« Éco-orientation » : quelles interventions pour quelles problématiques spécifiques ?

1Ces dernières années, une attention croissante, quoiqu’encore discrète, a été portée à la promotion d’une orientation durable et responsable d’un point de vue autant écologique que social (Bodoira & Rochat, 2021 ; Bonzon & Rochat, in press ; Cohen-Scali, 2018 ; Di Fabio & Bucci, 2016 ; Di Fabio & Rosen, 2020 ; Guichard, 2013, 2016, 2019, 2021 ; Masdonati & Rossier, 2021 ; Plant, 2014 ; Rochat & Masdonati, 2019). En effet, notre époque traverse de multiples crises humaines et environnementales, si bien qu’il apparaît urgent que tout un chacun contribue à la mise en place de solutions (Guichard, 2013, 2016). Dans cette optique, la psychologie du conseil en orientation a également un rôle à jouer, notamment en aidant les individus à formuler des choix professionnels et à gérer leur carrière d’une manière qui contribue à la protection de l’environnement et de la société (Cohen-Scali, 2018 ; Di Fabio & Bucci, 2016 ; Guichard, 2016 ; Plant, 2014). Le terme d’éco-orientation (« green guidance » ; Di Fabio & Bucci, 2016 ; Plant, 2014) a ainsi été proposé pour décrire des démarches de conseil en orientation qui encouragent explicitement les individus à tenir compte des besoins écologiques et humains globaux (tels que définis, par exemple, par les objectifs de développement durable de l’Organisation des Nations Unies à l’horizon 2030 ; ONU, 2015) dans leur choix de carrière – par contraste avec des démarches d’orientation qui aideraient les individus à prendre des décisions vocationnelles en se basant uniquement sur leurs aspirations individuelles ainsi que sur les contraintes et opportunités offertes par leur environnement.

2À cette fin, plusieurs interventions ont commencé à être proposées dans la littérature scientifique, afin d’éveiller la conscience des consultant·es vis-à-vis de ces problématiques et d’identifier leurs ressources pour agir en ce sens. Ces dernières incluent notamment le recours à des questionnaires (Di Fabio & Rosen, 2020), des jeux de cartes (Bodoira & Rochat, 2021 ; Rochat & Masdonati, 2019), à l’éducation (Guichard, 2019), au dialogue (Masdonati & Rossier, 2021) et à la réflexivité (Cohen-Scali, 2018). Toutefois, les problématiques et besoins spécifiques auxquels répondent ces outils – et donc le contexte et le moment de leur utilisation dans les démarches de conseil – demeurent vagues. En effet, il apparaît que le champ de l’éco-orientation n’a pas encore recensé l’ensemble des difficultés spécifiques à la prise en compte des besoins écologiques et humains dans la gestion de carrière, et, par conséquent, identifié le type d’interventions requis pour les surmonter. Pour pallier ce manque, cet article se propose de reprendre une version remaniée de la taxonomie des difficultés au choix professionnel proposée par Gati et al. (1996), afin d’identifier les problématiques spécifiques que pourraient présenter les individus dans leurs tentatives de prendre des décisions de carrière qui intégreraient explicitement des facteurs écologiques et humains.

3La pertinence de la taxonomie proposée par Gati et al. (1996) – qui est basée sur des modèles théoriques de la prise de décision, ainsi que sur des observations de spécialistes du conseil en orientation – est largement attestée sur la scène internationale, tant sur le plan de la recherche que de la pratique (Rossier et al., 2021). Ce modèle identifie dix grandes catégories de difficultés au choix de carrière, à savoir : (1) le manque de motivation, (2) l’indécision chronique, (3) les croyances dysfonctionnelles, (4) le manque d’information sur le processus de choix, (5) le manque d’information sur soi, (6) le manque d’information sur les options, (7) le manque d’information sur la manière d’obtenir des informations, (8) les informations peu fiables, (9) les conflits internes et (10) les conflits externes. Suivant la proposition de Rochat (2019), les catégories « manque d’information sur la manière d’obtenir des informations » et « informations peu fiables » seront ici regroupées dans la catégorie « manque d’information sur les options », à des fins de synthèse. Par ailleurs, une nouvelle catégorie intitulée « manque d’employabilité » sera ajoutée au modèle, afin de recenser également les difficultés liées au développement de carrière qui ne concerneraient pas directement le processus de choix (Rochat, 2019). L’ensemble de ces catégories de difficultés seront à présent passées en revue, afin d’identifier les obstacles spécifiques à l’éco-orientation qui pourraient y être associés et suggérer des interventions potentielles en vue d’y répondre. À l’issue de cet exercice, les apports et limites de la démarche seront discutés et les implications pour la recherche et la pratique seront précisées.

I. Identification des difficultés d’éco-orientation et des stratégies pour y répondre

1. Le manque de motivation

4Le manque de motivation a été identifié comme un obstacle important à l’engagement dans des démarches d’orientation (Gati et al., 1996), et à l’implantation de leurs résultats (Borgen & Maglio, 2007). De manière générale, la motivation d’une personne à déployer des efforts en vue d’un objectif peut être résumée par l’importance qu’elle accorde au but en question, ainsi que par sa confiance dans ses chances de l’atteindre (Miller & Rollnick, 2013). Une première difficulté d’éco-orientation peut alors survenir quand la personne ne perçoit pas l’intérêt d’intégrer les aspects écologiques et humains dans ses réflexions au sujet de sa carrière. En effet, au vu de l’urgence de la situation climatique et sociale actuelle, il est raisonnable d’affirmer qu’il est à présent nécessaire de prendre systématiquement en considération les aspects écologiques et humains lors de démarches d’orientation (Bonzon & Rochat, in press ; Cohen-Scali, 2018 ; Guichard, 2019). Toutefois, ces questions peuvent être étrangères au système de valeurs des sujets ou reléguées au second plan en raison d’impératifs financiers, sociaux ou autres propres à leur situation personnelle.

