nous apprend ce débat sur les possibles réponses de l’urbanisme et de l’aménagement au problème posé par la ville complexe et incertaine ? Quels nouveaux fondements rationnels peut-on proposer pour l’intervention consciente sur la ville et son territoire ? Quelle articulation avec une théorie de la connaissance qui serait à même de rendre compte de la complexité de la ville et des limites de sa connaissabilité ?

  • 69 Aristote, Éthique à Nicomaque, tr. fr. R. Bodéüs, Paris, Flammarion, 2004.

53Dans L’Ethique à Nicomaque 69, Aristote articule sa théorie de la connaissance autour de trois concepts : épistémè, techné et phronesis. En discutant sur les connaissances permettant de fonder l’action de l’urbanisme, nous nous sommes particulièrement intéressés à la connaissance scientifique, l’épistémè, tout en reconnaissant qu’il ne s’agit pas de la seule connaissance possible et qu’elle ne possède pas nécessairement le caractère de certitude que lui attribue Aristote. La techné est la connaissance pratique que les humains ont et qui leur permet d’accomplir certaines activités : dès l’Antiquité, c’était la connaissance de l’artisan et de l’architecte, voire du médecin et du paysan. Elle n’a pas la prétention d’atteindre les universels de l’épistémè, peut rester tacite et se fonde sur la reconnaissance d’une efficacité plus que sur une logique de vérité. La phronesis est la connaissance du bon comportement à avoir et de la bonne action à entreprendre dans le bon contexte, elle demande une grande empathie au contexte des autres humains et renvoie également à la dimension éthique de l’agir. La science, la praxis technique et l’action politique relèvent clairement de ces trois domaines de la connaissance. Or, ces trois domaines concourent tous à la démarche d’un urbanisme souhaitant déboucher sur une intervention sur la ville complexe. Il convient dès lors de s’interroger sur le rapport entre ces trois types de connaissance.

54Selon la vision classique de l’aménagement, l’épistémè doit venir éclairer et fonder la techné et la phronesis, qui n’en deviennent qu’une application. Plus qu’une fondation, on a historiquement observé une véritable refondation, dans la mesure où des savoirs techniques et procéduraux plus traditionnels ont été remplacés par ceux qui pouvaient être dérivés de l’application de la connaissance scientifique. La capacité à maitriser l’énergie nucléaire ou à envoyer un homme sur la lune ont donné une primauté apparemment indiscutable à la connaissance scientifique comme base de la technique et de l’action. Il s’agit d’une vision liée à la modernité car, si Aristote plaçait très haut son épistémè (connaissances universelles reconnues vraies), il reconnaissait également l’indépendance et la valeur propre de la techné et de la phronesis, qui n’étaient pas subordonnés à la connaissance savante.

  • 70 P. DeLeon, « The Contextual Burdens of Policy Design », Policy Studies Journal, vol. 17, no 2, 19 (...)
  • 71 J. Dryzek, « Policy Analysis and Planning : From Science to Argument », dans F. Fischer et J. For (...)

55D’un point de vue historique, la remise en discussion de ce paradigme sociétal vient également des ratés de la technique à base scientifique lorsqu’elle est intervenue sur des systèmes complexes. DeLeon70 et Dryzek71 remarquent ainsi comment la remise en discussion de ce paradigme en aménagement va de pair avec les premiers ratés de l’urbanisme moderne mais, plus encore, de l’échec américain dans la guerre du Vietnam, le premier conflit qui se voulait programmé sur la base de principes scientifiques, mais qui n’avait pas réussi à saisir la complexité du système socio-culturel vietnamien. Les grands enjeux du changement climatique aujourd’hui contribuent à cette remise en discussion et suggèrent de mettre au centre des stratégies d’intervention les incertitudes des connaissances scientifiques et la complexité des relations entre anthroposystèmes et écosystèmes.

  • 72 Voir E. Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil, 1990.

56Reconnaitre les limites et les incertitudes de l’épistémè en matière d’urbanisme revient alors aujourd’hui à rétablir une nouvelle dignité pour la techné et pour la phronesis. Les formes vernaculaires, les patterns d’Alexander, relèvent de la techné. Le principe de précaution, la réversibilité et la redondance programmée, le renoncement à l’optimisation, la recherche de projets partagés, sont de la phronesis. Une épistémè incertaine et moins arrogante devient une condition indispensable pour une réévaluation de ces types de connaissance. Plus encore, l’épistémè peut se nourrir de recherches essayant de comprendre la valeur jusqu’à présent méconnue des techniques et des procédures traditionnelles, sans présupposer que ce qui ne rentre pas dans le cadre couramment admis des connaissances scientifiques est, de ce fait même, dépourvu de toute validité. L’approche de la pensée complexe72 contribue à cette nouvelle disposition de la recherche scientifique. Qui plus est, ce qui est propre à la complexité auto-éco-organisée d’un système d’artefacts humains, telle que la ville, est également sa capacité à prendre conscience de soi, à la différence, par exemple, des écosystèmes. Cette conscience se sédimente dans une culture urbaine et peut donner lieu à des plans et à des visions partagées du territoire : c’est par ce biais que les systèmes sociotechniques comme les villes coordonnent, dans certaines limites et au-delà des seuls mécanismes de marché, les actions individuelles et démultiplient leur résilience.

