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Vœux d’orientation vers l’enseignement supérieur. Propos d’élèves de l’enseignement agricole confrontés aux avis de leur lycée

Guidance’ wishes towards higher education. Comments from agricultural education students confronted with the judgements of their high school
Julie Blanc, Audrey Murillo and Hélène Veyrac
p. 263-285

Abstracts

At the end of secondary school, most of the wishes of students for orientation towards French higher education are the subject of judgements of teachers and headteachers.

What are students thinking about these judgements which are decisive for their orientation? At the time of discovering these judgements, on the “sheet for future”, what meanings do pupils give to these judgements and how do they interpret them? Twenty-five pupils in their final year of technological education in three French secondary schools were confronted with their “sheet for future”, during individual interviews. It appears that the pupils are not familiar with the content of this sheet and the criteria it evaluates. They comment on it from the angle of their lack of understanding of the criteria, the lack of credit they give it, their feeling of being unfairly overvalued, and their disappointment. This is to be seen in parallel with a lack of knowledge of the workings of selection in higher education.

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Full text

Introduction

1Le processus d’orientation des élèves du secondaire vers l’enseignement supérieur a souvent été étudié sous l’angle des inégalités sociales, scolaires et inégalités d’accès aux formations universitaires (Duru-Bellat & Kieffer, 2008), notamment en examinant les choix d’orientation effectués par de futurs bacheliers (Lemêtre & orange, 2017 ; orange, 2012). Il a été montré que le rôle des établissements du secondaire dans ces inégalités d’accès n’est pas insignifiant : il se joue via un processus conscient ou non conscient de canalisation des aspirations par les équipes chargées d’accompagner le projet d’orientation des élèves (Van Zanten, 2015). Ces procédures d’orientation et les politiques en lien, effectuées d’un établissement à un autre, n’apparaissent pas toujours visibles et explicites pour les jeunes et leur famille (Guichard, 2006). Par ailleurs, certaines recherches analysent finement les systèmes d’affectation pour en montrer non seulement des différences d’accès spatiales, territoriales mais aussi et par voie de conséquence, les injustices ressenties par les étudiants (Frouillou, 2016). Ce faisant, ces travaux révèlent inévitablement que le système d’affectation même est intrinsèquement inégalitaire, car sa maîtrise exige des compétences « inégalement distribuées selon la position sociale des élèves » (Frouillou, 2016, p. 21).

2Dans le prolongement d’études portant sur le travail des équipes autour de l’orientation des élèves (Masson, 1994 ; Métral, 2018) et de travaux sur les systèmes d’affectation dans l’enseignement supérieur français (notamment Frouillou, et al., 2019), notre réflexion s’actualise dans le contexte de l’année de lancement en 2018 de la plateforme Parcoursup qui succède à la procédure Admission Post Bac.

La plateforme Parcoursup : nouveau dispositif de transition entre le secondaire et le supérieur

3Concrètement, Parcoursup se matérialise par une plateforme en ligne dont la procédure se déroule selon la chronologie suivante : durant l’année de terminale, les élèves effectuent un certain nombre de vœux de poursuite d’études (jusqu’à dix). Les lycées, par la suite, émettent un avis sur une « fiche avenir » pour chaque vœu effectué par l’élève. Ces fiches après ajustements en lien avec une politique nationale d’orientation (augmenter les chances d’accès à l’enseignement supérieur de futurs étudiants boursiers, de certains bacheliers professionnels, etc.) sont in fine examinées par les formations de l’enseignement supérieur pour classer les candidatures.

4La fiche avenir, au sens générique, constitue un outil intercalaire central dans le dispositif Parcoursup qui n’était pas présent dans le dispositif précédent (APB). Elle est composée de données concernant l’élève et d’un ensemble de jugements scolaires et d’avis relatifs aux vœux d’orientation, émis par les enseignants, le professeur principal et le chef d’établissement. Cette fiche est destinée principalement aux formations de l’enseignement supérieur à des fins de classement des élèves, avec la particularité qu’elle est visible et accessible aux élèves sur la plateforme à partir du moment où les élèves commencent à recevoir les réponses de l’enseignement supérieur. En d’autres termes, cette fiche, conçue dans un continuum, s’intercale entre un cursus secondaire (qu’elle ponctue) et un cursus d’enseignement supérieur.

  • 1 Loi du 8 mars 2018 relative à l’Orientation et à la Réussite des Étudiants (ORE)

5Elle est, selon le responsable de Parcoursup au MESRI (cité dans Frouillou et al., 2020, p. 346), « génétiquement un produit de la transition entre le “Sco” et le “Sup” », porteuse dans le même temps d’éléments d’évaluations diagnostiques et surtout pronostiques de l’élève. En effet à l’instar de Bodin et Orange (2019), « la loi ORE1 et le dispositif Parcoursup rendent systématique le pilotage des orientations par les performances estimées » (Frouillou et al., 2019, p. 218).

6Pour une description plus précise, la fiche avenir se décompose en trois parties distinctes :

  • La première rassemble les appréciations des professeurs par discipline en reprenant les moyennes des notes des bulletins des premier et deuxième trimestres de l’année de terminale.

  • La deuxième est renseignée par le professeur principal et comporte plusieurs avis « à cocher » (« méthode de travail », « autonomie », « capacité à s’investir dans le travail », « engagement et esprit d’initiative »).

    • 2 Ce critère de cohérence du vœu a été supprimé dès la deuxième année de Parcoursup.

    Enfin, la dernière est renseignée par le chef d’établissement. Elle comporte plusieurs avis « à cocher » : « cohérence du vœu2 », « capacité à réussir » de l’élève, le « niveau de la classe » ainsi qu’un avis rédigé du chef d’établissement.

7Les différents avis « à cocher » sont appréciés selon des niveaux d’évaluation préétablis, de type échelle de Likert principalement à quatre niveaux : de « très cohérent » à « incohérent » ou de « très satisfaisant » à « peu démontré ». Le critère « engagement et esprit d’initiative » comporte trois niveaux (« très satisfaisant », « satisfaisant », « absence d’élément d’évaluation »), tandis que le critère « niveau de la classe » en comporte cinq, de « très bon » à « faible ». Il existe une fiche avenir par vœu effectué préalablement par l’élève. Ainsi, les éléments d’appréciation peuvent différer en fonction du vœu.

