1Comme le précisent Stoet et Geary (2018), la sous-représentation des filles et des femmes dans les domaines des sciences, de la technologie, de l’ingénierie et des mathématiques (STEM) est une préoccupation constante pour les spécialistes des sciences sociales et les décideur·euse·s politiques. C’est le cas au niveau national, mais aussi international (Minichiello, 2018). En effet, depuis des décennies on observe un système de représentations assimilant le masculin au domaine scientifique (Høgheim et Reber, 2019) et le féminin aux langues et la littérature (Plante, O’Keefe, aronson, Fréchette-Simard et Goulet, 2019). Or, l’étude internationale de Miller, Eagly et Linn (2015) dans 66 pays met en évidence les liens entre stéréotypes nationaux vis-à-vis des sciences et la place des femmes dans ces disciplines. Autrement dit, les adultes associent encore les sciences au masculin (Smyth et Nosek, 2015). En ce qui concerne les plus jeunes, l’étude Programme for International Student Assessment (PISA) de 2015, menée auprès d’élèves de 15 ans souligne que : « En moyenne, dans les pays de l’OCDE, 25% des garçons et 24% des filles ont indiqué qu’ils envisageaient d’exercer une profession scientifique. Toutefois, les disciplines scientifiques que les élèves privilégient varient entre les sexes : les filles aspirent plus à exercer une profession en rapport avec la santé, tandis que, dans la quasi-totalité des pays, les garçons s’imaginent plutôt informaticiens, scientifiques ou ingénieurs ». (OCDE, 2015, p. 4) au vu de cet état des lieux qui perdure en matière de « genre des disciplines scolaires », qu’en est-il des questions de changement ? Notre étude porte sur les représentations en images des scientifiques à travers les dessins d’élèves et l’impact de l’utilisation ou non de références de type masculin générique, féminine et inclusive dans les consignes verbales données aux élèves. Autrement dit, elle vise à investiguer la question importante de l’évolution du rapport genré aux disciplines scientifiques par l’utilisation de formulations plus ou moins neutres.
2Ainsi que le souligne Perronnet (2018), les différences sexuées sont saillantes lorsque des choix disciplinaires sont possibles par les élèves. On observe ce phénomène à l’échelle mondiale, que l’on peut résumer par une dichotomie entre les élèves filles et garçons selon deux grands champs disciplinaires : les lettres et langues vs les STEM (Høgheim et Reber, 2019 ; Plante, O’Keefe, Aronson, Fréchette-Simard et Goulet, 2019). Cela a des conséquences en termes de réussite scolaire, puisque les garçons ont de meilleurs résultats que les filles dans la moitié des pays selon les enquêtes (PISA, 2012 ; 2015).
- 1 En 2005 les dénominations étaient Sciences et Technologie de l’Ingénieur (STI) et Sciences Médicoso (...)
3En France, les données officielles en termes d’orientations scolaires sont publiées tous les ans par le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (MEN), sous l’intitulé « Filles et garçons sur le chemin de l’égalité de l’école à l’enseignement supérieur ». Cette formulation indique par là même que l’égalité n’est toujours pas de mise. Ces données statistiques offrent une illustration des choix et des parcours scolaires, éclairés par la catégorie de sexe des élèves. Les choix différenciés à l’adolescence sont particulièrement décisifs au palier d’orientation post Troisième pour les choix d’orientation scolaire et professionnelle futurs (Vouillot, 2017). Pour la rentrée 2017 (MEN, 2019) filles et garçons ont un niveau scolaire en mathématiques identique en début de collège, mais on note un écart dans la maîtrise de la langue en faveur des filles. Suite aux choix d’orientation en collège puis de filières, on observe dans les séries les plus polarisantes (en lycée général Littéraire vs Sciences ; en lycée technologique Sciences et Technologie de l’Ingénieur (STI) vs Sciences Médico-sociales (SMS)1), que la part des filles en Terminal Littéraire en 2017 est de 80% et de 48% en Scientifique. Si l’on se réfère à l’année 2005 (MEN, 2007), les filles étaient déjà 80% en Littéraire et 45% en Scientifique. Dans les filières technologiques, elles étaient en 2005 comme en 2017 10% en STI2D et 95% en ST2S en 2005 contre 87% en 2017.
4Un phénomène d’association entre ce que représentent les disciplines puis les choix de métiers, semble à l’œuvre, au regard du peu d’évolution dans ces options, qui supplantent les réussites académiques. Ces observations rattachant les sciences au masculin et les lettres au féminin se déclinent dès le collège, ainsi que le montre l’étude de Stevanovic, Grousson et de Saint-albin (2016), en lien avec le développement d’un programme de sensibilisation des métiers auprès de plus de 2000 élèves de Quatrième et de Troisième. À la question « Quel métier voudrais-tu faire plus tard ? », avant l’expérimentation, les auteures précisent :
- 2 Les autres catégories de métiers ne sont pas précisées.
