1Ce numéro spécial de la revue Norois rend compte des résultats des travaux qui interrogent la manière dont les politiques publiques environnementales transforment l’enseignement agricole secondaire et supérieur. Les contributions de ce numéro montrent que, dans cet enseignement, la place des savoirs agroécologiques est en progression. Elles analysent également les ambiguïtés des politiques publiques dont les solutions apparaissent souvent technocentrées. Elles dévoilent aussi les modes de réception des savoirs agroécologiques chez les publics en formation. Les changements de pratiques en agriculture en faveur d’un plus grand respect de la biodiversité sont évoqués dans le débat public lors d’actions des mouvements écologistes et lorsque sont publiées des études dévoilant les effets des pesticides sur l’alimentation et la santé, en particulier sur celle des agriculteurs, qui sont les plus exposés aux maladies (Jas, 2010). Les regards se portent plus rarement sur l’évolution de l’offre de formations de l’enseignement agricole, qui est pourtant un outil central des politiques publiques environnementales. En effet, la formation des professionnels en agriculture, notamment celle des agriculteurs, est un moyen d’agir en faveur du développement de « systèmes de production agroécologique ou de systèmes de culture à bas niveau d’intrants » (Olry et al., 2016, p. 36). L’enseignement agricole, qui accueille, en 2023, près de 170 000 élèves, apprentis et étudiants, comprend des formations secondaires (techniques, générales et technologiques) et des formations supérieures courtes et longues. Les filières dans cet enseignement y sont majoritairement non agricoles et s’inscrivent dans d’autres secteurs professionnels qui sont eux-aussi concernés par les politiques publiques environnementales, notamment celui des aménagements paysagers et de la protection de la nature (Benet Rivière, 2022).
2La progression des savoirs agroécologiques fait l’objet de résistances mais elle est en même temps soutenue par une partie des publics et des agents de l’enseignement agricole qui ont le sentiment que cette progression n’est pas assez rapide et ne remet pas en question les logiques capitalistes de l’agriculture. Ainsi, des tensions liées à la nature des savoirs dispensés se font jour, notamment au sein de la filière de la production agricole, dont les publics et les enseignants ont des positions hétérogènes sur les enjeux environnementaux. Ces tensions sont en majeure partie liées à la coexistence de modèles de production différents voire opposés dans les formations et le milieu agricole. En 2021, les étudiants d’Agro Paris Tech ont été filmés lors d’une cérémonie de diplômes au cours de laquelle ils ont accusé le secteur agro-industriel de détruire la biodiversité et ont incité leurs camarades à déserter les métiers auxquels ils ont été pourtant formés. Cet appel, relayé sur les réseaux sociaux, renvoie à ces tensions qui existent au sein de l’enseignement agricole technique comme supérieur qui se trouve confronté à des exigences de plus en plus grandes en matière de protection de la biodiversité et de sauvegarde des espaces naturels (Asloum, Bedoussac, 2020).
3Les recherches en sciences de l’éducation se sont emparées de ces questions en analysant les processus et les contenus d’apprentissage qui se recomposent sous l’effet des politiques publiques. L’institutionnalisation de l’agroécologie conduit les chercheurs à s’interroger sur les modes de production et de circulation des savoirs agricoles enseignés. La plupart de ces travaux, inscrits dans le courant de la didactique professionnelle, veulent contribuer à la réflexion sur les contenus et les méthodes d’enseignement qui mettent en application cette politique en faveur d’une diminution de l’usage des intrants chimiques (Mayen, 2016). Compte-tenu des réticences voire des résistances qui peuvent être fortes des publics et d’une partie de la profession agricole (la mobilisation des agriculteurs au début de l’année 2024 en est l’exemple le plus frappant), les réflexions de nature didactique dominent ce champ d’études. Elles s’interrogent sur la nature des savoirs de référence à partir desquels sont construits les enseignements, sur l’organisation de la formation et les différents obstacles à surmonter en analysant l’activité de travail des enseignants et leurs relations avec les professionnels afin de faire émerger les contextes d’apprentissage considérés comme porteurs de changement (Simonneaux, Cancian, 2013).
4Avant de présenter les différents apports des contributions de ce numéro, un retour historique jusqu’aux dernières réformes de l’enseignement agricole s’impose pour saisir les avancées comme les limites de ces politiques. Dans les années 1960, l’enseignement agricole est entré sous l’unique tutelle du ministère de l’Agriculture. Ce rattachement s’est maintenu dans le temps, ce qui constitue une singularité par rapport à nos voisins européens (Stéphan, 2003). Avec une logique de cogestion avec la Fédération Nationale des Syndicats d'Exploitants Agricoles (FNSEA), l’enseignement agricole est devenu un outil central de l’État dans la mise en œuvre d’une politique dite moderniste, impliquant le recours massif aux pesticides. Entrés par la « petite porte », l’environnement, le développement durable et l’agriculture biologique vont peiner à réellement s’imposer jusqu’aux années 2010 qui voient l’émergence de la politique en faveur de la « transition agroécologique » (Métral et al., 2016). Comme le met en évidence cette introduction, cette dernière réforme est elle-même prise dans ses propres contradictions ; l’approche de l’agroécologie qu’elle propose reste au service du modèle conventionnel dans la mesure où elle favorise le maintien de l’usage des produits phytosanitaires, tout en permettant le développement d’expérimentations pédagogiques et scientifiques reposant sur l’absence d’usage de ces produits (ou leur limitation) dans des espaces relativement retreints de l’enseignement agricole. Toutefois, les travaux de recherche montrent que cette institutionnalisation de l’agroécologie, qui trouve une réception plus favorable chez les publics des formations pour adultes et celles du supérieur, entraine l’intervention de plus en plus grande d’acteurs historiques de l’agroécologie, notamment les associations environnementales dans la gestion de l’agriculture (Compagnone et al., 2018) et dans l’enseignement agricole. Interroger l’histoire du développement de cette agroécologie institutionnelle dans l’enseignement agricole à l’aune de sa dimension conflictuelle, permet de comprendre les limites de cette politique. Ainsi, pour saisir les ambivalences et la dimension conflictuelle de l’agroécologie, il est nécessaire de retracer, à l’aide des travaux en sociologie et en sciences de l’éducation, une histoire qui décrit la percée des savoirs agroécologiques dans l’enseignement agricole en la mettant en relation avec la montée en puissance des critiques à l’égard du modèle productif et la reconnaissance institutionnelle (limitée) des acteurs historiques de l’agroécologie.
