Nous adressons nos remerciements à Catherine Schwab, Conservateur du département Paléolithique et Mésolithique du musée d’Archéologie Nationale de Saint-Germain-en-Laye et à Jean-Jacques Cleyet-Merle, ancien Directeur du Musée national de Préhistoire des Eyzies, pour avoir permis l’accès aux collections archéologiques. Nous sommes reconnaissants à Laure Fontana pour la caractérisation des bois.

Toutes illustrations, M. Baumann sauf fig. 7, H. Plisson.

Introduction

1Lors de la publication du premier percuteur paléolithique en bois de cervidé identifié, retrouvé parmi les vestiges fauniques de Laugerie-Haute Ouest (fouilles 1959), F. Bordes écrivait : » Il est normal qu’il vienne d’une couche solutréenne. En effet, un percuteur en bois de renne n’est pas indispensable pour la fabrication de la majorité des outils du Paléolithique supérieur, mais il est presque indispensable, en tous cas commode, pour fabriquer des feuilles de laurier solutréennes […] comment se fait-il qu’on n’en connaisse pas davantage ? » (Bordes 1974, p. 97). 

2En un demi-siècle, une petite quarantaine seulement de percuteurs, supposés ou avérés, ont été signalés pour l’ensemble du continent eurasiatique. Les plus anciens se rapportent au Paléolithique inférieur (Stoutet al. 2014 ; Gao et al. 2021). La grande majorité provient de gisements du Paléolithique supérieur : aurignaciens (Julien et al. 2002), gravettiens (Grigorieva 1990 ; Sorokina 1993 ; Goutas 2015), solutréens (Bordes 1974 ; Estévez 1978 ; Stodiek 1990 ; Averbouh 1995 ; Castel et al. 1998 ; Averbouh, Bodu 2002 ; Baumann 2008 ; Rigaud et al. 2013), magdaléniens (Bosinsky, Hahn 1972 ; Feustel 1980 ; Averbouh 1995, 1999 ; Braem 2008 ; Bello et al. 2016) et du Federmesser (Baales 1994).

3L’utilisation par les paléolithiques de matériaux organiques pour la taille des roches dures fut entrevue relativement tôt dans l’histoire des recherches, notamment lorsque L. Capitan et D. Peyrony proposèrent que des os à « petites entailles transversales » aient pu être utilisés comme retouchoirs pour régulariser le tranchant des éclats de silex (Capitan, Peyrony 1912, p. 35-36). Pendant longtemps, ces éclats d’os furent la seule évidence tangible d’outils de taille autres que lithiques. Parallèlement, la pratique expérimentale de L. Coutier (1929) et de ses successeurs a révélé la pertinence du recours à des matériaux organiques osseux ou ligneux, pour la retouche des bords, le débitage laminaire et le façonnage bifacial. La systématisation des expérimentations a permis de cerner, sur les produits lithiques, des caractères ou des combinaisons de caractères propres à chaque technique (voir notamment Bordes 1947 ; Bordes, Crabtree 1968 ; Crabtree 1970 ; Newcomer 1975 ; Shchelinskiï 1983 ; Texier 1996 ; Pelegrin 2000, 2013, 2019). Rapportés au matériel archéologique, ces indices dessinent, en filigrane, un outillage de taille préhistorique en matières organiques diversifié (percuteurs, punchs, compresseurs) dont peu de spécimens nous sont connus. 

4Des facteurs taphonomiques et techniques ont contribué à l’invisibilité des percuteurs organiques. Le caractère périssable des matériaux organiques est en partie responsable de la rareté des vestiges. Le bois végétal ne se conserve pas hors de milieux humides, très secs ou bien gelés stables, et il en subsiste peu des temps pléistocènes, tandis que les matières dures animale sont nettement plus sensibles que les roches taillées à une multitude d’agents d’altérations. Proche de la forme naturelle brute, les percuteurs façonnés dans les ramures ne s’en distinguent que par les traces d’impact de la meule et son arrondi plus accentué, qui peuvent facilement se confondre avec des altérations taphonomiques ou être en partie masqués par elles ; la description par F. Bordes de la découverte du spécimen de Laugerie-Haute Ouest est à cet égard révélatrice (Bordes 1974). Il en est de même avec les compresseurs solutréens, baguettes obtenues par fracturation, sommairement régularisées par entaillage et émoussées à une extrémité, qui n’ont que très récemment été mis en évidence (Baumann, Maury 2013 ; Baumann 2014 ; Baumann et al. 2022). 

5Avec de tels instruments, les éléments déterminants d’identification se concentrent sur la partie active. Celle-ci prend donc une valeur particulière, car elle est à la fois preuve de leur réalité, condition de leur technicité et marqueur le plus immédiatement accessible de la biographie initiale de ces objets. Elle les inscrit donc directement dans le champ de la tracéologie telle que définie par S.A. Semenov (1957), conjuguant traces de fabrication et d’usage, outil et matière d’œuvre.

6Pour l’analyse de 22 percuteurs en bois de cervidé, dont 19 inédits, découverts dans les restes de faune de cinq gisements solutréens de référence du Sud-Ouest de la France, nous proposons, dans le prolongement de travaux antérieurs (voir notamment Averbouh et Bodu, 2002), un cadre expérimental détaillant les traces d’usage en fonction des modes opératoires.

