Introduction

1Les sites du Paléolithique supérieur ancien sont peu nombreux dans la zone orientale des Pyrénées. De plus les études sur lesquelles s’appuient les diagnostics concernent des matériaux issus de fouilles anciennes, pour la plupart antérieures à 1940 (Sacchi 1986). Leur organisation chronostratigraphique, ainsi que la position de leurs industries, imposent une discussion critique de leur appartenance culturelle.

2Dans un tel contexte, la découverte des sites du Ravin d’en Saman 1 et 2 représente un jalon important pour une connaissance de la dynamique des premières cultures de l’Homme Moderne dans cette zone de passage entre mer et montagne (fig. 1A médaillon). 

3Le piémont nord des Pyrénées Orientales est constitué par le massif calcaire des Corbières. Il s’agit d’une zone collinaire dont la moyenne altitudinale se situe entre 500 et 600 m. Elle peut localement dépasser les 1 000 m, comme c’est le cas au Pech de Bugarach qui, avec 1 230 m, constitue le point culminant du massif.

4À l’est, les hauteurs s’abaissent progressivement en direction du rivage de la Méditerranée où les collines calcaires laissent la place à un littoral sablonneux jalonné de dépressions lagunaires de formation holocénique : étangs de Leucate et de Sigean (Aloïsi et al. 1978). Le faible pendage et le modelé de ces reliefs ont limité l’érosion permettant ainsi une bonne conservation in situ des surfaces dans leur ancien état de dépôt. Dans ce paysage alternant collines et gorges encaissées, les axes de pénétration nord-sud sont rares et, de ce fait, importants en termes de circulation des hommes et des animaux. Le passage dans lequel se situent les gisements du Ravin d’en Saman 1 et 2 permet de rejoindre la plaine du Roussillon au sud à partir des espaces du Narbonnais au nord. Cette voie naturelle de circulation, qui court sur les moindres altitudes, est de nos jours empruntée par la route D611. Au sortir de la dépression de Paziols, elle suit la rive gauche du Ravin d’en Saman-Cabrils pour accéder, au terme d’une légère montée, au sommet du Col del Bouix à 195 m d’altitude (fig. 1B). Ce lieu constitue la ligne de partage des eaux des nombreux torrents intermittents de la zone. Ce point haut franchi, la route descend régulièrement en empruntant le lit du Ruisseau del Fenoll. Elle débouche finalement, légèrement en amont du village d’Estagel, à 86 m d’altitude, dans une zone qui ouvre sur la plaine du Roussillon. Dans les années 80, Jean Abelanet prospecta la partie sud-ouest de cette zone correspondant aux terrasses du Ruisseau del Fenoll. Il y repéra plusieurs sites, dont la Font d’en Marc (Abelanet 1991).

5Les sites du RS1 et du RS2 sont implantés sur des terrasses alluviales à des altitudes respectives de 165 m et 155 m, en rive gauche, du Ruisseau de Saman-Cabrils et à une distance de 800 m environ du Col del Bouix (fig. 1B). Les deux sites sont distants de 180 m environ et sont séparés par un petit ruisseau intermittent. Ils possèdent une exposition sud et sont protégés des vents dominants par les hauteurs du mont de La Devesa qui culmine à 254 m d’altitude. Ils occupent respectivement les parcelles AI 162 et AI 170 du cadastre de la commune de Tautavel. (Coordonnées RS1 : E2°43’48”-N42°49’56” et Coordonnées RS2 : E2°43’55”-N42°49’57”). La parcelle du Ravin d’en Saman 1 est naturellement plane, ce qui n’est pas le cas du Ravin d’en Saman 2. Le profil de cette dernière résulte, en effet, d’un décaissement de la colline qui la surplombe au nord. Cette stratégie anthropique d’arasement du relief est destinée à ménager des surfaces régulières en abondant les zones plus basses à partir de sédiments prélevés dans celles hautes.