57En conclusion, la science de la complexité et la reconnaissance de l’incertitude parviennent à un nouvel équilibre épistémè/techné/phronesis, en reconnaissant les apports des savoirs traditionnels préscientifiques et de l’intelligence collective qui se déploie dans l’auto-organisation urbaine, sans pour autant renoncer à l’éclairage que la recherche scientifique peut apporter sur la compréhension de la ville complexe et de ses propriétés.

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Notes

1 Voir B. Hudson, « Comparison of Current Planning Theories : Counterparts and Contradictions », Journal of the American Planning Association, vol. 47, 1979, p. 387-398.

2 Voir G. Chadwick, A Systems View of Planning : Towards a Theory of the Urban and Regional Planning Process, Oxford, Pergamon Press, 1971, et B. McLoughlin, Urban and Regional Planning : A Systems Approach, Londres, Faber & Faber, 1969.

3 E. Morin, La Méthode, 6 vol., Paris, Seuil, coll. « Opus », 2006 (1re éd. 1977).

4 J.-L. Le Moigne, La théorie du système général, Paris, PUF, 1977.

5 Voir en particulier C.S. Holling, « Resilience and Stability of Ecological Systems », Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, vol. 4, 1973, p. 1-23.

6 Elles sont notamment proposées par C.S Holling et M.A. Goldberg dans « Ecology and Planning », Journal of the American Institute of Planners, vol. 37-4, 1971, p. 221-230.

7 Voir F. Hayek, Studies in Philosophy, Politics and Economics, Londres, Routledge, 1967, et id., New Studies in Philosophy, Politics, Economics and the History of Ideas, Londres, Routledge, 1978.

8 Voir S. Levin, « Complex Adaptive Systems : Exploring the Known, the Unknown and the Unknowable », Bulletin of the American Mathematical Society, vol. 40-1, 2002, p. 3-19.

9 N. Taleb, The Black Swan : The Impact of the Highly Improbable, New York, Random House, 2007.

10 Voir en particulier J. Portugali, Self-Organisation and the City, Berlin, Springer, 2000 ; S. Manson « Simplifying Complexity : a review of complexity theory », Geoforum, vol. 32, 2001, p. 405-414 ; D. O’Sullivan, « Complexity science and human geography », Transactions of the Institute of British Geographers, nouvelle série 29, 2004, 282-295 ; M. Batty, The New Science of Cities, Cambridge MA, MIT Press, 2013.

11 J. Portugali, Self-Organisation and the City, Berlin, Springer, 2000.

12 Sur cette question, voir R. Audi, Rational Belief. Structure, Grounds, and Intellectual Virtue, Oxford, Oxford University Press, 2015.

13 A. MacFarlane, « Information, Knowledge and Intelligence », Philosophy Now, vol. 98, 2013, p. 18-20.

14 N. Taleb, The Black Swan…, op. cit.

15 W. Walker, R. Lempert et J. Kwakkel, « Deep Uncertainty », dans S. Glass et M. Fu (éd.), Encyclopedia of Operations Research and Management Science, Berlin, Springer, 2013.

16 J. Kwakkel et E. Pruyt, « Exploratory Modelling and Analysis, an approach for model-based foresight under deep uncertainty », dans E. Amanatidou et al. (éd.), The 4th International Seville Conference on Future-Oriented Technology Analysis, Luxembourg, Publications Office of the European Union, 2011, p. 1-20.

17 A. Stirling, « Keep it complex », Nature, vol. 468, 2010, p. 1029-1031.

18 W. Walker, R. Lempert, et J. Kwakkel, « Deep Uncertainty », art. cit.

19 N. Taleb, The Black Swan…, op. cit.

20 W. Weaver, « Science and Complexity », American Scientist, vol. 36, 1948, p. 536-544.

21 F. Hayek, New Studies in Philosophy, Politics, Economics and the History of Ideas, op. cit.

22 N. Taleb, The Black Swan…, op. cit.

23 N. Taleb, Antifragile. Things that gain from disorder, New York, Random House, 2012.

24 Y. Chalas et O. Soubeyran, « Incertitude, environnement et aménagement : Quelle rupture ? », dans Y. Chalas et al. (éd.), Comment les acteurs s’arrangent avec l’incertitude, Paris, Éditions des archives contemporaines, 2010, p. 135-157.