5Dans de tels cas, les psychologues en orientation peuvent recourir à différentes interventions pour amplifier l’importance accordée par la personne à ces facteurs. En particulier, ils et elles pourront s’appuyer sur les stratégies de l’approche de l’entretien motivationnel (Miller & Rollnick, 2013) qui permettent d’amplifier l’importance accordée à ces questions, tout en préservant l’autonomie de la personne. Les outils propres à cette approche (tels les échelles d’importance, le déroulement des scénarios hypothétiques ou les questions ciblées) ont par ailleurs déjà été suggérés comme moyen d’amplifier la motivation des consultant·es ne voyant pas la nécessité de s’engager dans des démarches de gestion de carrière (Stoltz & Young, 2013 ; voir Rochat, 2019, 2020, pour des exemples concrets à ce sujet). De plus, des interventions destinées à cultiver l’empathie et l’altruisme (par ex. via la méditation ; Wallmark et al., 2013) pourraient également être mises en place afin de promouvoir la conviction des individus que leur bien-être est lié à celui du monde naturel (Cohen-Scali, 2018 ; Di Fabio & Bucci, 2016).

6Au niveau motivationnel, une seconde difficulté peut survenir lorsque la personne doute de sa capacité à agir en faveur du climat ou de la société au travers de sa carrière. En effet, l’immensité des problèmes sociaux et écologiques et leur nature systémique peut générer chez tout·e un·e chacun·e le sentiment que l’ampleur de la menace dépasse les ressources à disposition pour y faire face, et conduire à un vécu d’impuissance paralysant (Post, 2005). Ce faisant, il est essentiel d’aider les individus à identifier les ressources dont ils bénéficient et qu’ils peuvent mettre au service d’une carrière durable (Rochat & Masdonati, 2019). À cette fin, le recours aux stratégies motivationnelles conçues pour augmenter la confiance de la personne dans ses chances d’atteindre ses objectifs peut également s’avérer utile – comme l’échelle de confiance, les questions ciblées, l’exploration des réussites et des qualités (Miller & Rollnick, 2013 ; voir Rochat, 2020, pour des exemples concrets d’application). Par ailleurs, les psychologues en orientation peuvent aussi employer des inventaires d’intérêts (e.g., Vrignaud & Cuvillier, 2008, 2011), de personnalité (e.g., Costa & McCrae, 2016), ou de forces de caractère (Peterson & Seligman, 2004), en vue de mettre en avant les caractéristiques personnelles positives des consultant·es.

2. L’indécision chronique

7Les démarches de gestion de carrière sont parfois entravées par la présence d’une indécision chronique, soit une difficulté persistante et généralisée à prendre des décisions, même insignifiantes (Gati, 2013). Selon le modèle proposé par Saka et Gati (2007), cette indécision chronique peut être résumée par deux grands facteurs : le pessimisme et l’anxiété. Ces deux problématiques sont également fréquentes dans le contexte de la durabilité, comme en témoigne l’apparition récente et la popularité croissante des termes de « collapsologie » – soit l’étude des risques et des conséquences de l’effondrement de notre civilisation actuelle (Servigne & Stevens, 2015) – et d’« éco-anxiété » – soit les émotions désagréables et questionnements provoqués par la prise de conscience de la destruction de la nature (Desbiolles, 2020).

8En effet, dès la fin du XVIII^e siècle, chacune des révolutions industrielles a, en son temps, suscité des vagues d’inquiétude quant à la possible disparition du travail ; des craintes qui ne se sont pas matérialisées jusqu’à présent (hirschi, 2018b). Néanmoins, les multiples crises écologiques et sociales de notre époque tendent à aggraver le pessimisme à l’égard de l’avenir de la planète et de l’humanité. Si un tel alarmisme peut favoriser l’anticipation et l’évitement de certains problèmes, il peut également, à terme, conduire au développement d’états dépressifs particulièrement sévères (Schueller & Seligman, 2008), menant à un sentiment d’impuissance. En général, pour amener la personne à nuancer par elle-même la dureté des jugements qu’elle porte sur elle et sur le monde, les psychologues en orientation peuvent avoir recours à des stratégies issues des thérapies cognitives et comportementales (voir Law et al., 2014, pour des illustrations concrètes à ce sujet). Dans ce cadre, il est alors par exemple demandé au sujet de trouver des contre-exemples à ses propos ou de reformuler ses affirmations sous forme de questions (Rochat, 2019). A priori, de telles stratégies pourraient également s’avérer utiles dans le cadre d’un pessimisme particulièrement lié aux questions d’éco-orientation. De plus, des propositions spécifiques pour répondre à l’incertitude au sujet de l’avenir des métiers seront abordées dans la suite de cet article.

