1Le vignoble constitue un élément majeur des territoires dans lesquels il s’inscrit (Legouy et Vitré, 2013). Il fut ainsi l’un des facteurs déterminants pour l’inscription d’une partie du Val de Loire sur la liste du patrimoine mondial de l'Unesco (Morlat et al., 2001 ; Yengué et Chaballier, 2015). Les paysages viticoles sont le résultat de la succession de dynamiques guidées par des enjeux qui ont évolué au cours du temps (Legouy, 2014). Depuis les années 1950, de profondes mutations ont dessiné les grands traits des vignobles contemporains : industrialisation de l’agriculture, mise en concurrence mondiale, évolution de la consommation, progression du bâti, etc. Ces enjeux s’enrichissent aujourd’hui de nouvelles préoccupations comme le changement climatique, la protection de l’environnement (impact des produits de traitement de la vigne sur la qualité des eaux souterraines et des sols : Hattab et al., 2013-a et b et 2014 ; Hattab et Motelica-Heino, 2014), le développement de méthodes de culture raisonnée ou biologique, l’intérêt pour les services écosystémiques, le poids toujours plus important du marché… La filière viticole a su s’adapter à ces enjeux. Elle est devenue le deuxième contributeur de la balance commerciale française (12 milliards d’euros), derrière l’industrie aéronautique (statistiques de FranceAgriMer, 2015). Ici, nous souhaitons interroger les stratégies mises en place plus particulièrement par un vignoble français périurbain (AOC Vouvray en Indre-et-Loire). Celui-ci se distingue d’autres par sa localisation en périphérie de ville, dans cet entre-deux, entre la ville et la campagne, qui se démarque par la morphologie de son espace bâti, par ses fonctions fortement rattachées à la ville, par un mode d’habiter particulier de ses résidents – à relativiser toutefois (Cailly, 2008). Mais, on le perçoit dans cette définition du périurbain, ce qui distingue un tel vignoble, ce n’est pas seulement sa position géographique ; ce sont aussi des enjeux particuliers auxquels il est confronté, intimement liés à la ville, en l’occurrence ici celle de Tours. La proximité de la ville peut être un atout pour le vignoble, par l’importance de la clientèle potentielle qu’elle offre mais elle constitue aussi une menace, en raison de la pression foncière exercée du fait de la progression du bâti. Comment se maintenir spatialement face à d’autres types d’occupation des sols aux retombées économiques et financières plus immédiates ? Comment garder son identité sans manquer le train de la modernité ? Surtout, les préoccupations ne peuvent-elles être que locales, focalisées sur la menace de l’urbanisation ? Et celle-ci constitue-t-elle une menace majeure ? Dans une première partie, nous préciserons les choix méthodologiques qui ont prévalu pour cette étude. La deuxième partie questionnera la menace de l’urbanisation, en analysant les évolutions depuis les années 1940. Dans la troisième partie, nous verrons que les stratégies mises en place dévoilent d’autres enjeux qui interviennent à d’autres échelles, plaçant le vignoble dans un contexte global.
2Avec une production de plus de 3 millions d’hectolitres, le Val de Loire représente le troisième bassin viticole français1. Il se divise en 26 vignobles répartis sur 14 départements ; parmi ces derniers, l’Indre-et-Loire en compte le plus grand nombre, plus ou moins proche de Tours. Trois se situent à proximité immédiate de la ville :
-
Touraine Noble Joué : de surface restreinte (une trentaine d’hectares que se partagent cinq viticulteurs2), ce vignoble n’a été classé en AOC qu’en 2001, après avoir disparu entre la seconde Guerre mondiale et 1975, sous le poids des destructions et de la progression de l’urbanisation.
-
Montlouis-sur-Loire : classé en AOC Montlouis dès 1938 (renommée Montlouis-sur-Loire en 2002), il s’étend sur 385 ha environ et comprend 72 viticulteurs.
-
Vouvray : figurant aussi parmi les premières AOC créées (dès 1936), il est le plus important puisqu’il s’étend sur 2 200 ha partagés entre 180 vignerons3.
3Ce vignoble nous intéresse ainsi particulièrement pour comprendre le maintien d’un vignoble périurbain face à l’urbanisation et questionner l’existence d’autres enjeux se situant à d’autres échelles. C’est donc sur celui-ci que porte notre étude, d’autant qu’il n’apparaît pas comme le vignoble le plus organisé. En effet, il se distingue par une volonté de « garder de la souplesse et faire confiance à la corporation », contrairement à son voisin qui, lui, a fait davantage le « choix de mobiliser les outils réglementaires comme la ZAP » (Yengué et Chaballier, 2015). « [T]ouchés de plein fouet depuis 30 ans par l’extension urbaine […], ces vignobles résistent » (ibid.) ; dans quelle mesure est-ce le cas pour l’AOC Vouvray ? Pour le déterminer, nous avons pris en exemple l’une de ses communes, celle-là même qui a donné son nom à l’appellation, Vouvray.
4L’AOC Vouvray produit annuellement 115 000 hl mais ce sont en fait trois types de vin qui sont proposés : AOC Vouvray mousseux, AOC Vouvray pétillant et AOC Vouvray tranquille. Le vignoble s’étend au nord de la Loire sur huit communes : Chancay, Parcay-Meslay, Noizay, Reugny, Rochecorbon, Tours (quartier de Sainte Radegonde), Vernou-sur-Brenne et Vouvray. Ce vignoble est donc l’un des derniers situés à proximité immédiate de Tours, incluant même un quartier de la ville (figure 1). Par sa situation périurbaine, il apparaît très fortement convoité. Pour s’en assurer, nous avons souhaité mesurer l’importance de l’extension urbaine, entre les années 1940 et aujourd’hui, en nous focalisant sur la commune de Vouvray. Cette dernière comprend près du quart de la surface du vignoble éponyme, avec 520 ha. Située à une douzaine de kilomètres au nord-est de Tours (figure 1), elle compte 3 200 habitants4 et totalise 2 300 ha. Pour identifier les dynamiques viticoles, dans une démarche plus quantitative que qualitative, nous avons dressé deux états des lieux, en nous fondant sur deux jeux de photographies aériennes :
-
1949, les plus anciennes en accès libre sur le site internet de l’IGN,
-
2007, les plus récentes disponibles au moment où nous avons commencé l’étude (2011).
5D’autres sources peuvent être mobilisées pour connaître l’occupation des sols, comme les données CORINE Land Cover, mais elles se limitent à la période 1990-2012. L’avantage des photographies aériennes est d’offrir des informations plus anciennes mais aussi plus précises, grâce à une résolution spatiale relativement élevée (même si elle s’avère plus faible pour les photographies les plus anciennes). Elles ont donc été retenues, même si elles nécessitent un temps de traitement plus long. En effet, elles ont été analysées par photo-interprétation, en se conformant à une typologie prédéfinie, en considérant l’objectif de l’étude : identifier les dynamiques viticoles mais en les confrontant en particulier aux dynamiques urbaines. Pour chacun des états des lieux, quatre grandes classes d’occupation des sols ont donc été retenues : bois et forêts, vignes, autres terres agricoles et bâti. S’ajoute une cinquième classe, nommée « Bord de Loire » qui, située au sud de la commune, est composée de bois et prairies et de cultures mais pas de vignes, absentes en 1949 comme en 2007. Cette classe est un masque, permettant de dissimuler cette zone de moindre intérêt pour focaliser notre travail sur les territoires aux enjeux viticoles de la commune de Vouvray – elle inclut bien quelques surfaces bâties mais de surface restreinte et leur extension est contenue puisque toute construction est désormais impossible, la zone étant classée en « zone inondable à préserver de toute urbanisation nouvelle » (aléa fort à très fort) dans le plan de prévention des risques d’inondation (PPRI du Val de Cisse) approuvé en 2011. Les photographies aériennes ont été intégrées dans un SIG (système d’information géographique) : les classes d’occupation des sols, identifiées en se fondant sur la typologie retenue, ont été digitalisées, en vue de comparer par analyse spatiale les deux états des lieux et identifier ainsi les permanences et mutations.
