Les auteur·es remercient l’Agence Nationale de la Recherche du gouvernement français à travers le programme “Investissements d’Avenir’’ (16-IDEX-0001 CAP 20-25 - programme LIA) pour son soutien.
- 1 Conformément aux recommandations du Conseil de la langue française et de la politique linguistique (...)
1Il existe un intérêt considérable en contexte académique envers l’étude de la motivation. En effet, l’insertion et la persistance des étudiant·es dans une formation académique dépend notamment de leur motivation à poursuivre leurs études (Vallerand et al., 1997). Une bonne insertion « constitue un déterminant significatif de la qualité de la formation » (Pirot & De Ketele, 2000, p. 367), puisque de cette insertion découle un taux de diplomation plus élevé, un critère utilisé pour juger de sa qualité. En effet, plusieurs études ont montré que le taux d’obtention de diplômes est plus élevé dans les institutions de qualité (voir Tinto, 1975, pour une revue sur la persistance en études supérieures). On comprend donc pourquoi la motivation est une variable d’intérêt pour les différents acteur·rices de l’enseignement supérieur. Vallerand et Thill (1993, cités par Fenouillet, 2005, p. 100) définissent le concept de motivation comme « le construit hypothétique utilisé afin de décrire les forces internes et/ou externes produisant le déclenchement, la direction, l’intensité et la persistance du comportement ». De ce construit dépendent effectivement de nombreuses actions liées aux comportements d’apprentissage. Pour favoriser l’insertion et la rétention des étudiant·es dans une formation, il est donc nécessaire de considérer et de comprendre leurs motivations à poursuivre leurs études.
- 2 Traduction de : “can vary widely in the degree to which they are controlled versus autonomous”
2Depuis près d’un siècle, de nombreuses perspectives ont été développées pour étudier le concept de motivation (voir Freud, 1923/1962 ; Hull, 1943 ; Skinner, 1953, cités par Vallerand & Bissonnette, 1992). Dès 1971, Deci étudie et diffuse le concept de motivations autonome et contrôlée, notamment à travers la théorie de l’autodétermination (TAD), mobilisée en psychologie comme en sciences de l’éducation et de la formation. Selon cette théorie, il existe différents types de motivation, situées sur un continuum d’autodétermination, « c’est-à-dire, en fonction du degré avec lequel le comportement est spontané, autonome et émane d’une force intérieure versus est obligé, contraint, émane d’une force extérieure » (Sarrazin & Trouilloud, 2006, p. 129). À une extrémité du continuum se situe la motivation autonome ou déterminée, et à l’autre, la motivation contrôlée, ou non-déterminée. L’autodétermination des individus, de laquelle découleraient leurs comportements et performances, se conceptualiserait donc avant tout dans les différents processus motivationnels. En effet, à l’origine de cette théorie s’inscrivent les recherches sur la motivation intrinsèque (Ryan & Deci, 2017). La motivation intrinsèque correspond au plaisir et à la satisfaction même de la réalisation d’une tâche ou d’une activité (Vallerand et al., 1989). Selon Ryan et Deci (2017), cette motivation peut être qualifiée d’autonome « par définition » (Ryan et Deci, 2017, p. 14) puisque réaliser une activité pour celle-ci est une décision spontanée de l’individu. À l’inverse, la motivation extrinsèque réfère aux comportements instrumentaux, c’est-à-dire, les comportements qui servent de moyens pour obtenir, par exemple, des récompenses, l’atteinte d’un résultat attendu ou une approbation extérieure (Ryan & Deci, 2017). Dans ce cas, les activités ne sont pas réalisées pour elles-mêmes, mais pour ce que l’individu en retire. Les comportements motivés extrinsèquement peuvent être plus ou moins autodéterminés, c’est-à-dire qu’ils « varient fortement dans leur degré de contrôle par l’individu versus d’autonomie de l’individu »2 (Ryan & Deci, 2017, p. 14). En effet, l’individu peut se sentir obligé de réaliser une tâche, par exemple, pour éviter une punition ou dans l’attente d’une rétribution imposée, auquel cas sa motivation sera contrôlée, mais il peut également réaliser une tâche pour obtenir quelque chose qui lui tient à coeur, et donc adopter un comportement plutôt autonome (Ryan & Deci, 2017). Dans ces deux cas, la motivation de l’individu sera régulée par des forces externes, mais son degré d’autodétermination peut être nuancé selon la conséquence attendue. Enfin, lorsqu’un comportement n’est absolument pas autodéterminé et qu’il se situe à l’extrémité du continuum, on parle d’amotivation.
3En somme, les comportements motivés intrinsèquement sont autonomes alors que les comportements motivés extrinsèquement peuvent être autonomes ou contrôlés ; l’amotivation fait référence à l’absence totale d’autonomie (Ryan & Deci, 2017). Par ailleurs, en général, chaque individu est simultanément motivé intrinsèquement et par différents types de motivation extrinsèques (Ryan & Deci, 2017). Cette théorie a donc pour particularité qu’elle considère la motivation selon différentes orientations et non comme une seule et même entité (Ryan & Deci, 2017). Ce même aspect permet d’ailleurs l’application méthodique de la TAD dans des contextes variés tels que la famille, les activités sportives, les lieux de travail et, bien entendu, les contextes éducatifs (Ryan & Deci, 2017).
