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Recensions et notes de lecture

Dominique Andolfatto (dir.), La démocratie sociale en tension, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2018, 172 p.

Mara Bisignano

Texte intégral

1À la suite d’un colloque organisé en 2015 à l’Université de Bourgogne, cet ouvrage collectif se propose de poursuivre deux objectifs entrecroisés : analyser la « démocratie sociale » à la française et dresser un premier bilan des réformes engagées en la matière depuis les années 2000. Dominique Andolfatto a rassemblé neuf contributions issues d’horizons disciplinaires différents (science politique, droit, sociologie, sciences de gestion et sciences de la communication). Ces travaux, qu’ils soient à visée théorique ou plus descriptifs, contribuent chacun à « dévoiler la démocratie sociale » (p. 23).

  • 1 Voir Mara Bisignano, Jean-Michel Denis, Camille Dupuy, Arnaud Mias, « La démocratie au travail : us (...)
  • 2 Voir Arnaud Mias, Cécile Guillaume, Jean-Michel Denis et Paul Bouffartigue, « Vers un « dialogue so (...)

2À l’instar de l’introduction d’un récent dossier de la revue Socio-Économie du Travail consacré à cette question (2018)1, l’ouvrage s’ouvre sur le constat de l’utilisation diffuse depuis une quinzaine d’années de l’expression de « démocratie sociale » pour évoquer les relations de travail. Pourtant, la récurrence de son usage, l’horizon démocratique qu’elle laisse entrevoir comme d’ailleurs les politiques conduites en son nom restent insuffisants pour lui donner une réelle consistance. En s’arrêtant sur la manière dont la notion s’est progressivement imposée dans les pratiques discursives des acteurs des relations professionnelles, Dominique Andolfatto donne le cap des travaux réunis dans cet ouvrage et nous invite à le suivre dans les méandres de la « démocratie sociale ». Le chapitre introductif est alors l’occasion pour l’auteur d’accompagner le lecteur dans ce cheminement. Après un détour par l’histoire de la notion depuis l’après seconde guerre mondiale – et notamment sur les liens ambigus entre démocratie politique et démocratie sociale – il montre comment les réformes du « dialogue social » et de la « démocratie sociale » ont conduit à faire de cette dernière un rituel procédural (p. 22). Les évolutions normatives relatives aux règles et pratiques de la négociation, à la mesure de la représentativité ou encore à la validité des accords collectifs instituent des formes de négociation administrées2 finalement très éloignées d’un idéal de citoyenneté des travailleurs ou de partage du pouvoir dans l’entreprise.

3Chacune des contributions de l’ouvrage donne à voir combien la « démocratie sociale » ne se décrète pas. Tout indique au contraire que « plus elle est affirmée sur le plan des principes, plus elle se dérobe sur le plan concret » (p. 26).

4Le texte de Stéphane Olivesi (pp. 31-46) vient appuyer ce constat en prenant toute la mesure de l’écart séparant les représentations idéalisées du dialogue social et la réalité de ses pratiques sur les lieux de travail. En s’appuyant sur un riche matériau empirique recueilli auprès de responsables de ressources humaines de grandes entreprises et de représentants syndicaux, l’auteur affirme avec force que le dialogue social est « au mieux un fantasme, au pire un leurre » (p. 32). Dans les entreprises – ce serait encore plus vrai dans les PME – le dialogue social est plus ou moins fictif. Les acteurs des relations professionnelles ne faisant que participer à des exercices imposés d’information/consultation ou de négociation. Pourtant, comme le rappelle l’auteur, les règles encadrant le dialogue social comme les représentations attachées à son développement ne sont pas sans conséquences. Elles obscurcissent l’antagonisme inhérent au rapport salarial et véhiculent une image « enchantée » du monde du travail, « telle une injonction à ne pas voir la réalité telle qu’elle est mais telle que l’on voudrait qu’elle soit afin de la rendre plus acceptable » (p. 45).