5Au moment de la création du premier ministère de l’Environnement en 1971, un courant naturaliste se révèle dans l’enseignement agricole avec l’émergence de formations non agricoles. Ce dont témoigne la création du bac D’ (qui propose un enseignement en écologie) et l’ouverture du Brevet Technicien Supérieur Agricole (BTSA) Protection de la nature dans les lycées agricoles. « L’étude du milieu » est alors la méthode préconisée par les programmes d’enseignement. Selon Éric Marshall, ancien directeur de l’École Nationale de Formation Agricole (ENFA) – qui forme les personnels des lycées agricoles –, cette méthode présentée dans les programmes associe une approche écologique avec des approches sociales et culturelles permettant de repenser les espaces naturels façonnés par les humains dans une logique d’adaptation à l’environnement et de préservation de ces espaces (Marshall, 2008). Les circulaires « éducation en matière d’environnement » parues en 1977 mettent l’accent sur la dimension de conservation du patrimoine naturel en valorisant une approche scientifique à travers des activités centrées sur ces études de milieux. Mais, dans les faits, ces activités n’intègrent pas vraiment les sciences humaines et sociales (Asloum, Kalali, 2013). Depuis l’apparition de ces diplômes non agricoles, les enseignants en biologie-écologie qui interviennent dans les lycées agricoles se disent attachés à un enseignement naturaliste « de qualité » ; ils enseignent notamment l’étude du végétal dans son environnement afin de permettre aux élèves d’être en capacité d’identifier les végétaux (Bonnin, 2008). « L’étude du milieu » a d’abord été expérimentée au sein du Centre d’expérimentation pédagogique de Florac et dans le Centre d’étude de milieu et de pédagogie du ministère de l’Agriculture à Beg-Meil (Le Clanche, 2015). Cette approche s’est ensuite déployée dans les formations de l’enseignement agricole comme un outil en faveur du développement local. Elle contribue à une des missions que s’est donné l’enseignement agricole, à savoir l’animation et le développement des territoires ruraux. Ainsi, elle n’est pas nécessairement liée à une démarche que l’on pourrait qualifier d’écologique, mais s’inscrit plutôt dans le cadre des approches qui cherchent à adapter les formations aux particularités locales ; par conséquent, elle prend en compte la dimension environnementale des espaces parmi d’autres dimensions.
6L’agriculture productiviste est, dans les années 1970, le modèle diffusé dans l’enseignement agricole (en France comme dans les autres pays capitalistes) et porté par les organismes de recherche affiliés au ministère de l’Agriculture et par les chambres d’agriculture (Peltier, Gaborieau, 2016). La conception du sol, réduit au simple état de « substrat », qui se dégage dans les pratiques dominantes véhiculées par l’enseignement agricole et les organisations professionnelles, fait alors obstacle au véritable développement d’une approche agronomique de type systémique qui émerge pourtant dans la recherche et qui pense le sol comme un milieu de vie à part entière (Cornu, 2014). Les firmes agroalimentaires et la FNSEA s’opposent à cette approche systémique de l’agronomie qui conçoit les activités de travail agricole à partir de leurs interactions avec l’environnement socioéconomique et qui prend en compte l’ensemble des facteurs biotechniques. Ces firmes portent, à l’inverse, un discours technique standardisé impliquant un recours massif aux pesticides, notamment en promouvant la « parcelle zéro défaut » (Métral et al., 2016). L’usage des produits phytosanitaires offre un certain confort aux agriculteurs intensifs face aux menaces que font peser les organismes vivants (appelés « bioagresseurs ») qui s’attaquent à leurs cultures. Cet usage les soumet en même temps aux firmes agroalimentaires et se trouve en conflit avec la conception de l’agriculteur portée par la recherche agronomique systémique dans l’enseignement agricole supérieur (Cornu, 2021). Celle-ci place l’agriculteur dans un rôle de « gestionnaire de systèmes complexes » et un « décideur » qui doit être en mesure de combiner différentes productions, les transformer et les commercialiser à partir de ressources qui sont considérées comme étant rares.
7La division du travail entre les agriculteurs et les structures qui les encadrent pour l’utilisation des machines, des produits phytosanitaires, des logiciels informatiques et des procédures techniques et administratives fait que les agriculteurs ont perdu une grande partie de la maitrise de la conception et même de la maitrise de leurs techniques de travail (Gaborieau, 2019). Ces techniques agricoles ont connu des changements rapides depuis la Seconde Guerre mondiale. Les machines, de plus en plus imposantes, qui permettent de fertiliser les sols, représentent désormais symboliquement des formes de progrès dans le milieu agricole, notamment les distributeurs d’engrais et les moissonneuses batteuses. Ces machines – qui font du vivant un objet d’exploitation – ne sont pas simplement des objets techniques qui améliorent les rendements des récoltes ; elles sont devenues des symboles de réussite professionnelle et d’entrée dans la « modernité » qui ont une place centrale dans la construction de l’ethos professionnel masculin des agriculteurs. Des expérimentations pédagogiques sont tout de même conduites, en particulier au sein de l’Institut National de Recherches et d’Applications Pédagogiques (INRAP) du ministère de l’Agriculture, qui s’inscrivent dans le cadre de cette approche systémique du travail agricole ; elles font du « respect de l’environnement » une dimension à prendre en compte dans le travail agricole, mais sans pour autant promouvoir ce respect comme une priorité vers laquelle devraient converger tous les enseignements dans la filière de la production agricole (Gaborieau, 2019).
8Les formations agricoles, alignées sur le modèle conventionnel, ont donc contribué à cette logique de standardisation et à la perte de la maitrise des agriculteurs de leur propre activité de travail, logique qui est cependant contestée par une partie de la recherche agronomique et les mouvements écologistes dont les discours se trouvent renforcés par les différentes crises agricoles et alimentaires qui surviennent dans les décennies 1980 et 1990 : celle de la surproduction laitière, le conflit des bœufs aux hormones, les scandales liés à la présence des pesticides dans la chaine alimentaire et la découverte de leurs effets sur la santé et l’environnement (Gaborieau, 2019). Ces crises donnent des arguments aux mouvements écologistes et au syndicalisme qui revendiquent l’autonomie des paysans, comme c’est le cas notamment de la Confédération paysanne, fondée en 1987. Elle est issue d’agriculteurs qui rejettent de manière radicale le courant moderniste qui provoque l’endettement et la dépendance des agriculteurs vis-à-vis de l’industrie agroalimentaire (Martin, 2005). Par ailleurs, en 1985, le label Agriculture biologique (AB) est créé ; porté notamment par la Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB), il constitue une reconnaissance publique pour les exploitations agricoles qui n’utilisent pas de produits issus de la chimie de synthèse. Si les agriculteurs qui défendent ce modèle expriment leur opposition aux orientations agroindustrielles, l’intégration en France de l’agriculture biologique dans les politiques agricoles ne les remet pas vraiment en question (Leroux, 2015) comme le note Solenne Piriou, dans sa thèse (2002), l’intégration de l’agriculture biologique dans un périmètre limité a empêché une remise en question du modèle agricole dominant. En 1984, sans promouvoir l’agriculture biologique, la Loi Rocard conduit à une rénovation des référentiels de formation de l’enseignement agricole en introduisant l’idée qu’il faut préparer les jeunes à s’insérer dans différents types d’agriculture. Il n’existe donc pas théoriquement « un modèle » mais une diversité d’agricultures à enseigner (Gauter, Nouvelot, 2013).
9L’émergence d’approches agroécologiques dans le débat national, qui va de pair avec la médiatisation des mouvements altermondialistes, contribue tout de même à faire évoluer les politiques publiques et les pratiques dans l’enseignement agricole ; ce qui aboutit, à partir des années 1990, à une plus large diffusion de la notion d’environnement dans les programmes de l’enseignement agricole. Ainsi, en 1990, un nouveau secteur de formation est créé dans l’enseignement agricole dénommé Aménagement de l’espace et protection de l’environnement. Il s’agit d’un champ de formation qui prépare à des métiers qui participent à l’amélioration du cadre de vie et qui permettent la conservation et la mise en valeur des espaces naturels, des espaces aménagés (permettant par exemple l’exploitation forestière) ou des ressources (dont l’eau et la faune). Il regroupe des formations professionnelles spécialisées dans les domaines de la forêt, des paysages, de la nature et de l’eau (notamment le BTSA Gestion et Protection de la Nature). Il forme également aux métiers qui participent à la diffusion d’informations, à travers des actions d’animation et de vulgarisation, sur les techniques de protection de la nature. L’approche systémique se développe dans ce secteur de formation, qui laisse également une grande place à l’éducation socioculturelle (une discipline à part entière dans l’enseignement agricole) afin de former les élèves à la communication et à l’animation (Benet Rivière, Guétat-Bernard, 2023). Un enseignement modulaire est instauré pour tenir compte des particularités liées aux environnements locaux comme l’aménagement des dunes et du littoral ou bien encore la prévention des risques naturels (avalanches, incendies, etc).