4Une idée centrale de cette théorie serait que certains types de motivation sont bénéfiques d’un point de vue comportemental, cognitif et affectif (Guay et al., 2001). Ainsi, l’étude de la motivation en milieu académique est intéressante en raison de l’influence de la motivation sur l’apprentissage et l’engagement des étudiant·es. Ces relations ont largement été documentées, mais surtout auprès d’élèves du primaire et du secondaire (Fortier et al., 1995 ; Grolnick et al., 1991 ; Guay & Vallerand, 1996 ; Harackiewicz, 1979 ; Pintrich & Groot, 1990 ; Ratelle et al., 2007 ; Van Nuland et al., 2010). Dans l’enseignement supérieur, la revue de Cacioppo et al. (1996) montre une forte corrélation entre la motivation des étudiant·es et les efforts cognitifs qu’ils vont fournir. Cette corrélation est négative si la motivation est extrinsèque et positive si la motivation est intrinsèque (respectivement r = -.27 ; r = .50-.69). Différents travaux (Duguet, 2014 ; Lambert-Le Mener, 2012 ; Lin et al., 2003) montrent que le lien de la motivation intrinsèque avec la réussite des étudiant·es est positif, alors que le lien avec l’amotivation (i.e., une absence générale de motivation) est négatif. De plus, dans une étude de Hill (2013), les motivations intrinsèque et extrinsèque ont toutes deux une influence positive significative sur l’engagement des étudiant·es et sur leur expérience académique.
5Bråten et Olaussen (2005) ont mesuré différentes stratégies d’apprentissage auprès d’étudiant·es en soins infirmiers et ils ont observé dans quelle mesure ceux-ci adoptaient ces stratégies en fonction de leur motivation. Trois stratégies ont été mesurées : la répétition, l’élaboration et la métacognition. La répétition est considérée comme une stratégie de surface, alors que l’élaboration consiste à construire des connexions entre les contenus et que la métacognition fait référence à la planification, à la gestion et à la régulation de la cognition. Suite à une analyse en clusters, les auteurs ont classé les étudiant·es selon qu’ils ont une motivation positive, modérée ou faible. Ce classement a été réalisé sur la base de plusieurs indicateurs de la motivation : l’intérêt des étudiant·es pour leur domaine d’étude, les buts de maîtrise, la valeur accordée au matériel d’apprentissage et leur sentiment d’auto-efficacité. Bien que cette étude n’analyse pas la motivation des étudiant·es à l’aide du continuum d’autodétermination, elle nous apprend que les étudiant·es dont la motivation est positive, donc avec des scores supérieurs aux différentes mesures de motivation, vont mettre plus fréquemment en place les trois stratégies d’apprentissage que les étudiant·es dont la motivation est plutôt modérée et que les étudiant·es faiblement motivés.
6Des conclusions similaires, mais, cette fois, éclairées par le continuum d’autodétermination, sont mises en lumière dans une étude de Arquero et al. (2015). Ces chercheurs comparent les motivations adoptées par des étudiant·es en soins infirmiers et des étudiant·es en comptabilité ainsi que leurs stratégies d’apprentissage. Ils montrent, premièrement, que les étudiant·es en soins infirmiers ont des scores de motivation intrinsèque plus élevés que les étudiant·es en comptabilité alors que la relation inverse est observée pour la motivation extrinsèque. Deuxièmement, leurs résultats mettent en évidence que les étudiant·es dont la motivation est autonome adoptent une approche approfondie d’apprentissage (deep approach), ainsi que des approches de surface (surface approach) et d’accomplissement (achieving approach). Ces étudiant·es, en plus d’avoir l’intention d’apprendre, ne mettent pas tous leurs oeufs dans le même panier, et restent stratégiques. Par contre, les étudiant·es dont la motivation est plutôt contrôlée adoptent essentiellement des stratégies de surface et d’accomplissement. Enfin, une corrélation négative est observée entre l’approche approfondie d’apprentissage et l’amotivation des étudiant·es, ce qui signifie que les étudiant·es motivés n’essaient pas de comprendre les contenus d’apprentissage proposés dans les formations.
7La motivation des étudiant·es entrant en Institut de Formation en Soins Infirmiers (IFSI) est à l’heure actuelle peu étudiée, notamment sous l’angle de la théorie de l’autodétermination. Pourtant, depuis le début des années 2000, un nombre croissant d’étudiant·es s’inscrivent chaque année à cette formation (Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques, 2016). En France, cette filière est la plus demandée. Ainsi, en 2019, 10 % des étudiant·es définissent cette formation comme étant leur premier vœu d’orientation. Cependant, seul un tiers d’entre eux accède à cette formation (Ministère de l’enseignement supérieur de la recherche et de l’innovation, 2019). Il est donc important de comprendre quelles motivations les poussent à poursuivre ces études supérieures et où ils·elles se situent sur le continuum de l’autodétermination. Les construits évoqués par cette théorie pourraient mettre en lumière ce qui motive effectivement les étudiant·es, et donc dans quel climat d’apprentissage ils pourraient construire et développer leurs apprentissages, de manière efficace et épanouissante. En effet, ce public présente différentes particularités, rapportées en 2016 par la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques. Parmi les inscrits, un tiers exerçait une activité professionnelle préalablement à leur statut d’étudiant et un autre tiers provient d’une formation préparatoire. De plus, on observe un grand déséquilibre quant à la proportion hommes-femmes puisque 83 % des inscrits en première année sont des femmes. Enfin, les étudiant·es sont en moyenne plus âgés, par rapport aux autres filières de l’enseignement supérieur.
8L’étude de la motivation de ces étudiant·es présente donc un intérêt certain, pour les formateur·trices, enseignant·es et décideur·euses de ces précieuses formations en soins infirmiers. Les recherches ont maintes fois mises en évidence les relations entre les motivations des étudiant·es et de nombreuses variables académiques, telles que leurs stratégies d’apprentissage, leur réussite, leurs efforts et leur engagement, ou bien encore leur abandon. Il s’agit, dès lors, de prendre connaissance et de comprendre les motivations qui orientent ces étudiant·es à leur arrivée en formation pour, in fine, faire évoluer la formation vers un climat motivationnel qui favorisera leurs apprentissages (Sarrazin & Trouilloud, 2006). En d’autres termes, cette recherche a pour objectif secondaire d’offrir une meilleure connaissance de la motivation des étudiant·es entrant en IFSI aux acteur·rices de la formation en soins infirmiers, et ce pour tendre vers un ajustement des actions pédagogiques auprès de ces étudiant·es.