Figure 1 : Localisation du vignoble de Vouvray / Location of the Vouvray vineyards
6Pour comprendre les enjeux et identifier les pratiques de protection et de mise en valeur du vignoble développées par les acteurs locaux, nous avons mené des entretiens semi-directifs auprès de trois groupes d’acteurs du territoire :
-
les acteurs publics : la municipalité de Vouvray mais aussi les autres communes de l’AOC et la CCV (Communauté de Communes du Vouvrillon) – devenue Communauté de Communes Touraine-Est Vallées en janvier 2017. L’objectif était d’identifier les politiques, les plans d’action en vigueur et les éventuels projets concernant la place de l’agriculture, en particulier du vignoble, sur leur territoire. En l’occurrence, il s’agissait de connaître l’existence, les causes, les objectifs, la nature et les modalités des actions menées notamment pour protéger le vignoble.
-
le syndicat des vignerons et l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité), afin de connaître les actions mises en place pour défendre la profession et protéger l’AOC. Il s’agissait aussi d’obtenir leurs points de vue sur les décisions politiques en matière d’urbanisation et / ou de protection du vignoble, de connaître leurs craintes et leurs souhaits dans ce contexte de progression de l’urbanisation. L’objectif était aussi de percevoir les points forts et les limites des moyens de résistance mis en place par les collectivités et de vérifier la convergence (ou non) des intérêts de chacun.
-
des viticulteurs, avec une volonté de se focaliser plus particulièrement sur trois d’entre eux implantés dans la commune de Vouvray, selon une approche plus qualitative que quantitative. L’objectif était d’identifier les stratégies que ces acteurs développent pour défendre leurs intérêts, en considérant les nouvelles orientations en matière de modalités culturales et le parcours particulier de ces viticulteurs, en s’attachant à comprendre les raisons de leur choix, plutôt que d’en dégager des généralités – le faible nombre d’enquêtés ne nous l’autorise bien sûr pas. Deux se sont ainsi installés dans les années 1920 ; l’un s’est orienté vers l’agriculture biologique, l’autre vers la biodynamie. Le domaine du troisième viticulteur interrogé a vu le jour plus récemment, en 1985, et il se réclame de l’agriculture raisonnée. La mise en perspective de ces cas particuliers est permise par les données obtenues par ailleurs, auprès des autres acteurs, en se fondant sur les autres sources, incluant la littérature, sur d’autres témoignages collectés à Vouvray ou dans les autres vignobles dans lesquels des actions de recherche ont été menées (Montlouis-sur-Loire et Bourgueil notamment). Les différentes sources mobilisées nous apportent pour commencer des réponses quant à l’importance de la menace que constitue l’urbanisation.
- 5 Des zones tampons, où les traitements sont proscrits, ont été établies autour des lieux (...)
7Le vignoble de Vouvray se situe dans l’aire urbaine de Tours et dans le périmètre du SCoT de l’agglomération de Tours, devenue Tours Métropole Val de Loire en janvier 2017 (figure 1). Ce périmètre regroupe aujourd’hui une population relativement importante : un peu plus de 390 000 habitants, représentant environ 47 % de la population de l’Indre-et–Loire, selon des statistiques de 2014 de l’Insee. Ceci résulte d’une dynamique enclenchée dès la fin de la seconde Guerre mondiale et la reconstruction qui a suivi : depuis cette époque, l’agglomération tourangelle n’a cessé de s’agrandir. À partir des années 1970, l’étalement urbain a connu une forte accélération. Il a alors concerné d’autres communes que Tours, d’abord proches, relevant de la première couronne de l’agglomération (Joué-lès-Tours, Chambray-lès-Tours, Saint-Pierre-des-Corps) puis de la seconde (Saint-Cyr-sur-Loire, Fondettes, La Ville-aux-Dames, Saint-Avertin). Depuis quelques années, l’étalement s’est encore accru, s’éloignant plus encore de Tours, notamment parce qu’il est devenu plus consommateur d’espaces. Certaines communes périurbaines sont particulièrement touchées, marquées par une urbanisation assez importante depuis une dizaine d’années, comme Monts ou Montlouis-sur-Loire (Chaballier, 2012). Ce changement de vitesse du processus urbain s’explique par les besoins des populations de plus en plus spécifiques : elles recherchent un cadre de vie de qualité, loin de la ville. Tours n’est bien sûr pas la seule ville concernée et on retrouve le même processus, les mêmes causes et les mêmes effets, par exemple à Bordeaux (Péres, 2009). Les communes périurbaines viticoles sont particulièrement concernées, dans la mesure où, dans la qualité de ce cadre de vie recherchée, la présence du vignoble joue souvent positivement : « un environnement agricole, forestier ou viticole constitue un cadre de vie que peuvent rechercher des ménages (Tolron, 2002 ; Tolron et Giraud, 2001) » (ibid.), même si ceci est à nuancer : l’usage des pesticides suscite désormais des craintes – auxquelles la législation tente aujourd’hui d’apporter des réponses5 – et la cohabitation avec les vignes peut être source de conflits (Yengué et Robert, 2017 ; Thierry et Yengué, 2018). Toujours est-il que les logements se développent alors à la périphérie des villes, le plus souvent dans des lotissements implantés par des programmes sur d’anciennes terres agricoles ou par taches ponctuelles – phénomène de mitage urbain. Les espaces libres sont petit à petit grignotés et les terres agricoles sont particulièrement menacées. Les communes périurbaines viticoles se trouvent alors partagées entre la nécessité de pérenniser l’activité viticole sur leur territoire et celle d’encourager la venue de nouveaux habitants, entre le maintien de leur vignoble et le développement urbain. Le compromis n’est pas aisé à trouver d’autant que ces deux catégories d’occupation des sols sont en concurrence. L’extension du bâti se fait notamment au détriment des terres agricoles, ce qui entraîne une perte de la surface agricole utile. Il faut noter à ce sujet que le département de l’Indre-et-Loire est fortement touché par la perte de ces terres au profit de l’urbanisation ; en une dizaine d’années seulement, 17 % de surface agricole utile ont été perdus (Serrano, 2007). Qu’en est-il dès lors dans la commune de Vouvray ? Le vignoble est-il menacé par cette pression qui s’exerce sur son territoire, à l’échelle locale ? Pour y répondre, nous nous tournons vers les photographies aériennes qui, confrontées par analyse spatiale, dans le SIG, nous révèlent les permanences et mutations de l’occupation du sol, notamment du vignoble, sur ce territoire communal.
