Nous tenons à remercier le SRA Nouvelle Aquitaine en la personne d’Emeline Deneuve d’avoir facilité l’accès à la collection du Ponteix lors d’un stage de Master 2 et l’Inrap NAOM d’avoir gratifié cette étude. Merci au laboratoire PACEA d’avoir accueilli cette étude dans ses locaux. Merci à Vincent Delvigne d’avoir guidé la reconnaissance des matières premières, ainsi qu’à  Gauthier Devilder pour son accompagnement sur la réalisation des dessins techniques. Pour finir, merci à tous ceux qui ont contribué de près ou de loin à la bonne réalisation de ce travail, ainsi qu’aux relecteurs anonymes qui en ont guidé la publication.

Introduction et cadre de l’étude

1Depuis la fin du XX^e siècle, dans le Sud-Ouest de la France, de nombreux programmes de recherches et travaux réinvestissent la question des trajectoires évolutives des sociétés de la fin du Dernier Maximum Glaciaire et en particulier la compréhension de la transition « badegoulo-magdalénienne » (e.g., Lenoir et al. 1995 ; Fourloubey 1996 ; Cazals 2000 ; Ducasse et Langlais 2007 ; Langlais 2007, 2020a et b ; Ducasse 2010 ; Langlais et al. 2010, 2015, 2020 ; Ladier (dir.) 2014 ; Langlais et Ducasse 2013). Stratigraphiquement calé entre deux traditions bien étudiées : le Badegoulien (e.g. : Fourloubey 1998, Cretin 2000, Ducasse 2010, Lafarge 2014) et le Magdalénien moyen ancien (Langlais et al. 2017 ; Sécher 2017), le Magdalénien inférieur à microlamelles à dos (Langlais 2010) a pu être qualifié de « chaînon manquant » dans cette transition (Ducasse 2010). Toutefois, la mise en évidence d’une tradition à lamelles à dos dextre marginal datée autour de 21000 cal. BP (Ducasse et Langlais 2019) et le calage stratigraphique des industries à pièces de type Orville au Taillis des Coteaux dans la Vienne (Primault et al. 2020) conduisent à complexifier le modèle évolutif proposé (Langlais 2020a).

2Les industries lithiques du Magdalénien inférieur sont notamment connues pour la pluralité des modalités de débitage microlamellaire mises en œuvre et des variations au sein des composantes de production d’éclats et de lames (notamment dans l’emploi des percussions dure, tendre minérale et/ou organique). Si les schémas de production de microlithes sont bien documentés et les grandes lignes des autres productions tracées, la connaissance fine des productions laminaires et de leur variabilité ainsi que des interactions techniques avec les débitages lamellaires constitue actuellement un angle mort des recherches (Langlais 2020b). En outre, la perception de ces éléments est basée sur la reconnaissance de chaînes de production segmentées dans le temps et l’espace, entre différents sites, notamment traduit par l’import sur certains sites, de lames extraites à la percussion tendre organique, sans présence de ces schémas de production sur place (e.g., Cazal et Bracco 2007, Langlaiset al. 2007). Cette segmentation rend difficile la compréhension de l’ensemble des choix opératoires, comme l’imbrication entre les différents types de débitage et, de fait, les objectifs techno-économiques sous-jacents.

3C’est dans ce cadre que des opérations de fouilles préventives ont été menées en 2017 (M. Folgado (dir.)) et 2018 (M. Brenet (dir.)) au lieu-dit le Ponteix, à Boulazac en Dordogne. Elles ont mis au jour un gisement de plein air offrant l’occasion, si ce n’est unique tout du moins suffisamment rare, de renouveler notre perception des comportements techno-économiques mis en œuvre durant cette période dans le Sud-Ouest de la France, jusqu’alors documentés à partir d’enregistrements en grottes et abris. Trois datations par thermoluminescence (Vartanian et Roque in Brenet dir. 2020) permettent (malgré de larges incertitudes dues à la méthode, voir infra) de situer l’occupation à la fin du Dernier Maximum Glaciaire, entre le Badegoulien récent et le Magdalénien moyen ancien. L’implantation du site à proximité immédiate de sources de silex et la bonne conservation d’un amas (secteur ouest voir infra) offrent l’opportunité d’aborder l’ensemble des maillons des chaînes opératoires lamino-lamellaires.

