1Le 4 juillet 2022 disparaissait Randall Keith White, victime d’une maladie foudroyante. Né au Canada, citoyen américain, il était français, plus particulièrement périgourdin, de cœur.

2Ce sont ses qualités sportives qui lui permettent de financer et de s’inscrire en licence d’anthropologie à l’université d’Alberta. Francophone, il rencontre J.-Ph. Rigaud, en visite à Toronto, lequel l’invite à participer à ses fouilles dans la vallée de la Dordogne où il se rend dès 1974, d’abord au Flageolet I et II (Bézenac), puis à la grotte Vaufrey (Cénac-et-Saint-Julien). Dès le début de sa formation universitaire, il fréquente les cours des deux côtés de l’Atlantique, s’imprégnant de deux traditions archéologiques, l’école anthropologique anglo-saxonne et la Préhistoire et la géologie du Quaternaire de l’école de F. Bordes à Talence.

3Malgré quelques travaux menés sur le mobilier ou les sites paléo-indiens (ossuaire d’Ossossane, prospection de sites eskimos de la rivière Thomsen, au Canada…), c’est la Préhistoire européenne qui retient son attention dès le début. Il s’attache alors à découvrir, faire découvrir et décrire les collections préhistoriques européennes conservées sur le continent américain, la première étant la collection de Henri Marc Ami (1979-1988). Il s’est d’ailleurs beaucoup attaché à la figure de ce compatriote aux intérêts scientifiques et choix de vie proches des siens. Il contribue également, à partir de 1985, à publier les collections de Préhistoire du Logan Museum (Beloit). Il analyse la parure et l’art mobilier du Smithsonian Institute et du Field Museum (Chicago), du Peabody Museum (Harvard et Yale) et de l’American Museum of Natural History (New York). Nous sommes nombreux à avoir bénéficié de ses renseignements concernant la présence de ces importantes collections. Il a offert son aide et même servi d’intermédiaire pour en faciliter l’accès à la recherche, faisant déplacer en 1989 du musée de Beloit à celui de New York les plaquettes gravées de Limeuil afin de permettre au jeune Gilles Tosello de les étudier pour sa thèse !

4Ses séjours en France sont décisifs. Il décide de consacrer sa recherche doctorale à l’étude de l’implantation des sites archéologiques du Magdalénien à partir de 1976. Il parcourt le Périgord avec Christian Archambeau (en charge de la surveillance des grottes et gisements pour le compte de l’Etat et fin connaisseur de ce territoire en matière de Préhistoire) afin d’enregistrer la centaine de sites du Paléolithique supérieur en relevant leur topographie, orientation, exposition, etc. Il soutiendra sa thèse, The Upper Paleolithic Occupation of the Périgord: A Topographic Approach to Subsistence and Settlement en 1980 à l’Université de Toronto (White 1985), dans laquelle il propose une lecture plus anthropologique, inspirée des modèles ethno-archéologiques de Lewis Binford.

5Présent tous les ans en France grâce à des financements canadiens, puis américains, il participe aux fouilles au Flageolet et dans la grotte Vaufrey, aux prospections de ses collègues et à certaines découvertes. Il entreprend ses propres travaux de terrain : prospections, sondage du site de Mala, lieu-dit Galinat (Marquay) puis, à partir de 1994, fouilles programmées : abri Castanet (en co-direction avec J. Pélegrin de 1994-1997, puis seul de 2005 à 2012), abri Blanchard (2011-2013), abri Cellier (2014) et Sous-le-Roc (2016) choisissant ainsi d’explorer les plus anciens niveaux d’occupations aurignaciens de la Vallée de la Vézère. Il fait partie de l’équipe scientifique de la grotte de l’Hyène à Brassempouy (1990-2007) et de la grotte d’Isturitz (1998-2022) en tant que spécialiste de la parure.

