Navigation – Plan du site

AccueilNuméros47-1ArticlesConclusion

Texte intégral

1Il y a vingt-cinq ans, Bernard Vandermeersch éditait un numéro thématique de Paléorient consacré à l’anthropologie. Intitulé Anthropology in the Middle East. Recent advances1, le volume tentait de faire le point sur le peuplement du Moyen-Orient au Pléistocène supérieur en impliquant des paléo-anthropologues des États-Unis, du Japon, de Grande-Bretagne, d’Israël et de France. Ce numéro proposait une perspective globale sur les aspects phylogénétiques et funéraires des populations préhistoriques et indiquait les orientations futures de la recherche en paléoanthropologie dans la région.

2Ce nouveau numéro spécial de Paléorient consacré à l’anthropologie rassemble des contributions évoquant certains aspects des progrès réalisés dans l’étude de la biologie des populations du passé au Proche-Orient et dans les régions voisines (par ex. Méditerranée orientale, Caucase du Sud). Le volume opte donc pour une perspective géographique plus large et se place dans le contexte des populations pré- et protohistoriques, en se concentrant sur l’évolution du régime alimentaire et de l’état de santé, en relation avec les changements sociétaux majeurs apparus entre le début de la sédentarisation et l’âge du Bronze ancien.

3Au cours des trente dernières années, de nombreuses fouilles menées dans la région ont livré de grandes quantités de restes humains. En dépit de cela, les populations anciennes « post-paléolithiques » étaient, jusqu’à récemment, mal connues en termes de pratiques mortuaires, de démographie, de nutrition et d’état de santé. Plusieurs raisons expliquent cette situation : une attention globalement moindre pour les découvertes « post-paléolithiques » qui n’étaient pas d’un intérêt primordial pour les chercheurs ; les conditions de conservation des collections ostéologiques qui étaient souvent dispersées dans différentes institutions ; la prévalence des études visant à établir uniquement l’identité biologique (âge, sexe) ; et enfin, le choix, heureusement de plus en plus rare, de réserver l’analyse anthropologique à une annexe de la monographie du site.

4En 2010, le 7e Congrès international sur l’archéologie du Proche-Orient ancien (ICAANE), qui s’est tenu à Londres, a été le premier à inclure un atelier spécifique consacré à l’étude des squelettes humains. Si un tel atelier a pu être organisé, cela signifie que les restes humains commençaient à être considérés comme faisant partie intégrante des découvertes archéologiques. Des avancées significatives ont été réalisées en ce qui concerne la reconstitution du mode de vie des populations anciennes du Proche-Orient ancien et des régions voisines, du Paléolithique aux périodes historiques. L’objectif du présent volume était donc de bénéficier des résultats obtenus par les auteurs dans différents contextes et de souligner en quoi les études de l’alimentation et de l’état de santé représentent une composante significative des recherches archéologiques et anthropologiques, en particulier pour les périodes marquées par de profonds changements dans les modes de vie, comme les débuts de l’agriculture.

5Les articles de ce volume présentent des recherches récentes qui développent des études innovantes reposant sur l’analyse d’os et de dents humains. Outre les observations directes, ces études font appel à diverses techniques analytiques (microscopie électronique, imagerie médicale permettant d’accéder aux structures internes, reconstitution tridimensionnelle, analyse des isotopes stables). Elles fournissent des informations essentielles sur la structure, la morphologie, les maladies, les pratiques alimentaires, les activités et les habitudes culturelles des populations anciennes de la zone étudiée.

6À travers une étude diachronique portant sur la période allant du Levant du début du Natoufien au début du Néolithique céramique (Nord)/fin du Néolithique précéramique (Sud), basée sur l’analyse de la fréquence des hypoplasies linéaires de l’émail dentaire sur un large échantillon d’individus, A. Stutz et ses collègues soulignent que la transition vers l’agriculture a conduit à une augmentation de la mortalité prématurée dans tout le Levant. Ils suggèrent que la mortalité et la fécondité se soient développées selon une dynamique fragile, dont l’équilibre s’est rompu au cours du VIIe millénaire av. J.-C., avec une augmentation spectaculaire du stress biologique au début de la vie et une péjoration de l’état de santé général.

7Dans une étude chronologiquement plus large s’étendant jusqu’à la population ottomane du Levant, I. Hershkovitz et ses collègues exposent des exemples de la façon dont les changements dans l’habitat et dans le régime alimentaire ont affecté la morphologie des os longs, en particulier la proportion d’os cortical du fémur et la configuration de la mandibule. Ils rapportent également des variations dans le taux d’inflammation de l’oreille parmi les populations étudiées.

8Les questions relatives à l’état de santé sont également abordées, selon diverses approches, dans les articles d’A.-M. Tillier (populations pré-sédentaires), B. Chamel, J.O. Baker et collaborateurs, F. Le Mort et H. Duday (populations néolithiques). A.-M. Tillier présente des anomalies de développement, nombreuses et variées, observées chez les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique moyen de Qafzeh (Israël). J.O. Baker et ses collègues s’intéressent à un nouveau cas possible d’infection tuberculeuse provenant des niveaux PPNB ancien de Tell Aswad (Syrie), augmentant ainsi le nombre de cas paléopathologiques de tuberculose datant des premières phases du processus de néolithisation. F. Le Mort et H. Duday décrivent le plus ancien cas probable de maladie hyperostosique (DISH) connu à Chypre, fournissant ainsi de nouvelles données sur la distribution préhistorique d’une maladie qui a rarement été identifiée parmi les populations préhistoriques, en particulier dans la région de la Méditerranée orientale et du Proche-Orient.

