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Recensions et notes de lecture

Gerhard Krauss, Diane-Gabrielle Tremblay (coord.), Tiers-lieux : Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fab labs, hack labs..., Presses de l'Université du Québec, 2019, 214 p.

Lara Alouan

Texte intégral

1Loin de tomber dans une fascination des tiers lieux, les autrices/teurs de cet ouvrage collectif composé de sociologues, géographes, gestionnaires et économistes, s’efforcent au contraire, de déminer les évidences et les objections qui viennent à l’esprit du lectrice/teur, notamment en mettant en exergue les lacunes des politiques publiques engagées.

2Cet ouvrage collectif pluridisciplinaire, international se compose de dix articles, rassemblés en trois parties thématiques. Les contributions portent sur les pratiques dites collectives au sein des fablabs, hacklabs et coworking et autres types de tiers-lieux en (re)décortiquant les relations entre les personnes fondatrices, animatrices de tiers-lieux et les institutions actrices publiques, face à l’affichage de promesse d’innovations locales, de création d’(auto) entreprises et de revitalisation de territoires désindustrialisés.

3L’introduction (2019, pp. 7-16) circonscrit « l’intérêt spécifique de cette nouvelle façon de travailler » (2019, p. 9), dans le « paradoxe d’un lieu appelé à la fois à créer du réseau et cependant en proie parfois au renfermement, à l’isolement et à l’autocentrisme. » (2019, p. 15). Il est à noter que les autrices/teurs font référence à l’expression de « third place », énoncée semble-t-il pour la première fois par le sociologue américain Ray Oldenburg en 1989 et traduite en français par « troisième lieu » ou « tiers-lieu », en rangeant les différentes réalités empiriques sous le terme de tiers lieux, sans vraiment les expliciter.

4Aussi, la première partie, « la diversité des tiers-Lieux avec coworking : Le tiers Lieu est aussi divers que Les parcours et profils de ses fondateurs et utilisateurs » se concentre sur deux études de cas européens et s’intéresse aux conditions d’émergence d’espaces de coworking, à leur originalité organisationnelle au travers de leurs pratiques de travail expérimentales et collectives et à leurs impacts en matière de régénération urbaine. En effet, elle s’ouvre sur une étude de cas, réalisée dans deux espaces de coworking, en Allemagne, dans une ville moyenne ainsi que dans une petite commune périphérique (2019, p. 19-40).

5Gerhrd Krauss représente les tiers lieux comme des espaces collaboratifs de travail et qui « favorisent les activités et les spécialisations professionnelles très hétérogènes » (2019, p. 37) : si cette configuration de tiers lieux « facilite l’échange informel » autour de « problématiques transversales, anodines et conviviales. », l’auteur note « une tendance de repli sur elle-même, soignant une sorte d’entre-soi » (2019, p. 37).

6La seconde étude de cas, menée en France (2019, p. 41-60), par Clément Marinos et Guy Baudelle, précise que le projet de tiers lieux « s’entremêle clairement avec le parcours professionnel et les motivations personnelles du fondateur » au travers de quatre cas, tout en étant un « lieu de passage », une « étape dans leur existence, un lieu d’affirmation et d’évolution espérant un meilleur statut, une meilleure situation » (2019, p. 57).

7La deuxième partie de l’ouvrage, « le tiers-Lieu comme objet des attentions institutionnelles territoriales parce que creuset potentiel d’emplois et d’innovation » (2019, p. 61-140) est composée de quatre articles : nous voyons que la prise en compte d’un développement endogène des territoires par l’action publique, se heurte aux besoins des acteurs des tiers lieux de se réinventer. À leur manière, les auteurs expliquent que de nouveaux référentiels ne peuvent naître de cadres déjà construits.

8Par exemple, Clément Marinos (2019, p. 63-78), analyse, dans le contexte spécifique des villes petites et moyennes, le rapport entretenu entre les collectivités locales et des tiers-lieux, ainsi que « l’importance cruciale des pouvoirs publics en phase d’amorçage » de ces espaces qui deviennent « des espaces d’intermédiation entre les sphères économiques et d’action publique » (2019, p. 74).

9Puis, Anne-Laure Le Nadant et Clément Marinos (2019, p. 79-92), décomposent le projet de Grande Halle en Normandie, confiée à une instance participative : cette « conversion de friches industrielles en tiers-lieux » devient « un lieu d’appropriation par les parties prenantes ». Les auteurs notent que « les qualités industrielles du lieu » « contribuent, à la fois à renouveler l’activité sociale et économique et à prolonger un récit collectif territorial, les deux étant intimement liés » (2019, p. 91). L’espace comme le lieu, peuvent être localisés, mais l’espace n’est pas prédéfini par une activité ou une fonction. En revanche, une pratique des espaces peut s’immiscer dans n’importe quels lieux, voire changer la hiérarchie symbolique des lieux.

10Christine Liefooghe (2019, p. 93-113), reprend cet objet d’étude en convenant que « la fabrique des politiques publiques tend à faire des tiers lieux un objet valise » (2019, p. 95). L’autrice remarque qu’il reste « une faille béante dans ces politiques de création des tiers lieux : l’absence de communauté sur lesquels devrait s’appuyer, par définition la dynamique des espaces de coworking, des Fablabs ou tout autre dispositif hybride » (2019, p. 109) et interroge le « droit à l’expérimentation » qui « fabrique les politiques territoriales » (2019, p. 111).