9La présente étude propose donc une description de la motivation des étudiant·es entrant en IFSI, à travers la théorie de l’autodétermination.
10La théorie de l’autodétermination, formulée puis révisée par Deci et Ryan (Deci & Ryan, 1985, 2000 ; Ryan & Deci, 2020), offre une perspective pour comprendre la motivation scolaire et académique. Cette théorie propose de positionner différents construits motivationnels sur un continuum d’autodétermination. Sur ce continuum, on situe la motivation selon qu’elle est autonome, c’est-à-dire, régulée plutôt par choix personnel (autodéterminée) ou contrôlée, par une pression interne ou externe (non-autodéterminée) (Sarrazin et al., 2006). Cette théorie prend notamment appui sur trois construits motivationnels : la motivation intrinsèque, la motivation extrinsèque, et l’amotivation.
11La motivation intrinsèque est autonome par essence puisqu’elle « réfère au fait de faire une activité pour le plaisir et la satisfaction que l’on en retire pendant la pratique de l’activité » (Vallerand et al., 1989, p. 324) et cette satisfaction est inhérente à l’activité propre. Vallerand et Blais (1987, cités par Vallerand et al., 1989) identifient trois types de motivation intrinsèque : les motivations intrinsèques à la connaissance, à l’accomplissement et à la stimulation.
12Ces auteurs précisent qu’une personne est animée par une motivation intrinsèque à la connaissance lorsqu’elle fait une activité pour « la satisfaction qu’elle ressent lorsqu’elle est en train d’apprendre quelque chose de nouveau » (Vallerand et al., 1989, p. 324). La motivation intrinsèque à l’accomplissement intervient lorsqu’une personne fait une activité pour « la satisfaction qu’elle ressent lorsqu’elle est en train d’accomplir, de créer quelque chose ou encore d’essayer de relever un défi » (Vallerand et al., 1989, p. 325). Enfin, on parle de motivation intrinsèque à la stimulation (ou aux sensations) lorsqu’une personne « fait une activité dans le but de ressentir des sensations spéciales (amusement, excitation, plaisir sensoriel, esthétisme ou autre) que lui procure son implication au sein de l’activité » (Vallerand et al., 1989, p. 325). Ce dernier type de motivation reste moins bien documenté.
13La motivation extrinsèque réfère à la réalisation d’une activité dans le but d’en « retirer quelque chose de plaisant ou d’éviter quelque chose de déplaisant » (Vallerand et al., 1989, p. 326) ; l’activité n’est plus réalisée pour elle-même mais pour le résultat qui en découle. Plusieurs types de motivation extrinsèque sont documentés : la régulation externe, les motivations extrinsèques introjectée, identifiée et intégrée (Deci & Ryan, 1985).
14La régulation externe correspond à un comportement régulé par des sources de contrôles externes à la personne, telles que des récompenses matérielles sans lien avec l’activité ou des contraintes imposées (sentiment d’obligation). Les actions qui en découlent sont donc très peu autodéterminées et fortement contrôlées par des forces externes. La motivation extrinsèque introjectée intervient lorsque les sources de contrôle sont internes à la personne, par exemple, un sentiment de culpabilité. La punition ou la récompense associées sont alors internes à la personne (Sarrazin & Trouilloud, 2006). Les actions qui découlent de ces deux types de motivation extrinsèques sont donc fortement contrôlées. La motivation extrinsèque identifiée intervient lorsque l’activité est choisie par la personne à des fins externes à l’activité ou instrumentales, donc en lien avec des buts personnels. Enfin, la motivation extrinsèque est intégrée lorsque la personne régule son comportement pour correspondre à d’autres schémas de sa personne. Par exemple, elle va étudier pour réussir ses examens ou pour poursuivre une carrière choisie (Vallerand et al., 1989). On peut alors parler de « synthèse avec le soi » puisque « l’individu considère […] l’activité comme une partie de lui-même, quelque chose de cohérent avec ses valeurs et ses besoins » (Sarrazin & Trouilloud, 2006, p. 132). Dans ces deux derniers cas, la motivation est relativement autonome même si elle reste extrinsèque puisque les individus vont agir de leur propre volonté en approuvant l’importance de la tâche ou de l’activité (Ryan & Deci, 2020). La motivation extrinsèque intégrée a fait l’objet de peu de recherches, notamment parce qu’elle est absente de l’échelle de Vallerand et al. (1989), couramment utilisée dans les recherches sur la TAD. En effet, selon leur étude et d’autres, il semble difficile de différencier l’intégration de l’identification (Ryan & Cornell, 1986 ; Vallerand & Bissonnette, 1988a, cités par Vallerand et al., 1989).
15Enfin, l’amotivation correspond à l’absence complète de motivation et intervient lorsque la personne a le sentiment que ses actions sont provoquées par des facteurs qu’elle ne peut pas contrôler et qu’elle « ne perçoit pas de relations entre ses actions et les résultats obtenus » (Vallerand et al., 1989, p. 328). Les actions qui découlent de l’amotivation ne sont pas du tout autodéterminées et sont peu valorisées par la personne, qui se sent impuissante, incompétente ou désintéressée (Ryan & Deci, 2020 ; Sarrazin & Trouilloud, 2006).
16Plusieurs auteurs ont étudié ces différents types de motivation auprès de différents publics d’élèves (Taylor et al., 2014) et d’étudiant·es (Arquero et al., 2015 ; Leal et al., 2013). À titre de comparaison, les scores de motivation obtenus par les étudiant·es dans ces études sont présentés dans le Tableau 1. Ces chiffres révèlent, d’une part, que les différents types de motivation peuvent coexister au sein d’une même population d’apprenant·es et, d’autre part, que les scores de motivation peuvent varier fortement d’une population à l’autre. Par exemple, nous observons que les étudiant·es en soins infirmiers sont, en moyenne, plus motivés intrinsèquement que les étudiant·es en comptabilité, mais moins que les élèves en fin de secondaire.