9Par ailleurs, les psychologues en orientation sont habitués à rencontrer des personnes qui éprouvent de l’anxiété, que celle-ci soit liée au processus de choix, au choix en tant que tel, à ses conséquences ou à l’incertitude qui l’entoure (Saka & Gati, 2007). Celle-ci est atténuée principalement au moyen de questions visant à en comprendre plus précisément les causes, ainsi que par des exercices issus des approches cognitives et comportementales, et notamment des recadrages visant à changer la perception de la situation et/ou du ressenti éprouvé (voir Law et al., 2014 ; Rochat, 2019, 2020, pour des exemples concrets à ce sujet). Dans le cas de l’éco-anxiété, il est par exemple judicieux de rappeler à la personne que l’angoisse constitue une réaction saine face à la menace que représente la détérioration de la planète et de la société (Desbiolles, 2020). À dose raisonnable, de tels états psychologiques déplaisants pourraient d’ailleurs aider les individus à s’engager dans les efforts nécessaires à la protection de la vie (e.g., Corral-Verdugo, 2012). Ce recadrage de l’éco-anxiété semble d’autant plus pertinent que le fait de rappeler aux personnes la nature adaptée et fonctionnelle de leurs réactions physiologiques dans des situations stressantes tend à les aider à adopter un comportement adéquat et à diminuer leur focalisation excessive sur les informations anxiogènes (Jamieson et al., 2012). Par ailleurs, de courts exercices de gratitude (tel que de demander à la personne de noter, en 1520 minutes, jusqu’à cinq événements pour lesquels elle se sent reconnaissante) sont reconnus comme efficaces pour réduire temporairement l’anxiété liée à la mort (Lau & Cheng, 2011) et pourraient donc également être proposés par les spécialistes en orientation afin d’aider les personnes à réduire l’anxiété suscitée par les questions écologiques (Plumey, 2021).

3. Les croyances dysfonctionnelles

10Dans les démarches de gestion de carrière, les croyances dysfonctionnelles peuvent à la fois entraver le processus de prise de décision, limiter les perspectives et conduire à des choix professionnels moins qu’optimaux (Gati et al., 1996). De telles croyances font référence aux représentations idéalisées, erronées ou extrêmes que la personne peut entretenir à l’égard du processus de choix, des métiers ou du travail (Hechtlinger et al., 2019). Dans le cadre des préoccupations liées à l’éco-orientation, Cohen-Scali (2018) relève qu’il est essentiel d’aider les individus à agir de sorte à préserver l’environnement non seulement au sein de leur carrière, mais également dans l’ensemble des sphères de leur vie. En conséquence, une première croyance dysfonctionnelle spécifique à l’éco-orientation peut consister à considérer que c’est essentiellement au moyen de son activité professionnelle (ou de sa vie privée, par opposition) qu’il est possible de contribuer au bien-être de la société et de l’environnement. Cette conviction se révèle dysfonctionnelle dans le sens où elle restreint le champ d’action écologique et humain à une sphère de vie particulière, plutôt qu’à miser sur leur complémentarité (Rochat & Masdonati, 2019). Pour aider les individus à réaliser qu’ils peuvent contribuer à la durabilité au travers de l’ensemble de leurs sphères de vie, les psychologues en orientation pourront leur proposer de procéder à une analyse de leurs formes identitaires subjectives (Guichard, 2008) visant à mettre en évidence leurs différents domaines d’existence et les activités qu’ils y réalisent. Une fois l’état des lieux établi, les psychologues en orientation pourront leur demander ce qu’ils seraient en mesure de faire pour contribuer à un monde plus humain et durable, à leur échelle, dans chacun de ces contextes de vie.

11Un deuxième type de croyance dysfonctionnelle susceptible d’entraver les démarches d’éco-orientation est celui de considérer que seuls les métiers directement en lien avec l’environnement ou l’humanitaire permettent de contribuer au développement durable. Cette représentation s’avère problématique dans le sens où elle véhicule une vision réductrice des professions et des milieux de travail, ainsi que de leur rôle potentiel dans la préservation (ou la destruction) du vivant. Elle peut par ailleurs rendre très attractifs les postes qui sont directement associés à la protection de la nature ou des êtres humains, mais qui ne constituent pas pour autant une garantie de s’épanouir et de trouver du sens dans son travail (Cohen-Scali, 2018). En effet, le caractère écologiquement et humainement durable d’une carrière dépendra à la fois du domaine et du métier choisis, mais également de la manière dont ce dernier est exercé et des conditions dans lesquelles il est effectué. L’évaluation de la durabilité d’une activité professionnelle doit alors prendre en compte la globalité de son exercice, y compris son caractère décent (e.g., Duffy et al., 2016). Pour contribuer à flexibiliser de telles croyances, les psychologues en orientation pourront encourager les personnes à trouver des contre-exemples à ces affirmations (Rochat, 2019), ou les faire réfléchir sur la base de vignettes présentant les ressources naturelles et humaines consommées par des travailleur·euses exerçant différents métiers de manières diverses et dans des conditions variables.