6Les deux sites du Ravin d’en Saman 1 et 2 ont été découverts au cours d’un programme de prospections systématiques mené le long des rives du Ravin d’en Saman-Cabrils et du Ruisseau del Fenoll. C’est à Cyril Calvet et Cyril Planchand que l’on doit la découverte du site, l’évaluation initiale de son emprise et une grande partie des pièces lithiques récoltées. Entre 2000 et 2015, dans cette zone d’étude correspondant globalement aux deux versants du Col del Bouix, une trentaine de sites, d’extension variable, a été repérée et les matériels prélevés. À ce jour, certains ont déjà été publiés, tel est le cas du Jas d’en Biel 1 (Baills 2008) ou le Rec de la Redouna 2 (Baills 2021), d’autres sont en cours de publication comme le Jas d’en Biel 2 ou le Ruisseau de la Boulière 2. D’autres, enfin, sont en cours d’étude comme les Ravins d’en Saman 4 et 5, ou bien la série des sites de la Font d’en Marc (FM1 à FM6).

1 | Matériaux et méthode

7La proximité spatiale des 2 sites, 180 m seulement, aurait pu inciter à étudier leurs industries en globalisant leurs effectifs. Cependant, comme il existe de nos jours, un différentiel d’altitude de 10 m entre les 2 terrasses portant les sites et qu’un ruisseau les sépare, nous avons analysé leurs séries séparément. On sait, d’un autre côté, que les aménagements anthropiques liés à la viticulture ont été importants dans cette zone. C’est notamment le cas du RS2 qui a subi un décaissement aux dépens de la colline voisine, ce qui laisse à penser que les artefacts ne sont plus dans leur position initiale. Leur implantation sur la pente nord-ouest du Col del Bouix et sur la même terrasse de la berge gauche du Ruisseau d’en Saman-Cabrils incite à penser que les deux sites ont pu être les lieux d’activités humaines comparables. Le sédiment n’ayant pas permis la conservation des restes fauniques empêche de connaître les motivations des groupes humains ayant fréquenté les lieux. On ne peut que déplorer de plus l’absence de données paléo-environnementales et de datations absolues inhérentes à la recherche-prospection. Cette situation est d’autant plus regrettable que la topographie des lieux incline à penser que la fréquentation anthropique des deux versants du Col del Bouix peut trouver sa justification dans les activités cynégétiques dont ces lieux ont pu être le théâtre.

8La série RS1 compte 498 pièces lithiques et celle de RS2 486 (tabl. 1). Un numéro individuel a été attribué à chacune des pièces. Ce dispositif a facilité leur enregistrement dans une base de données qui a permis, dans un second temps, un traitement statistique des variables. Les débris et cassons informes ont été organisés suivant leur plus grande dimension, en 3 classes de 5 mm à plus de 21 mm. Pour chacun des autres artefacts, une fiche individuelle d’enregistrement associe des items qualitatifs et quantitatifs. La base de données ainsi constituée a autorisé des requêtes croisées qui forment le support statistique de la présente étude. Les 20 nucléus entiers ont fait l’objet d’une lecture technologique appuyée d’un schéma diacritique (Inizan et al. 1995 ; Dauvois 1976). D’un autre côté, l’approche technologique du débitage a été menée en croisant des observations issues de séries lithiques préhistoriques, de l’archéologie expérimentale et de données ethno-archéologiques (Perlès 1991 ; Pelegrin et Roche 2017). Les outils, quant à eux, ont été dénommés en utilisant comme référentiel la liste des types d’outils lithiques du Paléolithique supérieur (Sonneville-Bordes et Perrot 1953).