5La contribution de Michel Offerlé (pp. 47-66) se propose d’analyser l’un des principes clé de la « démocratie sociale », à savoir la question de la représentativité des acteurs. À partir d’une analyse stimulante sur les organisations patronales, l’auteur cherche à démontrer que l’invention des règles et mesures de la représentativité patronale relève d’un procédé de fabrication administrative destiné à ne pas bouleverser les équilibres existants. Au nom de la « démocratie sociale », ont été ainsi définis des critères généraux. Mais à la différence de la représentativité syndicale, la mesure de l’audience se fait sur la base d’un critère d’adhésion, en fonction du poids des entreprises adhérentes. Si ces règles ont trouvé le consensus des trois principales organisations d’employeurs (Medef, CGPME, UPA), c’est parce que les enjeux de la mesure de la représentativité sont avant tout « financiers et administratifs » (p.63) appréciables à travers la répartition des subventions et des postes dans les instances où elles siègent.

6Dominique Andolfatto et Dominique Labbé s’attachent quant à eux à décrypter (pp. 76-83) les mécanismes ayant conduit à l’instauration d’un nouveau canal de financement des organisations syndicales issu d’un accord national sur la formation professionnelle (repris dans la loi de 2014 relative à « la formation professionnelle, l’emploi et la démocratie sociale »). Il s’agit là d’une source de financement très importante venant s’ajouter et non se substituer à celles existantes. Mais par-delà ce dispositif, ce que donnent à voir les auteurs, c’est la manière dont les principales confédérations syndicales vont pouvoir, au nom de la « démocratie sociale », s’appuyer sur des ressources (et un pouvoir) pour modifier, en leur faveur, les règles du jeu. Ainsi, la concertation préalable à toute réforme en matière de travail, d’emploi et de formation professionnelle d’une part et le fait que la loi ne déroge pas dans la pratique aux contenus des accords nationaux négociés d’autre part, donne aux partenaires sociaux un « quasi-pouvoir législatif » (p. 77). Dominique Andolfatto et Dominique Labbé montrent à travers deux exemples éclairants comment les acteurs collectifs ont joué de ce pouvoir pour satisfaire des intérêts non avoués. Premièrement, la réforme de la formation professionnelle a été utilisée pour « légaliser » une nouvelle voie de financement. Deuxièmement, la réforme des règles de la représentativité de 2008 a été l’occasion pour les grandes confédérations syndicales de limiter la dissidence et les syndicats contestataires et préserver leurs ressources institutionnelles. Plus largement, l’analyse montre une situation assez fermée, presque cadenassée où finalement rien ne bouge dans le paysage syndical malgré une accélération de l’agenda des réformes sociales.

7Marnix Dressen et Christian Mahieux (pp. 85-102) interrogent la « démocratie sociale » au prisme du processus de négociation de la convention collective du secteur ferroviaire débuté en 2007. L’enjeu est de taille puisque ce sont les conditions d’emploi et les garanties sociales des travailleurs du secteur qui sont l’objet des négociations avec, en arrière-plan, l’ouverture à la concurrence (du transport de fret et de voyageurs). Dans ce contexte, le devenir du statut de cheminot ou, à tout le moins de son champ d’application, est un enjeu majeur tant pour les salariés et leurs représentants que pour la partie employeur (SNCF et nouveaux opérateurs privés). À cet égard, les auteurs nous proposent une lecture très stimulante de l’histoire et de la généalogie du statut de cheminot. La situation décrite par Marnix Dressen et Christian Mahieux est celle d’un secteur où la « démocratie sociale » peine à exister. Plusieurs raisons sont avancées. Elles tiennent tout d’abord aux organisations syndicales. Par exemple, les cinq grandes confédérations ont tenté en 2008 d’exclure des négociations les autres organisations syndicales du secteur. Sud-Rail, alors deuxième organisation en termes de résultat électoraux ne participera pas aux négociations. Ensuite, le rôle équivoque joué par l’État qui « oscille entre État stratège, État gendarme ou État paternaliste » (p. 101) a également eu des conséquences. Ce dernier s’invite régulièrement dans les négociations, soit en décidant en lieu et place des partenaires sociaux des orientations à suivre, soit en désignant directement les organisations syndicales représentatives. Enfin, le poids de la SNCF dans le secteur en fait un acteur incontournable des négociations aussi bien du côté patronal que syndical. Concrètement, la négociation se joue autour de l’opérateur historique et avec les acteurs de la SNCF.