Présentation du site

Contexte général

4La moyenne vallée de l’Isle a fait l’objet de plusieurs découvertes récentes de sites de plein air du Paléolithique récent dans le cadre de l’archéologie préventive (Brenet (dir.) 2020). Localisé sur la commune de Boulazac (Dordogne), proche de Périgueux, le site du Ponteix est implanté au sein de la plaine alluviale de l’Isle, sur sa rive gauche, en amont de sa confluence avec le Manoire. Diagnostiqué en janvier 2017, le gisement a fait l’objet d’une opération de fouille préventive au cours de l’été 2018 (Folgado 2017, Brenet (dir.) 2020). Un premier décapage mécanique a permis de distinguer deux secteurs (est et ouest) matérialisés par des concentrations de vestiges lithiques fouillées manuellement sur l’ensemble du niveau dont la puissance stratigraphique varie entre 5 et 25 cm (fig. 1). Ils ont également fait l’objet d’un ramassage systématique de l’ensemble de la fraction sédimentaire dont une partie a été tamisée et triée et, au total, l’assemblage lithique prélevé lors de la fouille - puisqu’aucun vestige organique n’était conservé - est composé de 3369 pièces dépassant 1,5 cm, dont 2858 en silex et 511 éléments de galets alluviaux en roches métamorphiques.

5Il est important de garder à l’esprit que le caractère préventif de la fouille et les contraintes posées par le projet immobilier n’ont pas permis d’étendre le secteur de fouille. Cependant, aucun des sondages menés lors du diagnostic (Folgado 2017) en dehors de la tranchée 07 (fig. 1) n’a donné de résultat probant, laissant penser que ces deux locus correspondent à la zone principale occupée.

6Le gisement du Ponteix a donc été scindé en deux zones d’intervention lors de l’opération :

• Le secteur est, de 55 m², constitué de quatre concentrations d’artefacts distinctes séparées par des zones de faible densité.

• Le secteur ouest, de 35 m², comprenant un amas de débitage de près de 2 m² avec plus de 600 pièces/m² en sa partie la plus dense. Jouxtant cet amas, un regroupement riche en galets de quartzite chauffés est interprété comme une zone de combustion démantelée. Ce secteur a fait l’objet d’une étude techno-typologique approfondie du matériel (Bocquel 2020).

7Si la fouille a artificiellement divisé la fenêtre d’intervention en deux locus, la contemporanéité des secteurs est et ouest est appuyée par les données pédologiques, la profondeur d’enfouissement des vestiges, les schémas opératoires similaires, ainsi que le remontage d’au moins deux pièces entre les deux secteurs. En outre, les deux zones d’occupations ont été rapidement scellées par des alluvions déposées par l’Isle, résultats d’épisodes de débordement répétés (Sellami in Brenet (dir.) 2020). Un ruissellement diffus semble avoir affecté l’horizon superficiel du sol surmontant la nappe de vestiges, et est susceptible d’être responsable d’une redistribution limitée du mobilier archéologique en périphérie de la zone de fouille. La présence d’un replat topographique dans le secteur ouest ainsi que la pédologie des sédiments laissent supposer un faible impact de l’excès hydrique, et par conséquent une absence de réorganisation du matériel archéologique. Au contraire du secteur est dont la configuration légèrement dépressionnaire a occasionné des engorgements sédimentaires, et, ainsi, une légère dispersion des vestiges.

Datations radiométriques

8Pour tenter de préciser la chronologie du gisement, une série de datations radiométriques a été effectuée (Vartanian et Roque in Brenet (dir.) 2020). L’absence de matériaux organiques empêche toute datation radiocarbone, mais la présence de pièces chauffées a permis de mettre en œuvre un protocole de datation par thermoluminescence sur un silex et deux galets de quartzite chauffés, tous situés dans le secteur ouest (tabl. 1).