8Avant d’identifier les dynamiques de l’occupation des sols, attardons-nous sur les états des lieux aux deux dates, pour comprendre la répartition du vignoble. L’analyse des photographies aériennes de 2007 (figure 2) démontre que l’occupation du sol de la commune de Vouvray est majoritairement agricole : 71 % de la superficie totale, ce qui vient d’emblée questionner la menace que constitue l’urbanisation. Le bâti (près de 11 % de la commune) est très localisé sur le rebord du plateau, dans les fonds de vallées qui entaillent le plateau en doigts de gant, auxquels s’ajoutent quelques noyaux d’habitation au nord de la commune. Le vignoble s’étend, lui, sur 520 ha, 23 % de la commune. Il est fortement implanté sur la partie du plateau la plus méridionale, qui est la plus proche du versant de la vallée, celle qui est entaillée par les vallons : il y occupe les interfluves de manière quasi-exclusive, jusqu’aux versants de vallons. La vigne est totalement absente de la vallée de la Loire et sa présence au nord de la commune se limite à des poches localisées. Vignes et bâti se situent donc sur des espaces proches : ils tendent à s’imbriquer. L’analyse de la répartition spatiale vient ainsi atténuer l’idée première que nous avions, à la vue du pourcentage des terres agricoles ; elle vaut pour des terres non viticoles qui s’étendent au nord de la commune et apparaissent moins menacées que les vignobles, car plus éloignées, par l’extension du bâti. L’analyse des dynamiques confirme-t-elle cette menace qui semble peser surtout sur les surfaces viticoles ? Ces dernières ont-elles régressé ? Où étaient-elles localisées par le passé ?
9Le vignoble de la fin des années 1940 (figure 3) diffère de l’actuel. En 1949, il couvre une superficie plus importante, plus de 720 ha, soit près du tiers de la surface communale. Il est aussi plus émietté. Par rapport à 2007, il s’étend de manière plus importante dans la partie septentrionale de la commune et, au sud, il déborde jusqu’au pied du versant de la vallée.
Figure 2 : Carte d’occupation du sol à Vouvray en 2007 / Map of land use in Vouvray in 2007
Figure 3 : Carte d’occupation du sol à Vouvray en 1949 / Map of land use in Vouvray in 1949
10Entre les deux dates, si les bois et les autres terres agricoles enregistrent une très faible augmentation (environ 2 points), les zones bâties et le vignoble dessinent une autre trajectoire (figure 4). Les premières progressent plus largement, passant de 4,5 % à près de 11 %. Les vignes, elles, reculent de près de 10 points. On pourrait là en déduire que la disparition des vignes se fait au profit du bâti, que l’urbanisation progresse au détriment du vignoble mais il importe de poursuivre l’analyse pour s’en assurer, vérifier s’il n’y a pas d’autres dynamiques à l’œuvre qui concernent le vignoble.
Figure 4 : Évolution des catégories d’occupation du sol entre 1949 et 2007 / Changes in land-use categories between 1949 and 2007
11En se focalisant sur la vigne, le SIG montre que 401 ha (sur les 520 ha) du vignoble de 2007 étaient déjà présents en 1949 (figure 5). Seuls 115 ha de vignes ont été plantés, alors que 323 ha ont été arrachés. Dans ce cas, les vignes ont été remplacées en forte majorité par d’autres types d’agriculture (232 ha) et des bois (17 ha) ; elles ont rarement été urbanisées (73 ha). Ceci prouve que la viticulture à Vouvray résiste bien face à la progression du bâti.
12La comparaison des états de lieux de 1949 et 2007 permet de relativiser la menace exercée par l’urbanisation sur ce vignoble périurbain. Ce phénomène demeure limité, du moins entre ces deux dates, non pas que la menace ne soit pas réelle mais ses implications ont été jusqu’à présent atténuées, en l’occurrence grâce à des stratégies que nous verrons dans la partie suivante et qui placent le vignoble dans des enjeux plus globaux. D’ailleurs, plusieurs évènements démontrent que la pression exercée par l’urbanisation existe et pourrait même s’accentuer.
Figure 5 : Dynamiques du vignoble à Vouvray / Landscape dynamics of the Vouvray vineyards
Pour la lecture de la 2e partie de la figure, il faut considérer que 17 ha de vignes qui ont disparu ont cédé la place à des bois et forêts ; 6 ha de vignes ont été gagnés sur les bois et forêts.
13L’extension de la métropole est une réalité que les acteurs du Vouvrillon doivent prendre en compte. Vouvray sera soumis dans les années à venir à des pressions foncières de plus en plus fortes ; sa position périurbaine s’accentuera, pour devenir de plus en plus urbaine. L’étude des projets qui étaient envisagés sur la commune ou dans la communauté de communes du Vouvrillon (CCV) – englobée dans la Communauté de Communes Touraine-Est Vallées depuis janvier 2017 – permet de cerner certaines pressions, allant au-delà de la multiplication des habitations :
14Entamé dès la fin des années 1960, ce projet d’aménagement routier ne devrait être totalement opérationnel que vers 2030. Les parties sud et sud-ouest du périphérique ont été achevées à la fin des années 1990. La partie nord-ouest a, elle, été ouverte à la circulation en 2011. Mais l’achèvement vers le nord-est est plus complexe car il passe par le vignoble de Vouvray (Yengué et Chaballier, 2015). Plus encore, la zone pourrait aussi être concernée par le passage de l’A10 bis – l’A10 passe actuellement dans Tours, ce qui pose de sérieux problèmes de pollution. L’une des solutions, pour franchir ce point sensible, serait de fusionner les deux infrastructures, l’A10 bis et le périphérique. Devant l’ampleur des difficultés, la réalisation de ce tronçon n’est toutefois pas encore planifiée pour l’heure ; il n’est pas sûr qu’il voie le jour. Le syndicat des vins et la communauté de communes veillent et se mobilisent contre le projet qui provoquerait la disparition, selon eux, de 450 ha de vignes à Rochecorbon et Parçay-Meslay, soit près du quart de l’AOC. Bien organisé et très influent, le secteur viticole jouit d’une position favorable qui lui a permis de contrer des menaces comparables par le passé : il a déjà obtenu la mise en tunnel de la LGV Atlantique en 1989.
15Un autre projet a suscité de vives oppositions au sein de cette AOC, le projet Belambra.
16Ce projet concerne l’installation d’un village vacances Belambra en plein cœur de l’AOC Vouvray, sur le site du château de Sens (datant du xixe siècle), entre Rochecorbon et Vouvray. Sa possible réalisation a d’abord provoqué de nombreuses contestations de la part des riverains. Fermement opposés, ils craignaient une atteinte à leur tranquillité par la vague de touristes qui déferleraient sur leur commune. S’ajoutait à cela le fait que les villages vacances Belambra sont des structures qui proposent des prestations complètes (hôtels, loisirs multiples…) souvent très appréciées des touristes mais aux retombées limitées, voire nulles pour les acteurs locaux. Des conséquences étaient aussi attendues – craintes – en termes d’occupation des sols et par là même au niveau des paysages, puisque le projet prévoyait la construction d’immeubles de trois étages (au total, 180 logements) et la création de structures d’activités multiples sur deux hectares. L’association de défense des coteaux de Rochecorbon s’y est opposé, évoquant de nombreuses nuisances et des dommages irrémédiables : urbanisation massive du coteau ; nuisances visuelles et sonores ; dégradation du cadre de vie et surtout – pour ce qui nous intéresse le plus – menace quant au maintien de la profession viticole, autant de problèmes qui viendraient ternir l’image de qualité de ce territoire viticole réputé. Ainsi, même si le projet n’impactait pas directement les terres viticoles (pas d’arrachage), les vignerons se sont fortement mobilisés, craignant aussi des conflits liés à l’incompatibilité entre ce type d’hébergement et les travaux agricoles. Sous la pression des opposants, le maire de Rochecorbon a finalement renoncé à ce projet mais la question du devenir du site, le château de Sens, à vocation touristique, demeure6.