8La prescription institutionnelle de Parcoursup prévoit que les avis des fiches avenir soient élaborés lors du conseil de classe du deuxième trimestre. Cependant, nous avons pu montrer, à travers une recherche conduite auprès de chefs d’établissement qu’il existe une forte variabilité des pratiques en la matière (Veyrac et al., 2021) : dans certains cas, une concertation est organisée en marge du conseil de classe, et par conséquent en l’absence des représentants des élèves et des parents d’élèves.

Interroger les perceptions des lycéens quant aux avis émis sur leur fiche avenir

9Dans ce nouveau contexte d’affectation vers l’enseignement supérieur, avec la mise en place de Parcoursup, ont pu être étudiés par exemple, les processus d’élaboration des vœux des élèves et notamment leur saisie sur la plateforme Parcoursup (Danhoussrou, 2020) ; ou de manière plus longitudinale, les différentes étapes traversées par les futurs étudiants de la construction de leur projet, son encodage sur la plateforme (via la saisie des vœux), à l’arrivée des réponses des formations de l’enseignement supérieur (Mizzi, 2021).

10Nous avons conduit une recherche dont l’ambition était d’analyser les avis sur les vœux des élèves (consignés dans les fiches avenir), à partir de l’élaboration des vœux au sein des lycées jusqu’à leur communication aux élèves, puis leur perception par ces derniers, principaux concernés. Ce projet de recherche peut être résumé en deux volets. Le premier volet concernant le processus d’élaboration des avis a été étudié à partir de l’analyse de l’activité de directeurs adjoints de lycées. L’organisation mise en place, la concertation des enseignants, le calendrier ont été analysés et ont permis de rendre compte de variabilités inter-établissements importantes, notamment dans la façon de communiquer ces avis aux élèves. Par exemple, dans certains établissements cette communication est organisée, il est prévu de « rendre compte » des appréciations données sur les fiches avenir dès leur validation (les élèves sont invités à solliciter un rendez-vous auprès du professeur principal début avril) ; tandis que dans d’autres établissements, la communication n’est pas prise en charge et il appartient à chaque élève d’obtenir les informations par lui-même en se connectant sur la plateforme. Il apparaît toutefois qu’en cette première année de mise en place de la plateforme Parcoursup, la majorité des établissements enquêtés n’a pas communiqué ces avis aux élèves (ni à leurs délégués) : les élèves n’ont eu connaissance de ces avis qu’environ deux mois après leur élaboration, au moment où ils étaient consultables sur la plateforme Parcoursup et où les premières réponses aux vœux leur parvenaient (Veyrac et al., accepté). Le présent article se propose d’aborder le deuxième volet de cette recherche, à savoir la perception par les élèves des avis d’orientation vers les formations d’enseignement supérieur, élaborés par les lycées et consignés sur les « fiches avenir ».

11En effet, notre regard portera ici, non pas sur la procédure Parcoursup dans son ensemble, mais davantage sur la fiche avenir en ce qu’elle renvoie comme évaluations, jugements, avis. Plus particulièrement, nous chercherons à analyser et à rendre compte du point de vue et des perceptions des élèves confrontés aux avis émis sur cette fiche avenir. Pour ce faire, nous choisissons d’enquêter dans l’enseignement agricole public, dans un contexte où la réflexion sur l’orientation et le projet professionnel a souvent démarré en fin de collège avec le choix d’un lycée et des filières qu’il propose. Dans un contexte, également, où en l’absence de psychologues de l’Éducation Nationale, l’orientation des élèves est accompagnée par les professeurs principaux et le conseiller principal d’éducation. Plus globalement, l’enseignement agricole favorise la promotion et l’inclusion sociale, s’appuyant notamment sur des établissements à taille modeste, des internats et une ouverture socioculturelle (Gaborieau & Peltier, 2016). outre ces spécificités, l’enseignement agricole ne se distingue pas particulièrement de l’éducation nationale sur les questions d’orientation : les élèves, en filière professionnelle, technologique ou générale (enseignements de spécialités : mathématiques, physique-chimie, biologie-écologie), peuvent s’orienter vers l’ensemble des filières proposées par Parcoursup, notamment les formations de l’enseignement supérieur agricole (écoles d’ingénieurs, écoles vétérinaires, brevets de techniciens supérieurs agricoles).

12La question de la confrontation des élèves aux avis mentionnés dans leurs fiches avenir ayant été peu investie par de précédents travaux, notre recherche a un caractère résolument exploratoire.

Méthode

Participant·e·s

13Nous avons fait le choix d’interroger des élèves, et ainsi obtenir une intelligibilité de l’outil fiche avenir, de leur point de vue. À l’instar de Danic et al. (2006), les jeunes sont considérés comme des acteurs sociaux en prise avec leur environnement social, en capacité d’agir sur celui-ci et sur les déterminations sociales : « le jeune ne subit pas le traitement scolaire […] mais participe en retour à sa définition, éventuellement résiste à son emprise » (Danic et al., 2006, p. 27).

14Nous nous sommes entretenues avec 25 élèves de classe de terminale technologique plus précisément de la filière Sciences et technologies de l’Agronomie et du Vivant (STAV). Les 25 élèves interrogés (10 garçons et 15 filles) ont, dans leur grande majorité, 17 ou 18 ans. Ils sont scolarisés dans trois lycées agricoles publics de départements différents. Ces lycées proposent eux-mêmes des formations post-bac, auxquelles les élèves peuvent candidater : des Brevets de Technicien Supérieur Agricole dans les trois lycées, une licence professionnelle dans un lycée et une classe préparatoire aux grandes écoles dans un autre lycée. Le parcours scolaire typique des élèves de la filière STAV est d’avoir intégré une classe de seconde générale et technologique dans un lycée agricole, et d’avoir poursuivi en première et terminale STAV. Dans cette filière, les élèves suivent des matières de tronc commun (similaires aux autres bacs technologiques) et des matières spécialisées, comme la production agricole, l’aménagement des espaces ou les services en milieu rural. Le lycée agricole n’étant pas le lycée de secteur des élèves, il est parfois éloigné de leur domicile : une partie des élèves est en internat, lieu depuis lequel ils peuvent être amenés à consulter la plateforme Parcoursup. Ces élèves ont majoritairement ciblé des filières sélectives dans leurs vœux d’orientation : principalement des Brevets de Technicien Supérieur (agricoles ou non), puis des Diplômes universitaires de technologie et, de façon plus marginale, des licences et écoles d’ingénieurs. Quelques-uns ne souhaitaient pas poursuivre leurs études, ou s’y résignent après avoir pris connaissance des résultats sur Parcoursup.