« Les réponses des filles sont très concentrées, avec plus de 50% dans trois domaines seulement : Santé, Enfance et Métiers de la mode-esthétique ». Cette proportion est de 30 % chez les garçons en « Informatique et jeux-vidéo, « Automobile, avion et espace » et « santé » (p. 103)2.
5Elles soulignent une différence significative entre les réponses des filles et celles des garçons : les garçons ont une vision plus stéréotypée des métiers que les filles. Elles notent également davantage de flexibilité de la part des filles après ce programme d’intervention, qui évaluent proportionnellement plus les métiers comme mixtes que leurs camarades garçons.
6À la fin de l’école élémentaire, les enquêtes PISA et Trends in International Mathematics and Science Study (TIMSS) réalisées en classe de CM2, indiquent que les filles réussissent mieux en français, alors que les garçons réussissent mieux en sciences. Plus précisément, les filles révèlent une plus grande anxiété et un plus grand manque de confiance envers les mathématiques et les sciences (Mullis, Martin, Foy, & Arora, 2012 ; OCDE 2014, 2015). Perronnet (2018) dans son étude auprès d’élèves d’école primaire et de collège montre par le biais d’entretiens individuels une conception majoritaire des sciences comme étant à la fois masculine et élitiste. L’auteure précise également que les contenus des loisirs scientifiques pèsent dans l’élaboration des représentations des enfants, mais qu’ils peuvent aussi contribuer à faire évoluer leur perception des sciences et des métiers associés. En effet, de nombreux travaux soulignent le rôle de la socialisation différenciée et des médias au sens large, dans ces rapports genrés à la science et aux disciplines scientifiques (Dafflon-Novelle, 2006 ; Detrez, 2005 ; Morin-Messabel, 2013) : jouets, albums de jeunesse, publicités, etc. Parmi les travaux répertoriés dans ces ouvrages, les images véhiculées jouent un rôle dans la reproduction des logiques de genre du point de vue éducatif.
7Notre recherche s’intéresse donc à l’école primaire et aux représentations associant disciplines scolaires et stéréotypes des élèves de manière à saisir la précocité de ces constructions stéréotypées.
- 3 « [a] stereotypical image of a scientist as an old Caucasian male with wild hair wearing glasses an (...)
- 4 Les listes ou images de résultats sont classées grâce à des algorithmes afin de répondre de la mani (...)
8Depuis les années 50, le test nommé The Draw-A-Scientist Test (Chambers, 1983) puis Draw A Scientist (Finson, 2002) permet de mesurer les représentations attachées à la figure prototypique « du scientifique ». LafosseMarin (2010) propose une revue de littérature très détaillée des recherches internationales sur le sujet. Elle souligne la grande stabilité des représentations associant le masculin et les sciences, au-delà des consignes, variables en formulation selon les études. Cette stabilité est également démontrée par une recherche interculturelle de Lannes, Flavoni, De Meis en 1998 (cité par Lafosse-Marin, 2010, p. 62-63) comprenant des élèves de primaire, de collèges, ainsi que des enseignant·e·s et des scientifiques, aux États-Unis, en France, en Italie, au Mexique, au Chili, en Inde et au Nigeria. Comme le résume Miele (2014) l’iconographie partagée est la suivante : « [une] image stéréotypée d’un scientifique comme un homme âgé caucasien avec des cheveux en bataille, portant des lunettes, une blouse de laborantin et travaillant seul dans un laboratoire »3 (p. 36), assez similaire aux photos d’Einstein. Cette image prototypique est ancrée dans les représentations de sens commun. Lorsque l’on réalise une recherche sur le moteur de recherche « google » (avril 2019), la première image référencée aux mots clefs « scientifique » et « image » en français est le dessin d’un homme aux cheveux blancs, en blouse blanche, avec des lunettes (voir la Figure 1)4.
Figure 1 : Première imagine apparaissant dans « google image » pour les mots « scientifique dessin » (recherche réalisée en avril 2019)
First imagine appearing in “google images” for the words “scientist drawing” (research conducted in April 2019)
9Comme l’explique Martikainen (2019) dans son étude sur les représentations associées à l’enseignant·e-type, les conventions culturelles concernant l’aspect visuel et le comportement des personnes peuvent être conceptualisées sous forme d’ordres visuels. Il précise que les vêtements, les outils de travail et d’autres objets du lieu de travail, par exemple, deviennent des représentations visuelles des professions et de leurs praticien·ne·s. Toujours selon Martikainen (2019), l’imagerie constitue un élément central du sens commun.