4. Le manque d’information sur le processus

12Les choix professionnels et la gestion de carrière sont des processus complexes et relativement spécifiques qui peuvent se révéler déroutants pour les personnes qui cherchent à s’orienter. Par conséquent, plusieurs auteurs du domaine se sont attelés à proposer des modèles théoriques de ces processus afin d’en préciser les étapes clés (Gati & Asher, 2001 ; Niles et al., 2010 ; Sampson et al., 1999) et les ingrédients spécifiques (Dawis & Lofquist, 1984 ; Holland, 1959). Ces modèles s’avèrent particulièrement utiles dans le cadre de l’éco-orientation pour expliquer aux consultant·es lesquelles de leurs caractéristiques (par ex. intérêt, capacités, traits de personnalité et valeurs) seront pertinentes en fonction du type de choix qu’ils et elles doivent effectuer (formation initiale ou continue, métier ou poste). En effet, la tendance actuelle à valoriser les carrières dites « protéeennes » – pour désigner une carrière qui serait gérée par l’individu en réponse à des facteurs intrinsèques par opposition à une carrière gérée par un employeur (hall, 1996) – a contribué à mettre en avant l’importance des valeurs personnelles lors des choix de carrière. Or, il peut être nécessaire de rappeler aux individus qui cherchent à s’orienter que leurs valeurs écologiques ou humaines ne seront pas ou peu mobilisées au moment de choisir une filière d’étude ou un métier, mais qu’elles seront essentielles plus tard : lors du choix d’un poste de travail (Rochat, 2019). Ainsi, les professions et les formations en tant que telles sont généralement neutres en termes de valeurs ; ce sont surtout les postes dans lesquels elles sont exercées qui leur donnent (ou non) une tonalité écologique ou humaine. Cette distinction requiert que les psychologues en orientation renseignent les individus sur la logique généralement séquentielle (quoique récursive) des choix de carrière (formation, puis métier, puis poste) et sur les ingrédients spécifiques à prendre en compte à chacune de ces étapes (intérêts et aptitudes, puis personnalité, puis valeurs) (Bagnoud-Siegenthaler, 2011). Une telle explication peut également s’avérer utile pour les adultes en emploi qui cherchent à se réorienter dans une voie plus durable, afin de préciser s’ils et elles souhaitent changer de métier (car ils et elles n’y trouvent plus d’intérêt ou de sentiment de compétence) ou de poste (en vue de parvenir à une meilleure concordance entre leurs valeurs et celles de leur environnement de travail) (e.g., Cohen, 2003). Au vu des coûts psychologiques, économiques et sociaux parfois très élevés des reconversions professionnelles, cette distinction s’avère essentielle à un accompagnement adéquat des individus engagés dans un processus d’éco-orientation.

13Par ailleurs, les personnes peuvent également manquer d’information sur la manière d’intégrer les questions de durabilité au sein de leur carrière. Dans ce cas, les psychologues en orientation peuvent leur présenter le célèbre diagramme de l’ikigaï, proposé par Winn (2014), pour leur expliquer que les choix professionnels les plus épanouissants se situent généralement au croisement de quatre composantes : (1) ce pour quoi nous sommes doué·es, (2) ce que nous aimons faire, (3) ce pour quoi nous pouvons être payé·es et (4) ce dont le monde a besoin. Le schéma permettra alors de préciser l’importance de cette dernière composante pour éviter de ressentir, à terme, un sentiment d’inutilité, en dépit d’une vie active satisfaisante par ailleurs. Sur la base de cette présentation, les psychologues en orientation pourront établir des liens avec les activités traditionnelles d’aide au choix, comme l’évaluation des intérêts et des aptitudes, ainsi que les démarches d’exploration de l’environnement professionnel. Des stratégies permettant d’identifier les besoins du monde tels que défini par l’ONU (2015) auxquels la personne souhaite contribuer seront présentées dans la section suivante.

5. Le manque d’information sur soi

14La connaissance de soi représente une composante essentielle des processus de choix professionnel et de gestion de carrière, et ce, d’autant plus dans les temps incertains (Callanan et al., 2017). Dans le cas de l’éco-orientation, le manque d’information sur soi peut tout d’abord concerner la difficulté à identifier les enjeux du monde auxquels l’individu peut ou souhaite contribuer (Di Fabio & Rosen, 2020 ; Guichard, 2016 ; Rochat & Masdonati, 2019). En effet, les problématiques liées à la durabilité ne se limitent pas à la protection de l’environnement, mais incluent tous les enjeux économiques, sociaux et humains de notre époque. Ainsi, en 2015, l’ONU a adopté 169 cibles de développement durable, regroupées en 17 objectifs clés devant être atteints par ses membres, d’ici à 2030 (Organisation des Nations Unies, 2015). La diversité des cibles et objectifs proposés souligne d’emblée qu’il est impossible pour un seul individu de contribuer à l’ensemble d’entre eux (Bodoira & Rochat, 2021). Par conséquent, il est important que les psychologues en orientation puissent aider les personnes à cibler ceux par lesquels elles se sentent concernées et motivées à agir.

16Une seconde problématique liée au manque d’information sur soi concerne l’identification des ressources dont les individus disposent pour contribuer à l’atteinte de ces objectifs. Dans le cadre de l’éco-orientation, ces ressources peuvent typiquement représenter les intérêts scolaires et vocationnels (holland, 1959), certains traits de personnalité (Costa & McCrae, 2016), les valeurs (Schwartz et al., 2012), les aptitudes et les compétences (Dawis & Lofquist, 1984), ainsi que les forces de caractère (Peterson & Seligman, 2004). Après avoir aidé la personne à préciser ces différentes dimensions à l’aide des outils dont ils et elles ont l’habitude, les psychologues en orientation peuvent donc l’encourager à réfléchir à la manière dont elle pourrait mettre ses ressources au service des besoins du monde qui la touchent particulièrement (Rochat & Masdonati, 2019). Afin d’inclure également des facteurs externes dans cette évaluation, les psychologues en orientation peuvent lui proposer de dresser le bilan du temps, de l’énergie, du réseau social et des biens matériels dont elle dispose et qu’elle pourrait dédier à la poursuite de tels objectifs de développement durable.

