Luisina Perelmiter, Burocracia plebeya: la trastienda de la asistencia social en el Estado argentino
Luisina Perelmiter, Burocracia plebeya: la trastienda de la asistencia social en el Estado argentino , 2016
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- 1 Guillermo O’Donnell, El Estado burocratico-autoritario, Buenos Aires, Editorial de Belgrano, 1982.
- 2 Oscar Oszlak, La formación del Estado argentino. Orden, progreso y organización nacional. Buenos A (...)
- 3 Voir notamment le titre suivant : Torcuato S. Di Tella, Cristina Lucchini (dir.), La sociedad y el (...)
- 4 Juan Manuel Abal Medina, Horacio Cao (dir.), Manual de la nueva administración pública argentina. (...)
- 5 Michael Lipsky, Street-level bureaucracy: dilemmas of the individual in public services, New York, (...)
- 6 Vincent Dubois, La Vie au guichet. Administrer la misère, Paris, Seuil, 2015.
1Issu d’une thèse de doctorat soutenue à l’Université de Buenos Aires (UBA), cet ouvrage adopte une focale d’analyse originale par rapport aux recherches sur l’État en Argentine. Jusqu’alors, nous connaissions les travaux classiques de Guillermo O’Donnell proposant une célèbre lecture idéal-typique1 ou ceux d’Oscar Oszlak marqués par une perspective néo-institutionnaliste historique2. De même, les relations État/société ont fait l’objet de nombreuses réflexions3. Plus récemment encore, des ouvrages collectifs – au demeurant excellents – ont porté un regard résolument institutionnaliste sur les transformations de l’administration publique contemporaine4. Dans ce champ d’investigation déjà largement exploré par des publications de référence, le livre de Luisina Perelmiter se distingue par son approche. En effet, la sociologue a opté pour une démarche ethnographique explicitement inspirée de celle du politiste nord-américain Mickael Lipsky5 et qu’a poursuivie en France Vincent Dubois, par exemple6. Ce faisant, ce livre est le premier du genre à étudier la bureaucratie argentine au prisme de ses acteurs ou plus explicitement, « à hauteur » de ses fonctionnaires dits « intermédiaires » (coordinateurs de programmes, techniciens, etc.).
2Concrètement, l’ambition de l’auteure est d’examiner « la vie interne de l’État et les pratiques de son fonctionnariat, dans un domaine où les soupçons de malversation sont importants : la politique d’assistance sociale » (p. 16). L’enquête se penche spécifiquement sur le Ministère du développement social de la Nation (MDSN). Dirigée pendant les trois mandats des Kirchner par la sœur de Nestor, Alicia, cette administration a essuyé des critiques récurrentes de la part des médias d’opposition, l’accusant d’être inféodée au pouvoir et d’alimenter le clientélisme. Si l’objet de la recherche laisserait transparaître une certaine proximité avec le projet politique défendu par le couple K, l’auteure n’en assume pas moins ce que Weber a dénommé une « neutralité axiologique ». Objective, elle ne prend pas partie pour un camp ou un autre et se contente d’analyser le quotidien de ce ministère. Pour ce faire, elle a non seulement pu côtoyer et interviewer de très nombreux agents (environ 80), mais elle les a également accompagnés dans leurs missions de terrain pendant plusieurs mois (d’avril à septembre 2008). En somme, cette recherche originale nous plonge au cœur de la machine bureaucratique kirchnériste, dont elle dissèque le fonctionnement de manière chirurgicale.