17Ces projets d’infrastructures routières ou touristiques s’ajoutent aux menaces de l’extension de la métropole. De telles évolutions pourraient compromettre la pérennisation de la viticulture locale au cours des prochaines décennies. Les acteurs locaux, notamment viticoles, redoutent que leur vignoble soit grignoté et le développement de multiples intérêts autour du Vouvrillon ne fait qu’accroître leur crainte. Pourtant, ils ont su résister jusqu’à présent : l’analyse des dynamiques de l’occupation des sols le démontre. Ils ont mis en place des moyens de lutte qui dévoilent d’autres enjeux se situant à des échelles plus petites.
18L’urbanisation n’est pas la seule menace à laquelle le vignoble de Vouvray est confronté. Comme les autres vignobles français, il a aussi dû faire face à des crises successives et, s’il est parvenu à résister face à l’urbanisation ou à ces autres menaces, c’est notamment parce qu’il a su s’adapter, mettant en place une stratégie de « lutte viticole » organisée, tirant profit de nouveaux enjeux qui le placent désormais dans un contexte plus global.
19Depuis la création de l’AOC en 1936, le vignoble de Vouvray n’a cessé de s’adapter au marché. La mise en place de cette appellation est déjà une marque de cette adaptation et elle place le vignoble dans un contexte national, de défense des intérêts de la filière. En effet, comme le souligne l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité)7, en charge de la mise en œuvre de la politique française relative aux signes officiels d’identification de la qualité et de l’origine des produits agricoles et agroalimentaires (incluant les AOC) :
« C’est historiquement pour lutter contre la fraude que s’est construit progressivement, dès le début du xxe siècle (loi de 1905), le concept d’Appellations d’origine. Un décret-loi de 1935 relatif à la défense du marché du vin a créé l’Appellation d’origine contrôlée, applicable aux vins et aux eaux-de-vie, et l’organisme chargé de leur définition, de leur protection et de leur contrôle. »
- 8 Peuvent aussi s’ajouter des dispositions particulières. Ainsi, suite à des évén (...)
20On est là dans un contexte de fortes perturbations causées au vignoble français : crise du phylloxéra, première Guerre mondiale, crise économique de surproduction qui se prolonge dans les années 1920-1930 ont mis à mal la filière viticole. L’objectif est d’offrir au consommateur une production de meilleure qualité et de répondre par là même à sa quête d’authenticité. Pour cela, des normes liées à chaque appellation sont définies par l’INAO. Vouvray figure parmi les premières AOC qui ont été créées. Ainsi, le souci d’une production de qualité, entendue comme caractéristique du territoire, a été très tôt omniprésent à Vouvray, dès 1936. Comme pour toute AOC, les viticulteurs doivent dès lors se conformer à un cahier des charges qui peut être mis à jour. Celui actuellement en vigueur à Vouvray a été promulgué en 2011 (décret n° 2011-650, relatif à l’appellation d’origine contrôlée Vouvray)8. Y sont précisés les critères retenus par l’INAO pour garantir la qualité et la typicité des productions ; ils concernent :
-
la délimitation des parcelles incluses dans l’AOC ;
-
l’encépagement : chenin blanc et porte-greffe ;
-
l’absence de récolte pour les plants de vigne de moins de trois ans ;
-
la taille : courte ;
-
le rendement annuel fixé et limité, incluant à Vouvray une exigence d’environ 60 % de vin effervescent, 40 % de vin tranquille ;
-
la teneur en sucre ;
-
le taux d’alcool ;
-
les normes de vinification ;
-
les normes de pressurage ;
-
les normes d’élevage et de mise en bouteille ;
-
les exigences quant à l’étiquetage.
21Pour faire respecter le cahier des charges de l’AOC Vouvray, l’INAO est assisté par le Syndicat des vignerons de Vouvray et le Comité d’inspection des vins de Touraine. Il va sans dire que le contexte, les exigences ont évolué depuis la définition des normes en 1936 – d’où les mises à jour du cahier des charges. L’objectif est alors triple :
-
Garantir la spécificité des produits en renforçant les liens avec leur territoire, le lieu de leur production ou de leur transformation ;
-
Définir les « usages locaux » qui doivent être maintenus et les évolutions acceptables pour profiter des avancées technologiques et faciliter le travail des agriculteurs de moins en moins nombreux ;
-
Répondre aux nouvelles exigences qui émanent de la société et notamment à celles concernant la qualité de l’environnement et des paysages.
22D’après le syndicat et la municipalité, cette démarche a abouti à une consolidation du vignoble. La raison est qu’elle traduit une adaptation aux exigences de qualité et d’authenticité des consommateurs, adaptation qui se perpétue donc avec l’évolution possible du cahier des charges. Cette démarche a aussi permis à la filière viticole de se structurer en syndicats, qui assistent l’INAO mais surtout défendent avec plus de poids les intérêts de leurs membres : peuvent ainsi se mettre en place des stratégies collectives et ceci a largement concouru au maintien du vignoble. Certes, depuis 1949, la superficie a diminué, nous l’avons vu. Mais cette perte de superficie du vignoble s’est accompagnée d’un fort gain en qualité. La viticulture a évolué : ce n’est plus une activité d’appoint, comme elle a pu l’être auparavant, lorsque prédominait la polyculture ; c’est désormais bien une activité économique viable et elle justifie ainsi désormais sa présence face à d’autres catégories d’occupation du sol. Le succès du système des AOC s’est, quant à lui, vérifié par son extension à d’autres produits agricoles et alimentaires en 1990. Il a même inspiré la réglementation désormais appliquée à l’échelle européenne : l’AOP (Appellation d’origine protégée) qui, établie en 1992, n’a d’abord concerné que les produits autres que les vins et les eaux-de-vie – c’est en 2009 qu’elle a été étendue à ces produits. Notons que, comme le stipule l’INAO9 :
« Afin de clarifier l’offre au consommateur, depuis le 1er janvier 2012, une fois enregistrés au niveau européen, les produits concernés ne doivent porter que la mention AOP, seuls les vins sont autorisés à porter l’Appellation d’origine contrôlée française (AOC). »
23Les AOC viticoles françaises sont donc toutes des AOP mais elles conservent la mention AOC.