6. Le manque d’information sur les options

17Ces dernières années, de plus en plus de professions et de formations en lien avec la promotion d’un environnement écologique et humain ont commencé à voir le jour. Toutefois, il n’est parfois pas évident pour les individus de s’y retrouver parmi la pléthore de renseignements disponibles vis-à-vis des métiers et des voies de formations (Gysbers et al., 2014), si bien que les démarches d’éco-orientation peuvent être entravées par un manque d’information au sujet des options « durables » existantes. Par conséquent, en plus d’aider les personnes à identifier la manière dont chaque profession peut être mise au service des besoins du monde, les psychologues en orientation doivent se tenir informés au sujet de ces nouveautés (comme ils et elles le font déjà à l’égard des autres métiers et formations) en vue de répondre à ces demandes ou, du moins, savoir où obtenir de telles données (Rochat, 2019). À noter toutefois que l’enjeu pour les professionnel·les de l’orientation n’est pas tant de détenir et de communiquer des informations au sujet des filières et des métiers, mais plutôt de référer les individus vers les sources pertinentes et de les aider à utiliser les renseignements obtenus pour prendre une décision (Hirschi, 2018a).

7. Les conflits internes

19Au moment d’effectuer un choix professionnel, les individus peuvent éprouver des « conflits internes » et se sentir partagés entre les avantages et les inconvénients respectifs des options qui s’offrent à eux (Gati et al., 1996). De manière similaire, la perspective d’adopter des comportements durables peut susciter de l’ambivalence (e.g., Hahn et al., 2021), soit la présence simultanée d’arguments en faveur de ce changement et d’arguments en défaveur (Miller & Rollnick, 2013). Récemment, des interventions de groupe spécifiquement dédiés à l’exploration et à la résolution de l’ambivalence à l’égard des comportements écologiques ont ainsi commencé à émerger (e.g., Randall & Brown, 2015).

20Pour surmonter l’ambivalence liée à l’adoption de comportements durables en lien avec la carrière, les psychologues en orientation peuvent employer les mêmes outils qu’ils et elles utilisent lorsque les personnes hésitent entre plusieurs options professionnelles, telles que l’entretien motivationnel (Rochat & Rossier, 2016), les balances décisionnelles (Janis & Mann, 1977) ou les approches centrées sur les émotions (Cardoso & Duarte, 2021). À noter que, si le recours à des stratégies motivationnelles pour inciter la personne à s’engager en faveur de comportements prosociaux et écologiques se justifie éthiquement par l’urgence de la situation mondiale, les psychologues en orientation devront néanmoins toujours, en définitive, respecter la décision de cette dernière, et ce, quelle qu’elle soit (Miller & Rollnick, 2013).

21Un autre type de conflit interne susceptible d’entraver les démarches d’éco-orientation est celui de l’ambition de « sauver le monde » en optant pour une carrière durable. L’expression d’un tel objectif peut conduire les psychologues en orientation à se retrouver dans le dilemme de déterminer s’ils et elles doivent encourager la personne à rêver ou au contraire modérer ses aspirations (Cardoso et al., 2012). En effet, si l’engagement dans des buts de carrière ambitieux et optimistes est généralement associé à la réussite professionnelle, poursuivre des objectifs démesurés peut comporter de véritables risques pour la santé psychique (Rochat, 2015). En vue de prévenir les désillusions et le découragement qui pourraient suivre la formulation de telles ambitions, les psychologues en orientation gagneront parfois à accompagner les individus dans un processus de réévaluation et de modération de leurs aspirations (Gottfredson, 1981). Afin de préserver l’enthousiasme de la personne et de ne pas endosser le rôle des « briseur·euses de rêve », ils et elles gagneront toutefois à accompagner celle-ci dans la découverte, par elle-même, de la démesure de ses ambitions, ainsi que dans l’exploration d’objectifs plus réalistes, quoique toujours motivants, le cas échéant (Rochat, 2015).

8. Les conflits externes

22Les personnes qui cherchent à s’orienter dans une optique de durabilité peuvent également rencontrer des désaccords ou de l’opposition de la part de leur entourage ; ce que Gati et al. (1996) nomment des conflits « externes ». Au-delà de la sphère familiale, la définition de tels conflits externes peut également être élargie pour y intégrer les conflits pouvant survenir entre l’individu et différents acteurs institutionnels et facteurs structurels (Rochat, 2019). Au cours des démarches d’éco-orientation, de tels conflits peuvent tout d’abord se manifester par la perception d’un décalage entre les valeurs de l’individu déjà en activité professionnelle et celles de l’institution où il travaille. La confrontation à cette dissonance peut alors les conduire au souhait de démissionner pour se diriger vers un poste davantage en lien avec leurs valeurs (Cohen, 2003). Dans de tels cas de figure, les psychologues en orientation peuvent accompagner la personne dans l’exploration de la mesure dans laquelle elle parvient déjà à agir en accord avec ses valeurs sur son lieu de travail, ainsi que la manière dont elle pourrait le faire davantage ou différemment, de sorte à atteindre un meilleur alignement et à obtenir davantage de reconnaissance institutionnelle et de ses pairs à ce sujet (voir notamment le concept d’« intrapreunariat social » ; Baculard et al., 2016 ; et celui de « job crafting » ou « façonnage de l’emploi » ; Wrzesniewski & Dutton, 2001). L’accueil et les résultats de ces efforts de promotion des valeurs sociales et écologiques à l’intérieur de l’entreprise constitueront ainsi des indicateurs importants dans son choix de démissionner ou non. Le cas échéant, l’adéquation avec les valeurs pourra ensuite servir de critère essentiel dans la recherche d’un nouveau poste.