3Le concept phare de l’ouvrage est celui de « bureaucratie plébéienne » qui lui donne son titre. Dérivé de la tradition d’assistance péroniste dite « évitiste » – en référence à l’engagement à la fois personnel (conviction) et personnalisé (propagande) d’Evita Perón dans la lutte contre la pauvreté –, le concept de « bureaucratie plébéienne » traduit une forme de subversion des modalités classiques de gestion associées aux administrations publiques dites légales-rationnelles (ou wébériennes) par leurs propres agents, en vue de renforcer la sensibilité sociale de l’ensemble du système comme la proximité avec les administrés. La thèse que défend Luisina Perelmiter est qu’en dépit de cette volonté assumée, jusque par la propre ministre, de réduire la distance – que nous pourrions qualifier de « politique » – entre agents et administrés au nom d’un certain projet de société (défense de l’intérêt du plus grand nombre, rejet du néolibéralisme, etc.), les logiques institutionnelles nécessitent de la maintenir à minima (cadre juridique, déploiement universaliste, lutte contre la fraude, etc.). Tiraillés au quotidien, les fonctionnaires recherchent ainsi ce délicat arbitrage entre leurs convictions, les difficultés qu’ils rencontrent dans la prise en charge de l’indigence et qui les inclinent à des ajustements au cas par cas et les directives nationales qui entendent donner un semblant de cohérence et de rigueur aux politiques sociales. Se déplaçant constamment entre la capitale et les provinces, ces agents intermédiaires de la fonction publique se meuvent dans un espace que l’auteure qualifie, avec acuité, de « translocal ».
- 7 Voir notamment l’ouvrage suivant dont j’ai eu le plaisir de rédiger la recension pour la Revue fra (...)
- 8 Pour plus d’informations, voir l’article que j’ai consacré à ce mouvement d’irréductibles partisan (...)
- 9 Il s’agit d’un des livres fondateurs de la sociologie de l’action publique en France. Cf. Jean Gus (...)
4En sus de l’introduction et de la conclusion, le livre se divise en huit chapitres. Le premier revient sur l’histoire des politiques sociales en Argentine, en insistant sur trois modalités distinctes : l’héritage péroniste d’une part et notamment la conception « évitiste » qui considère que « là où il y a un besoin, il y a un droit » (p. 35) ; le basculement dans un paradigme néolibéral sous Menem d’autre part, où l’Etat n’assume désormais plus qu’un rôle « nodal et résiduel » (p. 46) au seul bénéfice des plus pauvres ou des plus exclus du système économique ; et enfin, le renouveau assitantialiste kirchnériste qui se caractérise par une rationalisation des politiques publiques et une financiarisation accrue. Au-delà de l’absorption en 3 plans généraux des 56 programmes préalablement dispersés, on apprend notamment que le budget du MDSN a quintuplé entre 2003 et 2009 ; ce qui lui a valu de se hisser à la troisième position des administrations les plus dotées, derrière le ministère de la Planification fédérale et le ministère de l’Éducation. Le second chapitre revient sur la mise en place d’une « bureaucratie de proximité » (ou plébéienne) sous l’impulsion de la ministre. Anticipant les conclusions de travaux récents qui réhabilitent le facteur politique dans les transformations institutionnelles7, la chercheure insiste sur le rôle du leadership incarné par Alicia Kirchner dans cette réorientation des priorités administratives comme du fonctionnement organisationnel. Respectivement intitulés « Micropolitique bureaucratique » et « Hiérarchies plébéiennes », le troisième et quatrièmes chapitres évoquent la fragmentation interne du ministère, dont sont révélatrices les tensions autour de rapports de pouvoir parfois conflictuels entre une majorité de militants cooptés et une minorité de fonctionnaires de carrière. Après un cinquième chapitre consacré à l’ethos que cultivent ces agents de l’assistanat, le chapitre 6 reprend en titre l’antienne propre à la conception kirchnériste du pouvoir, notamment associée aux membres de la Cámpora et selon laquelle il faut « militer l’État »8. L’auteure s’intéresse ici aux modalités de recrutement : nomination discrétionnaire et cooptation sont non seulement des pratiques répandues voire généralisées, mais justifiées. En effet, l’objectif est précisément d’établir un fonctionnement « contrebureaucratique » (p. 154). Suivant les fonctionnaires dans leurs activités quotidiennes, les deux derniers chapitres déplacent la focale analytique depuis l’administration centrale vers les territoires d’une part et auprès des administrés d’autre part. La sociologue y révèlent les conditions de déploiement des politiques publiques, les arbitrages délicats auxquels les agents se livrent entre le caractère universel des principes et la nécessaire personnalisation de l’aide, mais encore, les difficultés à juguler la fraude – dont ne sont d’ailleurs pas non plus exempts les fonctionnaires, souvent prompts à améliorer leurs salaires grâce aux indemnités journalières qu’ils s’octroient à la limite de la légalité. Bref, l’auteure dresse un panorama exhaustif d’une bureaucratie argentine que l’on aurait autant tort de croire rationnelle et efficace que corrompue et dysfonctionnelle. In fine et pour reprendre le titre du célèbre recueil d’articles de Jean-Gustave Padioleau9, cet ouvrage analyse sans concession ni connivence l’État argentin « au concret ».
