Je remercie Madame Shékina Rochat, Dr. en psychologie de l’Université de Lausanne de m’avoir motivée à rédiger un article pour la revue. Je lui suis chaleureusement reconnaissante pour son soutien et son suivi tout au long de la production du présent article.

Le jeu en gestion de carrière et développement personnel : la méthode REFLECTORY©

1Dans les sociétés occidentales actuelles, les transitions de carrière, qu’elles soient volontaires ou non, sont de plus en plus fréquentes, ce qui amène un public grandissant à se questionner sur son profil personnel, ses intérêts et ses possibilités de carrière (Masdonati & Zittoun, 2012). Face à la diversité accrue des besoins des individus sollicitant une démarche d’orientation, les professionnel·les souhaitent parfois diversifier leurs outils et techniques d’accompagnement en intégrant notamment des outils plus ludiques. En effet, Pryor et Bright (2009) mettent en évidence que la métaphore du jeu peut permettre d’aider les consultant·es à comprendre la nature complexe du monde du travail d’aujourd’hui et à s’y orienter. De plus, le jeu a souvent été proposé comme une activité clé pour développer et stimuler les apprentissages, la motivation et la curiosité. Proposer une approche ludique permet également de traiter des questions parfois complexes de manière plus légère. Par ailleurs, selon Fredrickson (2001), vivre des émotions positives, par exemple à travers le jeu, permet d’élargir le répertoire de pensées et de comportements, ce qui amène la personne à considérer plus d’options et d’opportunités professionnelles (Rochat & Banet, 2020). En référence à la méthode SuperBetter développée par McGonigal (2015), pour Rochat et Borgen (2021), l’utilisation du jeu permet également d’aborder des défis avec plus de créativité, de détermination et d’optimisme, ainsi que d’aller plus facilement vers les autres pour demander de l’aide ; ces éléments sont donc pertinents dans le cadre de la gestion de carrière et du développement personnel. Dans le monde anglophone, plusieurs auteurs ont donc déjà proposé des démarches d’accompagnement en orientation inspirées des jeux de société (Franklin & Stebleton, 2020 ; Uy, 2019), toutefois, un tel outil manquait encore dans la francophonie. Afin de pallier ce manque, l’outil REFLECTORY a été conçu. Le présent article va présenter le jeu REFLECTORY, ainsi que décrire son application en détaillant le déroulement d’un atelier. La discussion relèvera les apports et les limites de l’usage de ce jeu pour l’orientation professionnelle.

I. L’outil REFLECTORY

2REFLECTORY est un jeu de société qui peut être joué en famille ou entre amis, ainsi que dans le cadre d’un suivi d’orientation, et qui permet aux joueur·euses de réaliser un travail d’introspection et de réflexion sur leur parcours et projets, au travers de médias variés, tels que des photos, du matériel de construction ainsi que du mime. REFLECTORY s’adresse à un public dès 15 ans. L’outil peut s’utiliser de deux à cinq joueurs, mais idéalement avec des groupes de trois à quatre personnes. Les catégories de questions définies dans le jeu REFLECTORY amènent les joueur·euses à se questionner et à mettre en lien les divers constats réalisés durant une partie. Le jeu se compose ainsi de 48 cartes questions réparties en quatre catégories : (1) Parcours, (2) Aspirations, (3) Exploration et (4) Projet (voir Figure 1). Chaque catégorie est composée de douze cartes faisant appel à différents modes de communication : le verbal, le visuel et le kinesthésique (voir Tableau 1). Des cartes supports « liste des compétences » et « liste des qualités » peuvent être utilisées pour aider les joueur·euses à répondre aux questions en cas de besoin. Les questions et les catégories étant complémentaires, il n’y a pas un ordre défini pour répondre. Après avoir répondu à une question, les participant·es se voient attribuer des étoiles, le but du jeu étant d’en collecter le plus possible.

3Chaque coffret du REFLECTORY se compose également d’une notice du jeu, de deux dés et de matériel (images, matériel de construction et peluche) pour réaliser les différents défis proposés dans les questions. Au début et à la fin de chaque partie, les joueur·euses formalisent par écrit des questions concernant leur développement personnel et/ou professionnel dans un journal de bord prévu à cet effet. Ils·Elles définissent des ressources, clarifient leurs aspirations, ciblent des projets ainsi que les démarches à mettre en œuvre pour se rapprocher de leurs objectifs.