8David Jacotot et Samuel Mercier (pp. 103-111) livrent une contribution au croisement des sciences juridiques et des sciences de gestion. Cela les conduit à déplacer la question de la « démocratie sociale » sur les lieux de travail et à l’appréhender au prisme du « gouvernement d’entreprise ». Cette forme de « management du management » (p. 103) vise à maximiser les intérêts financiers des actionnaires, y compris au détriment de l’emploi et des salaires. En ce sens, il est l’expression de l’antagonisme entre les intérêts des salariés et ceux des propriétaires du capital. Mais il témoigne aussi de la difficulté à faire de la « démocratie sociale » une réalité. Comme le rappellent les auteurs, la « démocratie sociale » suppose un partage du pouvoir dans la prise de décision pour la défense d’un intérêt commun qui va au-delà des intérêts particuliers. Considéré sous cet angle, imaginer l’entreprise comme un espace démocratique inspiré de la démocratie politique relève de l’utopie. Pour autant, David Jacotot et Samuel Mercier, en s’inspirant de la philosophie de l’éthique partenariale, envisagent la possibilité de dépasser l’antagonisme capital/travail. L’idée défendue est de concevoir la « démocratie sociale » comme une ressource organisationnelle permettant la construction d’une gouvernance partenariale facilitant la « création de valeur pour l’ensemble des parties prenantes » de l’entreprise.

9Avec le chapitre de Sylvie Contrepois (pp. 113-124), la réflexion s’enrichit d’une analyse sur la situation des relations professionnelles au Royaume-Uni. On y apprend notamment le poids de l’influence européenne dans la tentative de construction d’une « démocratie sociale » britannique. À partir de la fin des années 1990, plusieurs réformes vont intervenir. Elles devaient permettre de redonner du souffle à un système de relations professionnelles fortement impacté par l’affaiblissement du mouvement syndical durant les années Thatcher. Or, l’auteure montre à travers l’analyse des réformes portant sur la représentation du personnel et les droits collectifs que les résultats escomptés sont loin d’être atteints. Non seulement il n’y a pas eu de « retour de flamme », mais l’on constate une baisse de la syndicalisation, une quasi non-utilisation des procédures de reconnaissance de la représentativité des organisations syndicales comme des dispositions en matière d’information/consultation sur les lieux de travail et un recul de la négociation collective sur le temps de travail, les congés, les retraites et la formation. On peut alors se demander avec Sylvie Contrepois si la « démocratie sociale ne serait pas plus affaire de culture que de prescription juridique » (p. 123).

10Le texte d’Anne-Laure Cassard-Valembois (pp. 125-140) invite à nous interroger sur les enjeux liés au projet – mort-né – de constitutionnalisation de la « démocratie sociale » présenté dans le courant de l’année 2013. L’idée était alors de graver dans le marbre le principe de négociation collective préalable à toute réforme. La vraie nouveauté aurait alors été le caractère obligatoire de la négociation. Le point de vue juridique porté par l’auteure lui permet de dresser un bilan rétrospectif. D’un côté, cela aurait pu renforcer la démocratie politique en donnant davantage de légitimité à des réformes contestées par la faible représentativité des élus. D’un autre côté, une telle disposition présentait le risque de voir les partenaires sociaux se remplacer au législateur en matière de relations de travail, d’emploi ou de formation professionnelle sans que cela n’écarte le risque d’instrumentalisation politique du dialogue social.