15Un élève de l’échantillon n’a pas fait de vœu dans Parcoursup : dans la mesure où nous traitons ici de la fiche avenir, l’analyse portera sur les propos de 24 élèves.

Matériel et procédure

16Nous avons conduit des entretiens semi-directifs avec les élèves. Ils se sont connectés à la plateforme Parcoursup au moyen de leur smartphone pour consulter leurs fiches avenir.

17Les entretiens se sont déroulés l’année de lancement de Parcoursup, en mai-juin 2018, quelques jours après que les élèves aient eu la possibilité de consulter sur la plateforme leurs fiches avenir complétées avec les avis du lycée. Il s’agissait également du début de la phase de réception des réponses de l’enseignement supérieur à leurs vœux d’orientation. Lors de ces entretiens individuels, nous avons pris pour support des fiches avenir des élèves concernés : chaque élève a été confronté à une ou plusieurs fiches avenir de son choix. Ces entretiens ont alors quelque chose de spécifique : la captation d’un propos original dans le cadre d’une nouvelle procédure en train de se mettre en place, propos reflétant le point de vue des élèves, principaux concernés. Le caractère inédit du propos est accentué pour certains élèves par la découverte de la fiche avenir au moment même de l’entretien.

  • 3 Ainsi, lorsque des élèves se sont mépris sur la fiche avenir (mauvaise interprétation d’un critère (...)

18Le recueil s’est effectué par entretiens téléphoniques pour un département (du fait de contraintes géographiques et temporelles) et par entretiens présentiels pour deux autres départements. Pour ces derniers, les trois chercheures se sont présentées aux élèves au début d’un cours pour solliciter des élèves volontaires. La recherche leur a été exposée dans ses enjeux et objectifs réels et dans le respect de la confidentialité : « Il s’agit de nous aider, nous adultes professionnels de l’éducation, à comprendre ce que vous, élèves de terminale au mois de mai, vivez, ressentez, comprenez, pensez de Parcoursup, pour votre cas personnel. Vous n’aurez avec nous qu’un seul entretien, qui restera confidentiel. Nous ferons de même avec des élèves d’autres lycées. Nous ne ferons pas de compte-rendu à vos professeurs ou à votre proviseur ». le cadre ainsi posé a eu pour objectif de créer une relation de confiance entre élève et chercheur pour favoriser des expressions d’élèves au plus proche de leurs perceptions3.

19Les entretiens ont eu lieu en établissement, souvent en extérieur, en dehors des heures de cours (excepté pour ceux effectués par téléphone) après accord des directions des lycées. Nous avons demandé aux élèves de se connecter sur la plateforme Parcoursup, à l’aide de leur smartphone et de consulter deux fiches avenir contrastées les concernant. La structure chronologique de chaque fiche a guidé le questionnement de l’entretien qui s’oriente autour de trois grands axes.

20Nous les présentons ci-après, assortis des questions (et relances) posées.

  • Axe 1 : la connaissance de la fiche avenir et son accessibilité.

21Sais-tu ce qu’est une fiche avenir ? Avais-tu déjà eu accès à ces fiches ? Quand ?

  • Axe 2 : Le vécu et la perception des avis mentionnés dans chacune des trois parties de la fiche, à savoir 1) les notes et appréciations des professeurs, 2) l’avis du professeur principal, 3) l’avis du chef d’établissement.

22Qu’est-ce que tu t’es dit quand tu as pris connaissance de ces appréciations ? Dans quelle mesure t’attendais-tu à ces appréciations ?

23À titre de relances : Que penses-tu que le professeur / le chef d’établissement voulait dire quand il a coché ceci : [avis que l’élève a obtenu] ? Est-ce que la connaissance des avis émis par tes professeurs / le chef d’établissement change quelque chose pour toi ?

  • Axe 3 : La compréhension des items à cocher.

24Que penses-tu de ce qui est évalué dans [engagement et l’esprit d’initiative / cohérence du vœu] ?

25Sur quels éléments penses-tu que les professeurs se sont appuyés pour évaluer ceci ? Que penses-tu que le professeur a voulu dire quand il a coché « peu démontré » ou absence d’éléments d’évaluation sur [avis à cocher considéré] ?

26Lors des entretiens, nous avons posé aux élèves des questions suffisamment ouvertes pour ne pas induire de catégories de pensée (tel le sentiment de surévaluation par exemple). Nous adoptons ainsi une approche générale d’analyse inductive (Blais & Martineau, 2006 ; Thomas, 2006) : les thèmes et concepts d’analyse émergent des propos des élèves. Pour cela, plusieurs lectures détaillées de ces propos nous ont conduites à produire des catégories, d’abord nombreuses, que nous avons réduites, par similarités, à un petit nombre de catégories d’analyse. Ce sont ces dernières catégories, sous forme de thèmes, qui structureront la présentation des résultats de notre recherche.

Résultats

27Nous rendons compte ici de plusieurs thèmes qui ont été abordés par la plupart des élèves interrogés. Nous les avons structurés autour de trois types de perceptions et ressentis qui organiseront la présentation des résultats. Le premier type renvoie aux critères et indicateurs d’évaluation de la fiche avenir perçus comme opaques, le second à une perception de surévaluation, enfin le dernier, réfère à un sentiment de déconvenue. Un paragraphe introductif précisera que cette fiche avenir n’est pas connue de la majorité des élèves interrogés.

La découverte de la fiche avenir

28De manière générale, il apparaît que si les élèves sont informés « à grands traits » de la procédure Parcoursup dans sa globalité (émission de vœux et instruction de ceux-ci par les formations de l’enseignement supérieur), ils sont peu au fait de l’existence des fiches avenir. En effet, près de la moitié des participants découvre les fiches avenir au moment de l’entretien de recherche, en se connectant à la plateforme, et seul un tiers des élèves en a une bonne connaissance (reconnaissent la fiche avenir et disent l’avoir consultée en amont de l’entretien). Une partie importante des élèves interrogés est donc peu familiarisée avec le contenu de cette fiche et avec ce qu’elle évalue.