4Les thématiques abordées dans le jeu REFLECTORY se basent principalement sur les concepts de la psychologie de l’orientation, la psychologie positive, les approches narratives et l’approche constructiviste. Ainsi, les questions mettent l’accent sur les ressources des joueur·euses (comme leurs intérêts, personnalité, compétences et valeurs) ainsi que sur leurs idées de pistes professionnelles et les manières de s’en rapprocher. Chaque question du jeu amène le·la joueur·euse à verbaliser des éléments concernant son parcours, ses aspirations, ses pistes d’exploration et son projet, ce qui lui permet de se (ré)approprier son histoire et de la percevoir sous un angle nouveau, davantage constructif et valorisant (e.g., Savickas, 2005). En effet, c’est principalement au travers des histoires qu’elles se racontent sur elle-même et sur le monde, ainsi que sur la manière dont elles organisent leurs souvenirs que les personnes perçoivent leur réalité et y trouvent du sens (McAdams, 1993).

5Comme expliqué par Mori (2019, p. 29) « l’important n’est pas de résoudre, mais de dissoudre le problème et d’identifier, de modifier les histoires qui maintiennent le problème et de construire de nouvelles histoires qui créent de nouvelles possibilités de vie ». En effet, en référence aux approches brèves orientées solutions, le jeu se base sur le principe que parler des problèmes crée des problèmes, alors que parler des solutions va amener des solutions et ouvrir des possibilités (De Shazer, 2009 ; Gros-Louis, 2017). Dans le jeu proposé, le processus de changement repose alors sur le·la consultant·e qui est perçu·e comme l’acteur·trice principal·e de la démarche.

6Par ailleurs, les questions font appel à plusieurs sens des joueur·euses (la vue, l’ouïe et le toucher). En effet, chaque individu montre des préférences pour apprendre et enregistrer une information en fonction des modes dans lesquels il la reçoit. (Michel, 2015 ; Massa & Mayer, 2006). Ainsi, en variant les médias utilisés, le jeu REFLECTORY cherche à s’adapter et à valoriser ces différentes préférences, mais aussi à amener la personne à sortir de son cadre de référence habituel et à percevoir les choses sous un autre angle, afin d’élargir son champ des possibles.

7Enfin, la dynamique de groupe est également valorisée dans le REFLECTORY, car un certain nombre de questions font appel aux autres joueur·euses et encouragent le partage de connaissances et d’expériences. En effet, la pyramide de l’apprentissage (Dale, 1969) suggère qu’un individu apprendra mieux si l’enseignement passe par les pairs (par ex., travail d’équipe, exercice en groupe, évaluation par autrui), la pratique (par ex., résolution de problèmes, mise en situation, expérimentation) ou lors de discussions de groupes (par ex., questionnements, échanges, remueméninges). Ces méthodes pédagogiques actives et interactives assurent que la personne maintient une posture favorisant la construction et le maintien de ses apprentissages (Jorczak, 2011).

8Si le jeu REFLECTORY est prévu pour être joué en autonomie, dans un cadre privé, les professionnel·les de l’accompagnement peuvent également l’utiliser à l’occasion d’ateliers de groupes ou lors d’un accompagnement individuel d’orientation. Dans le cadre d’ateliers, le·la professionnel·le qui encadre le groupe prendra le rôle de modérateur·trice afin d’accompagner les personnes dans leurs réflexions et approfondir au besoin leurs réponses. Cette posture implique également la gestion du cadre (veiller au respect de la charte, du temps, de la distribution des étoiles, etc.) afin que les joueur·euses puissent se concentrer sur leur partie. À noter que l’utilisation du jeu lors d’un accompagnement individuel d’orientation impliquera de trier les cartes de questions au préalable (par ex. d’enlever les questions impliquant d’autres joueur·euses) ou de reformuler légèrement certaines questions, afin de correspondre au contexte de la demande et de l’intervention.