L’Industrie en silex du secteur ouest

Les matières premières

10L’examen macroscopique des pièces a révélé une grande homogénéité dans le silex utilisé : près de 97 % du matériel est attribué au silex sénonien local (N = 1 426). Toutefois, parmi cet ensemble, plusieurs provenances ont pu être identifiées en s’appuyant sur les macro-fossiles présents ainsi que sur la nature du cortex. Ce premier diagnostic, qui nécessitera d’être affiné par une véritable étude pétro-archéologique, indique donc d’ores et déjà un prélèvement à la fois au sein des altérites (N = 12) et dans les alluvions (N = 156). Les décomptes de pièces en silex de provenance alluviale sont probablement sous-estimés du fait de la présence de cortex en petites quantités sur de nombreuses pièces, ne permettant pas ces identifications.

11Si le Sénonien sensu lato est largement représenté, la présence ponctuelle d’autres matières premières est à noter. Tout d’abord, un ensemble d’artefacts issu des altérites coniaco-santoniennes (N = 26), dont on sait qu’elles sont disponibles à l’est du site (com. orale V. Delvigne). Si un seul raccord a pu être effectué, la nature caractéristique du cortex laisse penser que les pièces appartenaient à un même bloc décortiqué ou mis en forme sur place avec l’appariement de 23 pièces semi-corticales. Un second ensemble (N = 13) a pu être rapproché d’un silcrète tertiaire (com. oraleV. Delvigne) dont les pièces sont toutes corticales ou semi-corticales ; cinq artefacts raccordés et remontés laissent une nouvelle fois penser l’introduction d’un bloc non préparé.

12Le secteur ouest du Ponteix témoigne vraisemblablement d’un lieu fréquenté par un ou des groupes humains qui ont quasi exclusivement exploité la diversité des matériaux disponibles localement ; conclusion qui s’étend au secteur est dont le matériel est également majoritairement attribué au Sénonien sensu lato (Brenet (dir.) 2020).

Le débitage laminaire

Modalités opératoires

13La production laminaire du secteur ouest du Ponteix est représentée par 570 pièces - près d’un tiers du matériel - dont 186 lames une fois les raccords pris en compte. Toutes les phases de la chaîne opératoire sont représentées : les nucléus (N = 19), les éléments de mise en forme et d’initialisation (N = 62), les pièces issues de l’entretien du volume comme les tablettes (N = 88) ou les éclats de plan de frappe (N = 38), ou encore les pièces d’aménagement de la surface de débitage (N = 27). On notera également la présence de lames de plein débitage (lame à la morphologie régulière et aux bords parallèles, généralement extraite au centre de la table ; N = 39, voir infra).

14Au sein de cet ensemble, 59 % des produits laminaires portent du cortex et 49 % des lames sont semi-corticales ; ces données indiquent une nouvelle fois l’apport sur le site de blocs non préparés, sans doute simplement testés.

15L’étude des nucléus et des remontages révèle deux schémas de production. Un premier schéma dit « unipolaire simplifié », sans préparation importante est reconnu sur huit nucléus et lots de remontages. Les tailleurs exploitent ainsi la morphologie naturelle du bloc, allongée et convexe, afin de dégager un plan de frappe et une surface de débitage (fig. 2-A). Des aménagements ponctuels tels que des néocrêtes peuvent permettre une plus longue exploitation du volume, toutefois dès que la remise en forme devient trop coûteuse le bloc est abandonné. Un second schéma consiste en un débitage laminaire une nouvelle fois unipolaire, mais plus élaboré (préforme : N = 2 ; nucléus : N = 6). Des crêtes antéro ou postéro-latérales installent et maintiennent des convexités propices à une exploitation laminaire récurrente et standardisée privilégiant une surface large peu cintrée (fig. 2-B). À côté de ces modalités distinguées surtout par le soin apporté à la mise en forme du volume et la recherche de productivité, nous pouvons également signaler un bloc débité depuis deux plans de frappe hiérarchisés formant un dièdre, et deux autres volumes portant des négatifs d’un débitage géré depuis deux plans de frappe alternants.