6Professeur-assistant au département d’anthropologie de l’Université de New-York à partir de 1981, puis professeur à partir de 1994, Randy prend part à la formation de nombreux étudiants, certains aujourd’hui en poste. Il participe à une vingtaine de jurys de thèse, tant aux Etats-Unis qu’en France. Il fait partie de ces personnalités scientifiques dont la fréquentation vous fait découvrir d’autres univers intellectuels et d’autres traditions académiques, au bénéfice de plusieurs générations de chercheurs, qu’ils soient ou non ses propres étudiants. L’hommage du Bulletin de la Société préhistorique française (Tartar et Chiotti 2022) rend justice à sa personnalité chaleureuse, ses qualités de chef d’équipe et d’encadrant. Nous adhérons totalement à ce qui y est écrit et renvoyons à la bibliographie qui y est déroulée. Mentionnons juste un rapide décompte de 7 ouvrages et plus de 100 articles publiés, une quinzaine de rapports d’opération archéologique et au moins 70 conférences publiques. Pour Randy, il n’y a jamais eu de clivage entre le monde de la recherche et les autres mondes, professionnels ou amateurs : il partageait généreusement, les découvertes comme les réflexions, avec discrétion et bienveillance. Les guides et médiateurs sont nombreux à avoir profité de la présentation de ses fouilles, de conseils ou d’orientations bibliographiques pour leurs visites ou animations, par exemple lors de l’aménagement de la salle Pierre Bourrinet, à Teyjat. Ses expérimentations ont permis de comprendre, formaliser et transmettre le savoir-faire relatif à la fabrication des perles aurignaciennes, non seulement au bénéfice de nombreux étudiants, mais aussi de médiateurs qui proposèrent ainsi des ateliers à l’intention de différents publics, notamment scolaire.

7Intéressé par de nombreux sujets (parmi lesquels le Paléolithique moyen, la transition Paléolithique moyen-supérieur, l’étude des vestiges humains, l’Epipaléolithique en Afrique du nord, les études de saisonnalité avec A. Pike-Tay, etc.), ses principaux thèmes de recherche sont diversifiés, mêlant le pragmatisme français et les théories de l’Anthropologie culturelle anglo-saxonne : l’installation des sites révèle pro parte l’organisation sociale des chasseurs-cueilleurs, l’art dévoile une partie des constructions mentales et des capacités cognitives humaines, la parure est un traceur de la mobilité et des interactions sociales, tous relèvent d’un « processus complexe de conceptions, d‘emploi et d’abandon ancrés dans le milieu social et culturel » (White et Bisson 1998, p. 96).

8Dès le début de sa carrière, l’art et la parure sont au cœur de ses travaux. Il inventorie des collections américaines (1986-1999), puis françaises (1987) et enfin européennes, effectuant des séjours dans les musées du Royaume-Uni, Belgique, Allemagne de l’Ouest, Autriche, Hongrie, Pologne, Tchécoslovaquie et Russie (1988-1999). Il est parmi les premiers occidentaux francophones (avec J. Combier, H. de Lumley, M. Otte, F. Djindjian, etc.) à s’intéresser à la Préhistoire de l’Europe de l’Est et à visiter des sites exceptionnels comme Mezhirich (Ukraine), Kostienki ou Sungir (Russie). Il prend alors la pleine mesure de l’importance de l’ivoire, des Vénus et des habitats en os de mammouth du Gravettien oriental. Ses échanges scientifiques le mettent sur la piste de la production des perles en ivoire : il observe les traces au microscope, les ordonne en chaîne opératoire, met en place dès 1993 un programme d’expérimentation sur les perles aurignaciennes de l’abri Castanet, tout en considérant les éléments de parure comme des manifestations sociales particulièrement significatives, notamment en contexte funéraire. Un intérêt pour les sépultures qu’il partagera avec D. Henry-Gambier au travers de nombreuses conversations…

9A partir de 1993, son attrait pour l’ivoire l’entraîne naturellement vers les Vénus gravettiennes. Il aura notamment l’occasion d’étudier celles de Kostienki, d’Avdeevo (il rencontre N. Praslov et travaille avec M. Gvozdover) et de Brassempouy (avec H. Delporte et D. Buisson). L’un des moments les plus palpitants de sa carrière a sans doute été la redécouverte de sept Vénus perdues de Grimaldi, trouvées dans un magasin d’antiquités canadien, qu’il sera amené à expertiser et étudier avec Michael Bisson (université de Montréal). La publication de son travail exhaustif sur l’ensemble complet des Vénus de Grimaldi, ainsi que le point historiographique des circonstances de leurs découvertes, constituent la référence sur le sujet (White et Bisson 1998). Ses compétences en tant que spécialiste de l’étude techno-tracéologique de l’ivoire, sa grande connaissance des Vénus, des collections archéologiques sur les deux continents ainsi que son intérêt pour les archives scientifiques ont fait de lui la personne experte en matière d’authentification. Il a été sollicité à plusieurs reprises à propos de nouvelles découvertes de figures féminines, la dernière en date étant la Vénus de Piatra Neamt, découverte en Roumanie (Nitu et al. 2023).

