N° 40, 2021 - Les pays nordiques face aux migrations
Bien que suivant des voies d’accueil et d’intégration différentes, les États nordiques ont souvent été associés à une tradition d’asile et de tolérance, en particulier la Suède. Dans un contexte d’augmentation importante des flux migratoires (les demandes d’asile ont été multipliées par 9 au Danemark depuis 2008 et la Suède a accueilli le plus de migrants en Europe, en proportion de sa population), de montée des populismes et des partis nationalistes, de mutation des offres politiques traditionnelles et de recomposition, depuis plusieurs décennies déjà, de l’État providence, le prétendu « modèle nordique » semble avoir été mis à rude épreuve. On a mis l’accent sur la fermeture des frontières impactant la région de l’Øresund, sur le durcissement de la législation migratoire, notamment danoise, ou sur les campagnes de dissuasion menées dans les pays de départ par le Danemark et la Norvège. La vieille solidarité nordique paraît affectée à l’échelle régionale, alors qu’à l’échelle nationale la montée d’un « chauvinisme social » est souvent évoquée. Pour reprendre les mots de la philosophe Malene Trock Hempler à propos de la société danoise, la confiance est de plus en plus concurrencée par une « confidentialité feutrée de l’entre soi ».
Les États nordiques sont, avec l’augmentation des migrations, confrontés en réalité à un ensemble de dilemmes qui les distinguent au moins partiellement des autres pays européens. Le premier oppose la sécurisation de la communauté à son élargissement. Les sociétés nordiques sont très fortement structurées autour de communautés multiscalaires. L’égalitarisme, la réciprocité, la recherche du consensus en sont quelques ciments. Ces fondations positives peuvent cependant montrer une face moins reluisante quand il s’agit d’influences extérieures pouvant être vécues comme une intrusion ou une perturbation de normes établies. Le second dilemme, particulièrement présent en Suède, provient d’une tension entre un humanisme presque messianique (incarnée par la remise des prix Nobel ou une importante politique d’aide au développement), une longue tradition d’accueil – y compris de main-d’œuvre étrangère – et un durcissement plus récent de la politique à l’égard des réfugiés. Un troisième écart est enfin visible entre une fermeté des politiques publiques, notamment au niveau national, une mobilisation des mouvements nationalistes et des initiatives innovantes menées par les collectivités locales et la société civile. Ce fossé est à l’origine d’un troisième dilemme : considérer les migrations comme un possible danger ou les ériger en ressources humaines et spatiales ? L’immigration peut en effet être à l’origine de réponses innovantes, non dénuées d’effets contradictoires, à des défis importants comme la redynamisation de régions marginalisées et le déclin démographique.
Les migrations ne sont pas nouvelles au sein de l’espace nordique, mais leur représentation a changé en raison d’une plus grande ethnicisation et communautarisation du discours. Une prise en compte du temps long est donc nécessaire tout comme un croisement discours/pratiques afin d’appréhender la dynamique de manière holistique.
Dans le cadre de ce numéro, plusieurs thématiques (non exclusives) pourront être abordées par les auteurs :
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la perception et l’évolution des migrations pouvant être décryptées à travers des analyses historiques, géographiques, sociologiques, politiques, littéraires, cinématographiques ; les représentations par les migrants eux-mêmes de leur société d’accueil ;
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l’évolution des politiques publiques liées aux flux migratoires à toutes les échelles (nationale, régionale, locale) sur un temps long ou plus court ;
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la conséquence de la fermeture des frontières sur les projets transfrontaliers et transnationaux ;
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les innovations émanant de politiques d’intégration et d’accueil approchées sous un angle critique ;
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le rejet de l’immigration ou les mobilisations nationalistes visant à limiter son impact ;
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les migrations comme ressources dans le cadre de projets publics ou privés.
Les propositions de contribution à ce dossier thématique devront être envoyées au plus tôt à nicolas.escach[at]sciencespo-rennes.fr. Les articles devront être remis avant le 1er mai 2020. Des propositions hors dossier (varia) peuvent aussi être examinées.