29L’entretien conduit ainsi les élèves, pour certains, à découvrir, pour d’autres à explorer dans le détail les éléments de la fiche avenir, à savoir les différents critères sur lesquels les enseignants, professeurs principaux, et chef d’établissement ont eu à se prononcer.

Des critères d’évaluation opaques aux yeux des élèves

Une diversité d’interprétations de ce que recouvrent les critères évalués

  • 4 Pour respecter l’anonymat des élèves, tous les prénoms ont été modifiés.

30Les propos des élèves témoignent d’interprétations nombreuses et variées de plusieurs critères soumis à évaluation des enseignants (du professeur principal notamment) et du chef d’établissement via la fiche avenir. En effet, le critère d’engagement et d’esprit d’initiative (avis coché), par exemple, renvoie de la part des élèves tour à tour à la participation, l’implication en classe, voire l’investissement dans les projets portés dans l’année scolaire. Pour Steve4, il s’agit de « travailler plus, participer plus en classe » : pour Charline ce critère est lié au « travail en groupe [les enseignants regardent] si on est impliqués ». Le critère « engagement et esprit d’initiative » est associé pour d’autres élèves à une certaine combativité, opiniâtreté à être dans la filière de formation : « si on a envie d’avancer, si on a envie de vraiment y arriver, si on travaille pour la formation », Clara ; « fournir du travail en dehors des cours (…) se sentir concerné par la filière parce qu’il y en a qui sont là par défaut », Camille. Cet item fait aussi écho à la motivation à réussir ou encore correspond à la vie scolaire au sens large : pour Alexia les enseignants évaluent si les élèves sont capables de « prendre les devants », pour Lisa, il s’agit de repérer : « est-ce que je prends des initiatives dans des projets, est-ce que je m’investis ». Ces différentes interprétations reflètent une méconnaissance de ce critère soumis au jugement professoral et qui compte dans leur évaluation.

31Le critère « cohérence du vœu » fait également l’objet d’interrogations de la part des élèves : la cohérence évaluée est-elle relative à l’adéquation supposée entre la formation demandée et la formation suivie ? est-elle en lien avec les aspirations ou projets professionnels de l’élève ? ou est-elle en lien avec les résultats scolaires ? Les élèves tentent d’interpréter les indicateurs d’évaluation du critère, comme illustré dans le propos d’Alexia : « je ne sais pas trop sur quoi ils ont voulu dire « très cohérent ». Si c’est par rapport au projet professionnel ou par rapport aux notes et au comportement pour rentrer dans ces classes supérieures. Parce que si c’est par rapport aux notes et au comportement, c’est stupide ce qu’ils ont marqué, parce qu’ils ont marqué « très satisfaisant » dans toutes mes fiches avenir et je me suis fait refuser dans 6 BTS, IUT, tout ça… ». Anna avance une explication : « je pense qu’il [le chef d’établissement] s’appuie sur notre formation, voir si on a de bonnes notes, si on est investis par rapport à ce qu’on veut faire après. Si c’est différent de notre formation, ça veut dire que c’est normal qu’on ait des mauvaises notes ». Flavie, dans son interprétation du critère, s’interroge sur son sens : « j’ai du mal avec ces critères parce que je veux bien que le vœu ne soit pas cohérent mais si c’est ce qu’on a envie de faire, comment on fait ? ».

32Par ailleurs, du fait de l’interprétation qu’ils en ont, des élèves expriment que certains critères comme « l’autonomie » ne peuvent être appréciés et évalués par les professeurs précisément parce qu’ils ne relèvent pas ou que partiellement du champ scolaire : « ils [les professeurs] ne nous connaissent que dans l’enceinte de la classe, donc pour moi l’autonomie et tout ça, ils n’ont pas trop à l’évaluer parce qu’ils ne nous connaissent pas à l’extérieur, ils ne savent pas comment on travaille à l’extérieur (…) en cours, je suis tout de suite au travail, j’écoute, mais après quand je suis à l’internat, clairement, je ne travaille quasiment jamais ; même chez moi c’est différent », Alexia.

Une absence de transparence des indicateurs d’évaluation

33Ces différentes interrogations et interprétations peuvent questionner quant aux éventuelles prises d’informations à ce sujet par les enseignants. En tout état de cause, si elles existent, ces prises d’informations échappent aux élèves qui indiquent ne pas avoir été sollicités par les professeurs pour recueillir des informations susceptibles de renseigner le critère « engagement et esprit d’initiative » par exemple. Ces critères renvoient donc à une forme d’évaluation implicite, invisible pour les élèves.

34Nous voyons comment la structure même des fiches avenir (les termes définissant les critères soumis à évaluation) s’accompagne pour les élèves, d’une certaine équivocité, et limitent la compréhension des élèves quant à leur sort. Ils conjecturent sur les indicateurs que les acteurs de leur établissement ont pu retenir pour renseigner ces critères. Le scepticisme sur les possibilités des adultes à disposer des indicateurs pertinents pour renseigner les critères domine.

35Les propos des élèves mettent ainsi en relief l’opacité des critères de la fiche avenir, des indicateurs d’évaluation retenus par l’établissement, ainsi que la relative déconnexion des critères vis-à-vis du champ scolaire. Ces points, selon les élèves, seraient de nature à rendre leur évaluation suspicieuse, voire illégitime.

Une surévaluation perçue à plusieurs échelles

Un décalage entre concept de soi scolaire des élèves et avis mentionnés sur la fiche avenir

  • 5 À l’exception d’un élève sur une appréciation portant sur une discipline en particulier. Concernant (...)