- 3 De manière à permettre la comparaison entre les publics d’apprenant·es, tous les scores ont été ram (...)
Tableau 1 - Scores de motivation de différents publics d’apprenant·es3
Table 1 - Motivation scores of different learner groups
Études
|
Taylor et al.
(2014), étude 4
|
Taylor et al.X(2014)
, étude 3
|
Arquero et al.
(2015)
|
Arquero et al.
(2015)
|
Leal et al.
(2013)
|
Participant·es
|
Fin secondaire, 18-19 ans, Suède
|
Fin secondaire, 17-18 ans, Canada
|
Étudiant·es en comptabilité, Espagne
|
Étudiant·es en soins infirmiers, Espagne
|
Étudiant·es en comptabilité, Brésil
|
|
M
|
ET
|
M
|
ET
|
M
|
ET
|
M
|
ET
|
M
|
ET
|
Motivation intrinsèque
|
4,87
|
1,44
|
5,22
|
0,80
|
4,29
|
1,01
|
4,85
|
0,99
|
4,72
|
1,86
|
Motivation extrinsèque
|
--
|
--
|
--
|
--
|
5,15
|
1,10
|
4,94
|
1,28
|
--
|
--
|
Régulation identifiée
|
5,09
|
1,23
|
6,03
|
0,74
|
--
|
--
|
--
|
--
|
--
|
--
|
Régulation introjectée
|
3,87
|
1,24
|
4,62
|
0,94
|
--
|
--
|
--
|
--
|
3,08
|
1,93
|
Régulation externe
|
4,39
|
1,24
|
5,68
|
0,87
|
5,85
|
1,10
|
5,15
|
1,20
|
--
|
--
|
Amotivation
|
2,71
|
1,28
|
2,18
|
0,87
|
--
|
--
|
--
|
--
|
1,51
|
1,20
|
17Les IFSI accueillent un public spécifique dont les motivations dominantes ont fait l’objet de rares études scientifiques. Or, de nombreuses variables en lien avec les apprentissages et la réussite découlent de ces motivations, notamment la persistance, l’effort et l’engagement. Ainsi, l’étude de la motivation sous l’angle de la théorie de l’autodétermination révèle à de nombreuses reprises le rôle significatif de la motivation intrinsèque et autonome sur la réussite des étudiant·es (Ryan & Deci, 2020 ; Taylor et al., 2014). De plus, les écoles et institutions ont leur rôle à jouer quant au développement et au bien-être des étudiant·es, façonnés notamment par leur motivation (Ryan & Deci, 2020).
18Les questions de recherche qui guident cette étude sont les suivantes :
19QR1. Les étudiant·es entrant à l’IFSI sont-ils plutôt caractérisés par une motivation autonome ou contrôlée ?
20QR2. Parmi les sept types de motivation décrits par Vallerand et al. (1989), quels types de motivation caractérisent les étudiant·es entrant à l’IFSI ?
21QR3. Les étudiant·es entrant à l’IFSI sont-ils plus ou moins motivés que les étudiant·es en fin de secondaire, que les étudiant·es en comptabilité et que les étudiant·es en soins infirmiers, toutes années confondues ?
22Pour y répondre, des étudiant·es issus de six IFSI français ont été invités à répondre à l’échelle de motivation académique construite par Vallerand et al. (1989) et mesurant sept types de motivation.
23L’instrument utilisé dans cette étude est l’échelle ÉMÉ-U 28 (échelle de motivation dans les études) construite et validée en français par Vallerand et al. (1989). Cette échelle comprend 28 items répartis en sept sous-échelles et est de type Likert en sept points allant de « Ne correspond pas du tout » à « Correspond très fortement ». Cet instrument mesure trois types de motivation intrinsèque : à la connaissance (MIC), à l’accomplissement (MIA) et à la stimulation (MIS) ; trois types de motivation extrinsèque : régulation externe (MERe), introjectée (MEIn) et identifiée (MEId) ; ainsi que l’amotivation (Am). La Figure 1 montre sous quelle forme est proposée l’échelle.
Figure 1 - Aperçu du questionnaire ÉMÉ-U 28
Figure 1.- Questionnaire overview ÉMÉ-U 28
24L’échantillon est composé de 538 étudiant·es de première année, d’un âge moyen de 22,07 ans (ET = 5.765) et dont 85,3 % sont des femmes. La quasi-totalité des étudiant·es (97,2 %) a le français pour langue maternelle (Tableau 2).
Tableau 2 – Échantillon
Table 2 - Sample
|
|
N
|
n
|
Pourcentage
|
Sexe
|
Féminin
|
537
|
459
|
85,3
|
Masculin
|
78
|
14,5
|
Langue maternelle
|
Français
|
538
|
523
|
97,2
|
Autre
|
15
|
2,8
|
Statut social
|
Première génération
|
538
|
178
|
33,1
|
Génération continue
|
360
|
66,9
|
Expérience professionnelle dans le milieu des soins
|
Non
|
537
|
267
|
49,6
|
Oui
|
270
|
50,2
|
Inscription
|
Formation initiale
|
535
|
431
|
80,1
|
Reconversion professionnelle
|
104
|
19,3
|
25Pour évaluer le statut social des étudiant·es, le diplôme d’éducation des parents a été utilisé (Stephens et al., 2012). Les participants ont rapporté le diplôme le plus élevé de chacun de leurs parents. Ceux dont au moins un des parents avait obtenu leur baccalauréat ont été codés comme des étudiant·es de génération continue. Lorsqu’aucun des deux parents n’a obtenu ce diplôme, ils ont été codés comme des étudiant·es de première génération.