9Outre ces nouvelles informations relatives à l’ancienneté des maladies des os et des tissus mous au Levant et à Chypre, les études dentaires fournissent également de nouvelles données essentielles sur la santé bucco-dentaire (A.-M. Tillier, B. Chamel) ainsi que sur les activités et les habitudes culturelles (Y. Erdal) des populations anciennes du Proche-Orient.

10Il est communément admis que la fréquence plus élevée des caries après le Paléolithique résulte à la fois de la diffusion de l’agriculture (lorsque la nourriture est devenue riche en hydrates de carbone) et de l’augmentation de la durée de vie. Au Levant Sud, l’incidence des caries dentaires chez les chasseurs-cueilleurs du Paléolithique moyen est maintenant bien connue (A.-M. Tillier). Le nombre d’observations reste cependant trop faible pour conclure que l’immunité contre les caries était plus faible chez les hominines du bassin méditerranéen oriental au Paléolithique moyen que chez les autres habitants pénécontemporains de l’Eurasie.

11L’article de B. Chamel présente une analyse diachronique des changements de l’état de santé dentaire en Syrie, du PPNA au Néolithique céramique. Cette étude révèle qu’au cours du processus de néolithisation, les changements intervenus dans l’état de santé bucco-dentaire, en lien avec l’adoption de l’agriculture et de nouveaux modes de préparation des aliments, ont été moins linéaires qu’il n’y paraît à première vue.

12L’utilisation des dents comme outils a été étudiée dans diverses régions du monde et pour diverses périodes, mais on ne savait presque rien sur cette pratique dans le Proche-Orient pré- et protohistorique. Le potentiel de l’analyse des modifications dentaires pour l’identification des activités des populations du Proche-Orient est bien illustré par la contribution d’Y. Erdal concernant l’abrasion dentaire induite par l’activité dans l’Anatolie préhistorique. Cette étude fournit quantité de nouvelles informations sur cette utilisation spécifique des dents, sur sa réduction du Néolithique au début de l’âge du Bronze probablement liée à des changements de mode de vie, ainsi que sur les différences de genre qu’elle fait apparaître.

13En ce qui concerne le Proche-Orient et les régions voisines, les approches nutritionnelles telles que l’analyse des isotopes stables ne sont pas nombreuses. Elles se développent aujourd’hui et donnent des résultats très prometteurs, comme le montre l’article d’E. Herrscher et collaborateurs. Fondée sur l’analyse isotopique de restes humains, animaux et de céréales provenant de sites archéologiques datés de l’âge du Bronze ancien (culture Kuro-Araxe) dans le Caucase du Sud, cette étude permet aux auteurs de caractériser les habitudes alimentaires des sociétés Kuro-Araxe, de mettre en évidence leur homogénéité et de montrer en quoi l’alimentation et ses interactions avec les sphères environnementales, économiques, sociales et culturelles jouent un rôle important dans l’identité culturelle des communautés.

14En conclusion, la multiplication de nouvelles recherches dynamiques sur le terrain et en laboratoire a permis une série d’avancées importantes dans la connaissance des populations anciennes du Proche-Orient et des régions voisines. Les recherches dans les différents domaines de l’anthropologie biologique, qui utilisent des techniques analytiques plus ou moins récemment développées, et qui deviennent de plus en plus partie intégrante de l’étude de l’histoire des populations, améliorent progressivement notre connaissance des interactions entre les changements profonds des modes de vie (comme la néolithisation) et des pratiques alimentaires ainsi que de leur impact sur l’état de santé des populations de cette région.

15Nous sommes profondément reconnaissantes à Jean Guilaine d’avoir accepté notre invitation à présenter ce numéro. Nous remercions également sincèrement les collègues qui ont accepté de contribuer à ce volume. Enfin, nous savons gré à tous les relecteurs du temps qu’ils ont consacré à faire bénéficier le volume de leur expertise, permettant ainsi de l’améliorer.

Haut de page

Pour citer cet article

Référence papier

Françoise Le Mort et Anne-Marie Tillier, « Conclusion »Paléorient, 47-1 | 2021, 175-178.

Référence électronique

Françoise Le Mort et Anne-Marie Tillier, « Conclusion »Paléorient [En ligne], 47-1 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 16 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/paleorient/969 ; DOI : https://doi.org/10.4000/paleorient.969

Haut de page

Auteurs

Françoise Le Mort

Archéorient, UMR 5133, Université Lyon 2, CNRS, Lyon – France

Articles du même auteur

Anne-Marie Tillier

PACEA, UMR 5199, Université de Bordeaux, CNRS, ministère de la Culture, Pessac – France

Articles du même auteur

Haut de page

Droits d’auteur

CC-BY-4.0

Le texte seul est utilisable sous licence CC BY 4.0. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.

Haut de page
Rechercher dans OpenEdition Search

Vous allez être redirigé vers OpenEdition Search