Tableau 1 - Exemples de questions par catégorie et types de questionnements tirés du jeu REFLECTORY.
Table 1 - Examples of questions by category and type of questioning taken from the REFLECTORY game

	Parcours	Aspirations	Exploration	Projet
Verbal	Relater un échec et expliquer les leçons qui en ont été tirées.	Présenter les métiers souhaités pendant l’enfance et expliquer ce qui semble toujours attirant dans ces derniers.	Mentionner le premier petit pas à effectuer pour se rapprocher de son objectif.	Expliquer ce qui serait différent de la situation actuelle si le jeu permettait de réaliser tous les souhaits.
Visuel	Choisir une image qui représente où le·la joueur·euse se situe dans son parcours de vie.	Définir un intérêt par le choix d’une photo	Une carte peluche est tirée ? Le·la premier·ère joueur·euse à attraper la mascotte remporte une étoile.	Représenter son environnement de travail idéal en choisissant une photo qui l’illustre.
Kinesthésique	Construire grâce à du petit matériel une représentation de son parcours avec les éléments significatifs.	Mimer avec la peluche une activité réalisée avec plaisir.	Percevoir les éléments sous un autre angle en faisant changer tou·tes les joueur·euses de place.	Au travers de la peluche, transmettre des conseils pour aller de l’avant dans ses propres projets.
Groupe	Demander aux autres joueur·euses de noter deux qualités qu’ils perçoivent	Hiérarchiser des domaines d’activités donnés par les autres joueur·euses en fonction de l’intérêt perçu.	Questionner les autres joueur·euses concernant une information importante pour son projet	Sélectionner le métier qui correspond le plus dans une liste transmise par les autres joueur·euses.

II. Déroulement d’une partie dans un contexte d’accompagnement

9REFLECTORY est un jeu d’introspection et de réflexion qui aborde des aspects privés. Une condition essentielle pour que les joueur·euses se sentent à l’aise est donc la création d’un climat de groupe bienveillant. En plus de la création d’une charte propre à chaque groupe, il est nécessaire que les participant·es fassent connaissance avant d’initier la partie. De nombreux exercices briseglace peuvent être proposés afin de créer un climat de confiance. L’atelier dure au total quatre heures (Tableau 2) et la première heure est donc consacrée à l’accueil des participant·es, ainsi qu’à la création d’une bonne dynamique de groupe.

10Une fois ces éléments en place, la partie du jeu REFLECTORY peut commencer. Chaque joueur·euse reçoit son journal de bord pour y noter, au fur et à mesure, ses réflexions et garder une trace de la partie. Dans un premier temps et de manière individuelle, chaque joueur.euse va définir les questions qu’il·elle se pose et auxquelles il·elle souhaite avoir des éléments de réponse en jouant au jeu. Cette première consigne est volontairement très large pour que chaque joueur·euse puisse avoir l’espace de définir ses priorités personnelles.

11Une fois ces éléments posés, l’animateur·trice présente les règles du jeu ainsi que les divers matériaux composant le REFLECTORY. Toutes les cartes sont posées retournées sur la table et regroupées par catégorie. La peluche, les images et le matériel de construction sont aussi positionnés au centre de la table, afin d’être accessibles aux joueur·euses. Les cartes supports (liste des compétences et listes des qualités) sont mises à proximité. Des feuilles blanches peuvent également être proposées.

12La personne la plus jeune démarre la partie et lance le dé « catégories ». Elle prend ensuite une carte de la couleur correspondante. Chaque joueur·euse garde les cartes qu’il ou elle a tirées, ce qui lui permettra de réaliser une synthèse en fin de partie. Dans la notice du jeu, il est précisé que chaque joueur·euse possède un joker s’il·elle souhaite tirer une autre question. En effet, il peut arriver que la question tirée ne fasse pas sens pour le·la joueur·euse ou qu’il·elle ne souhaite pas échanger avec le groupe sur cette thématique. Chaque question permet d’expliciter des éléments en lien avec ses ressources, ses aspirations ou ses projets et les démarches à mettre en œuvre. Une fois le temps imparti ou le nombre de tours définis terminés, chaque joueur·euse comptabilise ses étoiles pour connaître le vainqueur. Dans un second temps, le journal de bord est repris individuellement afin d’être complété en vue de garder une trace des éléments ressortis et des constats réalisés. Ce journal pourra être repris pour observer les changements lors d’une prochaine partie de REFLECTORY. En effet, en fonction des cartes auxquelles le·la joueur·euse est amené·e à répondre, les réflexions seront complémentaires. De même, les joueur·euses avec qui la partie est partagée vont influer les échanges.