26De plus, la moitié des étudiant·es déclare une expérience professionnelle dans le milieu des soins avant leur entrée à l’IFSI, et 20 % des étudiant·es précisent s’être inscrits dans une optique de reconversion professionnelle.
27En premier lieu, la distribution des items a été étudiée à l’aide des indices d’asymétrie (skewness) et d’aplatissement (kurtosis).
28En deuxième lieu, de manière à estimer l’ajustement des données recueillies par rapport à l’échelle utilisée, une analyse factorielle confirmatoire (AFC) a été menée à l’aide du logiciel AMOS SPSS. Le modèle hypothétique testé est présenté en Figure 2.
Figure 2 - Modèle hypothétique de l’échelle de motivation
Figure 2 - Hypothetical model of the motivation scale
29Plusieurs indices ont été consultés : le CFI (comparative fit index) et le TLI (Tucker-Lewis index) pour lesquels un score se situant au-delà de .90 indique un ajustement acceptable et un score se situant au-delà de .95 indique un ajustement excellent ; ainsi que le RMSEA (Root Mean Square Error of Approximation) pour lequel un score inférieur à .08 indique un ajustement acceptable et un score inférieur à .05 indique un ajustement excellent (Byrne, 2010 ; Jöreskog & Sörbom, 1993 ; Kline, 2011). Puisque le modèle n’était pas parfaitement ajusté, des re-spécifications ont été réalisés sur la base des indices de modifications (Byrne, 2010).
30Pour comparer les différents modèles (modèle initial et modèles re-spécifiés), deux critères ont été utilisés : le AIC (Akaike Information Criterion) et le BIC (Bayesian Information Criterion) (Byrne, 2010).
31Enfin, une analyse statistique descriptive a été utilisée pour calculer les moyennes et les écarts types de chaque type de motivation et les corrélations entre toutes les variables ont été calculées.
32Sur les 28 items, six items ont des valeurs indiquant une asymétrie : les items de l’amotivation et deux items de la motivation extrinsèque identifiée. Les mêmes items indiquent un aplatissement s’éloignant d’une distribution normale, ainsi que deux items de la motivation intrinsèque à la connaissance.
33Une première analyse factorielle confirmatoire a été réalisée sur la base du modèle hypothétique initial proposé par Vallerand et al. (1989).
34Les indices d’ajustement du modèle complet (modèle 1) n’étant pas satisfaisants (Tableau 3), une re-spécification du modèle a été réalisée sur la base des coefficients α de Cronbach et ω de McDonald (Tableau 4). Cette étape révèle qu’une des variables latentes présente une faible cohérence interne : la motivation extrinsèque identifiée. Les analyses concernant cette variable ne sont donc pas poursuivies. Ainsi, un second modèle a été créé : le modèle 2, identique au modèle 1, mais retranché de la motivation extrinsèque identifiée.
Tableau 3 - Indices d’ajustement des modèles de mesures de la motivation
Table 3 - Fit indices for motivation measurement models
|
χ2
|
dl
|
GFI
|
CFI
|
RMSEA
[IC 90 %]
|
AIC
|
BIC
|
Modèle 1
|
1048,36***
|
329
|
0,872
|
0,881
|
0,064
[0,059‑0,068]
|
1202,357
|
1532,522
|
Modèle 2
|
790,28***
|
237
|
0,887
|
0,899
|
0,066
[0,061‑0,071]
|
916,280
|
1186,415
|
Note. *** p < .001
dl: degrés de liberté, GFI: goodness of fit index, CFI: comparative fit index, TLI: Tucker-Lewis index, RMSEA: Root Mean Square Error of Approximation, AIC: Akaike Information Criterion, BIC: Bayesian Information Criterion
35En ce qui concerne les indices d’ajustement, ce dernier modèle est acceptable. De plus, les critères AIC et BIC du modèle 2 sont plus faibles que les critères du modèle 1, ce qui indique qu’il est plus équilibré, en termes de complexité et d’ajustement. Le modèle 2 est présenté en Figure 3. Toutes les saturations sont hautement significatives (p < .001). Par souci de lisibilité, les corrélations entre les variables latentes n’ont pas été précisées en Figure 3, mais sont présentées dans le Tableau 4.
Figure 3 - Modèle factoriel confirmatoire final
Figure 3 - Final confirmatory factorial model
36Enfin, la moyenne des items de chaque sous-échelle a été calculée, ainsi que d’autres statistiques descriptives, présentées dans le Tableau 4.
Tableau 4 - Coefficients de cohérence interne et statistiques descriptives des sous-échelles de la motivation
Table 4 - Internal consistency coefficients and descriptive statistics of motivation subscales
|
α
|
ω
|
M
|
ET
|
Médiane
|
Amotivation
|
.749
|
.912
|
1,18
|
0,534
|
1,00
|
Régulation externe
|
.794
|
.801
|
4,02
|
1,54
|
4,00
|
Motivation extrinsèque introjectée
|
.820
|
.824
|
4,57
|
1,51
|
4,75
|
Motivation extrinsèque identifiée
|
.548
|
.601
|
--
|
--
|
--
|
Motivation intrinsèque à la stimulation
|
.777
|
.791
|
3,44
|
1,25
|
3,50
|
Motivation intrinsèque à l’accomplissement
|
.788
|
.791
|
4,52
|
1,32
|
4,75
|
Motivation intrinsèque à la connaissance
|
.779
|
.782
|
5,82
|
0,918
|
6,00
|
Notes. α : α de Cronbach, ω : ω de McDonald, M : moyenne, ET : écart-type
37Les corrélations entre les différents types de motivation sont présentées dans le tableau 5. Le test de corrélation non-paramétrique de Spearman a été choisi puisque les variables ne sont pas distribuées normalement. En effet, les scores d’aplatissements excèdent deux et les tests de normalité de Shapiro-Wilk sont significatifs pour les six types de motivation.