16Au regard des états d’abandon divers des nucléus laminaires, la proximité des sources de matières et le statut du site pourront être interrogés (voir infra). En outre, la majorité des volumes (N = 9) présente un stade d’exploitation avancé, mais encore productif au prix d’une remise en forme ou d’une réorientation. Un seul volume est exploité jusqu’à exhaustion permettant ainsi de produire une large palette morphométrique de supports lamino-lamellaires et sept autres blocs ont été abandonnés en début d’exploitation. Ces abandons précoces peuvent s’expliquer par la présence de contraintes techniques trop importantes à rectifier (manque de carène, problème d’angulation entre le plan de frappe et la surface de débitage), et ce corrélativement à l’abondance des matières premières de bonne qualité à proximité. Pour les volumes abandonnés précocement sans raison technique apparente, un seuil d’arrêt entre 90 et 100 mm peut être proposé.

17L’étude du mobilier a montré que si la plus longue des lames retrouvées in situ atteint difficilement 80 mm, des mesures effectuées sur les enlèvements réussis des nucléus abandonnés portent la longueur maximale à 150 mm. On pourrait donc envisager un emport hors de l’amas voire du site des plus grands supports laminaires produits. Les largeurs sont centrées autour de 15 mm pour des épaisseurs variant entre 2 et 5 mm. Cependant, la forte fragmentation de la série (> 90 %) rend difficile l’évaluation du ou des modules de lames recherchées, et aucun gabarit particulier de lame n’a pu être reconnu lors de l’étude du secteur ouest à partir des supports restants sur le site. Du point de vue de leur morphologie, les produits laminaires ont des profils, lorsque les lames sont d’une longueur suffisante pour en discuter (N = 36), tout autant rectilignes que courbes. Et indépendamment de cela, les sections sont triangulaires pour plus de la moitié d’entre elles.

18Au niveau des modalités d’extraction des lames, les 16 lames de plein débitage conservant leur partie proximale, comme les 43 talons des lames dont le caractère technologique est indéterminé, indiquent préférentiellement l’emploi d’un percuteur tendre organique (talon réduit, présence d’une lèvre, bulbe plus diffus ; Pelegrin 2000) à partir d’un plan de frappe préparé par facettage localisé (N = 24) et d’une corniche finement abrasée (N = 36) (fig. 3).

Objectifs de production

19L’une des raisons de cette exploitation laminaire est la vocation à fournir des supports pour l’outillage, comme l’indiquent certains supports abandonnés sur place après une utilisation immédiate. Sur l’ensemble du secteur ouest, à savoir 1471 pièces lithiques, 83 artefacts présentent des enlèvements ou des traces macroscopiques d’utilisation. Les pièces dont l’origine de ces esquillements semble d’ordre taphonomique ou reste douteuse ont été mises de côté, réduisant la liste des artefacts retouchés à 58, soit à peine 4 % de l’ensemble du secteur ouest.

20Parmi ceux-là, 21 lames ont fait l’objet de retouches, soit 36 % du nombre d’outils : trop peu avec un échantillon trop restreint (N = 58) pour affirmer un choix préférentiel de la lame comme support pour l’outillage aménagé. Seulement cinq de ces pièces ne sont pas fragmentées, et elles relèvent de caractères technologiques variés [éléments de crête (N = 4), éléments d’entretien (N = 2), de plein débitage (N = 3) ou indéterminé (N = 12)]. Cependant, une étude tracéologique menée sur un échantillon des secteurs est et ouest [180 pièces dont 120 lames et lamelles brutes, 15 « burins nucléiformes » et l’ensemble des produits retouchés (Claud in Brenet (dir.) 2020)] a mis en évidence l’utilisation de lames utilisées brutes comme couteaux. Une étude globale demeure donc à réaliser afin d’intégrer dans l’outillage cette catégorie de pièce utilisée avec tranchant brut, non typologiquement défini.