10Parallèlement, le baccalauréat technologique Sciences et Technologie de l’Agronomie et de l’Environnement (STAE) est mis en place deux ans plus tard (la notion d’environnement sera remplacée en 2006 par celle du vivant dans le libellé du diplôme). Dans les formations techniques agricoles, la notion de respect de l’environnement est alors introduite ; au début des années 1990, cette notion est portée par les réformes de la politique agricole commune (PAC). La réforme adoptée en 1992, après la publication du Livre vert de la Commission de la Communauté européenne, donne lieu à des mesures qui se déclinent en France sous l’appellation « Mesures Agri-Environnementales » (MAE). Elles sont « censées accompagner la régulation publique de l’offre agricole qui, par nature, serait déjà vertueuse d’un point de vue environnemental » (Bonnieux, Vermesch, 1999, p. 88), mais elles n’ont qu’un caractère incitatif et ont peu d’effet réel en termes de réduction d’usage des pesticides. Il s’agit de dispositifs de contractualisation qui engagent les agriculteurs à adopter des pratiques plus respectueuses de l’environnement en échange d’un paiement compensatoire (Valette et al., 2012). Cette logique de compensation perdura dans les dispositifs qui succèderont aux MAE.
11En 1990, la réforme du Brevet Professionnel Responsable d’Exploitation Agricole (BPREA) introduit la notion de « respect de l’environnement » (Morin, Minaud, 2015). Elle appréhende alors l’environnement comme une contrainte qui oriente les choix technologiques des agriculteurs qui sont incités à réduire les nuisances de l’agriculture sur l’environnement. Elle favorise les progrès du machinisme agricole pour réaliser un épandage plus ciblé des pesticides d’une part, la fabrication d’organismes génétiquement modifiés (OGM) qui sont censés impliquer un moindre épandage des pesticides d’autre part (Gillet, 2014). Ces choix ne remettent pas en question la concentration et la spécialisation des exploitations agricoles qui sont accusées de porter atteinte à l’environnement. Si la notion d’environnement s’impose dans les débats et les échanges autour de la Politique Agricole Commune (PAC), elle reste ainsi appréhendée dans la filière d’enseignement de la production agricole comme une contrainte qui pèse sur les systèmes de production des agriculteurs. Tandis que dans la filière aménagement de l’espace et protection de l’environnement, l’environnement est plutôt pensé par les enseignants comme une ressource que l’on cherche à préserver et à protéger (Marshall, 2008).
12À la fin des années 1990, la notion de développement durable s’impose peu à peu dans le débat public et fait évoluer les curricula des formations de l’enseignement agricole (Marshall, 2008) comme ceux de l’Éducation nationale (Girault, Sauvé, 2008). Cette notion plutôt consensuelle, apparue dans les sommets de l’ONU, interroge les pratiques agricoles qui sont désormais incitées à répondre aux « besoins présents sans compromettre les capacités des générations futures à satisfaire leurs propres besoins ». Dans ce contexte, la Loi d’orientation agricole adoptée en 1999 en France, qui s’inscrit dans la continuité des politiques de l’Union Européenne, établit un « contrat territorial d’exploitation » qui cherche à insérer les exploitations agricoles dans un projet global, socio-économique, environnemental et territorial (Asloum, Kalali, 2013). Dans l’enseignement agricole, l’éducation au développement durable participe à la diffusion de l’approche systémique. Un réseau national est créé en 1996, le Réseau éducation à l'environnement pour un développement durable (REED) qui organise des échanges techniques et pédagogiques entre les établissements d’enseignement agricole et les associations d’éducation à l’environnement (Aublin, 2008).
13Les principes du développement durable sont inscrits dans tous les programmes d'enseignement (Simonneaux, 2008). Les diplômes du secteur des aménagements de l’espace et de la protection de l’environnement introduisent des changements qui ne limitent plus l’environnement à sa seule fonction de conservation ; ils engagent les publics de ce secteur à inscrire leurs actions dans le sens de la prévention et de la protection de l’ensemble des espaces (au-delà des espaces les plus protégés) pour limiter les dégradations sur l’environnement. Dans le secteur de la production, les exploitations agricoles rattachées aux lycées agricoles se présentent comme étant davantage tournées vers une agriculture dite durable, ce qui conduit à la mise en œuvre d’expérimentations pédagogiques en lien avec l’Institut National de la Recherche Agronomique (INRA) et les établissements d’enseignement supérieur agronomique. Mais la diffusion de la notion de développement durable a surtout des effets sur les enseignements interdisciplinaires et les projets d’établissement orientés dans une démarche de formation citoyenne des jeunes. En effet, dans les projets interdisciplinaires, cette éducation vise à former les futurs citoyens à mesurer les effets de leurs actes sur l’environnement (Asloum, Kalali, 2013).
14Malgré les expérimentations pédagogiques dans les exploitations rattachées aux lycées agricoles, les modèles issus de l’agroécologie historique, comme celui porté par les tenants de l’agriculture biologique ou de l’agriculture paysanne ne se développent guère dans ces formations dont les contenus des référentiels professionnels traduisent en grande partie les approches de la FNSEA. L’éducation au développement durable ne conduit pas à une réelle remise en cause de la dynamique capitaliste de l’agriculture mais ouvre plutôt la voie à la diffusion d’un modèle d’agriculture que l’on peut qualifier de « raisonnée », soutenu par la FNSEA, qui cherche à conjuguer les différents principes posés par la notion de développement durable, sans remettre véritablement en question l’usage des pesticides (Pervanchon, Blouet, 2002) et le rapport d’exploitation du vivant induit par les apprentissages agricoles. Les circulaires de la Direction Générale de l’Enseignement et de la Recherche (DGER) insistent sur « la responsabilité de l’enseignement agricole dans sa contribution à l’innovation, sa participation au transfert de connaissances et son rôle démonstratif en matière de pratiques agricoles durables » (Chrétien, 2013, p. 133). De nouvelles problématiques sont introduites dans les formations agricoles, notamment dans l’enseignement des « questions socialement vives » (QSV) et grâce aux rénovations des diplômes comme la question du bien-être animal et celle de la biodiversité (Lipp, 2016). C’est dans ce contexte qu’a été créé en 2008 le réseau Réso’them afin de partager des savoirs professionnels en agroécologie et faciliter les expérimentations menées par les enseignants en liaison avec l’enseignement agronomique, notamment la Bergerie Nationale de Rambouillet.