Tableau 5 - Corrélations de Spearman entre les variables étudiées
Table 5 - Spearman correlations between variables
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
6
|
7
|
8
|
9
|
10
|
11
|
Age
|
--
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Sexe
|
-.088*
|
--
|
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Langue maternelle
|
-.06
|
.155**
|
--
|
|
|
|
|
|
|
|
|
Statut social
|
-.146**
|
-.02
|
.097*
|
--
|
|
|
|
|
|
|
|
Expérience en soins
|
.366**
|
-.08
|
.01
|
-.08
|
--
|
|
|
|
|
|
|
Statut d’inscription
|
.657**
|
-.101*
|
-.05
|
-.136**
|
.318**
|
--
|
|
|
|
|
|
MI à l'accomplis-sement
|
.04
|
.213**
|
-.05
|
-.04
|
.04
|
-.04
|
--
|
|
|
|
|
MI à la connaissance
|
.189**
|
.06
|
-.03
|
-.05
|
.174**
|
.146**
|
.584**
|
--
|
|
|
|
MI à la stimulation
|
.095*
|
.08
|
-.06
|
.04
|
.03
|
.06
|
.568**
|
.479**
|
--
|
|
|
Régulation externe
|
-.206**
|
.105*
|
.01
|
.06
|
-.07
|
-.219**
|
.260**
|
.137**
|
.159**
|
--
|
|
ME introjectée
|
-.02
|
.227**
|
-.03
|
-.02
|
.03
|
-.06
|
.626**
|
.361**
|
.403**
|
.545**
|
--
|
Amotivation
|
-.05
|
-.117**
|
-.08
|
.06
|
-.06
|
.03
|
-.136**
|
-.216**
|
.02
|
.07
|
-.04
|
Notes. MI : motivation intrinsèque, ME : motivation extrinsèque, * p < .05, ** p < .01.
38Concernant les variables sociodémographiques, l’âge est significativement et positivement corrélé à la motivation intrinsèque à la connaissance et négativement à la régulation externe. Le sexe (codé 0 = homme, 1 = femme) est positivement corrélé avec la motivation intrinsèque à l’accomplissement, la régulation externe et la motivation extrinsèque introjectée. Le statut social n’est corrélé avec aucun type de motivation. L’expérience professionnelle dans le milieu des soins et le statut d’inscription sont corrélés positivement avec la motivation intrinsèque à la connaissance. Enfin, le statut d’inscription (codé 0 = formation initiale, 1 = reconversion professionnelle) est corrélé négativement avec la régulation externe.
39Par ailleurs, tous les types de motivation, sauf l’amotivation, sont significativement et positivement corrélés entre eux. L’amotivation est corrélée négativement aux motivations intrinsèques à l’accomplissement et à la connaissance, mais n’est pas corrélée aux trois autres types de motivation.
40En Figure 4 sont représentés graphiquement les scores moyens de chaque type de motivation mesurés. Les six types de motivation ont été testés deux à deux à l’aide du test non-paramétrique de Wilcoxon pour vérifier si les différences entre eux sont significatives. Les résultats, présentés dans le Tableau 6, montrent que les scores de motivation sont tous différents les uns des autres, de manière significative.
Figure 4 - Représentation graphique des scores moyens des différents types de motivation
Figure 4 - Graphical representation of the average scores of the different types of motivation
41Nous observons que les scores de motivation sont donc tous significativement différents, à l’exception de la motivation extrinsèque introjectée et de la motivation intrinsèque à l’accomplissement dont les scores semblent équivalents.
Tableau 6 - Résultats des tests de Wilcoxon
Table 6 - Results of the Wilcoxon test
|
1
|
2
|
3
|
4
|
5
|
MI à la connaissance
|
--
|
|
|
|
|
ME introjectée
|
16,08***
|
--
|
|
|
|
MI à l'accomplissement
|
18,76***
|
1,86
|
--
|
|
|
Régulation externe
|
17,68***
|
8,32***
|
6,24***
|
--
|
|
MI à la stimulation
|
20,02***
|
14,34***
|
16,37***
|
7,22***
|
--
|
Amotivation
|
20,03***
|
19,64***
|
19,66***
|
19,57***
|
19,22***
|
Note. MI : motivation intrinsèque, ME : motivation extrinsèque, *** p < .001
42En somme, ces résultats nous permettent de dire que les étudiant·es de cet échantillon sont, en premier lieu, guidés par leur motivation intrinsèque à la connaissance, ensuite par à la fois la motivation extrinsèque introjectée et la motivation intrinsèque à l’accomplissement. En troisième position vient la régulation externe, suivie par la motivation intrinsèque à la stimulation. Enfin, le score d’amotivation est le score moyen le plus faible des différents types de motivation adoptés par les étudiant·es.
43De manière à faciliter la comparaison avec les populations décrites précédemment, des scores moyens de motivations intrinsèque et extrinsèque ont été calculés (respectivement, M = 4,59 ; ET = 0,98 et M = 4,30 ; ET = 1,35).
44Les comparaisons suivantes reposent sur les scores présentés en Tableau 1. Puisque nous n’avons pas les données des populations comparées, nous ne pouvons affirmer que les différences constatées sont statistiquement significatives. Nous nous contenterons donc d’une analyse comparative descriptive.
45En comparaison avec les étudiant·es de fin de secondaire, les étudiant·es de notre échantillon obtiennent des scores de motivation intrinsèque et de motivés par leurs études que cette population. Cependant, les étudiant·es de notre échantillon sont relativement moins motivés que les étudiant·es de fin de secondaire. Les résultats sont plus mitigés en comparaison des étudiant·es en comptabilité. La motivation intrinsèque semble sensiblement équivalente, mais les étudiant·es de notre échantillon ont une motivation extrinsèque introjectée plus élevée et une amotivation plus faible. Enfin, les scores obtenus par les étudiant·es de notre échantillon sont plus faibles que les scores obtenus par les étudiant·es en soins infirmiers en Espagne. Ce constat concerne les scores globaux de motivations intrinsèque et extrinsèque, mais nous n’avons pas de point de comparaison concernant l’amotivation.