36Nous nous centrons ici sur les résultats qui montrent que pour certains élèves, la découverte de la fiche avenir a créé une tension entre la perception que les élèves ont d’eux-mêmes, autrement dit leur concept de soi scolaire (Piolat, 1999 cité dans Joët et al., 2007) et les avis effectivement émis dans la fiche avenir. Cette tension est liée à une surévaluation perçue à travers différents éléments de la fiche avenir que nous allons détailler en suivant. Cette surévaluation perçue apparaît de manière massive, elle concerne plus de la moitié des participants à l’étude (15 élèves sur 24). notons qu’aucun élève ne s’est perçu au contraire sous-évalué5. Plusieurs élèves s’estiment surévalués sur les critères tels que l’autonomie, comme Alexia : « je ne comprends pas parce que je me connais, je sais que je suis peu autonome, j’arrive peu à me mettre au travail toute seule, il faut qu’il y ait quelqu’un derrière moi donc ça, c’est pareil, ce n’est pas “satisfaisant”, [j’aurais mis] moins que “satisfaisant”… », ou encore la méthode de travail, comme Morgane : « il y a des trucs pour lesquels je ne pensais pas que j’aurais ça… la méthode de travail, je sais que j’ai beaucoup de mal, donc je n’aurais pas cru [avoir “assez satisfaisant”], (…) je ne me considère pas avoir de bonnes capacités de travail, je ne suis pas une très bonne élève, je le sais très bien, je n’ai pas des supers notes et même pas du tout pour certaines matières ». Les élèves ici n’hésitent pas à exprimer leurs points faibles en matière d’engagement scolaire, ils se considèrent plutôt en difficultés sur les critères évoqués (autonomie, méthode de travail), ce qui contraste avec les avis émis. Cela se traduit par une incompréhension quant au décalage entre leur concept de soi scolaire et l’évaluation produite in fine. Cette perception de surévaluation peut s’expliquer, au moins en partie, par leur ignorance de l’échelle d’évaluation propre à la fiche avenir. Par exemple, sur le critère « capacité à réussir », l’avis est à cocher parmi quatre possibilités : « très satisfaisant », « satisfaisant », « assez satisfaisant » et « peu démontré ». Nous pouvons noter en effet l’absence de niveaux tels que « peu satisfaisant » ou « insatisfaisant », plus dépréciatifs.

Un décalage entre sens attribué au critère « cohérence du vœu » et avis émis

37D’autres appréciations de surévaluation apparaissent notamment sur le critère de « cohérence du vœu », elles se traduisent par de l’incompréhension et de l’étonnement chez les élèves. Le sentiment de surévaluation se décline de la manière suivante : l’évaluation « très cohérent » est attribuée à des vœux qui n’apparaissent pas cohérents aux yeux des élèves. Par exemple, Clara a fait un vœu de formation dans le domaine de la comptabilité, éloigné de sa formation technologique actuelle : « ce n’est pas du tout pareil surtout que la comptabilité, on n’en voit pas du tout maintenant [je m’attendais à] “pas trop satisfaisant” parce dans notre filière, on ne connaît pas ça. Je suis choquée, je ne pensais pas avoir ça. » Similairement, Morgane exprime son incompréhension : « Je ne sais pas sur quoi ils se basent pour dire que [c’est cohérent] parce que ça n’a rien à voir avec ce que je fais, c’est un truc complètement à part » et Evan fait part de son étonnement : « je trouve ça bizarre ».

Une surévaluation perçue à l’échelle de la classe

38Le sentiment de surévaluation est parfois exprimé au regard du critère « niveau de la classe ». En effet, à propos de ce critère, Solène indique : « je pense qu’ils ont mis “bon” à tout le monde pour nous valoriser, on n’a pas un super niveau de classe ». Son analyse est identique pour l’ensemble des critères : « ils ont mis de bonnes appréciations un peu à tout le monde (…) on est nombreux à avoir des appréciations comme “très satisfaisant” », comme si le sentiment d’une surévaluation du critère « niveau de classe » s’étendait à tous les critères pour tous les élèves de sa classe. Solène met en avant une volonté délibérée des équipes de valoriser les élèves voire l’ensemble de la classe à travers Parcoursup, ayant pour conséquence d’atténuer l’effet positif de telles appréciations à l’échelle individuelle de l’élève.

Une surévaluation estimée intentionnelle pour soutenir les élèves

39Ainsi, la perception de surévaluation apparaît importante tant elle intervient sur plusieurs critères (les appréciations des professeurs, les avis cochés tels que la cohérence du vœu, l’autonomie ou encore la méthode de travail). Il est intéressant de pointer que les élèves ont des hypothèses quant à ce qu’ils constatent : les enseignants surévalueraient sciemment et seraient dans la posture de soutenir les élèves. Bastien, par exemple, précise : « Les appréciations, je pensais que c’était pareil que les bulletins, en fait, pas du tout (…) en espagnol je me suis fait beaucoup plus enfoncer que ça dans les bulletins que ce qu’il y a écrit là. Là, ils m’ont quand même un peu aidé, j’ai envie de dire (…) C’est cool de leur part mais après c’est leur choix, ils en font ce qu’ils veulent. Si j’étais insupportable pour eux, ça ne sert à rien qu’ils fassent des trucs gentils, mais bon après c’est leur avis ». Similairement, Steve s’attendait à des appréciations plus dépréciatives et estime que les enseignants ou chefs d’établissement l’ont « arrangé » : « Pour certains profs, je suis choqué parce que je ne pensais pas qu’ils allaient mettre des trucs gentils comme ça, surtout certains profs (…) [La prof] elle a été gentille, trop gentille même (…) elle ne dit pas forcément la vérité (…) En fait c’est trop positif alors que je sais que moi-même, je me serais mis des trucs négatifs. (…) Si je n’ai pas fait de bons trimestres, je devrais avoir ce que je mérite ».

40Pour certains élèves, tout se passe comme si les enseignants étaient sincères dans les bulletins scolaires, mais pas toujours dans les fiches avenir.

41Dans ces deux exemples, les élèves reconnaissent une forme d’indulgence de la part des enseignants, assumée pour l’un, proche de la malhonnêteté pour l’autre, en lien avec une absence de mérite. Nous voyons ainsi comment cette surévaluation perçue peut renvoyer à un sentiment d’injustice par l’absence de correspondance entre contribution et rétribution, relativement au principe de mérite, premier principe de justice à côté des principes d’égalité et de respect (Dubet, 1999).