2 | Résultats

9La lecture macroscopique des surfaces des pièces est rendue difficile à cause du cacholong blanc qui les recouvre. Sur le plan taphonomique, on ne remarque pas de différence perceptible entre les patines des artefacts ce qui ne permet pas de s’appuyer sur leur observation pour confirmer/infirmer leurs attributions chrono-culturelles. Cependant, par comparaison avec les matériaux issus du site magdalénien voisin de la grotte des Conques, à 5 km de distance, on peut identifier les gîtes d’origine de prélèvement des roches qui ont été taillées. Les stratégies d’approvisionnement en matières premières lithiques identifiées sur les deux sites RS1 et RS2 correspondent globalement au modèle observé de façon récurrente sur les sites du Paléolithique supérieur de la région. Le silex y occupe une part largement prédominante avec 84 % en RS1 et 92 % en RS2. Il provient des formations oligo-miocènes de la zone de Roquefort-les-Corbières à 15 km ou du bassin de Bages-Sigean à 30 km au nord du site (Grégoire 1996 ; Foucher 2013). Ces matériaux offrent une bonne taillabilité. Les quartz, en fréquence, viennent loin derrière le silex (14 % en RS1 et 3 % en RS2). Ils ont été ramassés, soit directement dans le lit des torrents voisins où ils abondent, soit à la surface même des terrasses des sites occupés. Certains ont manifestement été affectés à des tâches de percussion, sans doute à la taille des roches, comme l’indiquent les nombreux stigmates que porte leur surface (fig. 8 n° 8).

10Quelques rares jaspes bruns provenant des gîtes primaires du synclinal de Villefranche-de-Conflent, à 35 km au sud du site, montrent des fréquences très faibles, soit 1 % en RS1 et 2 % en RS2. Ils ont cependant pu être prélevés moins loin, en position secondaire, sur les terrasses pliocènes de Vinça (Grégoire o.c.). On remarque leur présence modeste, mais récurrente, dans toutes les séries lithiques du Paléolithique supérieur de cette zone. Deux nucléus relèvent de ce matériau (fig. 4 n° 3 ;fig. 8 n° 4).

11Il existe également des galets marneux qui ont été récoltés in situ et ont sans doute été utilisés comme percuteur minéral tendre pour la taille des roches siliceuses (0,3 % en RS1 et 2,6 % en RS2). Enfin, un macro-outillage, en roche métamorphique, a dû être affecté à des actions de broyage des matières végétales ou minérales, comme l’indiquent les zones de poli observées à leur surface (fig. 8 n° 9).

12Les débris représentent 44 % de la série RS1 et 37 % de RS2 (tabl. 1). Cette différence est peu significative, d’autant que, dans les deux cas, c’est la classe entre 11 à 20 mm qui est la plus nombreuse. Celle des débris ayant une longueur inférieure à 10 mm est la moins présente dans les 2 séries, respectivement 7 % en RS1 et 6 % en RS2. Cette situation s’explique par la petitesse de ces pièces qui ont pu, de ce fait, échapper facilement au repérage visuel sur le terrain. Enfin, la seule différence notable entre les deux sites se marque au niveau de la classe des débris d’une longueur supérieure à 21 mm qui sont plus nombreux avec 15 % en RS1 et seulement 8 % en RS2.

13Les morphologies des talons des produits lamino-lamellaires sont difficiles à catégoriser dans la mesure où ces types de pièces retrouvés intacts sont rares (32/155). Sur les quelques spécimens non fracturés, les talons réduits, linéaires ou punctiformes sont les mieux représentés (16/28). Dans le cas des éclats, les talons sont plutôt lisses, correspondant à des plans de frappe non aménagés. Les zones bulbaires, dans 45 % des éclats et 52 % des lames et lamelles, sont convexes, diffuses et peu marquées. L’onde est peu visible dans la majorité des cas. Il en est de même des esquillements et des lancettes qui restent peu perceptibles. Ces divers stigmates rappellent ceux résultant d’une percussion directe au percuteur tendre, organique ou minéral (Pelegrin 2000). 