10Méthodologiquement, l’iconographie est envisagée comme une source d’activation des représentations sociales et comme un médium ou vecteur de transmission d’anciennes ou de nouvelles représentations sociales (De Rosa et Farr, 2001). Les images reflètent et reproduisent des représentations sociales, ainsi que le précise Hedenus (2016, p. 5) :
- 5 « Occupations are surrounded with strong stereotypical beliefs about what people, what kinds of bod (...)
« Les professions sont définies par de forts stéréotypes portés sur les personnes, sur leur physique pour réaliser certains emplois. On reconnait en particulier ce qui constitue un métier typiquement féminin ou masculin, mais on peut aussi trouver des exemples de la façon dont les tâches professionnelles et les emplois sont racialisés ou associés au corps selon les âges et les capacités.5 »
11En d’autres termes, interroger par le dessin les enfants est un moyen d’accéder aux contenus associés à la figure prototypique « scientifique » (par le corps, les vêtements, les outils de travail…) et les effets de la variation lexicale sur ces contenus genrés.
12Au-delà des images, des figures et des dessins, qui seraient à considérer comme un langage iconique, le langage linguistique est aussi porteur et transmetteur de représentations, particulièrement dans le cas de la langue française.
13Le français connaît en effet deux genres grammaticaux dits « masculin » et « féminin », termes qui invitent à calquer cette distinction sur-opérée entre les hommes et les femmes et sur la différenciation sémantique entre les significations des mots « masculin » et « féminin », « mâle » et « femelle », etc. (Chevalier, 2016, p. 16).
- 6 Questionner le Monde, CE2, aux Éditions Hatier (2017) et quelques exemples de sites relayant le déb (...)
14Ce sujet est loin d’être anodin, comme on a pu le constater suite à la publication du premier manuel scolaire en écriture inclusive en français en 2017 et les débats médiatiques que cela a suscité6. Ainsi que le résumaient déjà Chatard, Guimond et Martinot (2005), on observe en France une intériorisation précoce de « l’arbitraire de la langue qui veut que l’homme (avec un grand H) soit une référence générique qui englobe les femmes » (p. 252). Cette notion de « genre grammatical » est actuellement discutée, notamment au travers des manuels scolaires (Chevalier, 2016 ; Meshoub-Manière, 2016) dans une perspective historique et internationale (Chevalier, Constantin de Chanay, & Gardelle, 2017 ; Viennot, 2014) au sujet de la forme écrite. L’adoption de la féminisation des noms de métiers et de fonctions par l’académie française (Séance du 28 février 2019) illustre également la vigueur, l’actualité ainsi que les évolutions relatives à la linguistique française.
15Cependant, nombre de recherches, notamment dans le champ de la psychologie, pointent depuis des décennies les effets d’attentes provoqués par la mobilisation du masculin générique, à l’oral comme à l’écrit, chez les enfants et les adultes en langue anglaise (Fisk, 1985 ; Gastil, 1990 ; Hamilton, 1988 ; Schau et Scott, 1984). Si les effets des formes masculines véhiculées par les pronoms ou encore les métiers peuvent sembler anecdotiques, les effets d’association sont pourtant réels. Par exemple, la recherche menée par Bem et Bem (1973) a montré que les femmes ont tendance à moins postuler à des emplois lorsque la formulation choisie est masculine. De même, Briere et Lanktree (1983) ont démontré une baisse d’attractivité pour le métier de psychologue chez les étudiantes après avoir lu le code de déontologie des psychologues (au masculin). En ce sens, et en langue française, Pichevin et Hurtig (1999, citées par Chatard, Guimond, & Martinot, 2005) montrent qu’il existe une attente du masculin pour de hautes fonctions. En effet, le générique masculin active préférentiellement des représentations masculines, ainsi que l’illustrent Brauer et Landry (2008) dans leur article intitulé Un ministre peut-il tomber enceinte ? Ils observent également dans leurs études qu’une formulation générique épicène tend à activer plus de représentations féminines, tout comme l’utilisation de « personne » plutôt que « individu ».