15Cette volonté d’introduire des nouvelles thématiques d’enseignement et de voir se développer chez les élèves un raisonnement scientifique qui implique une approche naturaliste, ne se traduit pas complètement dans les faits : comme le souligne Isabelle Gaborieau dans sa thèse, les actions en faveur du développement durable restent alors des incitations « par petites touches, laissées à l’appréciation des équipes, localement, qui, de fait, ne peuvent qu’aboutir à des initiatives personnelles, voire interpersonnelles, locales, des projets hors du cœur des enseignements » (Gaborieau, 2019, p. 47). Selon Isabelle Gaborieau et Christian Peltier (2013), bien que se développent, dans les années 2000, des actions collectives en lien avec une volonté d’économiser les ressources, les établissements d’enseignement agricole s’interrogent peu sur le sens des actions qui sont menées du point de vue de la culture professionnelle agricole et des pratiques d’enseignement. La littérature scientifique met l’accent sur le fait que l’introduction des notions d’environnement et du développement durable s’est, en réalité, peu déployée au-delà des discours, en particulier dans la filière de la production agricole. Les différentes rénovations des référentiels de diplômes de l’enseignement agricole n’ont pas les effets escomptés : « les discours produits à ce niveau sont souvent insuffisants pour orienter de façon efficace les enseignants sur les changements de savoirs et de pratiques didactiques à mettre en œuvre » (Chrétien, Veillard, 2021, p. 56). Les réflexions, menées par les travaux en didactique professionnelle, mettent en évidence le fait que les situations d’apprentissage doivent être réinterrogées pour réduire ce désajustement entre les discours et les pratiques dans l’enseignement agricole et s’orienter de manière à réellement initier les publics en formation à une diversité d’agricultures.
16Avec le plan Ecophyto 1 qui se donne pour objectif de réduire l’usage des produits sanitaires, lancé en 2009, à la suite du Grenelle de l’Environnement, les établissements de formation affiliés au ministère de l’Agriculture sont soumis à une nouvelle injonction politique, celle de sensibiliser les nouveaux entrants dans la profession agricole à des pratiques qui vont dans le sens de la « transition agroécologique » (Cousinié et al., 2015), notion qui s’impose alors dans tous les textes et les circulaires du ministère de l’Agriculture et qui remplace celle du développement durable (Benet Rivière, 2022). Le ministère de l’Agriculture définit alors l’agroécologie comme une manière de concevoir les systèmes de production en s’appuyant sur le fonctionnement des écosystèmes, c’est-à-dire en diminuant les pressions exercées sur l’environnement et en préservant les ressources naturelles. Un rapport publié en 2013 par l’Observatoire National de l’Enseignement Agricole (ONEA) décrit les objectifs de cette politique : il s’agit désormais d’allier « la performance économique » à la « performance environnementale » (Strupiekowski, 2013). En d’autres termes, les agriculteurs ont une « responsabilité sociétale » qui est celle d’assurer la protection de l’environnement et des ressources naturelles, mais le caractère industriel de l’agriculture n’est pas remis en question dans cette approche. Stéphane Le Foll, alors ministre de l’Agriculture, affirme qu’il ne faut pas « opposer économie et environnement » et indique vouloir « maintenir – et même augmenter notre niveau de production » tout en préservant les ressources naturelles (Le Foll, 2013). Ces propos sont similaires à ceux tenus, au même moment par Christiane Lambert, alors vice-présidente de la FNSEA qui déclare : « nous avons pour objectif de produire plus, ou au moins autant, et davantage en valeur, tout en respectant les ressources naturelles, qui constituent notre outil de travail. Certes on observe des dégradations de l’environnement, mais ce n’est pas Apocalypse Now ! » (Bévillard, Lambert, 2013, p. 34). L’idée d’une agriculture qui reste hautement productive mais qui respecte en même temps l’écosystème se heurte à d’autres visions plus radicales, notamment celles portées par la permaculture et la biodynamie, et qui s’inscrivent dans une perspective de « sobriété volontaire et heureuse » (Griffon, 2014). En 2014, la Loi Avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt renforce cette politique en lançant le programme d’actions « Enseigner à Produire Autrement » (EPA) et annonce une rénovation des programmes d’enseignement, notamment les baccalauréats professionnels et les Brevets de Technicien Supérieur (BTS). Alors que le plan Ecophyto 1 est considéré comme un véritable échec (Guichard et al., 2017), un second plan est lancé par la suite : le plan Ecophyto 2 en 2018. Ce nouveau plan instaure des objectifs quantitatifs, interdisant notamment certains produits à l’échelle nationale, en application de la législation européenne, et finance la recherche d’alternatives aux intrants chimiques (Benet Rivière, 2022).
17L’enseignement de l’agriculture biologique se développe néanmoins dans différents espaces de l’enseignement agricole. En premier lieu, l’agriculture biologique est désormais présente à travers les exploitations agricoles rattachées aux lycées, qui sont au centre des réformes ; ces exploitations développent au moins un atelier en agriculture biologique. Selon le ministère de l’Agriculture, en 2013, 14 % de la surface agricole utilisée (SAU) des exploitations des lycées agricoles est reconvertie en agriculture biologique alors que seulement 4 % des surfaces le sont dans le milieu professionnel (Cousinié, 2014). En 2020, près d’un quart des SAU des exploitations des lycées agricoles sont labellisées AB. Elles peuvent devenir des lieux d’expérimentation local en servant de « vitrine » pour l’agriculture biologique et la majorité dispose désormais d’au moins un atelier en AB. Toutefois, comme le souligne Patrick Mayen, ces exploitations ne sont pas nécessairement pour les élèves « un espace pour apprendre à produire autrement » (Mayen, 2016, p. 103). Il l’explique parce qu’une « des tensions tient à ce que les objectifs et les contraintes de production et d’innovation-démonstration sont à peu près incompatibles avec les conditions pédagogiques nécessaires pour apprendre à expérimenter, qui signifie essayer, se tromper, recommencer, ajuster, observer les effets de son action » (Mayen, 2016, p. 103). Les pratiques issues de l’agriculture biologique ne sont pas toujours réappropriées par les jeunes en formation qui sont socialisés à des pratiques culturales différentes et souvent contradictoires entre l’établissement de formation et les lieux de stage (Christen, 2017 ; David, 2019).
18Selon Patrick Mayen, l’apprentissage de pratiques agricoles plus respectueuses de l’environnement ne repose pas sur la simple application d’un modèle standardisé de pratiques et de raisonnements. Il faut au contraire se défaire de ce modèle pour tendre à une adaptation des pratiques selon les conditions environnementales et sociales. Cela implique de repenser l’articulation des séances d’enseignement général et scientifique en lycée agricole avec les séquences dans le monde professionnel qui doivent être l’occasion de faire découvrir des environnements et des pratiques variés afin de permettre aux élèves d’apprendre à construire des raisonnements qui ne conduisent pas à la simple exécution de protocoles et de procédures. La réflexion autour des modalités d’alternance entre les temps de formation et l’accompagnement des élèves en stage a toujours été un enjeu important dans le travail des enseignants en lycée agricole. Elle l’est d’autant plus dans le cadre de cette politique car les professionnels peuvent manifester des formes de rejet des pratiques et des connaissances transmises aux élèves dans les établissements de formation - ce qui n’est pas un phénomène nouveau. Elles peuvent apparaitre comme étant trop différentes voire même menaçantes pour les agriculteurs qui ont le sentiment que leurs pratiques se trouvent délégitimées (Mayen, 2016). Dans ce cadre, les enseignants seraient contraints de rechercher des maitres de stage qui ne sont pas hostiles aux pratiques proposées dans les lycées et des maitres de stage qui ne réduisent pas le stage à de simples opérations d’exécution pour laisser la place au travail d’expérimentation.