1 | Matériel et méthode

1.1 | Constitution du corpus d’étude

7Ce travail a été mené dans le cadre d’une thèse doctorale (Baumann 2014) portant sur la révision de l’industrie osseuse de 5 gisements solutréens du Sud-Ouest de la France (fig. 1) reconnus comme des sites de production de pointes lithiques foliacées : Laugerie-Haute Ouest et Est (Les Eyzies, Dordogne ; Peyrony 1938), le Fourneau du Diable (Bourdeilles, Dordogne ; Peyrony 1932), Badegoule (Le Lardin-Saint-Lazare, Dordogne ; Cheynier 1949) et le Roc-de-Sers (Sers, Charente ; Henri-Martin 1928). Les collections sont celles constituées par D. Peyrony, F. Bordes (Laugerie-Haute), D. Peyrony (Fourneau du Diable), A. Cheynier et D. Peyrony (Badegoule) et de L. Henri-Martin (Roc-de-Sers) dans la première moitié du XX^e siècle, et conservées au Musée national de Préhistoire (MNP, Les Eyzies, Dordogne, France) ainsi qu’au Musée d’Archéologie Nationale (MAN, Saint-Germain-en-Laye, Yvelines, France). Plus de 2000 pièces d’industrie (hors parure et art mobilier), dont près du tiers récupéré après le tri systématique des restes de faune, ont ainsi été analysées sous un angle technologique et fonctionnel.

1.2 | Approche et moyens d’analyse

8Le cadre méthodologique mobilisé est celui de la tracéologie, prenant en compte à la fois les traces de fabrication et d’utilisation, à l’échelle micro et macroscopique (Semenov 1957, 1964). Le mauvais état de conservation du matériel pléistocène ne permet généralement pas l’analyse à l’échelle microscopique. Les séries étudiées ne faisant pas exception, seuls les caractères macroscopiques sont ici exploités. L’ensemble des pièces a été observé à l’œil nu, puis à l’aide d’un microscope stéréoscopique Nikon SMZ-1. Dix-neuf parties basilaires de bois de cervidé ont ainsi été isolées sur la base de caractères fonctionnels compatibles avec une utilisation en percuteur pour la taille du silex et viennent s’ajouter aux 3 exemplaires déjà publiés pour les sites étudiés (un à Laugerie-Haute, Bordes 1974 ; deux au Roc de Sers, Baumann 2008). Quatre exemplaires du site du Fourneau du Diable avaient été préalablement identifiés par L. Braem (lors de tris pour la nouvelle muséographie du MNP dans les années 2000) et deux exemplaires du Roc-de-sers avaient fait l’objet d’une étude préliminaire par A. Agoudjil dans le cadre d’un mémoire de master (Agoudjil, 2004). L’identification de ces pièces comme percuteurs s’est fondée sur une comparaison avec les spécimens archéologiques et expérimentaux déjà publiés (Bordes 1974 ; Estévez 1978 ; Stodiek 1990 ; Averbouh 1999 ; Averbouh, Bodu 2002 ; Stout et al. 2014 ; Goutas 2015 ; Bello et al 2016 ; Orlowska et al. 2022). Nous avons complété ces sources, encore peu nombreuses, par un référentiel expérimental adapté au contexte lithique solutréen. Les opérations de taille ont été réalisées par un tailleur expérimenté (S.M.). Les photos de l’ensemble du matériel archéologique et expérimental ont été prises avec un Canon EOS 1000D équipé d’un objectif macro Canon EF-60 mm (M.B.).

1.3 | Détermination de la matière première et nomenclature

9Les bois sont des excroissances osseuses externes et temporaires communes à tous les cervidés mâles, sauf chez le renne où les femelles en portent également. Le Renne (Rangifer tarandus) et le Cerf (Cervus elaphus) sont les deux seules espèces identifiées dans notre corpus. Chez le Renne, le cycle de développement annuel des bois varie avec le sexe, l’âge et le statut de reproducteur (Kuntz 2011). Les mâles reproducteurs perdent leurs bois à la fin de l’automne et au début de l’hiver, au terme du rut, tandis que ceux des jeunes mâles chutent environ deux mois plus tard. Les femelles gardent leur bois tout l’hiver jusqu’à la mise bas en mai-juin et jusqu’en avril pour les femelles âgées, non gravides et les faons. Ainsi, les femelles sont « sans tête » en été et leurs bois sont matures en automne alors que les mâles sont « sans tête » en hiver et au printemps et leurs bois matures à la fin de l’été (Bouchud 1966 ; Espmark 1971 ; Fontana 2012). Chez le Cerf, les mâles perdent leurs bois à la sortie de l’hiver et au début du printemps, un nouveau cycle de pousse débute et les bois atteignent leur maturité durant l’été (Billamboz 1979 ; Provenzano 2001).

10Les variations de la morphométrie des bois selon l’espèce, l’âge, le sexe ou leur stade de développement, permettent, en fonction du degré de transformation de la matière première, d’identifier les porteurs des ramures. Au niveau de la partie basilaire, les bois de chute, tombés naturellement, se terminent en bourrelet (Provenzano 2001 ; fig. 2 C), tandis que les bois de massacre, récupérés sur les carcasses des animaux chassés, sont encore attachés au pédicule de la boîte crânienne. En surface, le bois de cerf a une texture perlée tandis que le bois de renne est lisse, marqué uniquement par les empreintes du réseau sanguin externe. En section, la proportion du tissu spongieux est plus importante chez le Cerf que chez le Renne et sa trame est plus lâche (fig. 2). Chez le Renne, les bois de mâles adultes sont généralement différenciés de ceux des femelles ou des jeunes à partir des épaisseurs de tissu compact et de la circonférence des bases (Bouchud 1959 ; Høymork, Reimers 2002 ; Christensen 2004 ; Goutas 2004 ; Voeltzel 2015 ; Averbouh 2015, 2000 ; Houmard et al. 2019). Pour décrire notre matériel nous reprenons la nomenclature proposée par A. Billamboz (1982 ; fig. 2 B) pour le bois de cerf et A. Averbouh (2000 ; fig. 2 A) pour le bois de renne. La détermination des bois du corpus d’étude a été effectuée par L. Fontana. 