24Après la création des premières AOC, la filière viticole a été marquée par d’autres événements. Comme toutes les filières agricoles, elle a connu de profondes évolutions avec la révolution agricole au lendemain de la seconde Guerre mondiale, dans les années 1950-1960. Toutefois ces évolutions sont aujourd’hui remises en cause et, là aussi, il s’agit de prendre en compte la demande des consommateurs. L’objectif de l’AOC, désormais aussi AOP, était de répondre aux exigences de qualité émanent de ces derniers mais, désormais, la qualité rime avec de nouvelles exigence et en l’occurrence une nouvelle forme de viticulture, nécessitant un changement de pratiques, la viticulture durable :
« La viticulture durable, qui incite à des pratiques agricoles raisonnées, a pour finalité d’assurer la pérennité du vignoble et un revenu à l’agriculteur par une production régulière et de qualité, tout en préservant l’environnement et l’homme. La plupart des vignerons français ont commencé à se tourner vers cette forme de viticulture, incités par la société qui souhaite consommer des produits sains et avoir une agriculture respectueuse de l’environnement, et par les instances européennes et étatiques françaises. » (Boulanger-Fassier, 2008)
25Le mouvement dépasse ainsi le cas de Vouvray puisqu’il concerne tous les vignobles français mais Vouvray n’est pas épargné, bien au contraire. Le syndicat des vins a même inclus un onglet « développement durable » sur son site internet10 où il affirme « respecter l’environnement : une dynamique collective en action dans le vouvrillon ». L’AOC Vouvray s’adapte ainsi au nouveau contexte, ce qui lui permet de se maintenir. La prise en compte de ces nouveaux enjeux n’est d’ailleurs pas si récente, du moins chez certains vignerons. De nos entretiens, il ressort en effet que, ici, c’est depuis une vingtaine d’années que d’autres formes de production viticole se sont développées. Ces modes de production alternatifs, vers lesquels se tournent aujourd’hui des vignerons de plus en plus nombreux, sont :
-
l’agriculture biologique (labellisation par l’INAO) : Ce mode de production impose des contraintes importantes, dont l’interdiction d’utiliser des intrants chimiques. L’emploi de produits organiques est autorisé pour lutter contre les maladies (bouillie bordelaise, souffre). L’un des domaines viticoles que nous avons étudiés s’est tourné vers ce mode de production dès 1980. Il fait ainsi figure de précurseurs. Il déclare être satisfait des résultats obtenus, en précisant qu’il a choisi ce mode de culture pour se détourner des produits chimiques qu’il jugeait trop dangereux. Les 14 ha de son exploitation sont dorénavant cultivés en agriculture biologique. Au sein de l’AOC, ils sont désormais 12 viticulteurs (sur les 90 recensés sur le site internet du syndicat11) à avoir fait le même choix de ce label ;
-
la production biodynamique (certifications Demeter ou Biodyvin) : La biodynamie prône l’équilibre des agrosystèmes viticoles, émanant des interrelations qu’entretient le végétal – en l’occurrence la vigne – avec son environnement, notamment le sol. Elle proscrit l’usage de tout intrant, comme l’agriculture biologique, mais elle s’en distingue par cette « conception organiciste et holiste de l’unité de production agricole » et « par un fond théorique que l’on pourrait qualifier d’ésotérique » (Foyer, 2018). En effet, seules des préparations issues de matières végétales, animales et minérales sont appliquées à des moments précis, identifiés en fonction des rythmes cosmiques (lunaires, solaires et planétaires) ; leur dynamisation vise notamment à rendre les sols plus fertiles (ibid.). L’un des domaines viticoles étudiés a adopté ce mode de culture à la fin des années 1980, en la testant d’abord sur 1 ha, avant de l’étendre aux 33 ha du domaine. Lui aussi fait donc figure de précurseur et il apparaît relativement marginal puisqu’ils ne sont que trois, sur les 90 recensés sur le site internet du syndicat, à avoir opté pour ce mode de culture. Pourtant, selon le viticulteur interrogé, grâce à cette réorientation culturale, la vigne « se porte mieux » et la biodiversité floristique et faunistique aurait progressé sur les parcelles ;
-
l’agriculture raisonnée (certification Terra Vitis) : Cette branche de la viticulture peut être certifiée par un organisme prouvant sa qualité, attestant qu’elle respecte des normes. Terra Vitis est l’une de ces certifications. Les viticulteurs sont de plus en plus nombreux à se réclamer de ce mode de culture ; ils sont au moins 68 dans l’AOC (sur les 90 recensés sur le site internet du syndicat) mais tous n’ont pas obligatoirement déposé de demande de certifications. Il n’en demeure pas moins que ce mode de culture traduit une évolution mais sans être aussi contraignante que la biodynamie, ni même l’agriculture biologique. En effet, les apports d’intrants, y compris chimiques, ne sont pas interdits mais les quantités doivent être réduites au minimum et les traitements ne sont alors plus systématiques, comme ce pouvait être le cas en agriculture conventionnelle. Un cahier des charges, spécifique à chaque région viticole, est défini par les Chambres d’Agriculture. Pour s’assurer du respect des normes, ces dernières organisent aussi des contrôles stricts des exploitations une fois par an. Le troisième domaine viticole que nous avons étudié a, lui, opté pour cette viticulture, en demandant la certification Terra Vitis, dans les années 2000 ; il en a appliqué les normes sur les 21 ha de sa propriété.
26Aujourd’hui, les viticulteurs ne sont plus que dix, sur les 90 recensés sur le site internet du syndicat des vins, à se réclamer de l’agriculture désormais dite conventionnelle, qui prévalait jusque récemment. L’objectif de ce mode de culture, hérité de la révolution agricole, est « d’éviter toute perte de récolte », quitte à utiliser de grandes quantités de produits phytosanitaires : « la viticulture conventionnelle vise donc à prévenir et à endiguer tout développement de parasite par l’application de fongicides ou de pesticides variés, quel qu’en soit le coût écologique » (Boulanger-Fassier, 2008). Cette pratique se marginalise désormais très largement, sous la pression des consommateurs autant que de la réglementation. Les multiples actions de labellisation et certification, entreprises et encouragées par les viticulteurs eux-mêmes, révèlent l’intérêt porté à la qualité des vignobles, dans une double préoccupation, de santé – la leur et celle des consommateurs, en offrant un vin plus sain – et de préservation de l’environnement. Et la stratégie semble fonctionner : « Grâce à une politique d’amélioration de la qualité, le vignoble [de l’AOC Vouvray] est en expansion » (Serrano et Vianey, 2011).
27Toutes ces démarches de labellisation et certification ont le même objectif, assurer le maintien de la viticulture. Ceci passe par la vente du vin ; la qualité est nécessaire mais non suffisante. Des stratégies de commercialisation doivent aussi être définies et elles obligent les vignerons du Vouvrillon à prendre plus encore en compte les enjeux globaux, désormais mondiaux, d’autant plus que les surfaces viticoles ne cessent de progresser à cette échelle, notamment au profit des nouveau vignobles qui ont émergé et obligé les anciens à revoir leurs stratégies (Salomon, 2005). Le vignoble chinois est ainsi récemment devenu le deuxième vignoble mondial selon l’OIV12 ; la France garde tout de même la tête en matière d’exportation de vin. À Vouvray, ceci n’est pas sans provoquer des craintes, d’autant que s’ajoute, sur le marché français, une baisse des ventes due au recul de la consommation en France (lié entre autres à la loi Evin). Les vignerons sont aidés, dans la promotion de leurs vins, par leur syndicat, par l’interprofession des vins du Val de Loire également, InterLoire – ce qui n’est pas le cas pour le vignoble voisin, Montlouis-sur-Loire qui a choisi de développer sa propre stratégie. Les techniques de vente dépassent ainsi l’échelle locale : selon le syndicat des vins13, deux bouteilles sur trois de vins tranquilles sont vendus à l’étranger, une sur dix seulement pour les vins fines bulles. Les principales destinations seraient les Etats-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, la Belgique, avec une progression de l’exportation hors Union européenne. Pour autant, la vente se fait aussi localement. Là est une autre stratégie : « les vignerons développent de plus en plus la vente directe en bouteille » (Serrano et Vianey, 2011), ce que confirme notre enquête, même si « La production est [toujours] majoritairement écoulée par le négoce » (ibid.). La proximité de Tours joue un rôle favorable dans cette évolution, les citadins représentant une clientèle potentielle nombreuse – des viticulteurs rencontrés dans d’autres AOC tourangelles périurbaines, Noble Joué et Montlouis-sur-Loire, le confirment – mais s’ajoute surtout une autre évolution, favorisant la venue d’autres clients, non locaux, les touristes (voir infra).