14La lecture technologique des nucléus renseigne également sur la technique de débitage utilisée par les tailleurs préhistoriques. Certains spécimens présentant des contre-bulbes marqués et profonds évoquent un débitage direct au percuteur dur (fig. 8 n° 2-5). Un percuteur, sans doute affecté à ce travail, a été retrouvé lors des ramassages de surface (fig. 8 n° 8). D’autres nucléus, les plus nombreux, renvoient plutôt à un débitage direct au percuteur tendre, organique ou minéral (fig. 4 n° 1-4 ; fig. 8 n° 1, 7). Enfin certains nucléus plats relèvent sans doute d’une percussion à l’aide d’un intermédiaire (fig. 8 n° 6) (Briard et Prost 2015). Certaines méthodes de taille ont été employées de façon occasionnelle et opportuniste. C’est le cas du système par surfaces de débitage alternées ou SSDA (Forestier 1993). Dans ce cas précis il s’est, semble-t-il, imposé au tailleur du fait de la morphologie du bloc de jaspe débité. Ce dernier présentait plusieurs faces naturelles qui ont constitué autant de plans de frappe potentiels (fig. 4 n° 3). Enfin un bloc a été débité suivant une méthode discoïde qui a permis l’obtention d’éclats (fig. 8 n° 5) (Boëda 1993). Quelques rares tablettes partielles ont pu aménager le plan de frappe en cours d’opération.

15Il est clair que les tailleurs ont préférentiellement recherché l’obtention de supports laminaires, surtout lamellaires. Il a parallèlement existé un débitage visant à produire des éclats, comme on peut l’observer sur quelques nucléus (fig. 8 n° 2-5). Les nucléus ont une fréquence de 4-5 % sur les deux sites correspondant souvent à des spécimens en “fin de vie “. Les négatifs d’enlèvements qu’ils portent sont, dans la quasi-totalité des cas, des lamelles dont la longueur n’excède pas 3 ou 4 cm. Le débitage laminaire a été initié par la mise en place d’une crête frontale (fig. 5 n° 17, 18). En cours de débitage le détachement de lamelles néo-crêtes (fig. 2 n° 16 ; fig. 5 n° 14, 15) a permis de maintenir la convexité de la table ou d’investir les faces latérales (fig. 8 n° 1, 7). Cette production de lamelles obéit à un schéma récurrent qui débute par la mise en place d’une table antérieure sur la face la plus large du bloc. Les flancs sont investis, dans un second temps, selon un débitage semi-tournant (fig. 4 n° 1, 2, 4 et fig. 8 n° 1, 7). La méthode du microburin a été utilisée pour la fabrication de microlithes (fig. 3 n° 14).

16La part prise par les outils, soit 7 % en SR1 et 9 % en SR2, est celle ordinairement observée sur les sites de plein air du Paléolithique supérieur de la zone des Corbières (tabl. 2). L’organisation des supports de types lames, lamelles et éclats se décline sous trois formes, suivant qu’ils sont bruts, utilisés ou aménagés en outils.

17Les lames sont peu nombreuses, rarement entières, et représentent entre 1 % et 4 % dans les deux sites (fig. 2 n° 15, fig. 6 n° 2). Elles montrent souvent des esquillures localisées résultant d’une utilisation (fig. 6 n° 1, 3-5). D’autres présentent des aménagements spécifiques : denticulations périphériques (fig. 2 n° 12), encoche directe (fig. 2 n° 13), ou inverse (fig. 5 n° 16). Certaines, enfin, portent une retouche ordinaire continue des bords (fig. 3 n° 4 ; fig. 7 n° 12).