46Les résultats décrits précédemment permettent de répondre aux questions de recherche qui ont orienté cette étude, à savoir :
-
QR1. Les étudiant·es entrant à l’IFSI sont-ils plutôt caractérisés par une motivation autonome ou contrôlée ?
-
QR2. Parmi les sept types de motivation décrits par Vallerand et al. (1989), quels types de motivation caractérisent les étudiant·es entrant à l’IFSI ?
-
QR3. Les étudiant·es entrant à l’IFSI sont-ils plus ou moins motivés que les étudiant·es en fin de secondaire, que les étudiant·es en comptabilité et que les étudiant·es en soins infirmiers, toutes années confondues ?
47La présente étude montre que les étudiant·es entrant à l’IFSI sont très animés par leur motivation intrinsèque à la connaissance. Selon la théorie de l’autodétermination, la motivation des étudiant·es de cet échantillon est particulièrement autonome. Dès lors, les actions qui découlent de cette motivation proviennent des choix propres des étudiant·es (Deci & Ryan, 2000). Des études antérieures montrent que la motivation intrinsèque a des effets positifs sur l’apprentissage de surface, l’apprentissage profond et la performance (Vallerand et al., 1997 ; Vansteenkiste et al., 2004). Dans les travaux de Vansteenkiste et al., (2004), on voit que ce lien est renforcé dans un contexte où l’autonomie des étudiant·es est soutenue, par rapport à un climat d’apprentissage très contrôlé. De plus, les étudiant·es motivés intrinsèquement sont ceux qui décrochent le moins en cours de parcours (Guay et al., 2008 ; Vansteenkiste et al., 2004). Une bonne insertion académique de ces étudiant·es est donc plus probable et ils ont plus de chances d’obtenir leur diplôme. Notre étude montre également que ce sont les étudiant·es les plus âgés, donc les étudiant·es qui ont plus de chances d’avoir une expérience professionnelle préalable à leur statut d’étudiant et d’être en reconversion professionnelle, qui sont les plus animés par cette motivation.
48Un autre résultat de cette étude montre que les étudiant·es veulent réussir pour se prouver qu’ils peuvent le faire (motivation extrinsèque introjectée). Ce résultat est plus prégnant chez les femmes. Plusieurs études montrent que cette pression interne est présente chez les étudiant·es les plus persistants et dont l’insertion est meilleure puisque ce sont ces étudiant·es qui décrochent le moins (Otis et al., 2005 ; Vallerand et al., 1997). Cependant, les effets psychologiques de cette motivation peuvent être délétères puisqu’ils correspondent à une intériorisation des sources de contrôle externes des comportements, c’est-à-dire, à un besoin de réussir pour répondre à une culpabilité engendrée par des sources externes (Vallerand et al., 1989). Les étudiant·es veulent se sentir capables ou se prouver qu’ils sont intelligents ; la réussite leur permettrait de combler ce besoin. Bien que les conséquences de cette motivation puissent être favorables (l’étudiant·e réussit), celle-ci est peu autodéterminée et les comportements qui en résultent ne sont pas toujours issus de choix conscients. Par ailleurs, si l’on compare ce résultat avec certaines populations étudiées par Leal et al. (2013) et Taylor et al. (2014) (étudiant·es du secondaire suédois et étudiant·es en comptabilité), nous observons que les étudiant·es de notre échantillon sont davantage guidés par cette motivation extrinsèque introjectée.
49Dans la présente étude, l’effet néfaste de cette motivation peut être nuancé puisqu’elle se situe au même niveau que la motivation intrinsèque à l’accomplissement, c’est-à-dire des items qui reflètent une satisfaction personnelle à la réussite et à l’atteinte de défis. Les comportements qui découlent de cette motivation sont autodéterminés et donc choisis par les étudiant·es.
50La régulation externe anime également les étudiant·es dont une préoccupation centrale concerne l’emploi futur auquel ils pourraient accéder grâce à la formation, surtout chez les étudiant·es les plus jeunes et inscrits en formation initiale. Pour ces étudiant·es, obtenir un diplôme supérieur au baccalauréat est important pour s’assurer un confort financier. Ce type de motivation est fortement contrôlé puisque la source qui pousse les étudiant·es à agir est externe : la nécessité financière. L’adoption de ce type de motivation est logique dans une formation en soins infirmiers puisque, malgré la hausse des effectifs, la pénurie de personnel en soins infirmiers persiste dans le monde (Conseil international des infirmières, 2019 ; Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques, 2016). Les étudiant·es sont donc attirés par la perspective d’un emploi garanti. Selon Arquero et al. (2015), cette motivation est liée négativement à une approche de l’apprentissage profond, et positivement à une approche de surface. Pour mettre en évidence cette relation, Arquero et al. (2015) ont proposé un questionnaire de mesure des approches ou stratégies d’apprentissage dans lequel l’apprentissage profond est caractérisé notamment par une mise en lien des contenus d’apprentissage avec ce que l’on connaît déjà, dans un schéma mental, alors que l’apprentissage de surface correspond à l’intégration de contenus décontextualisés et à leur apprentissage par cœur (Fernández-Polvillo & Arquero, 2015). Il est aisément compréhensible que les étudiant·es puissent adopter ce type de motivation contrôlée, liée à une stratégie d’apprentissage de surface, mais il faut garder à l’esprit qu’elle peut avoir des effets délétères sur leurs apprentissages. Ryan et Deci (2017) ajoutent également qu’une motivation contrôlée est prédictive des risques de désengagement et d’abandon scolaire. Cependant, cette préoccupation n’est pas spécifiquement saillante dans la population de la présente étude. Ainsi, elle serait adoptée dans une plus grande mesure par les populations d’étudiant·es du secondaire canadiens et d’étudiant·es en soins infirmiers espagnols (toutes années confondues) (Arquero et al., 2015 ; Taylor et al., 2014).