11Enfin, Priscilla Ananian (2019, p. 115-140), fait un focus sur le redéploiement des activités productives dans les quartiers centraux, soutenu par des phénomènes de reterritorialisation des activités économiques dans les villes nord-américaines : « les leviers de régénération urbaine » sont mis à mal « par la marchabilité », « la mise en valeur du patrimoine » (2019, p. 136).

12Ainsi, cette deuxième partie met en évidence le fait que le tiers lieu devient un objet de convoitise à la faveur de réhabilitations urbaines, sous le couvert de reconquête ou de renouvellement de l’attractivité des territoires.

13La troisième partie, « Le tiers-lieu comme expression d’une aspiration réelle à travailler, se déplacer, s’organiser et éventuellement innover, le tout autrement (travail collaboratif) » (2019, p. 141-200) se concentre sur le tiers lieu, en tant qu’« expression d’une inspiration réelle à travailler, se déplacer, s’organiser » et éventuellement innover.

14Arnaud Scaillerez et Diane-Gabrielle Tremblay (2019, p. 143-156) ont mené une recherche qualitative : ils ont rencontré vingt utilisateurs de dix espaces de coworking au Québec (2019, p. 146). S’il est possible « d’utiliser les services d’un espace exclusivement pour soi » il est aussi utilisé « pour développer des collaborations ». Les auteurs conviennent de nuancer le lien entre communauté de pratique et les espaces de coworking (2019, p. 152).

15Angelo Dossou-Yovo, Arnaud Scaillerez et Diane-Gabrielle Tremblay (2019, p. 157-172) ont étudié les facteurs qui « peuvent inciter à la collaboration entre les utilisateurs d’un même espace collaboratif ou de coworking », dans deux provinces canadiennes. Les auteurs constatent que « le rôle du gestionnaire ou de l’animateur du lieu est un des facteurs pouvant favoriser la collaboration dans un espace », or cette personne n’est pas nécessairement celle à qui l’on va confier la gestion du lieu (2019, p. 166).

16Flavie Ferchaud (2019, p. 157-172), réinterroge une des représentations collectives à l’égard des tiers-lieux, dépeints comme des lieux où les pratiques collectives et collaboratives seraient la norme, dans le cas de fablabs et de hackerspaces en France et en Belgique. Cette contribution résulte d’un travail de recherche doctorale mené entre 2014 et 2018 : « Des projets collectifs, il n’y en a pas beaucoup. Il faut les susciter. » Et si « le faire ensemble ne va pas de soi », « chaque composante des tâches à réaliser est divisée en rôle (administration, communication…) » (2019, p. 188). L’autrice souligne que les communautés de faire ne se départissent pas de rapports de pouvoir, qui « apparaissent basés sur l’expérience et l’ancienneté » (2019, p. 189).

17Enfin, Angelo Dossou-Yovo (2019, p. 191-200) analyse les ressources « accumulées » par les utilisateurs entrepreneurs dans des espaces collaboratifs dans les villes ontariennes (2019, p. 193). L’auteur relate que les espaces collaboratifs sont à l’origine de plusieurs éléments déclencheurs que les « entrepreneurs utilisent comme levier pour prendre des décisions et poser des actions » (2019, p. 199), tout en nuançant qu’« une première difficulté qui demeure toujours, est de s’entendre sur une définition commune de ce qu’est l’entrepreneuriat ».

18Bien que ces quatre articles ne se nourrissent pas les uns des autres, ils illustrent que les personnes utilisatrices de ces tiers lieux ne se vivent pas uniquement comme des consommatrices de ces lieux et mettent en place des pratiques collectives toutes relatives en tirant leur matière première des liens sociaux et des réseaux qui se forment, se les approprient et les réorchestrent pour créer des lieux hétérogènes.

19Cet ouvrage reste un livre intéressant, accessible, puisque sa construction favorise à la fois, par la présentation de cas, la dynamique des idées et la contradiction, et qui ne cède ni à l’enchantement ni à la simplification. Loin toutefois de vouloir circonscrire précisément ce que ce terme de tiers lieux renferme de pratiques et de complexités, les autrices/teurs ont choisi de laisser la place à leurs interrogations et leurs nuances en n’hésitant pas à présenter leurs cas, même si l’ensemble peut donner l’impression d’une conversation à bâtons rompus. Pour conclure, cet ouvrage permet d’enrichir le regard sur un monde où s’entremêlent désormais production, création, territoire et où le pouvoir et la légitimité des acteurs traditionnels sont de plus en plus questionnés.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Lara Alouan, « Gerhard Krauss, Diane-Gabrielle Tremblay (coord.), Tiers-lieux : Travailler et entreprendre sur les territoires : espaces de coworking, fab labs, hack labs..., Presses de l'Université du Québec, 2019, 214 p.  »La nouvelle revue du travail [En ligne], 18 | 2021, mis en ligne le 01 mai 2021, consulté le 21 mars 2025. URL : http://journals.openedition.org/nrt/8037 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nrt.8037

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Auteur

Lara Alouan

Centre Pierre Naville

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