16La question des représentations et le sex-typing des domaines, renforcés par les spécificités d’une langue, ont donc des effets. Il reste par ailleurs à développer des recherches en psychologie sociale concernant l’effet de l’écriture inclusive sur la représentation des métiers, sur les stéréotypes et le sentiment de compétences. Déjà en 1991, Marro et Vouillot, ont mis en évidence chez des collégiens et collégiennes que le choix d’orientation s’opère par un appariement image de soi et image prototype du métier scientifique. Plus précisément, elles ont montré que les filles qui avaient un projet scientifique ne présentaient pas cet appariement image de soi/image prototype du métier scientifique contrairement aux garçons. La recherche menée par Chatard, Guimond et Martinot (2005), également auprès de collégiens et collégiennes, démontre la corrélation entre le genre grammatical d’un métier et l’auto-efficacité de ces derniers et dernières. Ils ont proposé à des élèves de troisième d’évaluer leur degré de confiance quant à leur réussite dans certains types d’études, en faisant varier le masculin, le neutre et une formulation épicène. Les résultats montrent une atténuation de la représentation masculine dominante, mais aussi d’un sentiment d’auto-efficacité plus important lorsque les professions sont présentées avec la marque du genre grammatical féminin plutôt que masculin, d’autant plus lorsqu’il s’agit de métiers contre-stéréotypés. Chez les garçons, le genre grammatical féminin a un effet lorsqu’il s’agit de métiers féminins, mais pas masculins.
17En perspective de ces recherches et à la suite de l’étude menée par Lafosse-Marin (2010), nous avons souhaité étudier les représentations prototypiques associées au « scientifique » par l’intermédiaire du langage iconique auprès d’élèves de primaire, selon quatre variations lexicales : avec l’utilisation du masculin générique, en demandant aux élèves de dessiner un scientifique ; avec l’utilisation du féminin générique, qui pourrait être associé à une situation contre-stéréotypée, en donnant la consigne « dessine une scientifique ; et avec l’utilisation de deux formulations non discriminantes, l’une générique épicène « dessine une personne scientifique » ; et l’autre au pluriel (en référence aux études qui montrent que le pluriel tend à neutraliser le genre, Sato, Gabriel et Gygax, 2017), et la consigne « dessine des personnes scientifiques ».
18Ainsi nous formulons un certain nombre d’hypothèses exploratoires que nous allons étudier à partir de données descriptives :
-
Toutes conditions confondues, nous nous attendons à ce qu’émerge majoritairement la figure prototypique d’un homme chimiste en laboratoire (en lien avec les recherches Draw a scientist)
-
Dans la condition « un scientifique », nous nous attendons à ce que les dessins produits représentent majoritairement des hommes, et particulièrement des chimistes chez les élèves.
-
Dans la condition « une scientifique », nous pouvons nous attendre à ce que les dessins produits soient majoritairement des femmes.
-
Dans la condition « une personne scientifique », nous attendons majoritairement une autoattribution selon le sexe de l’élève.
-
Dans la condition « des personnes scientifiques », nous attendons une plus grande mixité des personnages représentés, puisqu’en référence à plusieurs personnages.
19199 élèves de cycle 3, du CE1 au CM2 (101 garçons et 98 filles), d’écoles primaires d’une ville moyenne aux caractéristiques sociodémographiques homogènes, ont été interrogé·e·s (voir Tableau 1). On constate un relativement bon équilibre entre les nombres de filles et de garçons au sein des quatre conditions, sauf pour la condition « une personne scientifique » qui comporte 8 garçons de plus que de filles.
Tableau 1 : Effectifs des consignes par sexe
Table 1: Number of students by instructions, regarding gender
Consigne
|
Fille
|
Garçon
|
Total
|
Un scientifique
|
20
|
19
|
39
|
Des scientifiques
|
35
|
34
|
69
|
Une personne scientifique
|
19
|
27
|
46
|
Une scientifique
|
24
|
21
|
45
|
|
98
|
101
|
199
|
20Cette étude entrait dans le cadre d’une Formation Continue des enseignant·e·s. Le protocole a été présenté aux enseignant·e·s comme un outil médiateur, en vue d’introduire ensuite des activités et débats sur les thèmes des sciences et des métiers en école élémentaire.
- 7 Étant donné le mode de passation (en contexte classe, par les enseignant·e·s), il n’a pas été possi (...)
21Les enseignant·e·s habituel·le·s présentaient l’activité aux élèves (une consigne unique par classe et deux classes par condition de variation une à double niveau, soit neuf classes), selon les quatre conditions. Le temps, la taille du document pour les dessins et les couleurs ont été laissés à l’appréciation de l’enseignant·e, ce qui peut, dans certaines conditions, amener à quelques disparités dans la réalisation des dessins et leur analyse, nous y reviendrons. Les élèves devaient ensuite inscrire au dos du dessin leur prénom et leur classe7. Ensuite, selon l’âge des élèves, et selon le projet de l’enseignant·e, d’autres activités autour des métiers et des sciences étaient proposées.