51La motivation intrinsèque à la stimulation est moins adoptée par les étudiant·es en soins infirmiers que les autres types de motivation. Les items mesurant cette motivation concernent essentiellement le plaisir ressenti lors de la lecture et, semble-t-il, la lecture et les auteurs n’intéressent pas particulièrement les étudiant·es de notre échantillon. Ce résultat paraît logique puisque les étudiant·es qui s’inscrivent en formation en soins infirmiers ne le font pas pour approfondir leurs connaissances théoriques en lisant des auteurs. Au contraire, si l’on entreprend ce type d’études, c’est plutôt par intérêt envers le soin, l’aspect pratique et l’aspect humain.
52Enfin, il est rassurant de constater que l’amotivation est moins présente chez les étudiant·es entrant à l’IFSI, surtout chez les femmes, que les autres types de motivation. En comparaison avec des étudiant·es en fin de secondaire, ces étudiant·es savent mieux pourquoi poursuivre ces études supérieures et ressentent moins cette absence totale d’autonomie. Ce résultat concorde avec ceux de l’étude de Arquero et al. (2015) qui montrent également que les étudiant·es en soins infirmiers ne sont pas motivés. L’étude de Vallerand & Bissonnette (1992) montre que l’amotivation prédit fortement et négativement l’insertion des étudiant·es, c’est-à-dire que s’ils sont amotivés, ils ont un risque accru de décrocher durant l’année. Heureusement, les étudiant·es qui arrivent en IFSI ne sont pas caractérisés par ces sentiments d’impuissance et d’incompétence, typiques de l’amotivation (Sarrazin & Trouilloud, 2006). Nous émettons ainsi l’hypothèse que, sortant de l’école secondaire et choisissant la filière dans laquelle ils souhaitent se spécialiser, le degré d’amotivation peut considérablement diminuer.
53En somme, les étudiant·es entrant en IFSI sont à la fois guidés par des motivations autonomes et contrôlées et se retrouvent donc à différents niveaux du continuum de l’autodétermination.
54De manière générale, les autres recherches qui étudient la motivation sous l’angle de l’autodétermination ne rapportent pas les scores des trois motivations intrinsèques séparément, mais rapportent un score global de motivation autonome. Un score global a donc également été calculé pour l’échantillon de la présente étude. Selon ce score, la motivation autonome des étudiant·es entrant en IFSI serait moins élevée que celle d’étudiant·es du secondaire, d’étudiant·es en comptabilité et même d’une autre population d’étudiant·es en soins infirmiers. Cependant, nous l’avons vu, les étudiant·es entrant en IFSI montrent un score de motivation intrinsèque à la stimulation relativement faible par rapport aux autres motivations et ce score pourrait tirer le score global de motivation vers le bas. Il est possible que l’interprétation ou la réaction des étudiant·es français face aux items proposés soit différente de celle des étudiant·es d’autres nationalités. La comparaison avec les autres populations aurait donc été plus pertinente si nous pouvions comparer les scores de chaque type de motivation intrinsèque. Aucune conclusion définitive ne peut donc être tirée à ce sujet.
55Deux limites à cette étude doivent être soulignées. Premièrement, l’instrument utilisé pour mesurer la motivation est constitué de mesures auto-rapportées, ce qui peut engendrer un certain nombre de biais, tels que le biais de désirabilité sociale, une tendance à l’acquiescement ou le choix des items extrêmes ou intermédiaires (Lafontaine, 2017). Les motivations autonomes et contrôlées étant des construits hypothétiques et non-observables (Ryan & Deci, 2017), la mesure par questionnaire reste un des seuls moyens pour identifier ces processus psychologiques. Il s’agit pourtant de considérer les résultats obtenus et les conclusions tirées avec une certaine prudence. Deuxièmement, cette étude suit un protocole de recherche transversal, c’est-à-dire que les données ont été collectées à un moment donné. Des études longitudinales, permettant (1) l’observation de l’évolution des différents types de motivation des étudiant·es tout au long de leur parcours de formation, et (2) l’observation de différentes cohortes d’étudiant·es, permettraient, à la fois d’enrichir nos interprétations, mais également d’éviter un biais de sélection.
56Les étudiant·es entrant en formation en soins infirmiers sont un public particulier : ils sont plus âgés que les étudiant·es entrant dans d’autres filières et la moitié d’entre eux a déjà un bagage professionnel. On retrouve également dans cet échantillon 20 % d’étudiant·es en reprise d’études. Ces étudiant·es présentent un profil autodéterminé, caractérisé par une motivation intrinsèque à la connaissance. De plus, ces étudiant·es veulent se prouver qu’ils peuvent réussir (motivation extrinsèque introjectée) et retirent une certaine satisfaction lorsqu’ils se surpassent (motivation intrinsèque à l’accomplissement). Leurs motivations sont également contrôlées par l’attente d’un emploi stable (régulation externe), mais dans une moindre mesure que des étudiant·es du secondaire ou en comptabilité. Enfin, ces étudiant·es sont moins amotivés que des étudiant·es du secondaire. C’est donc un profil motivationnel atypique que présentent ces étudiant·es et il est probable qu’il résulte notamment des caractéristiques spécifiques citées précédemment. On peut, en effet, émettre l’hypothèse que des étudiant·es plus âgés ou en reconversion professionnelle sont plus enclins à la recherche d’accomplissement et au besoin de réussite, dans un domaine différent de celui quitté. Bien que guidés par l’aspiration à un emploi garanti, ils montrent qu’ils ont envie d’apprendre et de se dépasser. L’étude de la motivation de ces étudiant·es les années suivantes de leur formation permettrait une photographie évolutive de ce construit et une compréhension plus fine des enjeux de la formation et de ce qui oriente les étudiant·es.