19L’agriculture biologique se développe également dans les formations pour adultes proposées par les Centres de Formation Professionnelle et de Promotion Agricoles (CFPPA) rattachés aux établissements de formation de l’enseignement agricole, notamment les Brevets Professionnels Responsable d'Entreprise Agricole (BPREA). Ces formations proposent des spécialisations en agriculture biologique et préparent à l’installation dans l’agriculture et aux emplois de responsable d’atelier d’élevage ou de cultures. Elles sont les plus en pointe en agriculture biologique depuis les années 1990, à la suite de la création du réseau Formabio en 1985. Ce réseau permet de coordonner les initiatives de formation en partenariat avec les services déconcentrés de l’État et la profession agricole (Nicolas, 2016). Ces formations pour adultes en agriculture biologique se sont largement étoffées dans la décennie 2010 avec le programme Enseigner à Produire Autrement (EPA). Ainsi, en 2015, 47 BPREA sont orientés en agriculture biologique (Morin, Minaud, 2015). Ils accueillent généralement des jeunes trentenaires en reconversion professionnelle, dont des chômeurs, ayant poursuivi des études initiales dans d’autres secteurs et qui souhaitent s’installer dans des petites structures (en maraichage notamment) avec la vente directe comme dans les associations pour le maintien d’une agriculture paysanne (AMAP). Toutefois, ces formations pour adultes peuvent être une source de désillusions chez ces personnes en reconversion professionnelle car leur projet d’installation, inscrit dans une démarché écologique, peut se trouver confronté aux contraintes économiques qui sont mises en évidence par les formateurs (Paranthoën, 2021).
20Bien que l’usage rationnel des ressources naturelles devienne l’horizon à suivre pour les jeunes en formation, il ne s’agit pas encore d’un changement radical dans la conception du travail agricole portée par les politiques publiques qui ne remettent pas en cause la logique intensive de l’agriculture ; cette « écologisation des pratiques agricoles » (Christen, Leroux, 2017) repose plutôt sur le maintien de l’usage des produits phytosanitaires qui doit être théoriquement « raisonné » et également sur la numérisation des équipements agricoles, entrainant le développement d’une « agriculture de précision » (Reboud et al., 2022). Cette agriculture, qui s’appuie sur la technologie numérique, vise à réduire la consommation d’eau ou les intrants de synthèse (Fauvergue et al., 2020). Elle conduit à la conception et à la commercialisation de machines permettant de prolonger le modèle de l’agriculture conventionnelle. Si elle intègre des pratiques comme la rotation des cultures soulageant les sols, elle a tendance à favoriser le maintien de grandes exploitations sans apporter de solution nouvelle aux agriculteurs pour repenser leur place dans les écosystèmes et ne résout pas le problème de la dépendance des agriculteurs à l’égard des pesticides (Aulagnier, Goulet, 2017). Pour ses détracteurs, l’agriculture biologique est toujours accusée d’entrainer une baisse des rendements par rapport à l’agriculture conventionnelle. Cette politique favorise néanmoins de nombreuses expérimentations pédagogiques et scientifiques, menées conjointement entre les établissements d’enseignement agricole secondaire et les écoles supérieures agronomiques ; ces expérimentations montrent l’existence d’un foisonnement de réflexions en termes de techniques et d’infrastructures qui favorisent l’émergence d’une diversité de systèmes de production agricole en fonction des milieux locaux (Gaborieau, 2019).
21Le développement des approches agroécologiques est aussi l’occasion de renforcer et de promouvoir les spécificités historiques de l’enseignement agricole. Dans un souci de revalorisation des établissements d’enseignement agricole, qui gardent l’image d’écoles de « relégation scolaire » (Benet Rivière, 2023), l’accent est mis sur l’emploi de pédagogies innovantes et la liberté laissée aux équipes pédagogiques, l’ancrage territorial des établissements et l’enseignement socioculturel orientés comme des outils pour la diffusion de pratiques plus respectueuses de l’environnement. Il s’agit, à travers les projets mis en œuvre, d’ouvrir les jeunes à des questionnements qui interrogent plus largement leur cadre de vie et favorisent leur participation à l’animation du milieu local. Cherchant à se défaire de l’image agricole, les lycées agricoles se dénomment aussi des « campus du vivant » et vantent l’idée que les élèves peuvent valoriser dans leurs formations une « passion » pour la nature et pour les animaux (Benet Rivière, Guétat-Bernard, 2023). Le développement de la dimension écologique des formations, agricoles ou non, constitue un outil qui accompagne cette communication pour attirer de nouveaux publics dans des secteurs professionnels agricoles qui connaissent des difficultés réelles de renouvellement (Purseigle, Hervieu, 2022). Cette ouverture est un enjeu important car les individus qui entament un projet d’installation en agriculture biologique sont souvent d’origine non agricole et distants des instances traditionnelles en agriculture (Samak, 2021). La capacité des formations agricoles à s’ouvrir à des publics qui ne sont pas issus directement de l’agriculture s’impose donc comme une nécessité pour faire évoluer les pratiques agricoles. Mais le syndicalisme agricole dominant ne semble pas encore totalement réceptif à cette ouverture du milieu et tend plutôt à vouloir garder la mainmise sur la définition professionnelle de l’agriculture qui doit rester intensive. Comme l’écrit Jacques Rémy (2014) à propos de la conception du registre des actifs agricoles au moment de la Loi de 2014 qui est un outil corporatiste de sélection et d’exclusion pour le sociologue : « en contrôlant le registre de l’agriculture, le syndicalisme dominant joue les dynasties établies contre les nouveaux entrants, l’agricole contre le rural, la clôture dans l’entre-soi contre l’ouverture à la diversité et à l’innovation : si ce registre avait existé il y a trente ans, les agriculteurs biologiques, les entrepreneurs ruraux qui transforment et vendent à la ferme ou en circuits courts, et d’autres encore n’auraient pu s’établir car ils ne correspondaient pas aux modèles d’agriculture intensive prônés alors par la FNSEA » (Rémy, 2014, p. 13).
22Le groupe professionnel des agriculteurs forme un ensemble hétérogène ayant des approches différentes de ces enjeux. Mais la littérature scientifique montre que les jeunes publics dans l’enseignement agricole technique issus du milieu agricole sont plus souvent réticents à l’agroécologie (Christen, 2017 ; Sahuc, 2017 ; David, 2019). En effet, les changements instaurés dans les programmes peuvent être perçus comme une tentative d’imposition de pratiques qui sont portées par des personnes extérieures à la profession (Sahuc, 2017). Mais les jeunes d’origine non agricole qui composent une partie des publics de la filière de production agricole peuvent être portés par des idéaux écologistes. Pour autant, ils n’adhèrent pas nécessairement au modèle de l’agroécologie proposé par l’enseignement agricole technique. Les démarches entreprises par le ministère de l’Agriculture pour « verdir » les enseignements peuvent apparaître à leurs yeux comme étant trop « timides » (Sahuc, 2017). Cette ouverture des formations à des publics divers fait donc émerger des variations importantes dans le rapport à l’agroécologie.
23Par ailleurs, la diffusion depuis 2011, la certification Haute Valeur Environnementale (HVE), promue par la FNSEA, dont les exigences en matière environnementale sont relativement moindres, a permis au syndicalisme dominant de se positionner lui-aussi comme un acteur de « l’agroécologie ». Dans le même temps, les critiques émises par les associations environnementales à l’égard du modèle productiviste sont disqualifiées à travers l’usage de la notion d’agribashing ; cette notion renvoie ces critiques à une « tentative de dénigrement » qui serait à l’œuvre contre le monde agricole (Sencébé, 2021). Pensé au départ comme une certification permettant de faciliter la transition des exploitations vers l’AB, la HVE s’est rapidement imposée au détriment de l’agriculture biologique, en particulier dans le milieu viticole. Dès lors, l’agroécologie devient un espace conflictuel entre ceux qui se sont positionnés historiquement comme des promoteurs des pratiques durables en agroécologie ou en permaculture (pratiques qui sont elles-mêmes hétérogènes) et le syndicalisme agricole dominant qui voit en ce label l’opportunité de redéfinir cette notion en l’ajustant à ses objectifs et aux intérêts des firmes agroalimentaires. Les exploitations des lycées agricoles se sont elles aussi engagées dans cette voie en se convertissant à la HVE, qui a été attaquée au conseil d’État par des associations environnementales et par la FNAB en 2023. Ainsi, l’agroécologie apparait comme une notion aux contours flous, dont les savoirs scientifiques sont en cours de construction (Calame, 2016).