10Son amour pour les éléments de parure et les Vénus s’exprime également à travers la photographie. Il en fera une exposition (Vénus intemporelles, 2001-2002). Très tôt, Randy endosse le rôle d’ambassadeur de l’art préhistorique : commissaire de l’exposition et auteur du catalogue Dark Caves, Bright Visions: Life in the Ice Age Europe au musée américain d’Histoire naturelle de New York (1985-1987), il en éditera une version française en 1993, sous le titre Préhistoire (White 1993). Ce livre accessible, aux très belles illustrations, est présent dans toutes les bibliothèques d’amateur de Préhistoire. Il récidivera en 2003 avec L’art préhistorique dans le monde (édition française de Prehistoric Art: The Symbolic Journey of Humankind), un ouvrage dont l’intention principale est d’élargir notre perception de cet art. C’est la phase d’émergence des expressions symboliques, en particulier l’invention de l’image et son explosion vers – 40 000 ans, au début de l’Aurignacien, qui le passionne. Le symposium international Aurignacian Genius : the Origins of the Arts in Europe, organisé à New York, a été l’occasion d’une synthèse pluridisciplinaire sur ce sujet, dans laquelle il avait à cœur de donner aux expressions graphiques la place qui leur est due, au milieu des autres productions.

11Homme de conviction, Randy savait aussi prendre part à la bagarre, voire la mener, comme en témoigne son positionnement au milieu du collectif d’archéologues, spécialistes de l’art rupestre, au sujet des résultats de datation de voiles de calcite dans les grottes ornées espagnoles (White et al. 2019 et 2020). Il a su, avec Georges Sauvet, réunir et coordonner une communauté de plus de quarantaine de personnalités et trouver un support éditorial qui accepte de publier un article de réponse méthodologique, dans un monde privilégiant le sensationnel et le disruptif...

12En toute liberté et indépendance d’esprit, il étudiait les Vénus gravettiennes au milieu de ses consœurs féministes américaines et s’autorisait un regard critique sur la réglementation française ou le manque d’intégration des recherches et théories internationales en France, car il avait, c’est bien normal, à cœur de retracer le rôle des chercheurs américains et canadiens dans la recherche archéologique européenne française.

13Son intérêt pour les archives, au même titre que les collections, révèle le soin qu’il portait à reconnaître et faire reconnaître les apports et mérites de chacun… quitte, à prendre le contrepied de l’opinion générale, comme dans l’affaire de l’abri du Poisson (White 2006). Son intérêt pour l’histoire de la discipline et les archives l’amène à beaucoup échanger avec un autre amoureux du Périgord, Alain Roussot et avec René Castanet (qu’il a tous deux interviewés pour les Témoins de la Préhistoire), à participer à des recherches doctorales, faire des conférences sur le sujet, etc. Curieux et d’une grande générosité, il aimait faire parler les objets, les archives du sol et des bibliothèques, ne négligeant aucune piste. Des deux côtés de l’Atlantique, sa fréquentation assidue des musées a permis de mieux faire connaître certaines collections, de redécouvrir et authentifier des objets exceptionnels, organiser ou contribuer à des expositions temporaires (de New York à Brassempouy), participer à la conception de programmes muséographiques (musée national de Préhistoire des Eyzies), voire même d’enrichir les collections (musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye). Au MNP, nous nous référons toujours à son inventaire de la parure réalisé au moment de la programmation muséographique du nouveau musée.

14Nous sommes nombreux à nous sentir honorés d’avoir croisé son chemin et passé de si précieux moments de partage. A l’instar du cœur de H.-P. Ami, autre canadien, il repose en France.

15Cette nécrologie a été réalisée à partir de documents transmis par R. Mensan et d’entretiens avec différents collègues que nous tenons ici à remercier, notamment C. Archambeau, I. Castanet-Daumas, O. Ferullo, N. Fourment, C. Fritz, J.-M. Geneste, C. Gizardin J.-Ph. Rigaud, C. Schwab, J. Simek et G. Tosello. Merci également à eux pour les corrections.