2 | Percuteurs en bois de cervidé archéologiques

2.1 | Matière première et morphologie

11Tous les sites étudiés ont livré des bases de bois de cervidé pouvant correspondre à des percuteurs pour un total de 22 exemplaires : neuf au Fourneau du Diable, cinq à Laugerie-Haute Ouest, un à Laugerie-Haute Est, cinq au Roc-de-Sers et un à Badegoule (tabl. 1). La plupart sont fragmentaires, présentant des cassures récentes ou post-dépositionnelles au niveau de la perche. Seules trois exemplaires, de 14,3 cm à 19,8 cm de long, pourraient avoir conservé leurs dimensions d’origine (fig. 3 n° 10 ; fig. 4 n° 17-18), la perche étant intentionnellement sectionnée. Dans le cadre d’une analyse tracéologique, leur état de conservation peut être considéré comme mauvais. Les surfaces sont en grande partie altérées par une abrasion moderne résultant du stockage en vrac des vestiges fauniques. Leur lecture est également limitée par d’importants dépôts de concrétion et des fissures dues au weathering.

12Tous les exemplaires proviennent de bois de chute de rennes mâles adultes, à l’exception d’une pièce sur bois de cerf (fig. 3 n° 1). Les bois gauches (N = 9) sont aussi bien représentés que les bois droits (N = 8). Ils sont presque tous naturellement dépourvus de leur andouiller d’œil, tandis que l’andouiller de glace (ou l’andouiller central), lorsqu’il n’a pas été emporté par une cassure, est conservé sur 2 à 8 cm environ. Sur les pièces possiblement entières, la perche, généralement considérée comme la zone de préhension du percuteur (Averbouh et Bodu 2002), représente 30 % à 70 % de la longueur totale. Notons que sur certains exemplaires, l’espace entre les andouillers d’œil et de glace est suffisamment important pour que le percuteur reste préhensible même en l’absence de la perche (fig. 4 n° 17). Les surfaces des médaillons sont planes à convexes, formant un angle plus ou moins ouvert avec l’axe de la perche en fonction de la courbure de la face postérieure. Le cercle de pierrures, qui entoure le médaillon, est toujours absent ou à l’état vestigiel, ce qui donne à la meule une morphologie plus arrondie qu’à l’état naturel. Les poids d’origine des pièces, calculés à partir de leur volume et de la masse volumique de bois de chute actuels transformés en percuteurs (Baumann 2014), peuvent être estimés entre 33 g et 680 g pour l’ensemble du corpus et entre 286 g et 573 g pour les exemplaires paraissant entiers.

2.2 | Procédés de fabrication

13Les percuteurs ont été obtenus par l’élagage de la perche et des andouillers et un façonnage de la zone active percutante complété, parfois, par un aménagement de la zone de préhension. Sur les exemplaires où les stigmates sont encore lisibles, le sectionnement de la perche a été amorcé par un entaillage peu profond, semi-périphérique ou unifacial (face latérale) et achevé par flexion (fig. 5 A). Dans deux autres cas, la perche a peut-être fait l’objet d’un prélèvement de baguette(s) avant ou après son utilisation en percuteur. Sur une des pièces du Fourneau du Diable, deux pans de fracture sur matériau frais associés à des points de percussion sur les faces latérales renvoient à un débitage de baguette par percussion directe aux dépens de la face postérieure (Baumann, Maury 2013 ; fig. 5 B). Sur un des exemplaires de Laugerie-Haute Ouest, la face latérale externe est, au-dessus de l’andouiller de glace, marquée par un vestige de rainure pouvant correspondre au prélèvement d’une baguette sur la face antérieure du bois (Averbouh 2000). Cette rainure, logée au sein d’une concavité évasée aux parois « lisses », est associée à 5 incisions régulièrement espacées. L’ensemble pourrait avoir une fonction décorative (fig. 5 C). Les andouillers sont majoritairement sectionnés par flexion latérale. Dans 7 cas, le sectionnement a été préparé par un entaillage unifacial ou bifacial de profondeur variable.

14Le processus naturel qui mène à la chute des bois laisse, à la surface du médaillon, une couche de tissu spongieux d’environ 1 à 2 mm (fig. 2 D) recouvrant le tissu compact particulièrement épais à cet endroit (Stodiek 1990 ; Provenzano 2001). La suppression de cette couche spongieuse est un préalable nécessaire pour que la meule présente une résistance adaptée à une utilisation en percuteur. Une partie basilaire de bois de chute provenant du site de Badegoule, dont la meule a été partiellement aménagée par un entaillage rasant (fig. 5 D), pourrait illustrer ce type d’opération. De la même manière, pour assurer un point de contact précis entre la surface du percuteur et le bord de l’élément taillé, et éviter tout contact ou enlèvement parasite, il est préférable d’installer une convexité au niveau du médaillon et d’éliminer le cercle de pierrures (Averbouh, Bodu 2002). Cela pourrait expliquer l’absence systématique de ce dernier (ou sa présence à l’état de vestige) sur les pièces du corpus et la morphologie arrondie de leur meule. Sur l’exemplaire en bois de cerf et un exemplaire en bois de renne du Roc-de-Sers, une reprise de la face antérieure de la meule par entaillage et la mise en place d’encoches transversales sur les faces latérales du bois (fig. 3 n° 11) pourraient avoir une fonction technique (mise en forme de la partie active et de la zone de préhension) comme une fonction décorative. 