23Un autre type de conflits externes auxquels les personnes peuvent se trouver confrontées dans leurs projets d’éco-orientation relève du sentiment que leurs perspectives, leur progression de carrière ou leur accès à certaines ressources externes ou internes sont limités par des facteurs structurels hors de leur contrôle (par ex., le système économique, les politiques publiques des discriminations, etc.) (e.g., Blustein et al., 2019). Néanmoins, il existe une distinction entre la présence de contraintes et le sentiment d’être tout de même en mesure de déterminer sa trajectoire professionnelle (Duffy et al., 2012). Cette démarcation est essentielle, car elle encourage les psychologues en orientation à aider la personne à réfléchir aux différentes manières dont elle peut réagir aux contraintes qui lui sont imposées. En effet, si les individus n’ont pas de pouvoir sur ce qui leur arrive, ils peuvent, en revanche, décider de la façon dont ils vont y répondre (Peck, 1978). Ce faisant, les psychologues en orientation peuvent aider les consultant·es à développer leur « flexibilité psychologique », soit leur capacité à identifier les problèmes et à trouver de multiples stratégies pour y répondre ; une composante essentielle à leur bienêtre (Kashdan & Rottenberg, 2010) et à leur pouvoir d’agir. Pour cela, ils et elles pourront les aider à explorer les manières dont ils ou elles peuvent éviter ces contraintes, les combattre activement lorsqu’elles sont présentes, réfléchir à l’avance à leurs causes possibles en vue d’y trouver une solution à long terme, les dédramatiser ou en identifier les bénéfices potentiels (McGonigal, 2015).

9. Le manque d’employabilité

24De plus en plus, les spécialistes de l’orientation mettent en avant la nécessité pour les individus de développer leur employabilité, soit leur capacité à gérer leur carrière de manière proactive, en mobilisant leurs ressources personnelles et sociales pour préserver leur bien-être et faire face aux imprévus et aux obstacles (Hirschi, 2018a). Parmi les difficultés liées à l’éco-orientation qui pourraient s’inscrire dans cette catégorie figure notamment la crainte que la poursuite d’une carrière plus écologique ou pro-sociale constitue une entrave à l’atteinte ou au maintien d’un certain niveau de bien-être. Face à une telle problématique, les psychologues en orientation peuvent expliciter à la personne la distinction entre le bien-être « hédonique » (soit la recherche des plaisirs et l’évitement des vécus déplaisants) et le bien-être « eudémonique » (soit l’investissement dans des activités porteuses de sens, en dépit de la souffrance) (Deci & Ryan, 2008), tout en soulignant que l’engagement dans des actions altruistes peut fortement contribuer à cette deuxième conception du bonheur (Curry et al., 2018). Par ailleurs, ils et elles peuvent également encourager la personne à réfléchir à la manière dont elle pourrait poursuivre un bien-être qui soit « durable », c’est-à-dire dont l’atteinte ne suppose pas d’exploiter autrui ou les ressources terrestres, mais contribue au contraire à leur protection et à leur épanouissement (Kjell, 2011).

25Enfin, une deuxième difficulté d’éco-orientation qui peut entrer dans le cadre du manque d’employabilité est celle qui implique que la personne se sente tellement démunie pour affronter les questions liées aux problèmes écologiques et humains, qu’elle préfère tout bonnement éviter de s’y confronter. En effet, lorsque les individus rencontrent des situations stressantes, il est fréquent qu’ils choisissent de se dérober face au problème (Lazarus & Folkman, 1984), que ce soit en le niant, en s’interdisant d’y penser, en évitant de s’y confronter, ou en cherchant des distractions (Steptoe, 1991). Toutefois, si de telles stratégies peuvent apporter un soulagement à court terme, elles sont rarement efficaces (e.g., Wenzlaff & Wegner, 2000) notamment à long terme. Dans ces cas, les psychologues en orientation gagneront à mettre en évidence les schémas de réaction de la personne en situation de stress – par exemple au moyen de la réalisation d’une analyse fonctionnelle (voir Rochat, 2016, pour un exemple concret à ce sujet) – pour identifier les croyances et les émotions qui peuvent contribuer à l’adoption de stratégies d’évitement vis-à-vis de ces questions, et discerner des moyens de les affronter. Les stratégies présentées ci-dessus visant à aider la personne à prendre conscience de ses ressources internes et externes pourront également être mobilisées à cette fin.