11Paul-Henri Antonmattei (pp. 141-145) adopte aussi un regard juridique pour aborder, par le biais de l’article 1 du Code du travail, la pratique de la concertation. Pour l’auteur la question n’est pas tant de savoir si la négociation préalable à tout projet de réforme doit ou non être obligatoire, mais plutôt de créer des conditions favorables au dialogue social même si la négociation débouche sur un non-accord. Autrement dit, le dialogue social ne doit être « ni une défausse des gouvernements, ni un oukase des partenaires sociaux » (p. 142). Comme le rappelle l’auteur, gouvernements et partenaires sociaux ont souvent contourné les règles de la concertation, soit en imposant un calendrier à la négociation pour les premiers, soit pour des raisons plus stratégiques pour les seconds. Paul-Henri Antonmattei invite alors à « renouer les fils du dialogue social » (p. 145).

12La contribution de David Boulmier (pp. 147-164) revient sur la question de la représentativité syndicale et plus précisément sur la mesure de celle-ci qu’il qualifie de « grande duperie » (p. 162). A partir d’une analyse des règles en vigueur depuis 2008 et de la jurisprudence, l’auteur s’attache à démontrer minutieusement les incohérences, « les malfaçons » (p. 147) de la loi de rénovation de la « démocratie sociale ». Si la mesure de la représentativité par les résultats des élections professionnelles est posée comme un pilier et un gage de la démocratie sociale, seul le mode de scrutin aux élections professionnelles dans les TPE permet une mesure « démocratiquement défendable » (p. 163). Chaque salarié peut en effet exprimer son choix parmi l’ensemble des organisations syndicales et non seulement parmi celles présentes dans l’entreprise. Il en ressort une mesure « étrange » de l’audience syndicale voyant par exemple des organisations être désignées comme représentatives (au niveau de la branche ou interprofessionnel) sans même avoir été soumises au choix des électeurs.

13Pris dans sa globalité, l’ouvrage atteint son objectif. La diversité des approches suivies permet de dévoiler au lecteur cette « démocratie sociale » souvent érigée dans les discours en un horizon indépassable mais qui reste pourtant si difficile à saisir et à transcrire en acte. Malgré cela, on regrettera un manque de liant entre les différentes contributions qui aurait permis de rendre la lecture plus fluide. Sur le même plan, une partie conclusive plus approfondie aurait été importante pour dresser un bilan des apports respectifs de chacune des analyses proposées et envisager d’autres perspectives de recherche. Enfin, on en peut que déplorer l’absence d’autres contributions portant sur des réalités nationales où le système de relations professionnelles reconnait aux représentants des salariés des droits plus affirmés en matière d’information/consultation ou prévoit des mécanismes de codécision. Quoiqu’il en soit, en ce qu’il permet de saisir les enjeux liés à l’affirmation de la « démocratie sociale » (et/ou à la modernisation du « dialogue social »), cet ouvrage constitue un apport manifeste à la compréhension des évolutions des relations professionnelles en France et par-delà de celles des mutations des mondes du travail.

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Notes

1 Voir Mara Bisignano, Jean-Michel Denis, Camille Dupuy, Arnaud Mias, « La démocratie au travail : usages et catégories », Socio-économie du travail, 2, 2018, n°4.

2 Voir Arnaud Mias, Cécile Guillaume, Jean-Michel Denis et Paul Bouffartigue, « Vers un « dialogue social » administré ? », La nouvelle revue du travail, 8, 2016, mis en ligne le 31 mai 2016.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Mara Bisignano, « Dominique Andolfatto (dir.), La démocratie sociale en tension, Villeneuve d’Ascq, Presses Universitaires du Septentrion, 2018, 172 p. »La nouvelle revue du travail [En ligne], 17 | 2020, mis en ligne le 01 novembre 2020, consulté le 20 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/nrt/7726 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nrt.7726

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Auteur

Mara Bisignano

Chercheure rattachée au laboratoire Institutions et Dynamiques Historiques de l'Économie et de la Société l'IDHES, Université Paris Nanterre

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