5La principale critique est d’ordre stylistique et se veut propre aux publications tirées d’un manuscrit doctoral dont les remaniements ont été mineurs sinon absents. Sans être abscons, le propos est parfois assez rébarbatif. Certains passages nous semblent répétitifs et donc accessoires. De surcroît, l’écriture est particulièrement dense. Ramassé en 250 pages grâce à l’usage d’une police réduite et d’une mise en page serrée – vraisemblablement du Times New Roman, 10, sans interligne –, le manuscrit original devait être deux fois plus volumineux. En conservant la même pagination mais en raccourcissant certains chapitres, la lecture aurait pu être plus aérée, dynamique et attractive. En somme, on regrette que la forme nuise quelque peu à la finesse autant qu’à la rigueur de la réflexion d’ensemble.
Notes
1 Guillermo O’Donnell, El Estado burocratico-autoritario, Buenos Aires, Editorial de Belgrano, 1982.
2 Oscar Oszlak, La formación del Estado argentino. Orden, progreso y organización nacional. Buenos Aires, Ariel, 1997.
3 Voir notamment le titre suivant : Torcuato S. Di Tella, Cristina Lucchini (dir.), La sociedad y el Estado en el desarrollo de la Argentina moderna, Buenos Aires, Biblios, 1997.
4 Juan Manuel Abal Medina, Horacio Cao (dir.), Manual de la nueva administración pública argentina. Buenos Aires, Ariel, 2012 & Carlos, Acuña (dir.) ¿ Cuánto importan las instituciones? Gobierno, Estado y actores en la política argentina, Buenos Aires, Siglo XXI Editores, 2013.
5 Michael Lipsky, Street-level bureaucracy: dilemmas of the individual in public services, New York, Russell Sage Foundation, 1983.
6 Vincent Dubois, La Vie au guichet. Administrer la misère, Paris, Seuil, 2015.
7 Voir notamment l’ouvrage suivant dont j’ai eu le plaisir de rédiger la recension pour la Revue française de science politique (vol. 70, n° 3-4, p. 504-506) : Miguel A. Centeno et al. (eds.), States in the Developing World, Cambridge, Cambridge University Press, 2017.
8 Pour plus d’informations, voir l’article que j’ai consacré à ce mouvement d’irréductibles partisans politico-administratif du couple K : Damien Larrouqué, « La Cámpora au pouvoir en Argentine (2007-2015) : mouvement social, élite programmatique ou Garde de Fer du kirchnérisme ? », Problèmes d’Amérique latine, n° 106-107, 2017, p. 77-93.
9 Il s’agit d’un des livres fondateurs de la sociologie de l’action publique en France. Cf. Jean Gustave Padioleau, L’État au concret, Paris, PUF, 1982.
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Référence électronique
Damien Larrouqué, « Luisina Perelmiter, Burocracia plebeya: la trastienda de la asistencia social en el Estado argentino », Nuevo Mundo Mundos Nuevos [En ligne], Comptes rendus et essais historiographiques, mis en ligne le 15 décembre 2020, consulté le 05 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/nuevomundo/83218 ; DOI : https://doi.org/10.4000/nuevomundo.83218
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