2.3. Stigmates d’utilisation

15Les stigmates de percussion occupent la surface du médaillon, ses pourtours, mais aussi parfois les extrémités d’andouiller d’œil ou de glace sectionnés. Ils donnent aux surfaces un aspect mâchonné, où se dessinent des dépressions linéaires (fig. 6 A). Nous distinguons 4 ensembles de stigmates : les impressions, les stries, les compactions et les pertes de matière.

16Les impressions, présentes sur tous les exemplaires, sont, de loin, les plus nombreuses. Elles correspondent aux négatifs laissés par l’enfoncement du bord de l’élément taillé dans le tissu osseux (cf. entailles, Averbouh, Bodu 2002). Elles reflètent donc plus ou moins la morphologie du point de percussion. Sur nos exemplaires archéologiques les impressions, lorsqu’il est possible d’en lire les contours, sont rectilignes (fig. 6 C), en « V » (fig. 6 D) ou triangulaires et perpendiculaires à l’axe principal de la pièce, avec plus ou moins d’obliquité. Les impressions longitudinales sont plus rares. Sur une pièce, des impressions localisées sur la face latérale externe de la meule sont associées à un dépôt de matière colorante rouge (fig. 6 G). Les stries, généralement en groupe et surtout localisées sur les pourtours du médaillon, sont moins fréquentes (fig. 6 B). Les compactions peuvent être identifiées par la présence de fibres rebroussées (fig. 6 E). Ces zones, où la matière plus dense semble avoir mieux résisté aux altérations taphonomiques, correspondent aux surfaces martelées (Averbouh 1999) dépourvues d’impressions. On relève également, à la périphérie du médaillon, des pertes de matière sous la forme d’arrachements ou d’esquillements au départ de ce dernier (fig. 6 H). 

17Sur quelques exemplaires, les meules sont facettées. Ce facettage est matérialisé par un pan en rupture plus ou moins nette avec la convexité générale du médaillon, localisé sur une face latérale (fig. 6 F) ou à la jonction entre la face latérale et la face postérieure de la meule, excepté sur un exemplaire où les quatre bords de la meule sont en discontinuité avec la surface centrale (fig. 11 B). Le facettage est compris comme le résultat conjoint de l’utilisation et d’une remise en forme de la meule (Averbouh 1999 ; Averbouh, Bodu 2002). La perte de matière, due à l’accumulation des stigmates dans une même zone, conduit à la détérioration de la surface de contact et de la convexité de la meule. Les coups sont alors amortis et moins précis. Pour rester fonctionnelle, la meule doit être refaçonnée. Une facette se forme lorsque la réfection de la meule ne concerne que la zone détériorée par l’utilisation.

3 | Expérimentations

3.1 | Mise en œuvre des expérimentations

18Neuf percuteurs expérimentaux (tabl. 2) ont été respectivement utilisés pour réaliser le façonnage de feuilles de laurier (N = 4 ; fig. 7, E et G), des débitages de lamelles (N = 3) et de lames (N = 2 ; fig. 7 D et F). Ils ont été aménagés sur bois de chute de cerfs adultes (N = 5), provenant de ramassages en milieu naturel dans le Sud-Ouest de la France et en Espagne, et sur bois de chute de rennes adultes (N =4), possiblement mâles, provenant d’un élevage en Laponie (fig. 7 A). Leurs poids s’échelonnent entre 120 g et 472 g (tabl. 2). La partie haute des perches et les andouillers ont été sciés et les meules mises en forme à l’aide d’une meuleuse. Les surfaces modifiées ont ensuite été reprises par abrasion sur un bloc de grès rouge (fig. 7 B). Le façonnage des meules a été mené de façon à conserver un maximum de tissu compact au niveau du médaillon. Les percuteurs n’ont pas été remis en forme au cours des opérations de taille.

19Les silex taillés proviennent de Dordogne (Bergeracois/Campanien supérieur ; Fernandes et al. 2012) et des Alpes-de-Haute-Provence (Oligocène ; Slimak et al. 2005). Ils ont en commun d’être à grains fins et relativement tenaces. Les premières étapes de dégrossissage des blocs de matière première utilisés pour les nucléus (prismatiques) et les éclats (sous corticaux) supports des feuilles de laurier ont été réalisées avec des percuteurs distincts de ceux pris en compte dans l’étude. Les percuteurs expérimentaux sur bois de cervidé ont été réservés à l’installation des convexités sur les nucléus et au débitage des produits laminaires et lamellaires ainsi qu’aux différentes étapes de façonnage des feuilles de laurier. Dans tous les cas, les enlèvements ont été préparés par abrasion du bord de plan de frappe pour les nucléus ou du bord des pièces foliacées (fig. 7 C). Sur les éclats comme sur les nucléus, les points de percussion ont parfois été précisés par le dégagement de petits éperons. Dans la tendance, le façonnage des feuilles de laurier a été majoritairement effectué à l’aide d’une percussion rentrante, c’est-à-dire selon un geste ou la composante axiale prime sur la composante d’arrachement (fig. 8 B), tandis que les débitages ont été réalisés avec une percussion plus tangentielle où la composante d’arrachement est plus importante que la composante axiale (fig. 8 A).

