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2008

Jean-Jacques Kourliandsky, Ingrid Betancourt, Par-delà les apparences, Paris, Editions Toutes Latitudes, 2008, 123 p.

La tragique histoire d'une affaire en cours
Aude Argouse

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Mots clés :

Colombie, France, médias

Keywords:

Colombia
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Texte intégral

1Ingrid Betancourt, cause nationale pour la France selon les mots de son président, apparaît et disparaît depuis six ans des gros titres des médias français, au gré d'événements ou d'anniversaires. Elle est ainsi réapparue quelque temps suite à la libération de Clara Rojas, entre autres otages, en décembre 2007. Clara Rojas avait été arrêtée en même temps que Madame Betancourt le 23 février 2002. La plupart du temps, c'est le secret et le silence qui sont censés couvrir les faits.

2Un livre publié voilà deux ans par Jacques Thomet, ancien directeur de l'AFP à Bogotá, s'attachait à montrer les dessous emmêlés de l'affaire Betancourt, en évoquant les liens personnels existant depuis le début des années 80 entre les sœurs Astrid et Ingrid Betancourt et Dominique de Villepin, ancien premier ministre1. Historiciser une affaire en cours était un défi que Jacques Thomet ne parvenait pas très bien à relever mais la profusion d'anecdotes qui jalonnaient l'ouvrage le rendait intéressant pour le profane. Jean-Jacques Kourliandsky, aux éditions Toute Latitude, ajoute sa contribution à la compréhension de cette affaire médiatico-politico-compliquée.

3Toutefois, selon ce qui paraît un prérequis chez l'éditeur, l'auteur consacre un tiers de son ouvrage à dresser un portrait de la Colombie qui ne présente pas davantage d'intérêt que celui d'éviter au lecteur d'aller sur Google pour s'informer. Dans un cinquième chapitre consacré à la journée du 23 février 2002, l'auteur resserre sa focale sur l'enlèvement. Il énonce les points de désaccords qui subsistent sur ses circonstances et les interprétations des témoignages et réactions fournis par d'autres auteurs (Juan Carlos Lecompte, mari de Ingrid Betancourt, Yolanda Pulecio, mère de Ingrid Betancourt et Jacques Thomet), selon le procédé de la fiche de lecture dans lequel l'expert n'est certainement pas à l'œuvre. C'est ainsi que, attaché à la concordance des témoignages, des récits et des interprétations, Jean-Jacques Kourliandsky esquisse une relation brève de l'enlèvement et des conditions de séquestration. Ensuite, l'auteur propose de "situer la personnalité de Ingrid Betancourt dans la pluralité de son identité" afin de "définir son alchimie culturelle", et d'éviter ainsi "toute autre démarche [qui] répondrait à une approche biographique et compassionnelle". De sensible, il n'est pas question dans cet ouvrage qui s'ancre dans une rigoureuse "factualité" dans la seconde moitié tout en limitant considérablement l'analyse.

4Si l'on en croit les deux premiers tiers de l'ouvrage destinés aux salles d'attente, et en particulier son titre et son message racoleur figurant sur la couverture, "un livre pour dépasser l'émotion et comprendre", par-delà les apparences il y a le vide laissé par le manque d'information et par le manque d'interprétation. Encore une fois, la présentation est trompeuse, comme c'était le cas pour un ouvrage récent paru chez le même éditeur. Combler ce vide n'était pas l'objectif poursuivi, comme nous avons cru le comprendre en le lisant. L'agencement de cet ouvrage évoque plutôt la mise par écrit d'une interview et, destiné à un public français, il pose de nombreuses questions qui ont le mérite de rester simples.

5Il présente néanmoins un double intérêt car il suscite deux interrogations fortement liées : peut-on historiciser une affaire en cours ? A qui profite l'affaire ? A notre avis, Monsieur Kourliandsky n'a pas pris le chemin le plus court en choisissant dans un premier temps de s'écarter de l'analyse du compassionnel et de l'émotionnel et de s'attacher à des faits bruts, dans le but de comprendre un événement qui utilise les médias en suscitant précisément des émotions et de la compassion. L'intérêt des deux premiers tiers du livre se trouverait par conséquent dans la narration des faits au sein d'un contexte plus large que le drame familial ou l'affaire de sentiments que dévoilait Jacques Thomet. Faute de place sans doute, ce contexte souffre ici d'un manque de réelle perspective historique.

6Le second intérêt réside dans la critique adressée aux médias français figurant dans le dernier tiers de l'ouvrage. Jean-Jacques Kourliandsky voit dans les affaires d'enlèvement un intérêt particulier de la part des médias. "A la différence des tremblements de terre ou des accidents ferroviaires, écrit-il, le drame feuilletonesque vécu par les otages et leurs familles s'inscrit dans la durée". L'affaire profite aux éditeurs et aux médias, avides de chiffre et d'audience. Jean-Jacques Kourliandsky met en parallèle l'agitation médiatique d'impulsion politique pour Ingrid Betancourt et le silence concernant Aida Duvaltier, autre otage franco-colombienne détenue par les FARC dont le cadavre a été retrouvé en février 2006, cinq ans après qu'elle a proposé de "s'échanger" contre son mari dont la santé était précaire. Les Duvaltier n'avaient pas les réseaux politiques français dont dispose la famille Betancourt.

7La fabrication de l'information médiatique, comme l'appelaient Miguel Benasayag et Florence Aubenas2, fonctionne pour l'otage Betancourt et provient de la construction, par les éditeurs et le co-auteur du livre de Ingrid Betancourt paru avant son enlèvement en 2001, d'une Jeanne d'Arc contemporaine. La fabrication de la notoriété de l'individu en cause est au centre de cette élaboration médiatique française. Il convient ainsi, pour comprendre pourquoi Ingrid Betancourt a été enlevée, de replacer cet événement dans le contexte national colombien. L'auteur invite donc, dans cet ultime tiers, à un utile recadrage des enjeux. Toutefois, on regrettera au final que l'agencement du livre et les partis pris de présentation laissent l'impression que Jean-Jacques Kourliandsky a pris l'étrange voie des hypothèses à voix basse, qui risquent d'inscrire son livre dans le bruit ambiant de cette tragique histoire alors qu'il renferme une réflexion importante sur la construction de la notoriété par les médias de toute sorte.

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Notes

1  Thomet, Jacques, Ingrid Betancourt. Histoire de cœur ou raison d'état ? Paris, Ed. Hugo doc, 2006, 221 p.

2  Aubenas, Florence et Benasayag, Miguel, La fabrication de l'information. Les journalistes et l'idéologie de la communication, Paris, Ed. La Découverte, 1999, 110 p.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Aude Argouse, « Jean-Jacques Kourliandsky, Ingrid Betancourt, Par-delà les apparences, Paris, Editions Toutes Latitudes, 2008, 123 p. »Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], Comptes rendus et essais historiographiques, mis en ligne le 17 juin 2008, consulté le 04 novembre 2024. URL : http://journals.openedition.org/nuevomundo/37632 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nuevomundo.37632

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Auteur

Aude Argouse

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