18Les lamelles sont mieux représentées que les lames avec une fréquence de 13-14 % sur les deux sites (fig. 5 n° 1-8, 13). Certaines lamelles sont brutes de débitage (fig. 2 n° 2-4, 6, 11), d’autres présentent une retouche marginale partielle d’un bord (fig. 2 n° 1, 5, 8, 9, 10) ou des deux bords (fig. 2 n° 24 ; fig. 3 n° 7). Quelques spécimens portent une retouche ordinaire qui en font des outils selon la nomenclature utilisée (Sonneville-Bordes et Perrot 1953). On y reconnait des lamelles à encoches alternes (fig. 3 n° 9), des becs (fig. 3 n° 12) et des pointes (fig. 7 n° 13).

19Enfin on remarque la présence d’une retouche continue abrupte qui a été utilisée pour façonner des lamelles tronquées (fig. 3 n° 13), des lamelles à dos (fig. 7 n° 14, 15), des microgravettes, des pointes des Vachons (fig. 7 n° 18) ou des géométriques (fig. 7 n° 16, 17).

20Les grattoirs existent sur les deux sites avec un indice restreint entre 11-14 %. Le type épais ou caréné est le plus fréquent (fig. 3 n° 2, 3 ; fig. 7 n° 8-10). Il existe également des grattoirs longs et plats en bout de lame (fig. 3 n° 1) ou de lamelle (fig. 3 n° 5 ; fig. 7 n° 7). Le type unguiforme sur éclat est présent, mais par un seul spécimen (fig. 7 n° 6).

21Il est remarquable que le site RS1 n’ait livré aucun burin, alors que ces outils représentent 16 % du corpus des outils de RS2. Sur ce dernier site, les types sont variés : dièdre droit (fig. 6 n° 8), plan (fig. 6 n° 7), d’angle sur cassure (fig. 6 n° 9, 10), transversal (fig. 6 n° 11). Il faut enfin mentionner en RS2 la présence d’un unique burin de type Noailles (fig. 6 n° 6 ; Arangurenet al. 2006).

22Un certain nombre d’artéfacts sur éclat porte des stigmates liés à l’utilisation se présentant sous la forme d’esquillures partielles du bord (fig. 2 n° 18, 19, 23). D’autres éclats présentent une retouche continue ordinaire (fig. 2 n° 20-22).

3 | Discussion

23Pour des raisons liées à la mise en exploitation viticole des parcelles concernées, aucune opération de fouille n’a pu être conduite sur le terrain.

24L’attribution chrono-culturelle des sites du Ravin d’en Saman 1 et 2 se fonde, dans ces conditions, sur la seule composition techno-typologique des corpus lithiques constitués lors des prospections.

25Il semble assez net que les deux sites aient connu des occupations d’âges différents, où l’on peut identifier, peut-être le Moustérien, plus sûrement l’Aurignacien, le Gravettien et le Mésolithique. Il est cependant impossible de préciser l’importance qu’a connue chacune de ces fréquentations, tant sur le plan spatial que temporel.

26Il existe en RS2 une possible présence moustérienne qui correspondrait, à ce jour, à l’occupation la plus ancienne des lieux. Elle est seulement identifiée en RS2 sous la forme d’un racloir convergent en jaspe sombre (fig. 6 n° 12). Cette pièce, de bonne facture, porte une retouche marginale ordinaire destinée à régulariser les bords. Deux nucléus discoïdes à éclats (fig. 8 n° 2, 5) peuvent relever de cette culture. En l’absence d’autres artéfacts attribuables au Paléolithique moyen, on ne peut écarter l’éventualité d’une réutilisation ou même d’une fabrication plus récente de ces quelques pièces qui pourraient, dans ce cas de figure, trouver place dans un contexte épipaléolithique (Azilien ?). 

27Sur les deux sites, certains artefacts évoquent la présence de l’Aurignacien lato sensu. C’est le cas, par exemple, des grattoirs épais ou carénés (fig. 3 n° 2, 3 ; fig. 7 n° 8- 10). Il existe, en RS2, une pièce identifiée comme une ébauche de grattoir caréné qui trouve des homologues sur le site de plein air de Régismont-le-Haut (Poihles, Hérault) ; (Bon 2002).