21De plus, la présence de manques dans les remontages pourrait suggérer une sélection et un emport de certains produits pour une consommation différée.

22D’un point de vue typologique, ces outils réalisés sur lames non exportées recouvrent le panel classique du Paléolithique récent en particulier pour les outils d’extrémité (tabl. 2 ; fig. 4), et sont investis dans des activités telles que de la découpe bouchère et le travail de la matière dure animale (ibid).

La composante lamellaire

Modalités opératoires

23À côté de la production laminaire se développent d’autres chaînes opératoires en vue d’obtenir des supports lamellaires. Sur l’ensemble du secteur ouest, près de 150 pièces ont pu être directement rattachées à cette production, dont plus d’une centaine de lamelles et une dizaine de microlamelles. Une nouvelle fois, toutes les phases de la chaîne opératoire sont représentées avec des nucléus abandonnés, des pièces de mise en forme ou d’entretien, des produits et des déchets divers. À l’image de la composante laminaire, le débitage lamellaire se déploie sous la forme de plusieurs modalités. Un premier cas de figure comprend un débitage lamellaire sur des blocs laminaires réemployés ; à cette occasion, les nucléus laminaires sont réorientés (pas de continuum linéaire). Une seconde modalité lamellaire est réalisée sur petit bloc (N = 4), de manière unipolaire avec une extraction des produits faite suivant l’axe d’allongement du bloc (N = 2), ou bipolaire (N = 2), et avec sur l’un de ces nucléus deux plans de frappe installés en dièdre et exploitéssuccessivement. Le principal mode de production lamellaire consiste en un débitage sur tranche d’éclat (N = 16 ; fig. 5). Cet agencement est susceptible d’être effectué sur n’importe lequel des bords, selon la morphologie la plus propice (épaisseur, convexité naturellement présente), voire, dans un cas unique, sur deux bords opposés. Cependant, une morphologie favorable n’empêche pas une préparation de ce débitage avec la mise en place de crête/néocrête ou de troncature afin d’affirmer des convexités nécessaires à une exploitation. De même le plan de frappe peut être préparé par une nouvelle troncature, un enlèvement frontal ou un enlèvement rebroussé afin de créer une angulation propice au débitage. Dans ce type d’exploitation, les lamelles ont une forte tendance à investir progressivement la face inférieure.

24Comme observé sur les nucléus laminaires, de nombreux nucléus lamellaires restent exploitables au prix d’une remise en forme - jugée sans doute trop coûteuse alors que la matière première abonde. Les productions sur tranche correspondent ainsi à de courtes séquences peu productives mais rapides à exécuter.

25Les produits lamellaires sont, comme les lames, en grande majorité très fragmentés (> 70%). La longueur n’a pas été prise en compte dans nos comparaisons du fait de cette fragmentation, elles ont donc porté sur la largeur et l’épaisseur des lamelles. Les gabarits présentent une largeur comprise généralement entre 9 et 12 mm pour une épaisseur resserrée sur 2 à 3 mm. Les microlamelles se distinguent clairement du reste des produits, avec une largeur autour de 4 mm et une épaisseur de 2 mm (fig. 6).

26Du point de vue de la morphologie (N observé = 46), les profils sont rectilignes (46 %), et secondairement courbes (28 %) ou tors (20 %) avec 7 % d’indéterminés. La morphologie torse peut notamment s’expliquer par un débitage sur tranche d’éclat (débordement antéro-latéral). Il faut d’ailleurs rappeler que plusieurs lamelles portent un pan revers diagnostique d’un débitage sur tranche mais également susceptible d’être confondu avec des affûtages de burin.

27Les sections triangulaires prennent le pas sur toutes les autres (65 %) mais certaines de ces sections ont été modifiées par la confection d’un dos abrupt ; nous les avons distinguées dans nos comparaisons.