3.2 | Répartition et nature des stigmates expérimentaux

20Les plages de stigmates sont toujours limitées à une zone du médaillon en raison du caractère relativement stéréotypé des gestes de percussion pour chaque opération de taille (fig. 9). L’accumulation des impacts, des détachements et des compactions de matière dans cette zone créent une surface d’aspect mâchonné. En périphérie, la densité est moindre et des impacts isolés sont encore lisibles. Il n’y a pas de différence significative dans les surfaces concentrant les stigmates (proportionnellement à la surface totale du médaillon) entre les percuteurs dédiés au façonnage des feuilles de laurier et ceux dédiés au débitage des lames. La plage plus étendue du percuteur n° 3 (fig. 9 n° 3) pourrait s’expliquer par une plus grande variabilité dans les enlèvements effectués. Contrairement aux percuteurs n° 1, 2 et 4 utilisés pour le façonnage d’une seule feuille de laurier (12-15 cm), le percuteur n° 3 a été impliqué dans deux opérations de façonnage donnant lieu à une ébauche (silex du Bergeracois) cassée en cours de façonnage et une feuille de laurier complète (silex oligocène). Le changement de support et de matière première a probablement contribué à un changement dans le mode d’utilisation du percuteur, notamment lors des premières phases de dégrossissage (cf. variation dans la position du percuteur par rapport au support et dans la force appliquée). Les zones impactées sur les percuteurs utilisés pour le débitage des lamelles sont moins étendues en raison de la dimension réduite des enlèvements réalisés et donc de la surface de contact entre le bord percuté et le médaillon.

21La localisation des plages de stigmates varie d’un exemplaire à l’autre. Il n’y a pas de corrélation directe entre le type d’opération réalisée et la localisation des stigmates sur la meule. De manière générale, les stigmates occupent plutôt le centre et la partie basse (du côté de la face postérieure du bois) du médaillon (fig. 9). Dans deux cas seulement, pour une feuille de laurier et pour un débitage de lamelles, les stigmates sont plutôt dans la moitié haute du médaillon (face antérieure du bois ; fig. 9 n° 4 et 7). Les plages de stigmates ne sont pas clairement latéralisées. Toutefois, une tendance, qu’il faudra vérifier sur un corpus plus important, semble se dégager. Le tailleur est droitier. Les meules des bois droits sont davantage sollicitées sur la partie la plus éloignée du silex à tailler (fig. 9 n° 3 et 6), tandis que les bois gauches le sont davantage sur la partie la plus proche (fig. 9 n° 1, 4 et 9). Il s’agit vraisemblablement d’un rééquilibrage dans la gestuelle du tailleur pour compenser la courbure du bois (vue de la face postérieure) de manière à ce que la zone de contact entre le percuteur et le bord du silex soit toujours dans l’axe du manche. Le fait que les bois les moins courbes présentent une zone de contact plutôt au centre de la meule pourrait valider cette proposition.

22Tous les stigmates ne sont pas localisés sur la meule. Pour les enlèvements demandant plus de précision, le tailleur a, dans deux cas, mis à profit la surface saillante dégagée par l’ablation de l’andouiller d’œil.

23Les impressions sont les stigmates les plus fréquents. Au moment de la percussion, la partie saillante du bord percuté s’enfonce dans la matière osseuse. La morphologie de l’impression est donc liée à la forme de la zone de contact. Cette dernière peut varier au cours du travail. Dans le cas des feuilles de laurier, le tailleur a réalisé une préparation des enlèvements de plus en plus soignée au fur et à mesure de l’amincissement, comme cela a été observé notamment sur les feuilles de laurier archéologiques du site des Maîtreaux (Aubry et al. 2004). Ainsi, généralement, les premiers enlèvements ont un talon plutôt linéaire (fig. 10 A et E), car le futur point de contact sur le support lithique est simplement abrasé. Plus le support lithique s’amincit, plus les points de percussion sont précisés. Le talon des produits a alors un rapport largeur/épaisseur plus équilibré, de contour sub-losangique ou sub-triangulaire (fig. 10 B et F). Au bout de plusieurs séries d’enlèvements, le bord de la préforme prend un aspect dentelé. Les extrémités des arêtes formées par la rencontre de deux négatifs d’enlèvement sont utilisées pour installer un point de percussion. Les talons des produits ont alors tendance à être en « V » (fig. 10 C et G).

24Le débitage des lames (10-12 cm) au percuteur tendre organique implique nécessairement une préparation du plan de frappe, soit par réduction d’un surplomb préexistant pour reculer le point d’impact, soit par la mise en relief du point d’impact (Pelegrin 2013). Dans le premier cas, la zone de contact est régularisée, les talons sont alors assez larges et plutôt minces. Dans le second cas, des micro-éclats sont enlevés de part et d’autre du futur point de contact, les talons ont alors un rapport largeur/épaisseur plus équilibré et une forme plus ou moins complexe en fonction des micro-reliefs créés par les esquillements de la préparation (fig. 10 M). Sur les pièces expérimentales, les points de contact imprimés dans le médaillon sont plutôt rectilignes, droits ou en arc de cercle, dans le premier cas (fig. 10 J) et plutôt sub-ovalaires, sub-triangulaires ou sub-trapézoïdaux dans le second (fig. 10 K et L). Les talons des lamelles (1,5-3 cm) sont de contour sub-triangulaire ou sub-trapézoïdal (fig. 10 N), parfois en « V » quand le point de percussion est défini à partir d’une arête centrale entre deux enlèvements, mais leurs très petites dimensions laissent en général des empreintes punctiformes sur le médaillon. 