42Par conséquent, ces élèves n’attribuent pas la surévaluation à une méconnaissance que le lycée aurait d’eux-mêmes ; ils l’attribuent clairement à une aide qu’ils ont reçue, relevant peut-être de la complaisance ou de la gentillesse à leur égard. Pour ces deux élèves, tout se passe comme s’ils étaient suffisamment sûrs de connaître l’image que leurs enseignants ont d’eux – pour attribuer la surévaluation non pas un à une erreur ni à un exercice impossible qui est demandé à leurs enseignants, mais à une volonté délibérée de leurs enseignants de les favoriser sans que cela soit nécessairement juste en termes de mérite.

43Ceci étant, cette démarche de surévaluation peut, du point de vue de certains élèves, être perçue comme non crédible pour les personnels des formations supérieures qui examinent les fiches avenir. Steve précise son propos en ce sens : « les notes ne vont pas avec, c’est louche. Si j’avais été le recruteur, j’aurais dit que [le chef d’établissement] a tout fait pour aider l’élève mais en fait il ne sait rien faire, ce n’est pas un bon élément en gros (…) les appréciations sont le contraire des notes ». Ce propos illustre le caractère inepte que des élèves semblent prêter aux avis émis dans la fiche avenir, et renforce l’incompréhension de la démarche de valorisation des enseignants, qui leur paraît vaine.

44Les résultats font apparaître une perception de surévaluation de manière massive. Cette dernière apparaît majoritairement pour les élèves comme quelque chose d’anormal, au sens de « qui ne devrait pas être », inutile, voire injuste.

Un sentiment de déconvenue

45Nous montrons dans les paragraphes suivants que la surévaluation perçue est à mettre en parallèle d’un sentiment de déconvenue.

Des fiches avenir renseignées de manière identique pour des vœux différents

46Plusieurs élèves constatent que des vœux extrêmement différents sont traités de la même manière et aboutissent à des avis et donc des fiches avenir identiques. Flavie, par exemple, explique : « Bien sûr c’est beaucoup plus compliqué à faire pour les gens [les professeurs] mais pour nous, ça a plus de sens si c’est différent. Quand je les ai vues, je me suis dit qu’il n’y aurait pu en avoir qu’une [fiche avenir], ça aurait été pareil. C’est ça que je me suis dit en les regardant parce que ce sont toutes les mêmes ! ». Flavie questionne ici l’utilité d’avoir plusieurs fiches avenir. Evan, quant à lui dans les premiers instants, se réjouit de l’évaluation positive, en termes de cohérence, portée sur un vœu pour une formation où il est accepté : « Ça me conforte puisque là on est sur le vœu où je suis accepté et qui était mon préféré, on peut voir ce petit mot “très cohérent” qui fait plaisir quand même », jusqu’à ce qu’il découvre que les mêmes avis ont été cochés pour tous ses vœux, et donc sur chacune de ses fiches avenir. Il commente ce qu’il découvre en nous disant que « c’est pas adapté », que « c’est bizarre, clairement », tout en évoquant une explication probable au fait qu’un même avis, indifférencié, ait été donné à l’ensemble de ses vœux : après c’est vrai que c’est compliqué, un élève qui fait dix vœux, faire à chaque fois [des appréciations] … ». Hormis le sentiment de déconvenue perceptible, cette découverte, pour cet élève, tend à atténuer l’évaluation positive perçue, ce qui est illustré dans le propos suivant : [le fait d’avoir « très cohérent » et « très satisfaisant » partout] « remet un peu tout en question, c’est bizarre, parce qu’ils mettent “très cohérent” à mon vœu de psycho… enfin ça rend le truc un peu moins personnel ; (…) ça enlève un peu de charme au “très cohérent[de mon vœu préféré] ».

47L’absence de personnalisation est par ailleurs relevée par Anna qui indique qu’elle aurait « préféré une appréciation plus précise… plus personnelle pour chaque élève… là c’est personnel mais pas personnalisé par rapport aux vœux. J’aurais voulu quelque chose qui corresponde vraiment aux vœux et pas un truc général comme j’ai pu avoir ». Par conséquent sont pointées des appréciations générales, impersonnelles, de nature ici à déprécier l’évaluation émise. Ces appréciations impersonnelles pourraient être rapprochées de l’expression de jugements professoraux presque préformatés désengageant le locuteur et écartant le sujet évalué, à l’image de celles apparaissant dans les bulletins scolaires (El Hadi, 2011).

Une évaluation positive qui percute la réalité du recrutement

  • 6 Dossier de presse du ministère de l’Éducation et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la re (...)

48La mention « très cohérent » apparaît sur des fiches avenir pour des vœux qui soit font l’objet d’un refus par les formations d’enseignement supérieur, soit sont sur liste d’attente, au moment de l’entretien de recherche, pouvant créer un sentiment d’injustice. Par exemple, Louis s’étonne : « J’ai “satisfaisant” partout. Pourquoi je ne suis pas pris dans mon BTS ? Je me pose la question » ; il en va de même pour Anaïs : « Avant de voir les vœux, oui c’est rassurant parce qu’on se dit que ce qu’on demande ça va avec ce qu’on a fait jusqu’à maintenant et puis après quand on voit les résultats des vœux derrière… moi, pour le vœu à l’IUT par exemple, j’ai eu “très cohérent, très satisfaisant” et tout ça, et j’ai été refusée. C’est juste ça qu’on ne comprend pas trop ». Dans ces propos, l’incompréhension et le trouble dominent, car l’évaluation positive, telle qu’elle est perçue par les élèves, ne se traduit pas par l’obtention d’une place dans la filière et la formation souhaitées. Nous faisons l’hypothèse que l’incompréhension est favorisée par la plurivocité de la notion de « cohérence du vœu » en lien avec ce que nous avons montré précédemment. Malgré tout, les élèves qui constatent un avis « satisfaisant » pour leur BTS ignorent que près de la moitié des vœux, au niveau national, a reçu un avis « très satisfaisant »6 … ce qui in fine dévalue un avis « satisfaisant ». Leur appréciation à l’égard des avis émis n’est donc pas mise en perspective avec la logique de « recrutement » dans les formations du supérieur qui, de fait, classe et met en concurrence les candidats.