28L’extraction des lamelles est réalisée préférentiellement à l’aide d’une percussion tendre organique suivant un geste tangentiel, comme l’indiquent les parties proximales examinées (N = 24) suivant les critères de diagnose reconnus (Pelegrin 2000). La préparation du plan de frappe n’est pas systématique (N = 10), bien que l’on note sur certaines pièces une abrasion (N = 11) ou un facettage (N = 5), si ce n’est les deux (N = 3). Au niveau de la morphologie du talon, 58 % des talons conservés sont punctiformes avec seulement cinq talons facettés et deux lisses, une proportion qui va de pair avec la difficulté d’observer ces supports minces.

Objectifs de production

30Les microlamelles à dos (fig. 7) se caractérisent par des dos abrupts d’amplitude totale (N = 7) et envahissante dans un cas. Les dos présentent une délinéation rectiligne : six d’entre eux ont une retouche directe, une pièce porte un dos inverse et une dernière présente une portion distale de dos en retouche croisée. Une seule des microlamelles à dos n’a pu être latéralisée ; cinq ont un dos dextre et deux microlithes ont un dos sénestre. Un stigmate macroscopique d’impact - sous la forme d’un enlèvement burinant - est visible sur l’une des microlamelles (fig. 7, n° 5) et d’autres livrent des cassures par flexion plus ubiquistes (N = 2) voire des esquillements sur le bord tranchant. Seule une étude microscopique confrontée à un référentiel expérimental permettrait d’en dire plus.

Les modalités opératoires laminaires et lamellaires : quelles interactions ?

32Deux nucléus du secteur ouest présentent des enlèvements à la fois laminaires et lamellaires sur la même surface de débitage, la séquence lamellaire étant postérieure. Deux autres nucléus présentent également les deux types de production, mais les blocs ont été réorientés après la dernière séquence laminaire. Nous avons donc ici une interaction directe entre les deux objectifs de production reliés par une séquence de réorientation du volume.

33Un second mode d’interaction peut être qualifié de « co-production ». L’analyse technologique du matériel du secteur ouest ne met en évidence aucun débitage spécifique d’éclat épais - bien qu’un ensemble pose encore question. Or, de nombreux nucléus lamellaires sont mis en place sur des matrices épaisses débitées. Ce sont deux remontages qui donnent la réponse quant à la provenance de ces supports de débitage : deux nucléus lamellaires ont été remontés avec des séquences complètes de la chaîne laminaire. Un premier nucléus à lamelles sur tranche (fig. 8-B ; fig. 8-2) est inséré au milieu d’une série d’éclats épais débités au percuteur dur, résultant de la mise en forme d’une crête latérale. Un second nucléus lamellaire a été remonté au sein d’une série de tablettes liées à un débitage laminaire, bien que toutes les tentatives d’extractions de lamelles lisibles aient échoué (fig. 8-A ; fig. 8-1). En sus des supports laminaires reconnus comme nucléus à lamelles (N = 2), nous avons la démonstration d’une récupération de produits issus de la chaîne laminaire comme nucléus lamellaires. La récupération de produits épais liés à la chaîne laminaire permet de répondre à un besoin de matrice à moindre coût.

34En outre, parallèlement à la présence d’éclats retouchés (N = 22) issus vraisemblablement des chaînes laminaires, le besoin en matrices épaisses pour débiter des microlamelles n’a, contrairement à d’autres sites contemporains (Saint-Germain-La-Rivière ou Gandil), pas privilégié la fracturation de blocs en éclats. Au contraire, les occupants du site du Ponteix ont plus « simplement » récupéré des volumes idéaux au sein des produits issus de séquences spécifiques du débitage laminaire (mise en forme ou ravivage des plans de frappe). Au-delà d’un certain opportunisme qui pourrait ressortir de cette observation, le choix économique réalisé par ces groupes nous semble s’avérer relever d’une co-production recherchée qui plus est dans un contexte de production laminaire in situ (à la différence des gisements susmentionnés).