25Le débitage ou le façonnage d’un seul type de produit peut donc générer plusieurs types d’impression sur le médaillon : plus ou moins profondes et étendues, en fonction de l’importance des enlèvements, rectilignes, en V, ovalaires, triangulaires, losangiques ou trapézoïdales, en fonction du mode de préparation des enlèvements, lui-même intrinsèquement lié aux séquences opératoires à réaliser. Les impressions ne sont généralement que le négatif partiel ou déformé du talon de l’éclat ou de la lame détachés, (d’autant plus que la percussion sera tangentielle), augmentant ainsi la variabilité des contours des impressions et la difficulté de les différencier les unes des autres. 

26Les autres catégories de stigmates sont plus marginales. En dehors des stries laissées par l’abrasion de façonnage des meules, il est possible relever celles résultant d’un frottement du percuteur contre le bord du nucléus ou de l’ébauche de feuille de laurier dans les mouvements de percussion tangentielle. Ces stries précèdent ou suivent généralement une impression. Lors de l’étape de dégrossissage de la feuille de laurier avec le percuteur n° 1, des esquilles osseuses se sont détachées du médaillon. Générées par le choc, elles forment avec l’impression un stigmate en éventail (fig. 10 H) et sont probablement dues à l’état de dessication du bois plus avancé que celui des autres exemplaires. La durée d’utilisation des percuteurs (tabl. 2) n’a pas été suffisante pour que se créent des pans d’usure et qu’il soit nécessaire de remettre en place la convexité de la meule. Toutefois, l’accumulation des stigmates dans la même zone du médaillon, devrait aboutir, à plus ou moins long terme, à une usure localisée et une perte de convexité. Nous ne détectons pas de compactions de matière, mais probablement davantage pour des raisons de lisibilité du matériau frais plutôt que du fait de leur absence effective.

4 | Comparaison des pièces archéologiques et expérimentales

27Sur la grande majorité des exemplaires archéologiques (75 % des cas), les stigmates couvrent toute la surface conservée du médaillon et une partie de la face postérieure là où le cercle de pierrure a été éliminé (60 % des cas ; fig. 11 C, E et I ; fig. 12 B et E). Les stigmates sur la face antérieure (30 %) et sur les faces latérales de ce dernier (18 %) sont moins fréquents. Dans le modèle expérimental, les stigmates, très localisés, sont le résultat d’opérations uniques et d’un temps d’utilisation relativement court. Une répartition couvrante (sur le médaillon) et débordante (à l’emplacement du cercle de pierrures) pourrait donc être le résultat d’une utilisation prolongée et/ou de la réalisation, avec le même percuteur, de différentes opérations de taille. L’utilisation prolongée des percuteurs archéologiques peut se déduire d’un palimpseste de traces, c’est-à-dire la coexistence, dans une même zone, de stigmates présentant des degrés différents de conservation (fig. 11, G). Les contours de ces stigmates vont de vifs à émoussés, les plus nets pouvant correspondre aux plus récents, les autres, plus ou moins estompés, à des étapes antérieures de remise en forme de la surface active. Des vestiges de plages de raclage ou d’abrasion sont encore partiellement visibles (fig. 11 F), généralement sur le pourtour du médaillon là où le percuteur semble avoir été moins sollicité. L’apparition presque systématique du tissu spongieux au centre du médaillon (fig. 11 A, D, et H) et la perte parfois totale de la convexité de la meule (fig. 12 D) pourraient aussi traduire l’arrivée à exhaustion des parties actives (Stodiek 1990).

28Sur le percuteur n° 2 (fig. 11 A), en plus du tissu spongieux apparent, une perte de matière importante a conduit à la formation de 4 facettes de surface irrégulière à la jonction de la face postérieure, antérieure, latérale interne et externe (fig. 11 B). Les stigmates couvrent le médaillon ainsi que les quatre faces de la meule, descendant notamment assez bas sur la face postérieure (fig. 11 C). Les derniers enlèvements lithiques, au moins, ont été réalisés avec cette surface active irrégulière et facettée peu favorable au bon déroulement de la taille. Dans cet état, le percuteur est moins précis et la qualité d’impact moins bonne. Cette configuration pourrait témoigner d’une utilisation particulièrement intensive du percuteur, mais également de son utilisation par un tailleur n’ayant pas entretenu son outil, un tailleur peu expérimenté par exemple.

29Sur le percuteur n° 1 (fig. 12 G), la perte de matière est également importante. Elle est associée à des arrachements sur la face antérieure et la face latérale externe, dont un a conduit à la fissuration de la meule (fig. 12 I). Ici, les surfaces des facettes en face postérieure et latérale externe ont été régularisées, comme, d’ailleurs, l’ensemble de la meule dont la morphologie est globalement sphérique. La face postérieure du bois présente, comme sur les autres percuteurs, des stigmates relatifs à la taille du silex. En revanche, la surface du médaillon en est presque dépourvue (fig. 12 H). Cette dernière est fortement compactée. S’il s’agissait d’un percuteur remis à neuf, nous devrions avoir quelques indices de raclage ou d’abrasion et si les traces ont disparu à la suite d’une altération taphonomique, les faces devraient également être touchées, ce qui n’est pas le cas. Nous envisageons que le compactage de la meule puisse découler d’une utilisation en percussion autre que pour la taille du silex, avec un percuteur ne pouvant plus remplir ses fonctions initiales.