24L’agroécologie regroupe des pratiques très hétérogènes, résultant de rapports de pouvoir entre les organisations agricoles, qui vont dans le sens d’une diversification des pratiques agricoles, complexifiant le travail des enseignants, soumis à des changements de référentiels rapides, qui doivent eux-mêmes transmettre à leurs publics des approches qui apparaissent comme étant contradictoires (Métral et al., 2016). Ces tensions co-existent dans les établissements d’enseignement agricole en fonction des profils des élèves et des personnels de formation, de leur origines familiales et professionnelles et des contextes professionnels locaux (Frère, 2017). Les travaux récents en sciences de l’éducation interrogent les difficultés que rencontrent les enseignants qui doivent mettre en œuvre cette prescription « enseigner à produire autrement » en particulier dans le baccalauréat professionnel Conduite et Gestion de l’Entreprise Agricole (Gaborieau, 2020).
25Ce « territoire en dispute » (Giraldo et Rosset, 2018) qu’est l’agroécologie est également un espace conflictuel entre les approches scientifiques et environnementales défendues par les associations. Chez les scientifiques de l’INRA, cette politique conduit à un travail de relégitimation de la discipline agronomique en opposition aux mouvements écologistes (Lamine, Niederle, Ollivier, 2019). L’enseignement d’une diversité d’approches et de techniques s’inscrit aussi dans une idéologie largement diffusée dans le système de formation dans son ensemble qui va dans le sens de l’individualisation des choix réalisés par les publics en formation. Il s’agit, en effet, in fine, aux jeunes formés de « choisir », parmi les différentes approches enseignées, celle qui leur parait la plus pertinente selon leurs intérêts personnels et les contextes locaux et productifs.
26Les réticences aux techniques moins chimiques de production (en particulier celles qui relèvent de l’agriculture biologique) qui sont portées par les acteurs historiques de l’agroécologie restent donc vives dans le syndicalisme agricole dominant. Ainsi, la création des Groupements d’Intérêt Économiques et Environnementaux (GIEE) dans le cadre de la Loi Avenir de 2014 avait déjà suscité un vif rejet de la FNSEA parce qu’ils se sont ouverts aux associations environnementales qui défendent d’autres types d’approches de l’agroécologie (Rémy, 2014), approches qui conduisent à repenser le rapport à la nature et aux machines, comme celles portées par l’Atelier paysan (2021). Au-delà des formations spécialisées en agriculture biologique destinées aux adultes et des ateliers en agriculture biologique dans les exploitations rattachées au lycée agricole, sa place dans les formations reste relativement marginale (Benet Rivière, 2022). La FNAB, qui souhaite promouvoir l’agriculture biologique (dont le développement est en net recul depuis l’épidémie du coronavirus) dans les lycées agricoles, a réclamé, en 2023, lors d’une conférence de presse, la création d’un module d’enseignement obligatoire en agriculture biologique de trois heures par semaine dans les baccalauréats professionnels dans le secteur de la production agricole.
27Les articles et notes de recherche qui composent ce numéro spécial ont pour particularité d’exposer des résultats de recherche, en s’appuyant sur des enquêtes de terrain dont les méthodologies sont diverses, tout en proposant des pistes de réflexion pour accompagner les pratiques d’enseignement mises en œuvre auprès des publics de l’enseignement agricole secondaire et supérieur. L’article de Christophe Beaurain et de Vanessa Carnoy montre que la généralisation de l’enseignement de l’agroécologie est un lieu d’observation d’un changement global du rapport des sociétés modernes à la Terre. Ce changement témoigne notamment de la réhabilitation du rôle des non-humains dans les transformations de l’agriculture. Les interactions avec les non-humains ne peuvent pas, selon eux, être engagées dans un processus d’exploitation qui fait de ces non-humains une simple ressource. L’enseignement de l’agroécologie passe par un apprentissage d’agricultures différentes qui relève d’un projet technique et sociopolitique réinterrogeant ce rapport à la nature ; il s’inscrit dans l’évolution plus globale des systèmes de production et de consommation. La contribution des auteurs se propose d’identifier le rôle et la place de l’enseignement agricole dans les dynamiques d’acteurs qui se mettent en place, dynamiques qui sont, selon eux, davantage territorialisées que par le passé et surtout soucieuses de prendre en compte les attentes de ceux qui défendent des pratiques agricoles considérées comme « alternatives » et les demandes des consommateurs. Ils montrent, toutefois, que les publics des formations agricoles, qui doivent répondre à ces attentes qui viennent transformer les enseignements, sont aussi confrontés, comme les agriculteurs, au paradigme productiviste qui fait de la rentabilité économique un objectif à atteindre.
28L’article de Joachim Benet Rivière et d’Hélène Guétat-Bernard met en évidence l’hétérogénéité des points de vue vis-à-vis de l’agroécologie chez les élèves inscrits dans le baccalauréat professionnel agroéquipement, un des diplômes de la filière de la production agricole. L’article décrit une ligne de clivage social entre les élèves issus de l’agriculture conventionnelle et ceux qui ne sont pas originaires du milieu agricole : les premiers sont plus réticents à adopter des pratiques et des techniques permettant de réduire l’usage des intrants chimiques. Ces réticences témoignent du développement de l’agroécologie observé de manière récente dans ce bac pro de machinisme agricole dans lequel sont enseignées désormais des pratiques issues de l’agriculture de conservation. Ces réticences, qui sont généralement partagées par les familles des élèves originaires du milieu agricole, sont liées au sentiment des élèves que les agriculteurs font face à des injonctions contradictoires. Les mesures favorables à la transition agroécologique se confrontent à une réalité économique complexe et sont perçues comme une imposition supplémentaire de nouvelles normes qui rendent plus difficile la conduite d’une exploitation agricole. Si le passage dans la formation en machinisme agricole ne semble pas offrir de solution pour résoudre ces injonctions contradictoires, certains élèves, y compris ceux issus d’exploitants agricoles conventionnels, sont tout de même prêts, dans certaines configurations, à mettre en œuvre des changements techniques qui permettent de réduire l’impact des activités agricoles sur l’environnement, en développant notamment une agriculture de proximité.
29L’article de Manon Caudron-Fournier interroge la manière dont la masculinité agricole se reconfigure sous l’effet des changements des référentiels de formation agricole qui vont dans le sens de la « transition agroécologique ». Elle décrit ainsi l’émergence d’une nouvelle forme de masculinité hégémonique portée par la réforme du Brevet Professionnel Responsable d'Entreprise Agricole (BPREA) en 2018. Selon elle, cette réforme implique une nouvelle représentation du métier d’agriculteur, celle de la figure de l’« agri-manageur du vivant », c’est-à-dire celle d’un homme qui doit « produire autrement » et qui place les compétences gestionnaires au centre de son métier. Comme l’explique l’auteure, ces représentations de genre qui associent certaines activités comme étant « masculines » et d’autres « féminines » ne sont pas nouvelles et s’inscrivent dans l’histoire des formations de l’enseignement agricole. Cependant, la réforme du BPREA de 2018 produit ce qu’elle appelle un « renversement » des références symboliques de l’agriculteur, « agri-manageur du vivant ». Les compétences techniques des agriculteurs sont mises au service de cette nouvelle valeur dominante. Cette reconfiguration de la masculinité agricole implique une réappropriation de savoir-faire agricoles historiquement développés par les femmes, issus des activités de diversification agricole, pensés comme des « innovations » dans le référentiel.