Discussion

35L’analyse techno-typologique du mobilier en silex provenant du secteur ouest du Ponteix met en évidence un approvisionnement préférentiellement en matériaux locaux (alluvions de l’Isle et gîtes proches) mettant à profit une disponibilité abondante. La matière exploitée est pour plus de 95 % du silex sénonien sensu lato ; cependant, la présence de deux autres types : un silcrète tertiaire et un silex coniaco-santonien, nuance la stricte monotonie lithologique de la collection. La présence de ces derniers sous la forme de quelques pièces corticales (N = 39) laisse toutefois penser que ces matériaux témoignent d’une histoire techno-économique différente. Étant donné leur faible nombre et l’exclusivité des pièces corticales, nous pouvons légitimement nous demander si les nucléus n’ont pas été préparés en partie sur le gisement, sans faire l’objet d’une production, avant d’être emportés hors de la zone de fouille.

36La production lithique est structurée par les composantes laminaires, qui ont vocation à fournir des supports d’outils, et lamellaires, dont l’objectif est principalement de fournir en armatures de chasse (probables inserts dilacérants comme le suggère l’enlèvement burinant sur l’une des microlamelles à dos). Ces deux objectifs de production sont parfois effectués de manière disjointe, mais la majorité des nucléus à lamelles étant sur tranche d’éclat, ces derniers relient les deux chaînes opératoires : ils sont des co-produits du débitage laminaire.

37Les lames abandonnées dans le secteur ouest présentent une relative diversité morphométrique et une forte fragmentation, si bien que la définition des intentions de la production est difficilement palpable. En outre, l’hypothèse d’un emport de lames hors de l’amas ou du site est une piste de recherche à préciser. L’utilisation de tranchants bruts démontrée par l’étude fonctionnelle d’une partie du matériel (Claud in Brenet (dir.) 2020) et la transformation de certaines pièces en outils retouchés soulignent des besoins immédiats dans des activités tout de même diversifiées menées sur le site (plus complexe qu’un faciès d’atelier univoque). Toutefois, l’absence des plus grandes lames soulève la question de l’emport et, en miroir, celle de l’introduction de lames débitées à la percussion tendre organique dans certains sites. Par exemple, la présence de lames silex allochtones extraites en percussion tendre organique à l’abri Gandil (Langlais 2007), alors qu’il y a in situ un débitage laminaire effectué à la pierre, peut également appuyer l’hypothèse d’une segmentation des productions laminaires de cette période (Cazal et Bracco 2007). Les débitages simplifiés à la pierre documentés sur les sites « consommateurs » répondraient à un besoin en supports d’appoint, complétant des supports plus investis et importés, ou à produire des supports spécifiques de couteaux ou de pointes à cran (Gandil ou Fontgrasse : Langlais 2007). Les débitages élaborés feraient l’objet d’une exportation à partir de sites « producteurs » tels que le Ponteix. Cette hypothèse mériterait d’être approfondie à partir de nouvelles études.

38Les lamelles de plein débitage présentent également une très forte fragmentation. Il est possible de s’interroger sur leur sous-représentation (tout autant que sur celle des microlithes), mais la faible dimension de ces pièces nous incite à envisager un biais documentaire lié à la non-réalisation d’une partie du tamisage.

39Le secteur ouest du Ponteix, matérialisé par une forte densité de mobilier en silex, retranscrit donc un amas de taille productif, dont une large partie des produits a été évacuée de la zone fouillée. Dans le secteur est, les études menées lors de la post-fouille ont montré également la faiblesse des produits entiers et notamment des plus grandes lames (lame entière avec cortex : N = 35 ; lame non corticale entière : N = 17). Par ailleurs, l’apparent faciès de cette production ne doit pas masquer la relative diversité des activités réalisées sur place, bien que l’étude fonctionnelle totale n’ait pu être réalisée faute de moyens ; cela met en évidence la présence d’une occupation plus complexe que seulement dédiée à la taille.