28C’est également le cas de certaines lames retouchées sur les deux bords qui rappellent les spécimens aurignaciens (fig. 2 n° 12, fig. 3 n° 4, fig. 7 n° 12). On connait des pièces identiques dans le niveau inférieur de la Tuto de Camalhot (Saint-Jean-de-Verges, Ariège) (Bon o.c.) ou dans la couche 10 de la grotte de La Crouzade (Gruissan, Aude) (Sacchi o.c .). Le site audois a également livré un burin plan semblable à un spécimen découvert en RS2 (fig. 6 n° 7). Quelques lamelles avec retouche marginale, directe ou inverse, proches du type Dufour pourraient être d’obédience aurignacienne. Elles restent cependant rares dans l’ensemble du corpus (fig. 3 n° 7, 11). On ne peut exclure, non plus, l’hypothèse d’une appartenance à l’Aurignacien pour certaines lamelles brutes dans la mesure où l’on tient compte d’une certaine variabilité reconnue dans les stratégies de fabrication de ces supports (Anderson 2012, 2019). 

29Le Gravettien est certainement la culture du Paléolithique supérieur la mieux représentée sur les deux sites. En effet, les grandes lamelles rectilignes peu épaisses rappellent les produits du débitage souvent recherchés par les Gravettiens (fig. 2 n° 3, 10, 15 ; fig. 6 n° 1). Comme en témoignent les nucléus retrouvés, elles sont issues d’une percussion tendre organique ou minérale (fig. 4 n° 1 ; fig. 8 n° 7). D’un autre côté, la présence bien marquée des burins (IB^r = 16), plus particulièrement sur le site du Ravin d’en Saman 2, confirme la présence gravettienne (fig. 6 n° 6-11). Un burin de type Noailles renforce cette hypothèse (fig. 6 n° 6). Sur les deux sites on retrouve des pièces à dos abrupt, comme des microgravettes (fig. 3 n° 16) ou des pointes des Vachons (fig. 7 n° 18), ainsi que des lamelles à dos (fig. 7 n° 15). Les sites du Ravin d’en Saman, plus particulièrement le RS2, s’inscrivent dans la sphère culturelle du Gravettien des Pyrénées dans sa composante méditerranéenne (Foucher 2012). Cependant, à l’encontre des zones atlantique et centrale des Pyrénées qui montrent, tout au long du Gravettien entre 28000 BP et 23000 BP, la présence continue du burin de Noailles, la zone méditerranéenne s’individualise par l’absence de cet outil. On ne trouve pas, dans l’état actuel des recherches, de burins de Noailles dans les sites des piémonts nord et sud des Pyrénées méditerranéennes. Ils sont absents de part et d’autre de la chaîne où on ne les repère ni dans les grottes de Serinyà (Reclau Viver ou l’Arbreda) (Fullola et al. 2007), ni dans celles du Narbonnais (La Crouzade, Bize) (Sacchio. c.). La grotte de La Crouzade, à 42 km au nord-est, qui a démontré la plus longue occupation humaine de la zone nord orientale durant le Paléolithique supérieur, aurait pu faire office de “centre de gravité”, suivant le dispositif envisagé par F. Foucher pour le restant des Pyrénées (o. c. p. 147).