22Dans un premier temps 46% du corpus a été analysé par deux codeur·euse·s (une seule des deux personnes avait connaissance des hypothèses), avec comme support la grille élaborée par Lafosse-Marin (2010). Ce double codage de la moitié du corpus a permis de réduire la grille d’analyse aux catégories communes (voir Tableau 2).
Tableau 2 : Grille d’analyse des dessins produits
Table 2: Analysis grid of the drawings produced
Thématique des métiers
|
Chimie/laboratoire, médecine, électricité, biologie/SVT, pharmacie, mathématiques, astronomie, géologie, archéologie, botanique, informatique, autre, nsp
|
Tenue, accessoires
|
Blouse, badge, gants, combinaison, masque, pantalon, chemise, poche, ceinture, chapeau/casque, jupe/robe, bottes, stylo, sac à dos, lunettes, barbe, cheveux, autres, nsp
|
Attitude
|
Assis·e, debout, sans expression, rire/sourire
|
Contexte
|
Intérieur, extérieur, dehors, en cabinet
|
Symboles de recherche
|
Verrerie, os, médicaments, animaux, livre/ feuille/ bibliothèque, fumée, plantes/ herbes, chiffres/ opérations, diplômes/ tableau/ schéma, mallette/ sac, cartable, thermomètre/ microscope, tuyaux, étoile/ lune/ planète
|
23Dans un second temps, l’ensemble des 199 dessins a été analysé avec la grille ajustée en simultané par les codeur·euse·s. au regard des informations relatives aux élèves (sexe et classe) et au nombre peu élevé d’élèves par consigne, nous avons procédé à une analyse portant sur les grandes thématiques à partir de pourcentages. Nous avons dissocié les métiers ainsi que le nombre d’hommes et de femmes représenté·e·s. Ces données recueillies sont simples, mais nous permettent cependant d’avoir une répartition assez claire des associations entre consignes genrées ou non et type de dessins.
24L’analyse globale du corpus (avec les 4 consignes) met en évidence que dans 74,6% des cas, le thème de la chimie est représenté, ce qui est une récurrence observée dans les recherches interculturelles (voir Lafosse-Marin, 2010). On trouve ensuite la biologie (10%), la géologie (7%), les mathématiques (5%), l’astronomie (5%) :
Figure 2 : Représentations des champs d’intervention en sciences des 199 dessins, toutes consignes confondues.
Action fields representations of sciences of 199 drawings, all instructions combined.
25Assez logiquement au regard de la sur-représentation du scientifique type « petit chimiste » dans 73,5% des cas il est représenté avec des tubes à essai, un bec Bunsen, des tuyaux, des bulles, etc. De fait, il travaille dans un laboratoire, en contexte clos. En termes attitudinaux, il est souriant dans 80% des cas et a des lunettes dans 60% des cas.
26Dans la condition « un scientifique », nous nous attendions à ce que les dessins produits représentent majoritairement des hommes, et particulièrement des chimistes. Les résultats montrent qu’il s’agit significativement d’un homme, et cela, quel que soit le sexe des sujets, dans 82% des cas. Plus précisément chez les filles, il s’agit d’un homme dans 72,7% des cas. Ce pourcentage atteint 95,2% chez les garçons. Le scientifique est dessiné souriant dans 80% des cas pour les filles et les garçons et on retrouve les tubes à essai et autres accessoires symbolisant plutôt le laboratoire, la chimie, la physique.
Figure 3 : Pourcentage de dessins d’hommes et de femmes scientifiques dans le cas de la consigne « dessine un scientifique », selon le sexe de l’élève, p-valeur = 0.0485 (ND pour « non déterminé »).
Percentage of men and women scientists drawings in the case of “draw a scientist” instruction, by sex of the student, p-value = 0.0485 (ND for “not determined”).
27Par ailleurs, aucun garçon n’a dessiné de femme scientifique, tandis que les filles ont été 22,7% à dessiner une femme. Le test de Fisher effectué sur ces données permet d’accepter l’hypothèse selon laquelle il existe donc un lien entre le sexe des élèves et le sexe du personnage dessiné (p = 0,049).
28Dans la condition « une scientifique », nous nous attendions à ce que les dessins produits soient majoritairement des femmes scientifiques.
29Dans cette condition avec pour consigne « dessine une scientifique », la moitié des élèves garçons (52,4%) et les trois-quarts (76%) des élèves filles dessinent une femme scientifique. La différence n’est pas significative : (p = 0,135).
Figure 4 : Pourcentage de dessins d’hommes et de femmes scientifiques dans le cas de la consigne « dessine une scientifique », selon le sexe de l’élève, p-valeur = 0,1351 (ND pour « non déterminé »).