28Les actions de protection en faveur des vignobles français devront être décidées en concertation avec l’Union Européenne, afin de développer des outils équitables de protection et clarifier les diverses actions de protection des vignobles européens (Charlier, 2007). À l’avenir, la multiplication des acteurs et des échelles d’intervention va encore se renforcer et complexifier d’autant plus la protection, la gestion et le maintien des vignobles français. Les actions ne relèveront plus simplement des compétences de l’Etat français et de ses viticulteurs mais de politiques et d’actions globales émanant de l’Union européenne. Dans ce contexte, les acteurs locaux se posent aussi la question du maintien du système des AOC désormais étendu à l’échelle européenne avec les AOP : ils craignent d’en perdre les avantages, notamment si un grand nombre de vignobles acquièrent cette distinction, plus encore si ce système de valorisation se développe à l’échelle internationale – la Chine, par exemple, commence à s’y intéresser fortement.
29La « lutte viticole », les stratégies et les enjeux liés ne sont pas seulement d’ordre économique ; ils sont aussi spatiaux et, dans ce cadre, le paysage apparaît central.
30Vouvray (commune et AOC) a réellement pris conscience de son territoire et des possibilités qui s’offraient à elle. L’AOC a, elle, mis l’accent sur la production viticole de qualité, en promouvant des modes de production traditionnels et respectueux de l’environnement, nous l’avons vu. Elle bénéficie d’un atout paysager qu’elle exploite comme une valeur ajoutée à la production viticole, en tant qu’élément d’identité et synonyme de qualité, comme dans d’autres vignobles (Maby, 2003). Le paysage participe à la stratégie de maintien du vignoble et son omniprésence se décline dans la mise en avant du patrimoine, dans le développement de l’œnotourisme et dans une urbanisation plus réfléchie. Mais les acteurs viticoles ne sont pas les seuls à s’engager dans la « lutte viticole », en faveur du maintien du vignoble. La municipalité a en effet choisi de limiter l’urbanisation, par des actions et mesures, et ainsi pérenniser l’activité agricole comme une activité économiquement viable. Et pour cause, comme les autres acteurs publics, elle a conscience de la nécessite de maintenir cette activité parce qu’elle génère des ressources, par la vente du vin mais pas seulement : au-delà, la viticulture, par les paysages qu’elle façonne, participe à l’attrait des communes viticoles, offrant un cadre de vie recherché par les néo-ruraux (Péres, 2009), des paysages à admirer pour les touristes aussi, nous le verrons, avec alors d’autres retombés économiques pour le territoire. Ainsi, sur son site internet14, la ville de Vouvray l’affirme :
« Mondialement connue par la renommée de son vignoble d’Appellation d’Origine Contrôlée, VOUVRAY est une commune ligérienne caractéristique des paysages du Val de Loire inscrit au patrimoine de l’Unesco. »
31Mais la municipalité n’est pas seule à décider ; elle doit composer avec des enjeux qui se jouent à plus petite échelle, avec d’autres acteurs, notamment en matière d’urbanisme.
32Jusqu’en janvier 2017, la commune faisait partie de la communauté de communes du Vouvrillon (CCV), ce depuis sa création en décembre 2000. Les enjeux étaient d’autant plus complexes qu’ils s’imbriquaient entre les échelons et les disparités étaient perceptibles au sein de la CCV. Trois communes – Chanceaux-sur-Choisille, Rochecorbon et Parcay-Meslay – avaient ainsi quitté la structure en janvier 2014, se tournant vers la communauté d’agglomération de Tour(s) Plus – devenue Tours Métropole Val de Loire en mars 2017. Le choix de ces communes s’expliquait par le fait que Tour(s) Plus répondait davantage à leur objectif de développement en tant que villes périurbaines, très proches du centre de Tours. À travers cet événement, on perçoit la difficulté à laquelle la CCV se heurtait, du fait de la présence d’enjeux antagonistes, entre l’envie de certaines communes de favoriser l’urbanisation, comme facteur de développement, et le choix d’autres communes de limiter ce phénomène. Depuis le 1er janvier 2017, la CCV a fusionné avec la Communautés de Communes de l’Est Tourangeau et du Vouvrillon pour former la Communauté Touraine-Est Vallées. Comment Vouvray pourra continuer à se développer dans ce nouveau contexte ? Pourra-t-elle continuer d’affirmer son choix, en faveur de la viticulture ? Dans une communauté de communes plus grande, aura-t-elle plus de poids face à la métropole ?
33Vouvray est soumis au respect d’un certain nombre de documents d’urbanisme, à différents échelons, celui de la commune mais aussi de la communauté de communes ou même de la métropole. Cette multiplication des textes réglementaires en matière d’aménagement du territoire et leur imbrication entre des échelons administratifs rendent la commune de Vouvray davantage dépendante de choix supra-communaux, à commencer par les choix d’orientation du SCoT (Schéma de Cohérence Territoriale). Défini par le préfet pour 40 communes, ce dernier a pour objectif d’harmoniser sur le territoire de la métropole de Tours les différentes politiques publiques en matière d’urbanisation, d’environnement, de transport... afin que le développement des communes impliquées soit cohérent et prenne en compte les forces et les faiblesses du territoire. Ce SCoT s’impose aux communes concernées, dont Vouvray qui doit en tenir compte dans son développement. Adopté en septembre 2013, le SCoT de l’agglomération tourangelle intègre divers enjeux ; il met l’accent sur le développement et l’avenir de l’agglomération, en considérant les aspects économiques et sociaux mais aussi de nouvelles préoccupations. Apparaît notamment une réelle volonté de s’inscrire dans le développement durable, de prendre en compte les éléments allant dans ce sens. Les risques d’inondations sont considérés dans les enjeux du développement urbain (le Plan de Prévention des Risques d’Inondation est inclus dans le SCoT) et l’accent est aussi mis sur la protection de certains espaces, patrimoines et paysages. L’objectif est également d’affirmer l’identité de la métropole autour de symboles forts, qu’il s’agisse de patrimoines bâtis (architectures spécifiques, pierres de tuffeau, habitats troglodytes…) ou paysagers (paysage ligérien, vignobles, bocages…), afin de sauvegarder les caractéristiques historiques ou culturelles de ce territoire. Dès lors, le vignoble jouit d’une position plutôt favorable et les documents d’urbanisme jouent plutôt en faveur de son maintien. Cette position est confortée à plus petite échelle encore, mondiale. En effet, depuis 2000, la vallée de la Loire a été en partie inscrite sur la liste du Patrimoine mondial de l’Unesco : le vignoble vouvrillon et en l’occurrence la commune de Vouvray sont intégrés dans le périmètre de protection établi par l’Unesco (figure 1). Or, dans cette inscription, les vignobles ont joué un rôle majeur (Morlat et al., 2001 ; Yengué et Chaballier, 2015), faisant partie intégrante de ce « paysage culturel évolutif et vivant »15. Même si les avis émis dans ce cadre ne sont que consultatifs et n’ont pas de valeurs réglementaires, cela conforte le poids du vignoble et participe de son maintien.
