Jörg Adam Becker et Alwo von Wickede (éd.) – Çavi Tarlası: Identität und Kontakt am Beispiel eines spätneolithischen Fundplatzes der Ḥalaf-Zeit, I-II
Jörg Adam Becker et Alwo von Wickede (éd.) 2018 – Çavi Tarlası: Identität und Kontakt am Beispiel eines spätneolithischen Fundplatzes der Ḥalaf-Zeit, I-II. Berlin : Ex oriente (Bibiliotheca Neolithica Asiae meridionalis et occidentalis), 615 p.
Texte intégral
1Çavi Tarlası édité par Jörg Becker (université Martin-Luther, Halle-Wittenberg) et Alwo von Wickede, spécialistes de la Préhistoire récente de Mésopotamie, est le fruit d’une réévaluation de l’ensemble de la documentation du site de Çavi Tarlası fouillé de 1982 à 1984 sous la direction conjointe d’Adnan Mısır (musée d’Urfa) et A. von Wickede (université de Munich). En s’appuyant sur les données du site et les nouvelles connaissances acquises depuis ces trente dernières années en Mésopotamie du Nord, l’objectif des auteurs est de réévaluer la subdivision régionale et chronologique du Halaf. L’ouvrage dépasse la simple monographie ; il livre en plus une analyse approfondie des variabilités régionales du Halaf à partir de du mobilier céramique. Cette publication était d’autant plus attendue que le site de Çavi Tarlası n’a jamais fait l’objet d’une étude exhaustive alors qu’il est le seul de la région de Karababa en Turquie du Sud-Est à offrir une séquence chronologique aussi étendue du Halaf Ib (5850-5700 av. J.-C.) au Halaf IIb (5500-5450 av. J.-C.) selon la terminologie traditionnelle (Campbell 2007).
2L’ouvrage est composé de deux volumes. Le premier volume de texte (498 p.) est divisé en trois parties : la présentation de la documentation du site de Çavi Tarlası (par-tie I), une synthèse sur les variabilités régionales de la céramique Halaf (partie II) et les études scientifiques (partie III) réalisées sur le mobilier céramique (analyses par spec-trométrie de fluorescence X, géochimique et minéralogique) et sur les restes humains et animaux (analyse isotopique du strontium). Le second volume (117 p.) intitulé Katalog und Tafeln regroupe les appendices, un inventaire du mobilier, les planches (objets, plans et coupes) et les tableaux de répartition du mobilier. Ce dernier, de très bonne facture et richement fourni, ne fera pas l’objet de commentaires supplémentaires par la suite.
3L’introduction est consacrée à une présentation géographique et géologique du bassin de Karababa, suivi d’une remise en contexte globale de l’occupation du site au cours du Halaf par rapport aux sites de Mésopotamie du Nord, apportant d’emblée des éléments sur l’originalité de la production céramique régionale en comparaison des aires périphériques.
4Au total, cinq phases principales d’occupation sont distinguées par l’étude de la stratigraphie. Quinze édifices circulaires parfois à annexes extérieures – traditionnellement nommés tholoï – et trois édifices rectangulaires ont été identifiés des niveaux 5 à 1. Les murs sont généralement conservés sur quelques dizaines de centimètres de hau-teur, construits sur des soubassements en pierre et surmontés d’une élévation en briques ou en pisé . La fouille en carrés de 10 × 10 m, l’enregistrement stratigraphique en passes artificielles et la collecte du mobilier par carré permettent d’avoir une vision globale de l’occupation du site et de son fonctionnement, mettant en évidence une utilisation intensive des espaces extérieurs pour les activi-tés domestiques. L’ensemble des informations permet de restituer une superficie du village allant de 0,8 ha (niveau 5) à 1 ha (niveau 1) laissant supposer un accroissement de la population de 40 à 120 personnes. L’abondance de macro-outillage lithique et la dominance des espèces domestiques dans le spectre faunique suggèrent une occupation pérenne du village de Çavi Tarlası. Les activités domestiques s’y tenaient sur place et toute l’année, ce qui contraste avec l’hypothèse d’une mobilité cyclique des populations halafiennes mise en évidence sur de petits établissements comme à Fıstıklı Höyük (Pollock 2013).