13L’atelier se termine par un moment en plénière pour revenir sur les conclusions des joueur·euses par rapport à leurs objectifs de départ. Ce moment est important, car, bien que l’outil soit ludique, l’objectif est de parvenir à des réflexions plus profondes. C’est pour cela également qu’un entretien individuel peut être proposé par la suite pour reprendre et approfondir les éléments ressortis durant la partie.

Tableau 2 - Proposition de plan d’animation pour l’utilisation du REFLECTORY dans le cadre d’ateliers collectifs
Table 2. - Proposal of an animation plan for the use of REFLECTORY in the context of collective workshops.

Timing	Thématique	Activités
30’	Accueil	Accueil des participant·es Rappel des objectifs de l’atelier Présentation du déroulement de l’atelier Création de la charte du groupe Présentation de l’animateur·trice et de son rôle Présentation des objectifs de l’atelier
30’	Présentation des participant·es	Exercice brise-glace
PAUSE
120’	Partie pratique : REFLECTORY	Réalisation d’une partie en suivant les indications de la notice du jeu
PAUSE
30’	Débriefing et clôture	Retours sur les éléments ressortis durant l’atelier

III. Vignette illustrative : Récit d’une partie lors d’un atelier collectif

14Lors de cette partie, le groupe était composé de quatre femmes âgées de 35 à 63 ans, S., M., F. et A., chacune en emploi dans des domaines professionnels différents. Deux des joueuses, F. et A., se connaissaient au préalable. Toutes en réflexion sur leur avenir professionnel, chacune d’elles se sentait concernée par les thématiques abordées par le jeu. Elles avaient entendu parler de l’outil REFLECTORY via les réseaux et s’étaient inscrites volontairement à la prochaine date disponible. L’atelier était encadré par une animatrice formée à la méthode REFLECTORY, titulaire d’un master en orientation scolaire et professionnelle et de dix années d’expérience dans le domaine de l’accompagnement en gestion de carrière.

15La première heure a été consacrée à la création du groupe et d’une bonne dynamique de travail. Un exercice de brise-glace a été proposé et chaque participante devait trouver deux points communs avec les autres et les dessiner ensuite sur une grande feuille blanche. Cet exercice de présentation amené de manière ludique a permis aux participantes de rapidement se sentir à l’aise et de faire connaissance en se découvrant des points communs. Cette étape a permis aux joueuses de se sentir en confiance au moment de commencer la partie. Dans la salle de formation se trouvait tout le matériel de jeu : les cartes questions et tout le matériel permettant de réaliser les défis demandés (les photos, la peluche et le petit matériel de construction). Les dés, ainsi que les jetons étoiles, étaient préparés au centre de la table. Au mur, la charte de fonctionnement que le groupe avait définie lors de la phase d’accueil avait été affichée.

16Avant de débuter la partie, chaque joueuse a reçu son journal de bord pour y inscrire, de manière individuelle, la ou les questions qu’elle se posait et auxquelles elle souhaitait obtenir des éléments de réponse grâce au jeu. Les questions choisies étaient très variées et comprenaient notamment : « Que choisir entre deux projets ? », « Que vais-je faire maintenant que j’ai démissionné ? » « Quelles sont les qualités sur lesquelles je peux m’appuyer pour aller de l’avant dans mon parcours ? », « Comment mettre en avant mes intérêts ? », « Quelles sont mes possibilités d’évolution professionnelle ? », ou « Comment pourrais-je valoriser mes intérêts dans ma sphère professionnelle actuelle ? ».

17Selon les règles proposées, c’est la joueuse la plus jeune, M., qui a démarré la partie en lançant le dé « catégories ». Elle est tombée sur la face rose : « Parcours » et a donc pioché la première carte sur le dessus du tas qui demandait à chacune des autres joueuses de noter et d’expliquer deux qualités qu’elles percevaient chez elle. Les joueuses ne connaissaient pas M. au préalable, elles ont donc relevé ce que cette dernière dégageait au premier abord. La sensibilité, la sociabilité, la force de caractère, la générosité, le dynamisme et la créativité sont ressortis. Ce retour a été très constructif pour M. qui, suite à un épuisement professionnel, venait de donner sa démission et hésitait quant à la direction à donner à son parcours. Ces premiers échanges, empreints de sincérité et de bienveillance, lui ont redonné confiance et ont posé le cadre pour le reste de la partie. M. a lancé ensuite le dé « chance » pour connaître son gain et a gagné trois étoiles.