34À l’échelle locale, les prérogatives supra-communales sont intégrées dans le PLU (Plan local d’urbanisme). La municipalité possède une marge de manœuvre en matière d’urbanisme, à travers ce plan dont elle décide. Mais, nous l’avons vu, la commune de Vouvray est plutôt engagée en faveur du maintien de son vignoble puisqu’elle le met en avant sur son site internet, démontrant qu’il s’agit là d’un atout pour son image. Quand bien même, les acteurs de la filière viticole veillent, profitant du poids qu’ils possèdent, ne serait-ce que par leur structuration en syndicat. Celui-ci est ainsi partie prenante des décisions en matière d’urbanisme :
« Le syndicat viticole de Vouvray a mis en place une commission constituée des sept représentants communaux de l’aire d’appellation. Il demande à être convié à la commission communale d’élaboration des documents d’urbanisme. Intégré à la réflexion, il veille à limiter le grignotage des terres viticoles. Il est garant de la pérennité de l’activité viticole en zone périurbaine. L’INAO estimant le syndicat des viticulteurs très présent dans l’élaboration des documents d’urbanisme n’émet pas de réserves quand le projet de PLU lui est présenté ; présents et écoutés, les viticulteurs font inclure les problématiques viticoles dans le PLU. » (Serrano et Vianey, 2011)
35Les communes de Parcay-Meslay et de Rochecorbon sont, elles, allaient plus loin en faveur du maintien de leur vignoble. Par l’arrêté préfectoral du 28 février 2013, elles ont créé une zone agricole protégée (ZAP). Au sujet de ce dispositif, le code rural (article L.112-2) précise que ce sont « des zones dont la préservation présente un intérêt général en raison soit de la qualité de leur production, soit de leur situation géographique ». L’objectif d’une ZAP est de promouvoir la « vocation agricole » de la zone alors classée en « servitude d’utilité publique » et ainsi de la soustraire aux aléas liés aux fluctuations du droit des sols, inhérentes au mode même de production des SCoT et des PLU. Cet outil est en quelque sorte une protection supplémentaire contre l’urbanisation dans ces deux communes mais il s’agissait aussi d’anticiper la très forte pression qu’elles allaient subir suite à leur entrée dans la communauté d’agglomération de Tours – Tour(s) Plus (devenue Tours Métropole Val de Loire). La ZAP suffira-t-elle, dans la durée, à résister à la croissance urbaine de Tours ? La mairie de Vouvray estime que leur communauté de communes (celle alors du Vouvrillon) avait une certaine cohérence, une identité autour de l’AOC mais qu’elle l’a perdue avec le départ de ces deux communes, ce qui l’a ébranlée. Certains opposants à l’entrée des deux communes dans Tour(s) Plus rappellent la situation de la commune de Sainte-Radegonde : rattachée à Tours dans les années 1970, elle ne possède plus aujourd’hui qu’un hectare et demi de vignes, en raison de l’urbanisation. Les vignerons craignent donc que ce schéma se reproduise à Rochecorbon et Parçay-Meslay et fragilise ainsi toute l’AOC, d’autant que s’ajoute la menace du projet de périphérique nord-est.
36Le maintien du vignoble demeure précaire ; des difficultés sont envisageables dans les années à venir : mutations du territoire, qui pourraient s’ajouter à des changements de stratégies de protection, des problèmes de commercialisation… Il n’en demeure pas moins que la viticulture vouvrillonne bénéficie aujourd’hui d’une certaine stabilité, forte d’atouts qui sont mis en avant et de multiples reconnaissances. Le maintien du vignoble s’explique par des actions de valorisation, prônant sa qualité, au-delà même de celle de sa production, par la qualité des paysages qu’il offre et son inscription comme élément patrimonial, reconnu d’ailleurs par l’Unesco. Le vignoble est alors susceptible d’engendrer d’autres retombées économiques et de promouvoir plus encore le développement local, en devenant l’objet même d’une activité touristique ; il apparaît d’autant moins judicieux pour les municipalités, comme celle de Vouvray, de se passer de cet atout.
37Le vignoble s’inscrit aujourd’hui indéniablement dans un contexte plus global, ce d’autant plus qu’il n’est plus seulement considéré comme une entité productrice, comme le lieu de fabrication du vin. Il apparaît désormais aussi comme un élément essentiel du territoire, qui façonne ce dernier et créé des paysages emblématiques. L’intérêt se porte sur l’aspect des vignobles en général et la manière dont ils sont perçus. Les vignobles « sont souvent reconnus comme des formes remarquables de paysages, porteuses de valeurs patrimoniales et identitaires » (Vincent, 2009). Autour d’eux se développent de multiples enjeux mais cette vision du paysage viticole est récente, renvoyant à « la vigne « spectacle » : c’est en effet à un spectacle que nous sommes invités celui de la vigne telle que les hommes l’ont représentée depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Ce bref parcours chronologique montre que si la présence de la vigne attestée depuis des millénaires, il a fallu attendre l’époque moderne pour qu’elle soit « vue » (et donc représentée) comme un élément constitutif d’un paysage, et non plus comme un symbole ou un décor » (Guillard, 2009).
38Le vignoble peut être considéré comme un élément du patrimoine, un bien hérité qu’il importe de protéger et de conserver pour le léguer aux générations futures, intact mais en fait réinterprété à la lueur des préoccupations de la société actuelle : les domaines viticoles se revendiquent notamment d’une histoire ancienne, omettant que, par le passé, la vigne n’était qu’une culture parmi d’autres à l’heure où dominait la polyculture (Robert et Yengué, à paraître). Cette perception donne une valeur supplémentaire au vignoble, puisque ce patrimoine est rattaché à des savoir-faire anciens et qu’il revêt un aspect identitaire pour la population locale.
39Le vignoble est aussi perçu comme un paysage hérité dont il importe de conserver la « qualité », à plusieurs niveaux :
-
fonctionnelle, pour ceux qui vivent dans cet espace ;
-
esthétique, pour attirer autant les touristes que de nouveaux résidents, sans oublier qu’il s’agit aussi là d’un argument commercial.
40La commune et les viticulteurs œuvrent pour le maintien de cette « qualité » associée au paysage viticole, dans la mesure où elle concourt à la reconnaissance positive du vignoble et du cadre de vie local. La « qualité » paysagère est devenue un marqueur ; elle permet de véhiculer une image positive du vignoble vouvrillon. Ceci est perceptible de manière plus générale aujourd’hui pour la viticulture autant que d’autres types d’agriculture. Le paysage est devenu une plus-value, un élément important pour l’image d’un produit et d’un territoire.
41Nos entretiens montrent que les viticulteurs vouvrillons sont très attachés à leur vignoble et, au-delà, à leur territoire. Ils portent un intérêt notable au paysage dans son ensemble, à son maintien et à sa qualité autant esthétique qu’environnementale, à l’état des vignes autant que de la biodiversité. Ceci est perceptible dans leur choix de production, de plus en plus orienté vers des modes de production alternatifs, de moins en moins conventionnels (voir supra). Les certifications sont multiples – Agriculture biologique, Demeter/Biodyvin pour l’agriculture biodynamique ou encore Terra Vitis pour l’agriculture raisonnée – et tous prennent en compte le paysage, en veillant à sa préservation.
42À Vouvray, la prise en compte du paysage est globale. Elle ne se limite pas à la vigne. Les éléments en lien avec le vignoble sont aussi considérés. C’est le cas notamment du patrimoine bâti – caves et habitats troglodytes, loges de vignes –, des pratiques et coutumes – vendanges traditionnelles, fête du vin… Ces éléments sont mis en avant ; ils révèlent l’histoire commune dans laquelle s’inscrit le vignoble et sont au fondement de l’identité vouvrillonne. Spécifiques à chaque région viticole, ils marquent les paysages et permettent aux vignobles de se distinguer les uns des autres. Ces éléments historiques paysagers peuvent devenir une richesse pour un territoire. Tel est notamment le cas à Vouvray, où, comme dans de nombreux vignobles, ils sont aujourd’hui, de plus en plus, exploités pour développer une nouvelle activité économique : le tourisme, plus particulièrement l’œnotourisme ou tourisme œnologique.