30Dans tous les cas, il n’est pas possible de cerner précisément la variabilité morphologique des contours d’impression sur un même exemplaire. La plupart des traces sont à l’état de vestige au sein de palimpsestes altérés par les phénomènes taphonomiques. Nous pouvons néanmoins constater que l’association des impressions rectilignes, en « V » et sub-triangulaires est systématique (fig. 12 F), toutefois, sans pouvoir évaluer leur proportion relative. S’il l’on s’en réfère au modèle expérimental, un même percuteur serait donc susceptible d’être sollicité pour les différentes séquences d’une même chaîne opératoire, qu’il s’agisse d’un façonnage de feuilles de laurier ou d’un débitage de lames.

31Il est, en revanche, possible d’isoler des zones de densité particulière. La jonction entre le médaillon et la face postérieure concentre généralement les stigmates les plus marqués, c’est-à-dire les plus profonds, souvent accompagnés d’enlèvements de matière. Ces stigmates correspondent principalement à de longues impressions linéaires (fig. 11 A et D) et, dans une moindre mesure, à de plus courtes mais toujours profondes impressions sub-triangulaires (fig. 11 J). Cette configuration ne semble pas liée à une catégorie de poids, puisqu’elle se retrouve sur les percuteurs les plus lourds comme les plus légers. Dans le modèle expérimental, ces types de stigmates correspondent respectivement à la réalisation des plus gros enlèvements dans les premières phases de façonnage ou lors de la mise en forme des nucléus (ceux requérant davantage d’énergie mais une préparation limitée du plan de frappe) et à l’extraction des lames de plein débitage. Toutefois, la position des stigmates n’est pas comparable à celle relevée sur les pièces expérimentales, sauf sur le percuteur n° 6, utilisé pour débiter des lamelles. Elle relève a priori, comme sur ce dernier, d’une percussion plus tangentielle et marque éventuellement une différence de gestuelle, pour un même type de séquence opératoire, entre l’expérimentateur et les tailleurs solutréens qui ont manipulé ces outils.

32Le percuteur n° 22 (fig. 12 A) se distingue par deux concentrations d’impressions rectilignes profondes situées sur les bords du médaillon, du côté de la face latérale interne et de la face externe du bois (fig. 12 B). Leurs orientations sont diamétralement opposées (fig. 12 C). Localisées dans la partie médiane à haute du médaillon, elles résulteraient d’une percussion rentrante, le percuteur placé obliquement au plan de frappe et utilisé successivement ou alternativement à gauche et à droite. F. Bordes avait, en 1974, proposé que ce percuteur ait servi au façonnage de feuilles de laurier en silex calcédonieux et que, plus usé sur le côté gauche que sur le côté droit, il avait été utilisé par un droitier (Bordes 1974, p. 97). Toutefois, sans revenir sur la première partie de sa proposition, si l’on considère que la latéralisation du tailleur conditionne la localisation des stigmates, le relevé plus complet de la pièce permet de questionner la latéralisation du tailleur. Un changement dans la position de la pièce lithique peut-elle seule conduire à ce type de schéma de répartition ou faut-il y voir un changement de latéralisation, c’est-à-dire de tailleur ? L’utilisation d’un même percuteur par différents tailleurs pourrait également expliquer la nature couvrante des stigmates. 

5 | Synthèse/discussion

33Tous les bois analysés sont des bois de chute d’individus mâles. Ils ont donc été ramassés entre la fin de l’automne et le début du printemps. Il n’y a pas de données disponibles sur les saisons d’occupation par les Solutréens des sites du Roc-de-Sers, de Badegoule et de Laugerie-Haute Ouest et Est. Sur le site du Fourneau du Diable, le renne a été chassé principalement en hiver et au printemps (Fontana 2001). Les bois des percuteurs ont donc pu être, au moins sur ce dernier site, ramassés et utilisés au moment de l’occupation. Cette idée est en partie soutenue par la présence, dans les mêmes couches d’occupation, de déchets du débitage du bois de renne (Baumann 2014), indiquant une production sur place, et de baguettes façonnées mais non utilisées, retrouvées ensemble dans une gaine de concrétion (Peyrony 1932, p. 31, fig. 24), indiquant une anticipation des besoins et témoignant peut-être d’un moment ou d’un lieu privilégié pour l’acquisition et le traitement de cette matière première.