18Suivant l’ordre des aiguilles d’une montre, c’est F., l’aînée du groupe, qui a poursuivi. Elle est tombée sur la face verte du dé : « Aspirations ». La carte qu’elle a tirée lui demandait de se projeter dans 5 à 10 ans et de dire ce qu’elle souhaitait avoir accompli d’ici là. Spécialiste en réinsertion professionnelle auprès de l’assurance invalidité depuis plus de 13 ans, F. investissait beaucoup de temps et d’efforts dans la pratique du reiki et d’autres approches énergétiques. À la retraite dans quelques années, cette question du jeu lui a permis de prendre conscience de l’intérêt grandissant qu’elle ressentait pour le domaine des soins alternatifs et l’envie de pouvoir, à terme, accompagner des personnes par ce biais. Suite à ces réflexions et grâce à son lancer de dé « chance », F. a remporté une étoile.

19S. a poursuivi le tour et est tombée sur une face blanche ; elle a donc pu choisir la catégorie de carte à tirer. Elle a choisi les cartes « Projet ». Enceinte de 8 mois au moment de l’atelier, S. se posait un certain nombre de questions sur son avenir professionnel. Adjointe en ressources humaines au sein d’une commune de la région, elle y ressentait certaines frustrations, malgré des avantages salariaux, la proximité avec son domicile et sa liberté d’action. S. a pris la première carte bleue qui lui demandait de noter, sur une feuille, une qualité, une compétence et un intérêt qu’elle avait. Les autres joueuses étaient ensuite sollicitées pour donner des idées de pistes professionnelles ou privées dans lesquelles S. pouvait intégrer les éléments mentionnés. Après une clarification de la part de l’animatrice sur la différence entre savoir-faire et savoir-être, S. a noté assez facilement : « rigoureuse » pour la qualité, « mise en place de processus » pour la compétence, et « gestion de projets » pour l’intérêt. Ce dernier point s’est également révélé une compétence pour S. qui, dans son contexte professionnel, est amenée régulièrement à gérer des projets en lien avec les ressources humaines. Une fois le chronomètre lancé, chaque joueuse a proposé ses idées afin de soutenir S. Les joueuses qui citaient deux idées ou plus remportaient aussi une étoile, ce qui a motivé encore plus le groupe dans ses échanges. Ainsi, « organisation d’événements », « santé et sécurité au travail », « audit en ressources humaines », « rédaction de rapports », « organisation et gestion d’un salon de ressources humaines », et bien d’autres idées ont été apportées par les trois autres joueuses. S. a indiqué souhaiter garder avec grand intérêt les aspects d’audits de ressources humaines et de santé et sécurité au travail. Accompagner les entreprises dans leurs bonnes pratiques et assurer une équité de traitement étant des aspects importants pour elle. Une des joueuses qui connaissait légèrement ce domaine a d’ailleurs pu lui transmettre des adresses utiles et des organismes de formations pertinents à explorer.

20Pour terminer ce premier tour, A. a lancé le dé et est tombée sur la catégorie bleu et a donc également pioché une carte « Projet ». A. était responsable de secteur dans une structure sociale depuis une année. Elle ne se plaisait pas dans ce poste, principalement en raison de ses conditions de travail, ce qui l’avait amenée à réfléchir à développer une activité indépendante. Néanmoins, ce projet générait des peurs qui la retenaient. La carte tirée lui demandait de représenter des composantes de son projet professionnel idéal grâce au petit matériel de construction à disposition. Tout d’abord inconfortable avec cette question, A. s’est pourtant lancée et elle est restée sans voix devant le résultat une fois les deux minutes de temps à disposition écoulées. En effet, la situation qu’elle venait de représenter correspondait au projet d’indépendante qu’elle avait en tête. L’animatrice a ensuite proposé d’engager une discussion avec le groupe pour identifier ses besoins afin qu’elle se sente d’avantage sereine avec ce projet, ainsi que pour discuter du premier petit pas qu’elle pouvait effectuer prochainement. Afin d’en garder une trace, A. a pris une photo de sa représentation (voir la troisième photo de la Figure 2). Pour clôturer le premier tour, A. a lancé le dé « chance » qui lui a permis de recevoir une étoile de la part d’une autre joueuse. C’est M. qui s’est spontanément proposée de lui donner l’une de ses trois étoiles.