49Par ailleurs, certains élèves ont considéré que la fiche avenir pouvait favoriser une issue heureuse en termes de recrutement du fait de l’étendue des critères évalués et de la place laissée aux avis rédigés. Lisa, par exemple, estime que le fait d’avoir de bonnes appréciations « aurait peut-être dû [l]’avantager un peu plus ». Selon elle, la fiche permettrait de compenser d’éventuelles insuffisances du seul relevé de notes : « me donner un avantage en plus (…) je me dis que les profs ont vu les efforts que j’ai faits et ils l’ont marqué (…) c’est écrit quelque part », notamment avec l’évaluation de la capacité à s’investir : « je pense qu’étant donné qu’ils ne regardent pas que les notes, je pensais que ça allait peut-être m’aider. Vu que les deux trimestres de terminale, j’ai eu pas mal d’appréciations où les profs disaient que je m’investissais, que je faisais des efforts, que j’avais des interventions intéressantes, du coup ça peut me remonter, me permettre d’avoir peut-être une carte en plus à jouer alors que mes notes, je n’ai pas un excellent dossier ». Pour cette élève, nous voyons que les critères évalués par le professeur principal et le chef d’établissement (capacités à réussir, autonomie…) permettent de mettre à distance les critères de performances scolaires. Ils sont par conséquent susceptibles d’entraîner une forme d’espoir quant au recrutement, en jouant favorablement dans l’accessibilité à certaines filières. Toutefois, si la fiche avenir a permis de valoriser l’implication, l’investissement et la motivation de cette élève, au moment de l’entretien de recherche, cette dernière n’a reçu aucune réponse favorable à ses vœux. De son point de vue, certains éléments de la fiche avenir ne seraient pas pris en compte par les formations de l’enseignement supérieur, point de vue partagé par d’autres élèves comme Alexia qui exprime ses doutes : « je ne sais pas s’ils regardent vraiment [la fiche] » ou bien Bastien : « ça doit être quelque chose de monstrueux à faire », se montrant relativement circonspects sur le rôle de la fiche avenir, en relevant la difficulté pour les formations de l’enseignement supérieur de prendre connaissance de l’ensemble des fiches avenir qui leur parviennent. Ces propos vont dans le sens des conclusions tirées par Frouillou et al. (2020), selon lesquelles les éléments qualitatifs contenus dans la fiche avenir ne sont pas vraiment pris en compte du fait « de l’investissement temporel que suppose leur examen, mais aussi du fait qu’ils sont considérés comme peu prédictifs de la persévérance et de la réussite dans les études, par des enseignants encore très attachés au modèle civique d’égalité des chances » (Frouillou et al., 2020, p. 348).

50Les différents propos rassemblés ici montrent que le sentiment de déconvenue, de manière générale, se double d’une méconnaissance du système d’acceptation (ou de refus) dans les formations du supérieur, malgré une certaine lucidité ou capacité des élèves à se décentrer de leur propre point de vue, en prenant en compte le rôle des différents acteurs dans la procédure.

51Finalement, nous voyons que la fiche avenir peut être considérée par les élèves comme pièce centrale d’un jeu de dupes : selon certains élèves, les équipes des lycées ne les complèteraient pas toujours avec finesse et sincérité, et les équipes de l’enseignement supérieur ne les consulteraient pas toujours dans leur entièreté, chacune des parties en présence étant prise dans un jeu de contraintes inhérent à la procédure Parcousup.

Discussion

La fiche avenir, un outil intercalaire invisible ?

52Nous avons montré que les fiches avenir faisaient l’objet de nombreuses interrogations, étonnements, voire méprises pour les élèves. Peu d’élèves en ont une bonne connaissance et une majorité a découvert à la fois l’objet dans sa forme comme dans son contenu au moment des entretiens. Cette fiche avenir, véritable outil de classement pour les formations de l’enseignement supérieur apparaît, en cette année de lancement de Parcoursup, un objet invisible, voire un non-objet aux yeux de certains élèves rencontrés. Ceci alors même que cette fiche avenir est considérée comme plus déterminante pour l’orientation que les résultats au baccalauréat (Mathiot, 2018), puisque la sélection s’opère, de fait, via la fiche avenir avant les épreuves de l’examen.

53Ainsi, les élèves méconnaissent les éléments sur lesquels leurs professeurs et chef d’établissement ont eu à se prononcer dans la fiche avenir. En d’autres termes, hormis les performances dans chaque discipline, les critères sur lesquels les élèves sont évalués (avis à cocher), leurs différents niveaux d’évaluation (principalement quatre niveaux) ainsi que les indicateurs retenus par les personnels (enseignants, chef d’établissement) pour les évaluer, souffrent d’un manque de transparence. Ceci est remarquable même si la fiche, destinée aux formations du supérieur, n’est pas finalisée pour les élèves et qu’ils en sont les destinataires secondaires.

54Cette méconnaissance est probablement à mettre en parallèle de tâtonnements des équipes pédagogiques ayant à s’approprier et à mettre en place une prescription nouvelle en matière d’orientation dans le supérieur comportant elle aussi des implicites et des zones d’ombre. Les élèves ne semblent pas avoir été informés du contenu précis de la fiche ni du processus mis en œuvre pour la renseigner : les enseignants se sont-ils concertés ? Quel a été le rôle des professeurs principaux ? Quelle a été la véritable contribution du chef d’établissement ? Quelle part accorder à l’artefact prescriptif, la fiche avenir en elle-même et les procédures qu’elles engendrent pour les acteurs des établissements ? Ainsi, l’analyse de nos résultats nous conduit à avancer que l’évaluation des différents critères semble s’être faite à l’insu des élèves, en tout cas sans qu’ils puissent s’approprier son sens, rappelons-le dans un contexte d’incertitude qui accompagne tout changement, ici la mise en place d’une nouvelle procédure d’affectation dans l’enseignement supérieur.

Le Sentiment d’injustice et de déconvenue

55Le sentiment d’injustice a pu être montré à l’égard de la procédure Parcoursup dans son ensemble (Belghith et al., 2019), ou encore en lien avec le placement en liste d’attente des vœux (Bretton et Haute, 2020). Dans le cadre de cette recherche, nous avons mis en exergue l’existence d’un sentiment d’injustice trouvant des formes d’expressions différenciées. Associé dans un premier temps à une surévaluation perçue (ce qui peut paraître de prime abord contre-intuitif), liée à une absence de correspondance entre le travail fourni (contribution) et les appréciations et jugements émis (rétributions), la perception d’injustice se trouve doublée, dans un second temps, lorsque cette surévaluation ne saurait suffire à ce que les vœux des élèves soient acceptés.