40L’analyse techno-typologique de l’industrie lithique du secteur ouest est propice à rediscuter l’attribution chrono-culturelle de l’occupation. Alors que les différentes dates (cf. supra) placent Le Ponteix dans la chronologie de la fin du Dernier Maximum Glaciaire, elles chevauchent trois technocomplexes (Badegoulien récent, Magdalénien inférieur, Magdalénien moyen ancien).

41Du point de vue des choix techniques, l’absence de production d’éclats minces dévolus aux raclettes et plus généralement l’absence de chaines autonomes de production d’éclats permettent de s’éloigner d’une attribution au Badegoulien récent. Par ailleurs, si le percuteur minéral est utilisé ponctuellement, essentiellement pour des séquences de (re)mise en forme ou d’entretien, il est abandonné au profit du percuteur organique pour l’extraction des produits laminaires (la question demeure en suspens pour les lamelles). Comme initialement proposée, l’occupation du site du Ponteix se rapprocherait plutôt du Magdalénien inférieur (Brenet (dir.) 2020, Bocquel 2020). Or, en l’absence de matériaux organiques conservés, il n’est possible de s’appuyer quesur les chaînes opératoires décrites et les microlithes. La souplesse relevée dans les productions lamellaires sur tranche trouve des comparaisons tant avec le Magdalénien inférieur à microlamelles à dos (Langlais 2010, 2020b) qu’avec le Magdalénien moyen ancien (Sécher 2017). En outre, si certains sites comme Gandil ou Saint-Germain-La-Rivière témoignent d’une diversité des modalités opératoires sur front et sur tranche (Langlais 2007, Langlais et al. 2007), d’autres occupations du Magdalénien inférieur sont plus avares en modalités opératoires comme le Taillis des Coteaux IIIa (Primault et al. 2007). La seule présence d’une modalité « sur tranche transversale à encoche » demeure relativement ubiquiste durant cette période (Ducasse et Langlais 2007). Enfin, du point de vue de la composante laminaire, celle documentée au Magdalénien moyen ancien semble relever d’un plus grand soin et d’un investissement technique plus sensible aux supports larges (Sécher et al. 2018, Langlais et al. 2020).

42Le système de production offre un autre angle d’attaque pour tenter d’aller plus loin. Les subdivisions des technocomplexes du Dernier Maximum Glaciaire s’appuient sur un élément particulier des industries lithiques : les armatures de chasse. Le tamisage des carrés les plus denses de l’amas de taille, et le tri ainsi que l’isolement des silex ont permis de découvrir huit microlamelles à dos. Aucune lamelle scalène, caractéristique du Magdalénien moyen ancien n’a été découverte. De plus, l’absence de témoignages d’une production de lamelles à dos dextre marginal permet d’écarter l’attribution à ce technocomplexe de la transition badegoulo-magdalénienne. En revanche, la microlamelle à dos, morphotype rattaché au Magdalénien inférieur classique sur les sites du Sud-Ouest de la France (Langlais 2007, 2020a, 2020b), permet d’appuyer l’attribution du Ponteix à cet ensemble chronoculturel.

Conclusion

43L’analyse de l’industrie en silex du secteur ouest du Ponteix met en évidence les choix techno-économiques effectués par les tailleurs : des priorités sont données aux débitages laminaire et lamellaire, lesquels sont liés par une co-production traduisant alors l’existence d’objectifs économiques intégrés bien qu’ils ne soient pas produits suivant un continuum linéaire. La présence de microlamelles à dos, couplée à l’ensemble du matériel, vient confirmer une attribution au Magdalénien inférieur dans son faciès à microlamelles à dos.

44À côté des nombreux gisements d’abri-sous-roche ou d’entrée de grotte, le site magdalénien du Ponteix met l’accent sur des sites moins connus du fait de leur rare découverte, mais potentiellement tout autant informatifs. L’étude de nouveaux gisements de plein air fouillés de manière extensive (notamment dans le cadre de l’archéologie préventive) permettra d’affiner notre perception des organisations techniques et sociales des productions lithiques de la fin du Dernier Maximum Glaciaire.