25 Voir K. Christensen, « Coping with Uncertainty in Planning », Journal of the American Institute of Planners, vol. 51-1, 1985, p. 63-73.

26 Voir Y. Chalas et O. Soubeyran, « Incertitude, environnement et aménagement… », art. cit.

27 S. Marshall, « Planning, Design and the Complexity of Cities », dans J. Portugali et al. (éd.), Complexity Theories of Cities Have Come of Age, Berlin, Springer, 2012, p. 191-205.

28 Y. Chalas et O. Soubeyran, « Incertitude, environnement et aménagement… », art. cit.

29 Voir K. Lynch, Good City Form, Cambridge MA, MIT Press, 1981.

30 I. Blecic et A. Cecchini, Verso una pianificazione antifragile. Come pensare al futuro senza prevederlo, Milan, Franco Angeli, 2016.

31 Voir S. Moroni, « Rethinking the theory and practice of land-use regulation : Towards nomocracy », Planning Theory, vol. 9, 2010, p. 137-155 et S. Moroni, « Complexity ant the inherent limits of explanation and prediction : Urban codes for self-organizing cities », Planning Theory, vol. 14, no 3, 2015, p. 248-267.

32 N. Alfasi et J. Portugali, « Planning rules for a self-planned city », Planning Theory, vol. 6, n o 2, 2007, p. 164-482.

33 A. Bertaud, Order without Design. How Markets Shape Cities, Cambridge MA, MIT Press, 2018.

34 J. Vance, The Continuing City. Urban Morphology in Western Civilization, Baltimore, Johns Hopkins University Press, 1990.

35 M. R. G. Conzen, « Alnwick, Northumberland : a study in town-plan analysis », Transactions and Papers (Institute of British Geographers), vol. 27, 1960 ; M. R. G. Conzen, Thinking about urban form: papers on urban morphology, 1932-1998, Oxford, Peter Lang, 2004.

36 S. Muratori, Studi per una operante storia di Venezia, Rome, Istituto Poligrafico dello Stato, 1959.

37 G. Caniggia et G. Maffei, Lettura dell’edilizia di base, Florence, Alinea, 1979.

38 D. Badariotti, « Les processus morphodynamiques des villes, énigmes et traces », 13es journées de Rochebrune, Rencontres interdisciplinaires sur les systèmes complexes naturels et artificiels, Paris, ENST, 2006, p. 325-336, halshs-00164892.

39 B. Hakim, Arab-Islamic City. Building and Planning Principles, New York, Kegan Paul International, 1986.

40 S. Moroni, « Complexity ant the inherent limits of explanation and prediction… », art. cit.

41 E. Talen E, City Rules : How Urban Regulations Affect Urban Form, Washington, Island Press, 2012.

42 Voir N. Arab, L’activité de projet dans l’aménagement urbain : processus d’élaboration et modes de pilotage. Thèse en aménagement de l’espace et urbanisme, Paris, École Nationale des Ponts et Chaussés, 2004 ; N. Arab « Activité de projet et aménagement urbain : les sciences de gestion à l’épreuve de l›urbanisme », Management & Avenir, vol. 121, 2007, p. 147-164.

43 Le projet des Docklands de Londres a concerné 2200 ha, entre 1981 et 1998.

44 M. Bédard et S. Breux, « Non-lieux et grands projets urbains. Une inéluctable équation ? Perspectives théoriques et propositions analytiques », Annales de Géographie, vol. 678, 2011, p. 135-156.

45 Voir T. Paquot, Désastres urbains : Les villes meurent aussi, Paris, La Découverte, 2015.

46 S. Marshall, « Planning, Design and the Complexity of Cities », art. cit.

47 Voir C. S. Holling, « Resilience and Stability of Ecological Systems », Annual Review of Ecology, Evolution, and Systematics, vol. 4, 1973, p. 1-23.

48 N. Taleb, Antifragile. Things that gain from disorder, op. cit.

49 En réalité, Taleb oppose son concept d’antifragilité à celui de résilience, appréhendée comme une simple résistance dynamique aux aléas et reconductible finalement à la résilience des ingénieurs et de la science des matériaux (retour à la normale après une perturbation).

50 I. Blecic et A. Cecchini, Verso una pianificazione antifragile…, op. cit.

51 O. Romice, S. Porta et A. Feliciotti, Masterplanning for Change : Designing the Resilient City, Londres, RIBA Publishing, 2020.