30L’enseignement supérieur agronomique a été l’objet d’investigations récentes menées à la suite de la mobilisation des étudiants et des personnels souhaitant une remise en question du contenu de leur formation. Les travaux présentés dans ce dossier qui font suite à ce mouvement montrent l’existence d’oppositions chez les élèves ingénieurs, qui ne sont pas tous favorables à une agroécologie plus radicale. En effet, tous n’exigent pas une remise en question des solutions technocentrées portées par les politiques environnementales. L’article de Philippe Boudes, Line Rondard et Cyprien Tasset dévoile les variations des rapports à l’agroécologie chez les étudiants inscrits dans les écoles agronomiques de l’Institut Agro. S’ils adhèrent très majoritairement à la perspective d’une « transition agroécologique », des divergences notables se font jour quand on les interroge sur le contenu de cette transition et sur sa compatibilité avec la croissance économique. Les auteurs font le constat d’une ligne de fracture entre les étudiants qui adhèrent à l’idée que la réponse à apporter à la crise climatique est d’ordre technique (pensée en termes d’innovations) et ceux qui ont une position plus dubitative voire critique face à cette réponse techno-solutionniste. Les auteurs analysent ces divergences de points de vue des étudiants en les resituant dans leurs parcours scolaires, leurs trajectoires sociales et dans leurs rapports au politique.
31Dans leur contribution, Nathalie Joly et Marielle Berriet-Solliec décrivent les différentes formes de mobilisation en faveur de l’agroécologie au début de la décennie 2020 dans un établissement de l’enseignement supérieur agronomique. Elles mettent en évidence la pluralité des actions menées par les étudiants et les personnels en distinguant les participations plus conventionnelles (comme la création d’un groupe de travail) et celles qui le sont moins (notamment la rédaction d’une tribune dans un média national). Elles montrent que la tentative d’une mobilisation nationale souhaitée par les enseignants-chercheurs de cet établissement est mise en échec. Si les enseignants-chercheurs n’ont pas su, selon elles, créer un élan au-delà de leur établissement, des transformations des contenus et des situations d’enseignement sont tout de même perceptibles à la suite de cette mobilisation au sein de leur établissement.
32En raison de leur rôle stratégique dans la diffusion des savoirs agroécologiques, les exploitations des lycées agricoles occupent une place importante dans les questionnements des chercheurs. Dans ce numéro, plusieurs contributions s’attachent à décrypter leur rôle dans la diffusion de ces savoirs. Patrice Cayre, Cyrille Rigolot et Pauline Herbemont rendent compte des reconfigurations du rôle de ces exploitations agricoles dans les apprentissages. Ces exploitations, qui ont été des espaces de promotion de la modernisation agricole, sont désormais soumises aux injonctions institutionnelles en faveur de l’agroécologie. La contribution de Patrice Cayre, Cyrille Rigolot et Pauline Herbemont permet de mesurer les transformations accomplies des activités productives dans ces exploitations et leurs implications nouvelles du point de vue de l’attention portée aux animaux, à leur santé et à leur alimentation. Les professionnels qui travaillent au sein de ces exploitations rattachées aux lycées ont dû repenser leurs rapports aux êtres vivants et à la nature tout en élaborant des stratégies d’ordre économique pour garantir la pérennité de leur exploitation. Les auteurs montrent que ces « territoire-école » s’imposent comme des espaces d’expérimentation des pratiques agroécologiques non seulement pour les professionnels qui y travaillent, les publics en formation, mais également pour les professionnels du milieu agricole qui l’utilisent comme un outil de réflexion pour leurs propres pratiques.
33L’article de Jean-Pierre Del Corso, Nina Asloum et Guillaume Gillet s’intéresse aux conditions qui permettent aux enseignants d’échanger et de s’approprier des connaissances qui sont en constant renouvellement dans les formations de l’enseignement agricole, à partir d’un cas d’étude, la place du territoire dans le baccalauréat technologique Sciences et Technologies de l’Agronomie et du Vivant (STAV). Ils soulignent tout d’abord les spécificités des curricula de l’enseignement agricole par rapport à l’enseignement général. Les contenus des formations de l’enseignement agricole sont sommés, selon eux, d’évoluer de manière plus rapide pour accompagner les transformations des activités professionnelles dans les mondes ruraux. Ce raccourcissement du temps entre l’émergence d’une pratique professionnelle et sa transposition didactique, qui semble s’être accéléré par les dernières réformes de l’enseignement agricole, apparaît comme problématique car les personnels ne peuvent enseigner auprès de leurs publics que des connaissances ayant une base solide sur le plan scientifique. En même temps, les référentiels de formation sont contraints d’intégrer des questionnements professionnels émergents car ils encourent le risque d’être accusés d’être en retard par rapport aux transformations affectant le milieu professionnel. Face à ces contradictions, les auteurs décrivent les moyens mis en œuvre pour permettre aux enseignants de s’emparer de ces questions professionnelles émergentes. La résolution de ces contradictions passe, selon Jean-Pierre Del Corso, Nina Asloum et Guillaume Gillet, par une plus grande collaboration entre les personnels enseignants et le milieu de la recherche, pour la construction de ressources pédagogiques.
34La contribution de Mohamed Gafsi et al. explore elle aussi les conséquences de la politique environnementale sur les exploitations des lycées agricoles. Elle analyse la manière dont les enseignants mettent en œuvre les diagnostics de durabilité et de gestion stratégique des exploitations, c’est-à-dire l’évaluation de leur performance globale. Il faut préciser que ces exploitations, rattachées aux lycées agricoles, sont des exploitations à part entière qui doivent répondre aux mêmes exigences que tout type d’exploitation sur le plan réglementaire, économique et environnemental. L’article présente la démarche méthodologique produite par les enseignants qui permet aux publics en formation d’appréhender les changements productifs en adoptant une approche dynamique qui privilégie une lecture sur la longue durée de la trajectoire de l’exploitation. Selon cette méthode définie par les enseignants, les publics en formation doivent analyser le système de production de l’exploitation, en identifiant l’évolution des facteurs de production et des principales caractéristiques des ateliers de production, afin d’évaluer les effets des changements introduits par la « transition agroécologique » sur la performance économique.
35L’article d’Annie Sigwalt, Faustine Ruggieri et Cécile Coulon-Leroy prend appui sur un dispositif pédagogique mis en œuvre auprès d’élèves-ingénieurs au sein de l’École Supérieure des Agricultures (ESA) d’Angers pour saisir les effets dans la formation d’ingénieur du développement des appellations d’origine contrôlée (AOC) et des indications géographiques (IG) dans le milieu viticole. À ces indications géographiques, sont associées désormais des mesures censées être plus respectueuses de l’environnement depuis la Loi Égalim de 2018 issue des États Généraux de l’Alimentation. En collaboration avec des professionnels de l’AOC Touraine, la formation doit préparer les futurs ingénieurs à accompagner les viticulteurs qui cherchent à valoriser leur production en tant que « vins de terroir » grâce à ces indications géographiques. L’enquête coordonnée par les chercheuses avec les élèves-ingénieurs auprès des viticulteurs montre comment ces derniers tentent de répondre aux problèmes posés par le réchauffement climatique. Documenter ces stratégies d’adaptation et les changements de pratique dans la conduite des vignes constitue une étape importante de la formation des élèves-ingénieurs qui leur permet de mieux connaître les projets et les techniques des viticulteurs. La recherche menée auprès des viticulteurs est également un moyen pour ces élèves-ingénieurs de se former aux méthodes d’enquête sociologique utiles dans leur futur professionnel.