Percentage of men and women scientists drawings in the case of “draw a scientist” (feminine form) instruction, by sex of the student, p-value = 0,1351 (ND for “not determined”).
30La thématique laboratoire/chimie est toujours majoritairement représentée (pour les filles 79% des dessins, pour les garçons 66,7%). Du point de vue du graphisme, « une scientifique » (pour les garçons comme pour les filles) se distingue par le port d’une robe et des cheveux longs. Si elle n’est pas chimiste, en laboratoire, il s’agit alors d’une personne à l’extérieur, géologue, archéologue… en contact avec les pierres, les os, et/ou les plantes, la nature.
31Dans la condition « une personne scientifique », nous attendions majoritairement une autoattribution selon le sexe de l’élève.
Figure 5 : Pourcentage de dessins d’hommes et de femmes scientifiques dans le cas de la consigne « dessine une personne scientifique », selon le sexe de l’élève, p-valeur = 0,008 (ND pour « non déterminé »).
Percentage of men and women scientists drawings in the case of “draw a scientist person” instruction, by sex of the student, p-value = 0,008 (ND for “not determined”)
32À la consigne « dessine une personne scientifique » (figure 4), dans 82,8% des cas les élèves garçons dessinent un homme, alors que 50% des élèves filles dessinent une femme et 40% dessinent un homme. Le laboratoire/ chimie est toujours le thème dominant (78% des cas chez les filles et 74% des cas pour les garçons).
33Le test de Fisher effectué sur ces données permet de déduire qu’il existe un lien entre le sexe du personnage et le sexe de l’élève qui dessine (p = 0,005).
34Dans la condition « des personnes scientifiques », nous attendions une plus grande mixité des personnages représentés, puisqu’en référence à plusieurs personnages.
Figure 6 : Pourcentage de dessins d’hommes et de femmes scientifiques dans le cas de la consigne « dessine des personnes scientifiques », selon le sexe de l’élève, p-valeur < 0,001 (ND pour « non déterminé »).
Percentage of men and women scientists drawings in the case of “draw scientists” instruction, by sex of the student, p-value < 0,001 (ND for “not determined”).
35Dans cette condition « dessine des personnes scientifiques » (figure 5), les résultats montrent un équilibre des personnages féminins/masculins chez les filles avec 43,8% d’hommes et 53,9% de femmes et un déséquilibre chez les garçons, avec 70,9% d’hommes et 15,1% de femmes. Le test du chi-deux permet de déduire l’existence d’un lien entre le sexe des personnages dessinés et le sexe de l’élève qui dessine (p < 0,001).
36C’est dans cette même condition que l’on distingue la plus grande variabilité des dessins (figure 6).
Figure 7 : Pourcentage de dessins d’hommes, de femmes et d’hommes et de femmes scientifiques dans le cas de la consigne « dessine des personnes scientifiques », selon le sexe de l’élève, p-valeur < 0,001.
Percentage of men, women and men and women scientists drawings in the case of “draw scientists” instruction, by sex of the student, p-value < 0,001
3726,7% des garçons « respectent » la consigne, avec un couple ou plusieurs scientifiques dessinés (où numériquement sont représentés plus d’hommes). Dans le cas des filles, elles sont 73,5% à « respecter » la consigne, en dessinant un couple ou un groupe d’hommes et de femmes avec numériquement plus de femmes. Le test de Fisher permet de déduire qu’en proportion, les filles sont plus nombreuses que les garçons à utiliser des représentations mixtes de scientifiques pour la consigne « des personnes scientifiques » (p < 0,001).
38Le laboratoire, la chimie, sont là encore sur-représentés (plus de 65% des dessins). Cependant, on note que les thèmes de la géologie, les fouilles, plus largement des scientifiques en extérieur, apparaissent lorsque des scientifiques femmes sont représentées.
39Cette étude exploratoire avait pour objectif de mettre en lumière les effets de la langue en contexte scolaire sur les représentations d’élèves en élémentaire quant à la figure prototypique associée « au scientifique ». Nous avons adapté le test classique Draw A Scientist (Chambers, 1983), en proposant différentes modalités de consignes, afin d’observer les effets possibles, au travers de dessins d’élèves, de l’utilisation ou non d’une référence épicène sur les représentations associées aux scientifiques. Les recherches, qu’elles soient anglophones ou francophones (Miller et al, 2018 ; Lafosse-Marin, 2010) illustrent une prégnance de représentations stéréotypées chez les élèves, notamment en élémentaire.