5Les études spécialisées confirment l’appartenance du site à la culture de Halaf avec toutefois des disparités dans les composantes matérielles qui laissent entrevoir l’originalité de Çavi Tarlası et, à plus large spectre, des établissements halafiens de Turquie du Sud-Est.
6L’étude des 19 sépultures (J. Becker et A. von Wickede) montre une homogénéité dans les pratiques funéraires, inhumations majoritairement en fosse et individuelles. Le peu de sépultures retrouvées à l’intérieur du village permet de supposer que les individus étaient enterrés en dehors de la zone d’habitat.
7L’étude de la céramique (J. Becker et A. von Wickede) présente des assemblages ty-piques de la région, avec une production de céramique grossière importante (69 %) comparée à la céramique fine peinte (31 %). La présence de husking trays témoigne de formes héritées du Néolithique céramique ancien et l’évolution des formes et des décors permet d’ancrer le site dans la chronologie traditionnelle du Halaf : la présence de cream bowls dans les niveaux 5-4 se rattache à une production du Halaf Ib alors que l’apparition de céramiques à décor bichrome dans les niveaux 2-1 est attribuée au Halaf IIb. Les parallèles proposés avec le mobilier céramique de Tülintepe et de Tilki-tepe permettent de rajeunir la chronologie de ces sites orientaux et de confirmer l’existence de contacts avec la région du lac de Van dès le premier tiers du VIe millénaire. Ces données apportent indirectement un éclairage nouveau sur la question des relations sociales entre les communautés halafiennes et celles du Sud du Caucase qui adoptent durant cette période un mode de vie sédentaire (Baudouin 2019).
8Le mobilier lithique (K. Schmidt) – en silex (95 %) ou en obsidienne (5 %) – représente l’intégralité du spectre de l’industrie employée au Halaf et forme un ensemble homogène. Les assemblages témoi-gnent d’une continuité technologique avec le PPNB et de la réutilisation d’artefacts anciens. Racloirs, grattoirs et perçoirs montrent un large éventail d’activités liées au traitement des matières premières (cuir, pierre, os, bois). Les quelques pointes de flèches récoltées confirment la part infime jouée par la chasse dans les stratégies de subsistance à la différence des nombreux outils agricoles retrouvés.
9Le caractère sédentaire de l’occupation est également confirmé par un macro-outillage lithique (J. Becker et A. von Wickede) retrouvé en grande quantité (688 outils au total). Le mobilier majoritairement découvert en dehors des bâtiments témoigne d’une utilisation importante et régulière des espaces extérieurs dans le cadre d’activités de mouture. La présence de meules et de pilons à l’intérieur de certains édifices laisse pourtant entrevoir une spécialisation des activités à l’échelle du village, scénario qui n’est pas proposé par les auteurs.
10Le petit mobilier (J. Becker et A. von Wickede) est principalement produit à partir de matières premières locales. Certains objets ont toutefois été importés – lapis-lazuli d’Iran ou d’Afghanistan, huître de Méditerranée et Cypraea de l’océan Indien – et signifient que Çavi Tarlası était impliqué dans un vaste réseau d’échange. Les perles dominent très largement le corpus, mais outils en os, fusaïoles, cachets et figurines en terre cuite complètent la liste des découvertes. Une analyse plus approfondie aurait pu être menée sur les cachets circulaires et rectangulaires à décor géométrique gravé, qui apparaissent pour certains comme typiques du Halaf, et sur les figurines anthropomorphes dont le style semble quant à lui ancré dans des traditions régionales antérieures. Une synthèse des résultats aurait été appréciée.
11L’étude des restes fauniques (J. Becker et A. von Wickede d’après J. Schäffer et J. Boessneck) s’appuie sur une analyse préalablement publiée en 1988 et représente le travail le plus abouti de l’ouvrage. Les espèces domestiques y sont dominantes (98 %) et la proportion des petits ruminants est légèrement plus élevée qu’ailleurs. Les courbes d’abattage du bétail montrent que les animaux étaient principalement élevés pour la viande. La présence d’animaux sauvages dans les assemblages, comme l’ours et le cerf, espèces endémiques des zones forestières, témoigne de la position particulière du site à la lisière des pentes boisées. Enfin, la répartition spatiale des restes fauniques montre une nette séparation entre zones d’abattage et aires de travail ce qui laisse entrevoir une spécialisation des activités liées à la boucherie et au traitement des restes osseux et des peaux.