II. Discussion

Apports et limites

26Le premier objectif de cet article consistait à dresser une liste des difficultés propres à la prise en compte de la durabilité lors de démarches d’éco-orientation. Le résultat de cette démarche est synthétisé dans le Tableau 1. Cette étape permet de souligner l’importance des travaux pionniers menés dans ce domaine (Bodoira & Rochat, 2021 ; Cohen-Scali, 2018 ; Di Fabio & Bucci, 2016 ; Di Fabio & Rosen, 2020 ; Guichard, 2013, 2016, 2019, 2021 ; Masdonati & Rossier, 2021 ; Plant, 2014 ; Rochat & Masdonati, 2019) et également de donner un cadre aux outils et interventions proposés à cette fin, en soulignant notamment à quelle problématique spécifique ceux-ci permettent de répondre. En effet, le second objectif consistait à inventorier les approches et stratégies susceptibles de favoriser la résolution de ces difficultés, de sorte à faciliter la sélection des interventions pertinentes par les psychologues en orientation (Rochat, 2019). De manière intéressante, comme illustré dans la deuxième colonne du Tableau 1, cette démarche tend à souligner que ces professionnel·les disposent déjà d’outils, de compétences et d’expériences utiles pour s’atteler à ces obstacles : un constat réjouissant au vu de la croissance escomptée de la demande vis-à-vis de la prise en charge de telles problématiques.

Tableau 1 - Synthèse des difficultés d’éco-orientation identifiées dans l’article et des interventions possibles, déjà utilisées dans le champ l’orientation, pour y répondre.
Table 1 - Summary of the green guidance difficulties identified in the article and of the possible interventions, already used in career counseling, to address them.

Problématiques	Interventions
1. Manque d’importance accordée à la durabilité	Utiliser les stratégies de l’entretien motivationnel et/ou cultiver l’empathie et l’altruisme (par ex. via la méditation)
2. Manque de confiance en sa capacité à intégrer la durabilité dans sa carrière	Utiliser les stratégies de l’entretien motivationnel et les inventaires de qualités
3. Pessimisme à l’égard de l’avenir de la planète et de l’humanité	amener la personne à trouver des contre-exemples ou à reformuler ses affirmations
4. Éco-anxiété	Recadrer l’anxiété en une ressource et/ou proposer des exercices de gratitude
5. Croyance dysfonctionnelle sur les champs d’action en faveur de la durabilité	Analyser les rôles de vie et les contributions possibles dans ces sphères
6. Croyance dysfonctionnelle sur les options durables	amener la personne à trouver des contre-exemples ou à réfléchir sur des vignettes
7. Confusion sur les notions de « métier » et de « poste »	Rappeler les types de choix existants (de formation, de métier et de poste) et les facteurs pertinents pour chacun d’eux
8. Manque d’information sur les composantes d’un choix durable	Présenter le modèle de l’ikigaï
9. Manque d’information sur les objectifs de développement durable	Présenter les objectifs de développement durable de l’ONU
10. Manque d’information sur les ressources personnelles	Utiliser des inventaires et identifier les ressources externes
11. Manque d’information sur les métiers et formations durables existants	Se tenir à jour et se renseigner sur les possibilités
12. Manque d’information sur les métiers et formations durables du futur	Consulter et nuancer les prévisions et encourager l’entrepreneuriat
13. ambivalence vis-à-vis de l’adoption de comportements durables	Faire appel aux approches motivationnelles, cognitives ou centrées sur les émotions
14. ambitions durables (un peu) démesurées	Amener la personne à identifier par elle-même les limites à son objectif et les alternatives qui resteraient motivantes
15. Conflits entre le milieu professionnel et les valeurs écologiques et humaines	Explorer les options d’intrapreneuriat ou de job crafting et les alternatives satisfaisantes
16. Sentiment d’impuissance face aux contraintes structurelles des projets durables	Explorer la diversité des réactions possibles face aux contraintes
17. Confusion quant aux constituants du bienêtre durable	Distinguer bien-être hédonique et eudémonique et bien-être durable
18. Difficulté affronter les questions écologiques	analyser et réviser la chaîne des situations, pensées, émotions et réactions

27La réflexion menée contribue également à délimiter le rôle et la plus-value propres de ces professionnel·les dans le vaste champ de la durabilité, notamment à l’égard des autres acteur·trices du domaine (spécialistes du climat, militant·es, économistes, enseignant·es, thérapeutes, etc.), tout en laissant entrevoir les synergies possibles avec ces dernier·ères. Par exemple, l’instruction au sujet des formes de travail et de leur impact sur le climat, telle que suggérée par Guichard (2018), pourrait être dispensée par des enseignant·es dans le cadre d’une « approche orientante » dans laquelle l’école intégrerait l’orientation et la durabilité dans son projet éducatif (Canzittu & Demeuse, 2017). Néanmoins, il convient de relever que les propositions effectuées jusqu’ici sont limitées, car les difficultés examinées sont dérivées théoriquement à partir d’un modèle initialement conçu pour recenser les obstacles entravant un processus de choix qui ne tiennent pas compte explicitement des enjeux de la durabilité écologique ou humaine. En ce sens, il est envisageable que l’adoption d’une approche visant à identifier empiriquement les difficultés rencontrées par les personnes qui cherchent à tenir compte des dimensions écologiques et humaines dans leur orientation ou qui se baserait sur un modèle alternatif des obstacles à la gestion de carrière (e.g., Hacker et al., 2013 ; Saka & Gati, 2007) conduise à la localisation de problématiques différentes. En ce sens, il convient également de préciser que la typologie proposée ici n’est pas exhaustive, mais se veut plutôt une première tentative pour aborder un enjeu d’envergure planétaire.