30On identifie enfin sur les deux sites du Ravin d’en Saman 1 et 2 des éléments lithiques qui évoquent le second Mésolithique de la zone. Leur faible effectif oriente vers une fréquentation humaine de faible amplitude. La percussion a été réalisée en intercalant un intermédiaire entre le bloc à débiter et le percuteur (fig. 8 n° 6). Les tailleurs ont utilisé la méthode du microburin (fig. 3 n° 14) pour obtenir des pièces géométriques. Parmi ces dernières, on reconnait des trapèzes (fig. 3 n° 18, 19 ; fig. 7 n° 16) et un seul vrai triangle (fig. 7 n° 17). Les retouches façonnant les bords sont courtes et abruptes. Un rectangle court peut également relever de cette occupation (fig. 3 n° 15). Rares sont les occupations du second Mésolithique qui ont été identifiées dans cette zone du piémont oriental des Pyrénées. L’occupation du site voisin, le Rec de la Redouna 2, à 4,5 km au sud-ouest, est sans doute contemporaine de celle du Ravin d’en Saman (Baills 2021). Sur un éperon naturel, à la confluence de deux ruisseaux, ce gisement de plein air vient combler maintenant un vide archéologique concernant le Mésolithique, situation qui devrait évoluer au fil des prospections comme le démontrent les gisements du Ravin d’en Saman. Ces assemblages géométriques précèdent le premier Néolithique Cardial au sein des stratigraphies sous abri de la région (Perrinet al. 2009). Durant ce premier Néolithique se généralise l’emploi de la retouche couvrante des armatures géométriques. On retrouve ce scénario dans trois gisements de l’Aude. Il s’agit du porche de la grotte Gazel (Guilaine 1973), du Roc de Dourgne (Guilaine 1993) et de l’abri Jean Cros (Guilaine 1979).

4 | Conclusion

31On a, à plusieurs reprises déjà, évoqué l’intérêt spécifique que le Ravin d’en Saman-Cabrils a pu présenter en termes de circulation des troupeaux d’animaux rejoignant la plaine du Roussillon depuis le Narbonnais et vice versa. Plusieurs sites déjà publiés (Jas d’en Biel 1) (Baills 2008) (Rec de la Redouna 2) (Baills 2021) ou sous relecture (Ruisseau de La Boulière 2) nous ont permis de préciser cette situation.

32Les terrasses de cette zone présentent le double avantage d’être planes et de se trouver à proximité immédiate de l’eau. De plus le resserrement que représente le passage du col associé à la difficulté, toute relative certes, du franchissement ont pu jouer en faveur de l’implantation humaine. Les préhistoriques auraient, dans ce cas de figure, exploité ce moment de plus grande vulnérabilité des animaux qui étaient engagés dans un passage pentu et étroit.

33Parmi les mobiliers lithiques, l’identification de la présence aurignacienne constitue certainement l’apport principal de ce travail. Il faut rappeler que l’Aurignacien était, jusqu’à ce jour, inconnu dans la zone extrême orientale des Pyrénées françaises. Repéré au nord et au sud, dans le département de l’Aude (grottes de la Crouzade et de Bize) et dans le Gironès (grottes de Serinyà), sa découverte au Ravin d’en Saman 1 et 2 comble partiellement un vide archéologique qui ne trouvait aucune justification identifiable. Le Gravettien quant à lui, comme l’indiquent les deux sites tout proches du Jas d’en Biel, confirme son implantation de plein air dans la microzone du Col del Bouix (fig. 9).

34De récentes recherches menées dans la zone cantabrique ont révélé plusieurs occupations gravettiennes de plein air (Arrizabalaga et Iriarte-Chiapusso 2011). Elles présentent des similitudes avec les sites gravettiens du Ravin d’en Saman et du Jas d’en Biel et confirment la présence de cette culture sous la forme d’implantations à l’air libre aux deux extrémités des Pyrénées. Cependant, comme les auteurs l’observent (o. c. p. 202), les sites basques se trouvent à proximité de gîtes de matières premières siliceuses. Ce n’est pas le cas des sites catalans qui se positionnent entre 14 et 30 km à vol d’oiseau de ce type de ressources.

35Enfin, les terrasses des deux versants de ce passage, ont également été le lieu d’occupations humaines lors du second Mésolithique comme l’a déjà montré le site du Rec de la Boulière 2 (Baillso. c.). Les sites de cette dernière période sont sans doute passés inaperçus lors des prospections et mériteraient des repérages spécifiques compte tenu des faibles indices de terrain qu’ils ont laissés.