56Ce sentiment d’injustice trouve un prolongement dans le fait que beaucoup d’élèves ne croient pas en la sincérité des jugements portés sur leur fiche avenir. Ceci est à mettre en perspective de précédents résultats qui montrent que les chefs d’établissement, dans l’exercice de leur leadership pédagogique, ont pu donner des consignes aux enseignants allant dans le sens de ne pas « barrer la route » aux élèves, les conduisant de facto à cette surévaluation (Veyrac et al., 2021). Les propos des élèves font ressortir également un sentiment de déconvenue (Blanc et al., 2019). À cet égard, le calendrier de recueil de données a probablement influencé les perceptions des élèves qui se sont trouvés, au moment des entretiens, davantage préoccupés par les réponses à leurs vœux qui commençaient à leur parvenir, que par les avis des professeurs et chefs d’établissement émis sur la fiche avenir. En effet, à ce moment-là, la situation est relativement critique pour trois élèves qui voient leurs vœux refusés sans solution alternative de type écoles privées ou voies hors Parcoursup. Pour d’autres au moment où se sont tenus les entretiens, il existait de grosses incertitudes avec un cumul de vœux refusés et de vœux en attente. Toutefois, pour une large majorité d’élèves, leurs vœux ont été acceptés et pour certains ces vœux remportent leur préférence.

Conclusion

57La fiche avenir est apparue un dispositif méconnu des élèves rencontrés, élèves scolarisés en filière technologique, considérée en France comme une filière « intermédiaire » entre la filière générale plébiscitée par les élèves, plutôt de bon niveau scolaire et la filière professionnelle. Cependant, outre la fiche elle-même, c’est le fait que l’établissement donne un avis dans le processus de sélection, en dehors des bulletins trimestriels, qui semble opaque aux yeux des élèves. Cet état de fait s’accompagne d’une compréhension et d’une prise en compte limitées de la mécanique de sélection dans les formations du supérieur et de ses enjeux. Cela peut surprendre, compte tenu du fait que la majorité de ces élèves se dirige vers des sections de technicien supérieur (STS) de l’enseignement agricole, elles-mêmes sélectives. Les enseignants de l’enseignement secondaire se sentent-ils suffisamment légitimes dans le processus de sélection pour en faire un enjeu de communication clair auprès de leurs élèves ? lorsqu’ils sont ainsi clairement informés, les élèves comprennent-ils mieux les critères de la fiche avenir ? une meilleure connaissance des critères et indicateurs de la fiche a-t-elle des incidences sur le concept de soi scolaire ? Comprenant ses enjeux et son calendrier, en concluent-ils que « les jeux sont faits » pour une grande partie d’entre eux, dès mi-mars ?

58Cette recherche a montré le début de l’appropriation des fiches avenir par des élèves, lors de l’année de lancement de la plateforme Parcoursup, en France. Elle éclaire, ce faisant, une année marquante de l’histoire de l’orientation scolaire de ce pays, sous l’angle de la mise en place d’un processus de sélection coordonné par l’État. Une seule génération d’élèves, en année 1, ne peut assimiler l’ensemble du dispositif, dans un pays où le baccalauréat, entre autres, semble masquer le rôle joué par les établissements dans la sélection. Mais par l’annulation des épreuves en contrôle terminal du baccalauréat de 2020 et les fondements de la réforme du baccalauréat 2021 (prise en compte de notes aux épreuves terminales dans la fiche avenir), les règles du jeu de l’orientation et de la sélection, telles qu’elles se vivent dans les établissements secondaires en fin de cursus, pourraient devenir bien moins opaques aux yeux des premiers concernés que sont les élèves.

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Bibliography

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Notes

1 Loi du 8 mars 2018 relative à l’Orientation et à la Réussite des Étudiants (ORE)

2 Ce critère de cohérence du vœu a été supprimé dès la deuxième année de Parcoursup.

3 Ainsi, lorsque des élèves se sont mépris sur la fiche avenir (mauvaise interprétation d’un critère par exemple), les chercheurs ont pu en informer les élèves après l’entretien de recherche proprement dit.

4 Pour respecter l’anonymat des élèves, tous les prénoms ont été modifiés.

5 À l’exception d’un élève sur une appréciation portant sur une discipline en particulier. Concernant d’autres disciplines, le sentiment de surévaluation domine dans son propos.

6 Dossier de presse du ministère de l’Éducation et du ministère de l’Enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation (avril 2018) : « Parcoursup 2018 au service de l’orientation et de la réussite des futurs étudiants ».

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References

Bibliographical reference

Julie Blanc, Audrey Murillo and Hélène Veyrac, “Vœux d’orientation vers l’enseignement supérieur. Propos d’élèves de l’enseignement agricole confrontés aux avis de leur lycée ”L'orientation scolaire et professionnelle, 50/2 | 2021, 263-285.

Electronic reference

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About the authors

Julie Blanc

Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, École Nationale Supérieure de Formation de l’Enseignement Agricole (ENSFEA)
Thèmes de recherche : activité des enseignants en classe et dans leurs relations avec les élèves ; activité et vécu des élèves ; activité des acteurs éducatifs de l’établissement. julie.blanc@ensfea.fr

Audrey Murillo

Maîtresse de conférences en sciences de l’éducation et de la formation, École Nationale Supérieure de Formation de l’Enseignement Agricole (ENSFEA)
Thèmes de recherche : activité des enseignants en classe et dans leurs relations avec les élèves ; activité et vécu des élèves. audrey.murillo@ensfea.fr

Hélène Veyrac

Professeure en sciences de l’éducation et de la formation, École Nationale Supérieure de Formation de l’Enseignement Agricole (ENSFEA)
Thèmes de recherche : analyse du travail des professionnels de l’éducation dans l’enseignement secondaire, vidéoformation, formation à la santé et sécurité au travail. helene.veyrac@ensfea.fr

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