40Au regard de nos hypothèses exploratoires, les résultats descriptifs obtenus nous montrent que majoritairement les élèves dessinent des personnages masculins, particulièrement des chimistes, dans la condition « un scientifique ». Dans la condition « une scientifique », les dessins produits sont majoritairement (mais pas systématiquement) des scientifiques femmes, et ce particulièrement chez les filles. Dans la condition « une personne scientifique », nous obtenons majoritairement une autoattribution selon le sexe de l’élève, et ce d’une manière plus marquée chez les garçons. Enfin, dans la condition « des personnes scientifiques », nous obtenons une plus grande mixité des personnages représentés, et ce particulièrement chez les élèves filles.
41Nous nous attendions, au regard de la littérature scientifique sur le sujet et de la prégnance des stéréotypes associant masculin/scientifique, à ce qu’émerge des représentations iconiques de la figure prototype d’un homme chimiste, en laboratoire, entouré de tubes à essai. Nous avons pu observer également que sur les 199 dessins produits par les élèves, toutes modalités de variables confondues, les élèves dessinent un homme seul dans presque la moitié des cas et des éléments (vêtements, objets) typiques de la chimie. Cela confirme donc bien l’ancrage de cette figure prototype du scientifique dans un champ des sciences plutôt restreint et peu représentatif de la diversité des métiers scientifiques, ni de leur quotidien scolaire. En effet, comme le souligne Lafosse-Marin (2010), il est intéressant de noter que la « chimie » n’est pas dans les programmes scolaires de l’école élémentaire en France, ce qui l’amène à penser que : « Leur représentation de la chimie s’est donc construite en dehors de l’école. » (p. 135). En ce sens, la méta-analyse de Miller, Nolla, Eagly et Uttal (2018) portant sur 78 études aux États-Unis réalisées avec le test Draw A Scientist met en évidence que pendant l’école élémentaire puis le collège, la tendance à dessiner des hommes scientifiques augmente. Ils mettent ces résultats en lien avec l’exposition des enfants et des adolescent·e·s à une figure archétypale.
42Cependant, il est intéressant de relever un certain nombre de variations, notamment le peu de dessins représentant un homme âgé en blouse, les cheveux en bataille, assez proche des photos d’Einstein dans l’imaginaire collectif, contrairement aux différentes recherches menées depuis 50 ans (Lafosse-Marin, 2010 ; Miele, 2014).
43Il émerge dans les productions iconographiques d’autres formes de représentations que celle « du chimiste homme en laboratoire avec des lunettes », par exemple, et surtout dans la consigne « dessine une scientifique », une scientifique femme en extérieure, dans la nature, en robe. Cette observation engage à s’interroger quant aux modèles de femmes scientifiques à disposition des enfants. Il s’agit plus largement d’interroger la diversité des figures scientifiques au regard du genre via la littérature de jeunesse sous ses différentes formes (Détrez, 2005 ; Détrez & Piluso, 2014 ; Perronet, 2017), les séries et films (Dudo, Brossard, Shanahan, Scheufele, Morgan et Signorielli, 2010 ; Flicker, 2003), ou encore dans le champ scolaire les manuels (Brugeilles et Cromer, 2011).
44Nous souhaitions, au travers de différentes propositions de consigne, observer si les effets d’attentes provoqués par la mobilisation du masculin générique (« un scientifique ») pouvaient être modifiés, en vue d’ouvrir le champ des possibles en termes de représentations prototypiques des scientifiques. Dans le contexte « Dessine un scientifique », l’occurrence de dessins d’hommes est assez proche de l’étude de Miller et al. (2018), où 27% de femmes sont dessinées (avec la nuance linguistique en anglais et la non-dissociation fille-garçon dans leur recherche). Ces résultats peuvent être interprétés comme un effet du « masculin neutre » qui est la norme masculine induite par le genre grammatical, ainsi qu’un biais d’autoattribution que l’on observe plus particulièrement chez les garçons. En effet, toujours selon Miller et al. (2018), 73% des dessins de scientifiques représentent des hommes, plus particulièrement chez les garçons. Ils soulignent un effet de l’âge, autrement dit plus les élèves sont âgé·e·s plus les dessins d’hommes scientifiques sont nombreux, mais également une augmentation des représentations de femmes scientifiques au fil du temps. Cette évolution est mise en lien avec l’augmentation de femmes dans les domaines scientifiques.
45Concernant la consigne « dessine une scientifique », la moitié des garçons dessine un personnage masculin, ce qui peut être entendu comme une transgression des stéréotypes plus complexe pour eux (Devif et al., 2018 ; Tostain et Lebreuilly, 2006). Cependant, ce type de consigne semble offrir aux filles l’opportunité d’exprimer des représentations plus diversifiées de métiers scientifiques, car cela peut correspondre à une sorte de modèle linguistique (la féminisation rend active l’existence d’un possible).