34Les bois de renne (n = 21) sont largement mieux représentés que les bois de cerf (n = 1), en lien avec les espèces présentes sur le territoire (Fontana 2013). Ainsi, le seul percuteur solutréen signalé en Espagne, territoire sur lequel le renne n’est plus présent au-delà de la frange pyrénéenne, est un percuteur sur bois de cerf (Estévez 1978). Il s’agit toujours, comme dans les autres gisements du Paléolithique supérieur (Averbouh et Bodu 2002), de bois adultes, c’est-à-dire ayant atteint leur maturité et présentant les densités de tissu compact les plus importantes. Les Solutréens semblent également avoir privilégié les bois sur lesquels le premier andouiller n’est pas développé. Sur les percuteurs expérimentaux, les premiers andouillers ont été systématiquement éliminés par le tailleur pour éviter toute accroche accidentelle avec le plan de frappe. Chez le renne, l’andouiller d’œil apparaît la deuxième année et la ramure atteint son complet développement la troisième (Kuntz 2011 p. 28). Toutefois, F. Bordes souligne dans son article de 1974 que cet andouiller « est souvent peu développé ou même absent » (Bordes 1974, p. 97). Les andouillers d’œil sont également peu développés sur les percuteurs de Solutré identifiés par U. Stodiek (1990). Sans modèle sur le développement du premier andouiller dans les populations locales de renne, nous ne pouvons dire si son absence implique ou non une sélection forte, si elle peut constituer un indice sur la disponibilité du matériau.

35Contrairement à ce qui avait été envisagé par Rigaud et al. (2013), il ne semble pas y avoir de surreprésentation des bois droits (les bois droits tombant « mieux dans la main » d’un droitier ; Rigaud et al. 2013, p. 129). Dans notre corpus et pour les percuteurs publiés dont la latéralisation est donnée, il y aurait au moins 12 bois gauches pour 12 bois droits. Expérimentalement, nous constatons que bois gauches comme bois droits peuvent être manipulés par un droitier, mais cela pourrait avoir des conséquences sur la localisation des traces d’utilisation. À la suite de A. Averbouh et P. Bodu (2002), nous pensons que les courbures du bois (dont la forme est très variable d’un individu à l’autre ; Fontana 2012, p. 28) sont davantage responsables des changements de localisation des stigmates d’utilisation que la latéralisation du tailleur. Ces mêmes auteurs soulignent que ce sont aussi et surtout les « habitudes techniques [ici de P. Bodu, J. Pelegrin et J.-M. Leuvrey] qui contribuent à l’occupation préférentielle [par les stigmates d’utilisation] d’une partie [de la meule] plutôt qu’une autre » (Averbouh et Bodu 2002, p. 122). Dans nos expérimentations, la réalisation des opérations de taille par un seul expérimentateur (S.M.) nous empêche d’évaluer la variabilité interindividuelle (niveau de compétence, connaissance et maîtrise des techniques de taille du contexte archéologique considéré, position de taille, modalités de prise en main de la pièce lithique et du percuteur, gestuelle etc.).

36Les façonnages (feuilles de laurier) et les débitages (lames et lamelles) expérimentaux ont conduit à la formation de quelques stigmates marginaux (stries du dérapage du percuteur sur le plan de frappe, esquillement de la zone impactée) et d’une importante diversité de formes d’impressions sur les percuteurs. Ces dernières sont en grande partie liées à la morphologie du point d’impact, c’est-à-dire, aux modalités et au degré de préparation des enlèvements. Or, ces paramètres sont susceptibles de varier en fonction de la configuration particulière du plan de frappe propre à chaque enlèvement et d’évoluer au cours d’une même chaîne opératoire, en fonction des objectifs propres à chaque séquence (dégrossissage, amincissement, mise en place des extrémités, derniers enlèvements, par exemple, pour les feuilles de laurier). La forme de l’impression (contour, profondeur, étendue) sera aussi en partie déterminée par la trajectoire donnée au percuteur (angle de frappe) et la force appliquée. Si la forme d’une impression peut ouvrir sur un champ de possibilités plus ou moins restreint, comme le proposent A. Averbouh et P. Bodu (2002) avec les « entailles en V » liées au façonnage ou les « entailles losangiques » et « triangulaires » témoins d’un plein débitage ou d’un façonnage bifacial, elle ne peut, seule, être un critère déterminant pour l’identification de l’opération de taille réalisée.

37La lecture des percuteurs archéologiques est limitée par le mauvais état de conservation des surfaces dû aux altérations post-dépositionnelles et modernes, mais également aux phénomènes de recouvrement des traces d’utilisation entre elles, parfois estompées par la remise en forme de la meule et dégradées par les enlèvements de matière concomitants. Le médaillon, principale surface active du percuteur, se présente comme une succession de dépressions et de reliefs où il est souvent difficile d’identifier des stigmates complets. Toutefois, la plupart des formes d’impressions rencontrées expérimentalement trouvent des correspondances sur les percuteurs archéologiques. L’association systématique, bien que dans des proportions différentes, d’impressions en « V », sub-triangulaires et rectilignes et la nature couvrante des stigmates, nous amènent à considérer que ces outils ont été impliqués, sur un temps long, dans des opérations de taille diversifiées, de façonnage comme de débitage. L’hypothèse d’une utilisation prolongée des spécimens, éventuellement par différents tailleurs, est confortée par l’arrivée à exhaustion du tissu compact au centre du médaillon, une perte importante de convexité et/ou la formation de facettes prononcées justifiant alors leur rejet. Cette conservation du percuteur (curation sensu Binford 1979) n’est pas pour autant systématique. Si le percuteur d’Enlène (Averbouh 1999) ou ceux provenant de la collection De Ferry du site de Solutré (Stodiek 1990), semblent aussi être arrivés en fin de vie, les exemplaires signalés par S. Bello pour Laugerie-Haute Ouest (Bello et al. 2016) et par A. Rigaud pour Solutré (Rigaud et al. 2013) ont été peu utilisés, ou du moins, pas suffisamment pour être mis au « rebut » (Ibid. p. 131).