21Les tours se sont ensuite enchaînés avec toujours autant de bienveillance et de partages dans les réflexions menées. Régulièrement, les joueuses prenaient des notes au dos de leur journal de bord. Après les deux heures prévues pour cette partie, chaque joueuse avait pu tirer cinq cartes et effectuer les défis correspondants. Lors du dernier tour, chacune a pu choisir la catégorie de questions à laquelle elle souhaitait répondre.

22Pour clôturer le jeu, les joueuses ont comptabilisé leurs étoiles. C’est F. qui a remporté la partie et, comme cela est prévu dans les règles du jeu, elle a donc eu le droit de souligner une force qu’elle avait perçue durant la partie chez chacune des joueuses. Le jeu s’est ainsi terminé sur un moment d’échanges et de partages. Suite à cela, et afin de garder une trace des réflexions mises en évidence tout au long de la partie, chaque joueuse a repris son journal de bord pour y formaliser les éléments ressortis.

Figure 3 - Extrait du journal de bord de S.
Figure 3 - Extract form S.’s logbook.

Questions posées par S.	Suis-je à la bonne place ? Quelles sont mes compétences professionnelles ? Dois-je changer de voie professionnelle ?
Force(s) et atout(s) identifiés durant la partie	Rigueur, rapidité d’exécution, polyvalence, aisance rédactionnelle
Éléments(s) de fierté lié(s) au parcours	Avoir pu accéder à des postes à responsabilités avec uniquement une formation professionnelle de base dans le commercial et des formations continues
Intérêt(s) et motivation(s)	Prendre des décisions stratégiques, manager une équipe, avoir une bonne ambiance de travail, être force de proposition, assurer l’équité de traitement
Idée(s) retenue(s) suite à la partie	M’orienter vers des postes où la qualité des prestations est mise en avant
Prochain(s) objectif(s) à réaliser	Me renseigner sur les différentes formations en lien avec le contrôle qualité

23Lors d’un suivi réalisé trois mois plus tard, il est apparu que F. a concrétisé son projet et installé une salle de consultation chez elle. Elle reçoit une fois par mois des client·es pour des soins reiki. Participer à l’atelier lui a permis de clarifier ce qui était important pour elle. De son côté, A. a donné sa démission et s’est lancée dans son projet d’indépendante qui était davantage en accord avec ses valeurs et intérêts. S. a accouché et, suite à une discussion avec son employeur, occupera à son retour de congé maternité la fonction de chargée de projets en ressources humaines. La partie de REFLECTORY lui a permis de prendre conscience de ses valeurs et compétences et identifier dans quelle voie elle souhaitait s’investir pour la suite de sa carrière. Pour finir, M. s’est inscrite au chômage et profite de passer du temps avec sa famille, se reposer et prendre soin d’elle. Participer à l’atelier lui a apporté du renouveau dans ses envies et a confirmé son besoin de changement et d’évolution. Toutes les joueuses ont mentionné que l’aspect ludique de l’outil les a aidées à élargir leurs idées et percevoir les éléments sous un angle nouveau. L’aspect du groupe a aussi été relevé comme un soutien et une force au niveau des partages et connaissances qu’il apporte.