46Avec la formulation générique épicène « dessine une personne scientifique », on observe encore un système d’autoattribution de la part des garçons et plus de mixité du sexe des personnages chez les filles. Cependant, cette autoattribution « genrée » est moins prononcée que dans la condition « un scientifique » chez les garçons, ce qui justifie l’utilisation de la forme épicène auprès des élèves.
47La formulation épicène plurielle (« dessine des personnes scientifiques ») tend à neutraliser le genre (Sato, Gabriel et Gygax, 2017). Cette consigne « dessine des personnes scientifiques » amène en effet les élèves, et notamment les filles à plus de mixité et d’hétéroattributions. Cette condition permet de mieux imaginer, projeter une image du féminin dans un métier scientifique, et ouvre surtout à une plus grande diversité des images des scientifiques comme groupes mixtes. Ainsi que le souligne Gastil (1990), si le pluriel épicène fonctionne comme un pronom générique auprès d’étudiantes et d’étudiants, les hommes ont toujours plus tendance à mobiliser un système d’autoattribution. Comme pour la recherche de Gastil (1990) où le pluriel générique semblait avoir un moindre impact de mixité chez les hommes, nous observons également un plus faible effet de mixité chez les élèves garçons.
48Ce que nous retiendrons surtout, c’est que la présentation de variations dans la formulation « du scientifique » entraine bien des variations dans les dessins selon que l’on est un ou une élève. La formulation « dessine une scientifique », que l’on pourrait considérer être contre-stéréotypée, augmente sensiblement les dessins de femmes scientifiques, pour les élèves garçons comme filles, tandis que la formulation « une personne scientifique » pour les garçons et « des personnes scientifiques » pour les filles permettent l’expression de représentations moins prototypiques et genrées : les dessins sont plus hétérogènes en termes de disciplines représentées et plus mixtes au niveau des personnages.
49Notre objectif d’étude était (et dans une perspective de changement) de tester l’utilisation des formes épicènes et neutres sur « l’élargissement du champ des possibles », l’imaginaire iconique rattaché à la figure « du scientifique » est en lien avec la socialisation genrée des sciences. Nos résultats montrent l’effet des formes épicènes (notamment la forme plurielle) sur les représentations des élèves, formulations susceptibles d’activer des dessins plus diversifiés. La consigne avec le genre grammatical féminin « dessine une scientifique » permet également d’activer l’existence même d’un « possible-modèle », particulièrement chez les élèves filles. Si les conséquences de l’utilisation de formes épicènes et inclusives montrent des activations représentationnelles plus diversifiées, on peut alors penser que la mobilisation par les enseignant·e·s de ce type de formulation non discriminante pourrait produire à plus long terme des choix d’orientation moins rigides, par l’exposition régulière via le langage de modèles possibles, notamment chez les filles.
50Ces résultats ne doivent cependant pas conduire à omettre ou à minimiser la dimension de variation intragroupe, c’est-à-dire le fait que des garçons, eux aussi ont, pour une partie, dessiné des femmes en condition « une scientifique », ainsi que des hommes et des femmes en condition plurielle. Du point de vue méthodologique, ainsi que nous l’avons souligné, il aurait été important d’interroger les élèves sur leurs dessins et enregistrer leurs explications. Dans le cas de dessins « plus à la marge », de la part des filles comme des garçons, les explications de la compréhension et du raisonnement conduisant à ces dessins permettraient de saisir plus finement les phénomènes d’activation ou non selon les différentes conditions.
51Ces données confortent, à notre sens, la nécessité de penser et proposer des énonciations épicènes et des formulations « inclusives » de la part des enseignant·e·s, et ce tout au long de la scolarité des élèves. Il semble possible de limiter les associations prototypiques masculin/sciences qui prennent appui sur des connaissances stéréotypées en utilisant d’une part un langage non discriminant et d’autre part en proposant des images dans les médias et les supports pédagogiques plus variés et représentatifs de la réalité sociale et professionnelles des élèves. Ceci est vrai également pour les supports ludiques (Morin-Messabel et al., 2016). La question des médias, tels que les livres de jeunesse, les dessins animés, les jouets ou les manuels scolaires avant, pendant et après l’école élémentaire, sont aussi des sources intéressantes de diversification des informations à disposition des enseignant·e·s, pour conduire les enfants à construire leurs représentations. Enfin, la question des modèles d’identification en image et dans les médias est également posée et à approfondir.