43Cette forme de tourisme, qui touche les grandes régions viticoles françaises, se fonde sur les richesses des terroirs viticoles, sur la qualité du vin autant que sur la « qualité » esthétique des vignobles, en l’occurrence de leurs paysages. Dans le cas de Vouvray, le développement touristique s’explique largement par la réputation de son AOC mais aussi par l’inscription d’une partie du val de Loire sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.
« L’œnotourisme ne cesse de se développer en France depuis les années 1990. Il invite les touristes à traverser les vignobles en y séjournant au moins une nuit, non plus dans l’indifférence d’un voyage obligé par un itinéraire traversant une région viticole, mais motivé par le vignoble et ses vins, pour y découvrir un paysage, un patrimoine, une activité agricole et ses produits. » (Lignon-Darmaillac, 2010).
44L’essor de ce tourisme, perceptible depuis une vingtaine d’années, est une nouveauté notable pour les vignobles. À Vouvray, pour le promouvoir et l’accompagner, des outils ont été mis en place. La commune de Vouvray dispose d’un office du tourisme, qui mise avant tout sur cette forme de tourisme, consciente que le vignoble constitue l’attrait majeur du territoire (Robert et Yengué, à paraître). Des animations sont proposées et les viticulteurs jouent un rôle important. Ils en sont les principaux acteurs : ils accueillent les touristes dans leurs caves et leurs vignes pour leur faire découvrir les savoir-faire locaux et l’histoire du vignoble. Dans l’AOC Vouvray, 23 viticulteurs (sur les 90 recensés sur le site internet du syndicat) possèdent le label « Caves touristiques » ; cinq proposent des hébergements. Un viticulteur interrogé précisait : « on fait également des portes ouvertes, de façon irrégulière selon l’année et la qualité de la production. Il faut encore ici s’adapter ». L’orientation des viticulteurs vers le tourisme est donc fonction de l’activité viticole, de la production. La cave des producteurs de Vouvray est un autre acteur important ; elle accueille régulièrement des groupes, leur proposant des dégustations de vin et de nombreuses activités.
45Pour attirer les touristes, les paysages viticoles sont un argument majeur. Un problème notable se pose toutefois pour la commune de Vouvray et l’ensemble de l’AOC : le manque de visibilité de la vigne à l’entrée de la commune. En effet, les vignes s’étendent sur les interfluves, tandis que la voie de communication principale se situe dans la vallée. Pour y pallier, un dispositif assez important de panneaux publicitaires et d’affichages a été installé pour rappeler que l’on se situe sur le territoire de l’AOC Vouvray et indiquer les vignerons. Mais cette accumulation de panneaux publicitaires pourrait avoir un effet négatif, en devenant un frein à l’appréciation du paysage, voire en « dénaturant » celui-ci. Notons toutefois que la route des vins de Touraine-Val de Loire traverse Vouvray. Par ailleurs, d’autres outils de communication existent ; c’est le cas d’internet, très utilisé par certains viticulteurs qui disposent de leurs propres sites. Ceux-ci peuvent permettre d’attirer des touristes ; ils sont un moyen de toucher une nouvelle clientèle, y compris étrangère, avec laquelle il est possible d’établir ainsi un lien direct – on constate que les sites internet sont tournés vers le commerce extérieur, proposant souvent sur leur interface d’accueil une traduction en anglais.
46En 2009 ont été créés le Conseil supérieur de l’Œnotourisme – instance associant les acteurs de la viticulture et du tourisme – et le label « Vignobles et Découvertes » visant à encadrer l’œnotourisme. Sur avis de ce conseil, cinquante destinations ont été labellisées en France. L’une d’elles est le « Val de Loire – Amboise » qui inclut quatre AOC dont celle de Vouvray. « Pour les professionnels du tourisme et de la viticulture, la marque permet : d’améliorer la lisibilité de l’offre qui reste difficile d’accès compte tenu de la multiplicité des produits et des appellations ; d’accroître la fréquentation et la consommation touristique grâce à ce facteur d’attractivité ; et de développer le débouché [du] tourisme pour la filière viticole »16. L’œnotourisme est ainsi en plein essor dans l’AOC Vouvray qui offre de « beaux » paysages viticoles, même si, pour les découvrir, le touriste doit gravir le coteau.
47Le vignoble de Vouvray s’inscrit dans l’histoire et, comme tout élément du paysage, il porte le poids des héritages, celui des actions successives des hommes. S’adapter à des enjeux en perpétuelles évolutions, à des contextes nouveaux, aux exigences de la société et du marché est indispensable pour le maintien de l’activité. Aujourd’hui, la place du vignoble dans la société est inédite. Considéré uniquement comme une entité de production du vin jusqu’au début du xxe siècle, il a été propulsé au rang d’espace à forte valeur patrimoniale et paysagère, du fait des nouvelles attentes sociétales et de la montée des préoccupations environnementales. Ceci se traduit spatialement à travers la résistance des rangs de vigne face à d’autres types d’occupation du sol, mais aussi socialement, par la redéfinition du métier de vigneron, qui devient, en plus, un commercial et un acteur du tourisme. Cette valorisation est l’un des éléments de la stratégie mise en place par les acteurs locaux pour lutter contre l’étalement urbain, principale menace qui pèse sur les vignobles périurbains comme Vouvray aux yeux des acteurs locaux du moins, puisque l’analyse des dynamiques vient relativiser cette menace.
48Le cas étudié montre que les vignobles, qui plus est périurbains, sont la résultante de la conjonction de multiples enjeux, de l’implication de nombreux acteurs et d’un emboîtement d’échelles entre le local et le global.
-
Local : Les dynamiques qui affectent ce vignoble sont influencées par des facteurs inhérents au cadre local : inclusion dans le Val de Loire, proximité de Tours. Ce contexte détermine les actions menées en faveur de son maintien. À cette échelle, les acteurs impliqués sont la municipalité, la communauté de communes du Vouvrillon, le syndicat des vins, les viticulteurs.
-
National : C’est l’échelle à laquelle sont établis la réglementation qui encadre l’activité viticole, les systèmes de protection tels que les AOC, les ZAP ou encore le label « Vignobles et Découvertes ». Les acteurs importants sont l’Etat, l’INAO, le Conseil supérieur de l’œnotourisme.
-
Européen : À cette échelle, l’enjeu est d’aboutir à une harmonisation de la protection, pour une égalité entre les Etats en matière de protection des vignobles.
-
Mondial : La scène internationale a une influence sur le vignoble vouvrillon dans le domaine économique. Dans le jeu des échanges aujourd’hui largement mondialisés, les vins français, dont ceux de Vouvray, subissent la concurrence des vins étrangers. Par ailleurs, situé dans le Val de Loire, ce vignoble s’inscrit aussi dans d’autres enjeux, ceux du patrimoine mondial de l’Unesco, avec des implications qui sont surtout consultatives mais jouent en la faveur de son maintien.
49Pour se maintenir, les vignobles doivent s’adapter, en prenant en compte ce contexte pluriel dans lequel ils s’inscrivent désormais de plus en plus. Ils doivent profiter des avantages (engouement pour les paysages et le patrimoine viticoles, essor de l’œnotourisme, exigences de qualité) pour se valoriser et repousser les menaces réelles ou potentielles : urbanisation, concurrence des vins nouveaux et désormais aussi changement climatique, une évolution qui place là aussi les vignobles dans un contexte global.
Les auteurs tiennent à remercier l’ensemble des acteurs interrogés, pour le temps qu’ils ont bien voulu consacrer à cette étude, lors des entretiens ; les relecteurs, pour la pertinence de leurs remarques, qui ont permis d’améliorer sensiblement la qualité de ce texte.