36L’article de Christian Peltier, Mohammed Gafsi, Inês Rodrigues et Frédéric Zahm présente un dispositif pédagogique dont l’objet est d’accompagner les enseignants des lycées agricoles à « enseigner la transition agroécologique ». Les auteurs soulignent que cet enseignement ne peut pas être cantonné à un simple processus de transmission de nouveaux savoirs scientifiques et techniques aux publics des lycées agricoles. Ils invitent plutôt à repenser la relation entre enseignants et apprenants pour développer des situations d’apprentissage qui sont porteuses de changement. Les enseignements interdisciplinaires, qui occupent depuis une trentaine d’années une place centrale dans les formations de l’enseignement agricole, sont considérés comme l’outil prioritaire pour assurer cette transition. En effet, la notion de « transition agroécologique » et celle de « durabilité » génèrent, pour les auteurs, des incertitudes parce qu’elles participent à la diffusion de savoirs qui ne sont pas encore stabilisés sur le plan scientifique et qui donnent lieu à des interprétations différentes. Les activités de réflexion collective sur les pratiques agricoles réalisées dans le cadre de projets interdisciplinaires permettraient de développer des démarches de coopération. Mais les auteurs défendent l’idée que les enseignants doivent être mieux préparés pour assurer ces enseignements interdisciplinaires et cela à l’aide d’un travail d’objectivation de leurs propres pratiques d’enseignement.
37Dans leur note de recherche, Isabelle Gaborieau et Christian Peltier s’interrogent sur les effets du programme d’actions « Enseigner à Produire Autrement » sur les postures des enseignants. Selon eux, l’enseignement de l’agroécologie conduit à repenser le modèle des formations dans leur globalité. Les enseignants ont cependant de réelles difficultés à s’emparer de ce programme d’actions. Ces difficultés sont liées au fait que les changements rapides de référentiels se multiplient et ils impliquent des temps de formation (et non d’information) pour tester de nouvelles pratiques, temps qui ne sont pas nécessairement mis en œuvre. Par ailleurs, le programme Enseigner à Produire Autrement (EPA) s’ajoute à d’autres réformes et injonctions qui sont déjà venues alourdir leur charge de travail, ce qui renforce leurs difficultés à se saisir de ce programme.
38La note de recherche de Rachel Lévy, Jean-Pierre Del Corso et Nicolas Gallai restitue les résultats de leur enquête menée auprès des étudiants inscrits dans plusieurs Brevets de Techniciens Supérieurs Agricoles (BTSA) dans la filière de la production agricole et celle de la gestion des ressources naturelles. Cette enquête cherche à saisir les regards que ces étudiants portent sur le changement climatique. Selon les auteurs, les espaces d’échange interactif au sein des établissements d’enseignement agricole (notamment les temps interdisciplinaires consacrés à des projets ou à des investigations) constituent le lieu d’information privilégié de ces étudiants. En effet, leur opinion sur le changement climatique ne s’est pas forgée à l’appui des enseignements plus académiques en lycée agricole qui apparaissent comme relativement faibles dans leur expérience étudiante. Les établissements d’enseignement agricole apparaissent donc, selon eux, comme des lieux où peuvent s’actualiser des normes et des valeurs qui ont une influence sur les pratiques quotidiennes des étudiants.
39Si les questions environnementales ont toujours été prises en compte dans l’enseignement agricole, c’est seulement depuis les années 2010, que l’on assiste à un réel développement dans les formations agricoles d’un apprentissage des pratiques limitant l’usage des intrants chimiques. L’enseignement des techniques issues de l’agriculture biologique occupent quant à lui aussi une place de plus en plus importante, même s’il reste cantonné dans certains espaces, comme les formations pour adultes et les exploitations rattachées aux lycées agricoles. Malgré le volontarisme politique affiché et les rénovations des référentiels, les enseignements dans la filière de la production agricole semblent malgré tout peu ouverts à la diversité des agricultures. La montée des exigences environnementales se heurte à des résistances de la part du syndicalisme agricole dominant qui tente de se repositionner comme un acteur de premier plan de cette transition en gardant une influence déterminante sur le contenu des programmes de l’enseignement agricole.
40Ces résistances se retrouvent à une échelle plus individuelle et dans les établissements de formation, chez une partie des publics et des personnels. Elles se traduisent par une difficile appropriation des contenus d’enseignement et des savoirs agroécologiques par les publics. Les personnels enseignants sont confrontés dans les contextes locaux à des tensions plus ou moins fortes avec les professionnels. Les stages réalisés dans les entreprises agricoles orientent également le plus souvent les jeunes vers le modèle de l’agriculture conventionnelle. Néanmoins, les contributions de ce numéro montrent qu’une partie de ces publics et de ces personnels sont favorables au développement de l’enseignement de l’agroécologie qui renvoie à une pluralité de techniques et d’approches qui ne se limitent pas à l’agriculture biologique. Les professionnels peuvent utiliser les exploitations des lycées agricoles orientées vers l’agroécologie afin de faire évoluer leurs propres pratiques. Si les publics en formation, qui ont des points de vue variés (dépendants de leur histoire familiale, de leur socialisation professionnelle et syndicale) sont amenés à construire des raisonnements qui leur permettent de prendre des décisions pour faire évoluer les systèmes productifs, ils restent largement soumis, dans les formations initiales, à une conception en termes de « performance économique », portée par la FNSEA, qui ne parvient pas à se défaire de la logique industrielle de l’agriculture impliquant le recours à la chimie et au numérique. Dans l’enseignement agronomique, la réponse technologique et numérique semble également gouverner les choix politiques.
41Cette difficile appropriation est renforcée par le fait que les publics en formation initiale ne sont pas ceux qui prendront les décisions dans les exploitations familiales à l’issue de leur apprentissage. Sous l’influence du syndicalisme agricole dominant et de l’agro-industrie, l’enseignement agricole ne parvient pas à se défaire du modèle conventionnel de l’agriculture impliquant un recours aux pesticides qui reste massif. Ainsi, dans le contexte de cogestion des politiques avec la FNSEA, on peut s’interroger sur la manière dont l’enseignement agricole peut réellement parvenir à s’émanciper de ces logiques productives dominantes en raison de la marginalisation des syndicats et des associations défendant des approches historiques de l’agroécologie dont les discours n’impriment pas les contenus et les référentiels des programmes d’enseignement. Les récentes réformes de la formation professionnelle, notamment la Loi Avenir, ont plutôt contribué à mettre à l’écart ces acteurs historiques de l’agroécologie des commissions chargées de la rédaction des référentiels professionnels des formations, au profit du patronat. L’enseignement agricole se trouve confronté à un double défi considérable, celui de renouveler une part importante de la population agricole de manière rapide dans les années à venir, tout en s’inscrivant dans cette « transition agroécologique ». Mais en même temps, il fait face à une politique d’austérité budgétaire, qui affecte l’ensemble du système éducatif et qui va à l’encontre même de ces objectifs.