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1Malgré son titre et la maison qui l’édite, ce livre collectif est rédigé en espagnol. Il réunit six spécialistes du Mexique, de la Colombie, du Venezuela, de l’Argentine et, de façon plus générale, de l’histoire de l’Amérique Latine au xix^e siècle. Les défis de l’Indépendance constitue une excellente synthèse des problématiques sur l’État et la nation. Cet ouvrage a le grand mérite de mettre à la disposition des lecteurs intéressés par l’Amérique latine une information très riche présentée de façon claire. Il fouille particulièrement les indépendances à l’honneur en ces commémorations bicentenaires. D’une façon générale, les différents textes qui composent le recueil, reprennent la perspective de François-Xavier Guerra sur la prééminence de l’État sur la nation. Laquelle nation est l’aboutissement, complexe et relativement long, du bouleversement institutionnel, et par conséquent, une construction historique tardive. Les limites chronologiques sont, en amont, l’année 1808 avec la crise de l’Ancien Régime et l’invasion de l’Espagne par les armées de Napoléon, et en aval, 1910, l’année de la Révolution mexicaine. Entre ces deux révolutions, 1870 marque un jalon important pour la construction de l’État-nation. C’est également la fin de la guerre de la Triple Alliance, un conflit qui oppose le Paraguay aux trois alliés, le Brésil, l’Argentine et l’Uruguay. C’est encore le point de départ de la « Régénération » des états après des années d’anarchie et de conflits. On peut regretter l’absence du Pérou (dans le sens « colonial » du terme, englobant un territoire supérieur à celui de l’état actuel de ce nom), qui présente un cas singulier en raison de l’importance de la masse indigène. Cependant, malgré les lacunes inévitables dans tout travail qui se veut à la fois didactique et synthétique, le lecteur y trouvera une foule d’informations sur ces questions.

2Suivant un autre ordre que celui de la publication, il faut tout d’abord partir des articles plus généraux. Miguel Angel Urrego apporte une révision historiographique du processus d’institutionnalisation de l’État en Amérique latine, extrêmement utile pour tous ceux qui ont besoin d’un fil directeur à travers une bibliographie pléthorique. À juste titre cet auteur rappelle que le monde colonial ne réussit ni l’unification du territoire des unités concernées, ni leur contrôle. Il signale encore l’importance de la guerre, au cours du xix^e siècle, comme facteur de réorganisation des états. Le bilan historiographique est également abordé, pour le Mexique, par Marco Antonio Landavazo. Cet auteur approfondit la question du nationalisme mexicain, en insistant sur un phénomène mal connu, celui de l’hispanophobie. L’Espagne comme bouc émissaire de tous les maux, n’est pas simplement une réaction somme toute assez normale après les luttes indépendantistes. Au-delà de cette période, cette idéologie a rejailli sur les études historiques concernant l’époque coloniale, et ce n’est qu’à une époque récente que cette période, exceptionnelle au Mexique, a été (en partie) réhabilitée.

3Almudena Delgado Larios et Agustín Sánchez Andrés analysent la difficile insertion des nouveaux états latino-américains dans le contexte international. Chapitre passionnant qui montre les tentatives (heureuses) de la Grande-Bretagne pour acquérir le contrôle des échanges commerciaux concernant les nouveaux états (et par opposition, les échecs répétés de la diplomatie française), mais aussi la « montée » de l’impérialisme américain, d’une doctrine de Monroe (1823) qui était plutôt une sorte de charte morale, à l’autre, celle de 1904, réinterprétée au bénéfice des États-Unis à partir de la crise entre l’Angleterre et le Venezuela. On sait gré aux deux auteurs d’avoir inclus le Brésil et le processus de dissolution de l’empire. En revanche, on aurait aimé y trouver une mention sur Haïti et sur l’impact de sa révolution sur la question esclavagiste, qui est au centre de tout le processus de constitution des états-nations et des sociétés civiles.

4L’Argentine fait l’objet de deux textes. Le premier, qui inaugure le recueil, est celui de Juan Carlos Garavaglia, qui développe deux questions. La première concerne les défis économiques et le coût des armées révolutionnaires. Cet aspect, rarement évoqué, est pourtant central et expose des problèmes qui sont toujours d’actualité concernant la fiscalité et l’endettement. L’autre point est celui de l’invention de la nation, que l’auteur place au cœur même du processus révolutionnaire – se démarquant en quelque sorte de la problématique de Guerra – à travers les éléments symboliques de la première commémoration de la révolution de mai, une année après. C’est un peu aussi ce qui ressort du chapitre d’Ignacio Ruiz Rodríguez, sur son étude des cent premières années de l’Argentine à partir des archives espagnoles (ce qui constitue l’originalité de cette contribution). En fait, si dans tout le continent les interventions étrangères (France, Angleterre, États-Unis) produisent une sorte de riposte « nationale », dans le Rio de la Plata ce phénomène précède de quelques années la révolution, et les invasions anglaises de Buenos Aires créent une solidarité collective que l’on peut, à mon sens, qualifier de protonationale.

5Frédérique Langue, dans un chapitre substantiel, traite de façon comparative la question de la formation de l’État-nation au Venezuela et en Colombie. Les intérêts économiques divergents entre l’ancienne Capitanía general de Venezuela et le cœur du viceroyaume de la Nouvelle Grenade (Bogota, Tunja et les régions du centre), les configurations atypiques (le cas de Boves dans les « llanos » du Venezuela), le poids énorme des gens de couleur au Venezuela, les traditions catholiques en Colombie, expliquent la formation historique d’une mémoire divergente dans les deux États libérés et réunis quelque temps sous la houlette de Simón Bolivar. Ce chapitre développe une question essentielle, celle des identités régionales, très différentes sur la côte caraïbe ou dans les hautes terres des Andes. L’auteur aborde également le problème de la « pardocracia », c’est-à-dire, de la masse des gens de couleur et de leur difficile assimilation dans la nation. Enfin, Frédérique Langue est la seule à approfondir ce qu’elle appelle « la problématique du siècle », à savoir le conflit entre le fédéralisme et le centralisme, ainsi que la division politique entre libéraux et conservateurs. Le chapitre contient également une réflexion sur l’émergence des rapports personnels de domination politique, le « caudillismo », qui préfigure le populisme du xx^e siècle.

6En somme, ce livre intelligent et très bien documenté, est d’une très grande utilité pour les historiens, qu’ils soient ou non des spécialistes de cette période. Il est donc le bienvenu pour éclairer les enjeux des révolutions indépendantistes latino-américaines et dépasser le cadre convenu des commémorations patriotiques.