1Le sociologue Franck Poupeau livre dans cet ouvrage une réflexion sur la politique du gouvernement bolivien depuis une dizaine d'années et, à cet effet, propose de re-parcourir ses propres enquêtes. Retour sur un parcours personnel.

2Le livre est divisé en trois parties introduites par un long prologue dans lequel Franck Poupeau établit la critique de sa démarche qui est celle, en fin de compte, de l'anthropologie postcoloniale. On y découvre un chercheur engagé et réflechi, parfois introverti et toujours empli de doutes, ce qui lui fait dire d'emblée "mais si nous n'avons aucune communication à l'être des sociétés auxquelles nous ne pouvons en définitive appartenir, la possibilité d'un retour sur soi, sur son regard et ses limitations n'en reste pas moins ouverte." L'ethnographie des zones de pauvreté n'efface jamais la distance entre l'enquêteur et les enquêtés.

3Le terrain d'enquête de l'auteur se trouve dans la ville de El Alto, en Bolivie, située sur les hauteurs de La Paz, capitale économique du pays. Après une première partie consacrée aux questions de l'accès à l'eau et des hydrocarbures, traitée du point de vue des luttes sociales, la deuxième partie intitulée "la tentation du vide" analyse les relations entre les habitants du Barrio Solidaridad de la ville de El Alto et la politique. Ces relations sont qualifiées d'utilitaires, c'est-à-dire éloignées de toute idéologie anti-capitaliste et reposent sur la nécessité d'obtenir de quoi vivre. Se dessine alors une séparation entre les leaders syndicaux et les journalistes, d'un côté, et les habitants, de l'autre. "La mythologie militante (…) constitue ici un obstacle à une appréhension sociologique des conditions de l'engagement politique dans les quartiers populaires." La fascination du politique empêche une autre lecture de la réalité.

4La troisième partie de l'ouvrage en constitue, à notre sens, l'originalité. Entrecoupée d'articles de presse et d'analyses politiques, elle est rédigée sous une forme narrative. Elle comporte surtout une réflexion spontanée des faits observés et vécus par l'auteur : visite d'une école, entretiens, lecture de la presse. Ce type de récit, déjà cultivé par d'autres sociologues, est une introspection permanente et met en scène l'observateur en pleine observation. Cette mise en perspective de soi sur le terrain dans cette troisième partie intitulée "Distances" a rendu plus familières au lecteur non initié à l'enquête ethnographique que nous sommes les préoccupations du chercheur entièrement dépendant de l'approche de son terrain, du contact avec les acteurs et de la qualité de l'information disponible.

5Avec cet ouvrage, Franck Poupeau fait de son inquiétude et de sa sensibilité les moteurs premiers de sa recherche. Loin d'être une distance prise pour les besoins de l'observation, il s'agit en réalité d'une distance constatée, inexorable et finalement acceptée, qui redonne un caractère vivant à la réflexion anthropologique et une limite aux modèles socio-économiques.