52 Le Corbusier, La Charte d’Athènes, Paris, Plon, 1943.

53 Voir S. Muratori, Studi per una operante storia di Venezia, op. cit. ; G. Caniggia et G. Maffei, Lettura dell’edilizia di base, op. cit. ; M. R. G. Conzen, « Alnwick, Northumberland : a study in town-plan analysis », art. cit.

54 Ch. Alexander, S. Ishikawa et M. Silverstein, A pattern Language. Towns, Buildings, Construction, New York, Oxford University Press, 1977.

55 N. Taleb, Antifragile. Things that gain from disorder, op. cit.

56 B. Mandelbrot, The Fractal Geometry of Nature, New York, Henry Holt and Company, 1982.

57 M. Mehaffy et al., A New Pattern Language for Growing Regions : Places, Networks, Processes, The Dalles OR, Sustasis Press, 2020.

58 N. Salingaros, Principles of Urban Structure, Delft, Techne Press, 2005.

59 M. Mehaffy et N. Salingaros, « Towards Resilient Architectures I : Biology Lessons », Metropolismag.com, mars 2013 (disponible à l’adresse : http://www.resilience.org/stories/ 2013-03-25/toward-resilient-architectures-i-biology-lessons/).

60 O. Romice, S. Porta et A. Feliciotti, Masterplanning for Change…, op. cit.

61 G. Fusco, A. Venerandi, C. Chaumery et Ph. Dardelet-Doya, Formes résilientes, urbanisme et métropole. Learning from Nice, Paris, Éditions Autrement, 2023.

62 I. Blecic et A. Cecchini, Verso una pianificazione antifragile…, op. cit.

63 Voir F. Scherrer et M. Vanier (dir.), Villes, Territoires, Réversibilités, Paris, Hermann Éditeur, coll. « Colloques de Cerisy », 2013.

64 Voir M. Zandwoort et al., « Designing with Pathways : A Spatial Design Approach for Adaptive and Sustainable Landscapes », Sustainability, vol. 11, 2019, p. 565 (doi : 10.3390/su11030565).

65 N. Taleb, Antifragile. Things that gain from disorder, op. cit.

66 M. Mehaffy et N. Salingaros, « Towards Resilient Arhitectures I : Biology Lessons », art. cit.

67 I. Blecic et A. Cecchini, Verso una pianificazione antifragile…, op. cit.

68 O. Romice, S. Porta et A. Feliciotti, Masterplanning for Change…, op. cit.

69 Aristote, Éthique à Nicomaque, tr. fr. R. Bodéüs, Paris, Flammarion, 2004.

70 P. DeLeon, « The Contextual Burdens of Policy Design », Policy Studies Journal, vol. 17, no 2, 1988, p. 297-309.

71 J. Dryzek, « Policy Analysis and Planning : From Science to Argument », dans F. Fischer et J. Forester (éd.), The Argumentative Turn in Policy Analisys and Planning, Durham et Londres, Duke University Press, 1993, p. 213-232.

72 Voir E. Morin, Introduction à la pensée complexe, Paris, Seuil, 1990.

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Pour citer cet article

Référence papier

Giovanni Fusco, « De la ville contrôlable à la ville complexe : incertitude de la connaissance et fondements rationnels de l’urbanisme »Noesis, 39 | 2022, 187-213.

Référence électronique

Giovanni Fusco, « De la ville contrôlable à la ville complexe : incertitude de la connaissance et fondements rationnels de l’urbanisme »Noesis [En ligne], 39 | 2022, mis en ligne le 01 décembre 2024, consulté le 15 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/noesis/8196 ; DOI : https://doi.org/10.4000/13eh4

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Auteur

Giovanni Fusco

Giovanni Fusco, diplômé en sciences de l’ingénieur à l’École Polytechnique de Milan (Italie), a successivement obtenu un double doctorat en géographie et en urbanisme et aménagement de l’espace. Maître de conférences à l’Université de Nice entre 2004 et 2012, il a successivement intégré le CNRS. Il est actuellement directeur de recherche au laboratoire ESPACE (CNRS, Université Côte d’Azur, Aix-Marseille Université, Université d’Avignon). Ses recherches portent sur la durabilité urbaine (ville du quart d’heure, ville sobre, relation ville-transports-environnement), sur la morphologie urbaine, sur la théorie de la complexité appliquée à la ville et sur la géoprospective pour les villes du xxie siècle. Ses terrains de recherche privilégiés sont les villes européennes et méditerranéennes. Il est auteur de 100 publications scientifiques, notamment du Cahier POPSU « Formes résilientes, urbanisme et métropole. Learning from Nice » (Éditions Autrement, à paraitre). Son Habilitation à Diriger des Recherches, soutenue en 2018, avait pour titre « Ville, Complexité et Incertitude. Enjeux de connaissances pour le géographe et l’urbaniste ».

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