28À noter enfin que cet article s’est centré sur les interventions à destination d’individus en prise avec des décisions de carrière dont l’éventail des choix de carrière est large, par opposition à des publics dont les options sont fortement restreintes (pour cause d’obstacles structurels, de problèmes de santé ou financiers, d’un faible niveau de qualification, etc.). Toutefois, à l’instar de Duffy et al. (2012) qui opèrent une distinction entre la présence de contraintes et le sentiment de pouvoir prendre des décisions en dépit de ces contraintes (soit la « volition de travail »), il est possible de considérer que même les individus rencontrant des obstacles majeurs dans la gestion de leurs trajectoires professionnelles peuvent aspirer à contribuer aux enjeux écologiques et humains et bénéficier des approches présentées. À titre d’exemple, Bodoira et Rochat (2021) ont récemment illustré qu’une intervention d’orientation basée sur les besoins du monde identifiés par l’ONU pouvait s’avérer pertinente pour des consultant·es rencontrant d’importantes limitations dans leur choix de carrière en raison de problèmes de santé.

Implications pour la recherche

29Afin de pallier ces limites, plusieurs pistes de recherche peuvent être investiguées, à commencer par une validation empirique de la typologie proposée. Au préalable, une démarche d’identification des difficultés d’éco-orientation fréquentes rencontrées par les sujets qui cherchent à s’orienter auprès de psychologues en orientation qualifié·es et expérimenté·es pourrait être menée, à l’instar de celle entreprise par Gati et al. (1996) lors de l’élaboration leur taxonomie de difficultés au choix professionnel. La création d’un outil validé permettrait ensuite d’évaluer la prévalence des différentes problématiques au sein de diverses populations (e.g., Rossier et al., 2021), de manière à imaginer des offres de prestations ciblées pour celles-ci. Dans un troisième temps, l’efficacité des interventions proposées en réponse à ces difficultés pourra être testée empiriquement. Enfin, il convient de relever que, jusqu’à présent, les travaux portant sur la question de l’éco-orientation proviennent principalement d’équipes européennes (Cohen-Scali, 2018 ; Di Fabio & Bucci, 2016 ; Di Fabio & Rosen, 2020 ; Guichard, 2013, 2016, 2019 ; Masdonati & Rossier, 2021 ; Plant, 2014 ; Rochat & Masdonati, 2019) et ont principalement été publiés sous forme de chapitres d’ouvrages ou dans des journaux externes au champ de l’orientation. Afin d’attirer l’attention sur cette thématique, les chercheur·es sont donc encouragé·es à soumettre leurs articles dans des revues internationales faisant autorité dans le domaine.

Implications pour la pratique

30Cet article souligne l’importance d’être en mesure de bien cerner les difficultés d’éco-orientation des consultant·es afin d’y répondre de manière appropriée. De telles préoccupations peuvent être spontanément mentionnées par les personnes, mais les psychologues en orientation peuvent également les faire émerger, par exemple au moyen d’outils comme l’Inventaire des Difficultés d’Éco-Orientation (IDÉO ; Rochat, 2021) disponible en libre accès, qui reprend les 18 problématiques liées à l’intégration des questions écologiques et humaines dans la gestion de carrière listées ci-dessus. Cette évaluation pourra ainsi aider les professionnel·les à sélectionner le type d’interventions qui leur semble le plus adéquat pour y répondre. À cet égard, il s’agit de préciser que les stratégies décrites ici ne sont proposées qu’à titre indicatif et que les psychologues en orientation devront, dans tous les cas, les adapter à la situation et aux caractéristiques uniques des personnes qui les consultent (Whiston & Rose, 2015). De plus, l’ensemble de l’article s’est focalisé sur une approche individuelle de l’orientation, alors qu’il serait pertinent d’explorer également la possibilité de réaliser des interventions collectives (par ex. pour des classes). Par ailleurs, il convient de relever que lorsque la sévérité ou la nature des questionnements des individus dépassent le cadre de l’orientation il s’agira de les référer aux professionnel·les ou collectifs spécialisés appropriés, ce qui implique de se tenir au courant de l’existence de tels réseaux dans sa région. Enfin, au vu de l’importance des liens entre durabilité et carrière, il apparaît que cette thématique gagnerait à être introduite et questionnée dans le cadre du cursus de formation initiale et continue des psychologues en orientation. Par ailleurs, l’accent mis ici sur les difficultés rencontrées par la personne dans son processus d’éco-orientation ne doit pas faire oublier que les réponses à apporter pour un avenir durable ne se limitent pas au niveau individuel, mais qu’elles nécessitent également une mobilisation communautaire et politique forte (Guichard, 2021).

Conclusion

31Cet article détaille une typologie non exhaustive des problématiques susceptibles d’entraver la prise en compte explicite de facteurs écologiques et humains lors des démarches d’orientation. Les pistes pratiques suggérées contribuent à mettre en évidence le fait que porter une attention spécifique à ces enjeux conduit certes à aborder des problématiques inédites, mais que les spécialistes de l’orientation sont déjà bien équipé·es pour y répondre. Le passage de démarches d’orientation à celles d’éco-orientation implique donc, de la part des praticien·nes, un engagement éthique à prendre en compte de manière systématique ces aspects lors de la rencontre avec leurs consultant·es, mais ne semble pas nécessiter de refonte fondamentale de leurs savoirs, savoir-faire et savoir-être. L’exercice mené dans cet article conduit par ailleurs à amorcer une clarification au sujet du rôle singulier des psychologues en orientation dans le vaste panorama des intervenant·es de la durabilité.