IV. Discussion

24Le but du présent article était de présenter l’outil REFLECTORY ainsi que son utilisation dans un contexte d’atelier collectif avec un public adulte. Une illustration avec un public plus jeune aurait également été intéressante. Ce cas pratique démontre la possibilité d’utiliser un tel outil avec des profils de personnes variés en termes de domaines d’activité, niveau hiérarchique et âge. Bien que surprises parfois par certaines questions, notamment celles demandant l’utilisation des photos, de la peluche et du matériel de construction, les joueuses sont rapidement entrées dans la partie et ont pu constater l’apport bénéfique de ce type de questions. Dans la vignette présentée, chaque joueuse a su remplir son journal de bord de manière autonome, néanmoins il aurait aussi été possible de solliciter les autres joueuses pour compléter certaines rubriques. De même, les joueuses ne reprenaient pas leurs questions de départ inscrites sur leur journal de bord avant de répondre, mais il aurait aussi été possible de répondre aux questions tirées en se référant spécifiquement et méthodiquement aux questions figurant dans le journal de bord. Le nombre de questions abordées dans un temps imparti peut être très variable d’un groupe à un autre en fonction de l’approfondissement des questions et des échanges que cela amène. Lors de cette partie, aucune joueuse n’a souhaité prendre son joker, mais cela reste une possibilité dans le cas où un·e joueur·euse tomberait sur une question ne lui parlant pas ou qu’il·elle ne souhaiterait pas partager avec le groupe.

25Le jeu REFLECTORY est proposé avec une notice du jeu. Néanmoins, en fonction des contextes professionnels, des publics accompagnés ou du temps à disposition, plusieurs mises en pratique sont envisageables. Outre la réalisation d’ateliers collectifs, le jeu garde tout son intérêt lors d’un accompagnement individuel où l’utilisation de médias variés et l’encouragement à solliciter le réseau sont bénéfiques pour aider le·la consultant·e à avancer dans ses projets. Il est aussi possible de trier les cartes à aborder. Par exemple, lors d’un entretien où l’objectif est la clarification des ressources de la personne, seules les cartes « Parcours » peuvent être utilisées. De plus, en fonction du type d’apprentissage de la personne, le·la conseiller·ère peut sélectionner les cartes avec lesquelles il·elle souhaite travailler. Par exemple, avec une personne très sensible au visuel, il est possible de prendre uniquement les questions faisant appel aux images. À noter que le jeu REFLECTORY est un outil évolutif, si bien qu’il semblerait intéressant d’y jouer à plusieurs reprises. En effet, en fonction des cartes tirées, des joueur·euses présent·es et de la situation vécue au moment de la partie, les réflexions seront différentes. Le journal de bord permet de noter ses constats et d’ainsi observer les évolutions entre les parties.

26Certaines limites de l’outil sont toutefois à prendre en considération. En effet, sous sa forme ludique et accessible, le jeu vient questionner des thématiques complexes qui demandent de l’introspection de la réflexion. C’est pourquoi il est important que les joueur·euses sachent à quoi ils·elles s’engagent et qu’il ne s’agit pas d’un « simple » jeu de société. Il est également nécessaire qu’ils·elles se sentent à l’aise et qu’une bonne alliance ou dynamique de travail soit construite avec le·la professionnel·le ou les autres joueur·euses dans le cadre d’ateliers collectifs. Que ces dernier·ères se connaissent au préalable ou non, il est important de poser un cadre clair et rassurant et de prendre du temps en amont de la partie pour que les participant·es se rencontrent. De plus, le jeu ne remplace en aucun cas l’accompagnement avec un·e professionnel·le mais peut déjà initier des constats et pistes d’exploration. Il est également primordial que les joueur·euses aient des besoins en lien avec les objectifs du jeu et s’y sentent impliqué·es.

27À noter que la formulation des questions du jeu demande un bon niveau de français. Ainsi, selon les publics accompagnés, il est bénéfique qu’un·e professionnel·le soit présent·e pour reformuler les questions afin d’assurer une bonne compréhension. De plus, selon la facilité d’expression des joueur·euses, la présence d’un·e professionnel·le de l’accompagnement est une plus-value permettant d’approfondir et enrichir les réflexions menées. Au niveau de la recherche, il serait intéressant de tester empiriquement les effets de REFLECTORY sur une démarche d’accompagnement en orientation.

V. Conclusion

28Utiliser une approche ludique pour soutenir des consultant·es dans leurs questionnements permet aux professionnel·les de l’accompagnement de varier leurs outils et de s’adapter au mieux aux besoins de certains consultant·es. La dimension ludique du REFLECTORY et les types de questionnements variés permettent également de percevoir sa situation professionnelle et personnelle sous un autre angle pour enrichir les réflexions. Le caractère modulable de l’outil permet de l’utiliser autant dans un contexte collectif que dans le cadre d’un accompagnement individuel.