12Les datations par 14C (J. Becker et A. von Wickede) ont été réalisées sur des restes osseux à partir de collagène. La période d’occupation du site a pu être estimée entre 5725 et 5380 av. J.-C., soit une durée totale d’environ 350 ans.
- 1 Programme DFG Research Grant no 255465930 “Identity and Contact as exemplified by the Late Neolithi (...)
13L’objectif ambitieux de l’ouvrage est de proposer une réévaluation de la subdivision régionale de la chronologie du Halaf à partir d’un réexamen de la production céramique (J. Becker) selon douze aires géographiques distinctes. Ce travail s’appuie sur une révision de données anciennes et des découvertes récentes dans le nord de la Syrie et de l’Iraq. Peut-être cette étude aurait-elle nécessité une publication spécifique afin d’accorder toute son importance à la documentation unique de Çavi Tarlası. Elle y trouve pourtant sa place dans le cadre du programme de recherche conduit par J. Becker1 dont les problématiques sont axées sur les moyens d’expression des identités locales/régionales, les interactions culturelles et la signification sociale de la céramique. Surtout, cette étude tient compte des sites anatoliens trop souvent écartés des synthèses sur le Halaf.
14Ce travail abouti et richement documenté livre deux constats. Premièrement, les différences entre céramique fine et grossière peuvent être entendues comme des spécificités régionales et chronologiques. La répartition géographique des ensembles permet de distinguer des préférences micro-régionales (nord du Tigre, triangle du Khabour, Euphrate), mais aussi des chevauchements, preuve de contacts interrégionaux importants. Deuxièmement, l’homogénéité des motifs s’explique par une forte mobilité des populations intégrées à un vaste réseau d’échange. La diffusion du savoir céramique serait liée à la circulation des femmes lors d’échanges matrimoniaux, celles-ci étant présumées productrices de la poterie et au cœur du processus de transmission de leur connaissance. Toutefois, derrière une homogénéité apparente se cache un foisonnement de variations stylistiques visibles à différentes échelles spatiales qui doivent être entendues comme les marqueurs d’une identité de groupe. En d’autres termes, ces variations doivent être comprises comme autant de dialectes régionaux (ceramic dialects).
15Une ouverture des recherches au domaine de la technologie culturelle et de l’acquisition technique (Bril 2002) permettrait toutefois de définir ce qui est entendu par le terme d’Ç identités communes È (gemeinsame Identitäten) et donnerait une plus grande amplitude au sujet traité. Réorienter le propos sur les processus d’apprentissage conduirait à mieux identifier les modèles reproduits et la charge de l’émulation sociale dans l’acquisition et la transmission des connaissances. Étudier la persistance des frontières technologiques (et stylistiques) en se focalisant sur les processus de non-diffusion des techniques (Roux et al. 2017) permettrait de comprendre la variabilité de certaines traditions potières au Halaf.
16Les conclusions de l’auteur sur les variabilités régionales de la céramique Halaf sont étayées par trois études scientifiques. Les analyses par spectrométrie de fluorescence X (L. Masch et K. L. Weiner) révèlent à Çavi Tarlası une maîtrise de la technique de la peinture en deçà des autres sites halafiens de Mésopotamie. Cela permet de distinguer la céramique locale, majoritaire, d’une autre importée qui ne concerne que les céramiques fines du groupe III (Sonderwaren) de Çavi Tarlası. Les analyses géochimiques (M. Eslami et M. Helfert) réalisées sur sept sites de Mésopotamie du Nord montrent une répartition par groupes de sites significative de conditions géologiques similaires dans l’acquisition des matières premières : l’analyse discriminante des éléments majeurs révèle des points de concordance entre les établissements situés le long de l’Euphrate (Nevalı Çori, Çavi Tarlası et Šams ed-Din Tannira) ; l’analyse des éléments traces indique en revanche des compositions différentes à chaque site, preuve d’une production à l’échelle locale. L’analyse minéralogique (K. Drüppel) réalisée sur cinq sites suggère l’utilisation d’un même mode opératoire pour la confection des céramiques et confirme l’emploi de matières premières locales. Ces travaux montrent également une maîtrise des températures de cuisson selon les catégories de céramique.
17Enfin, les analyses isotopiques du strontium (C. Knipper) réalisées sur l’émail dentaire humain et animal montrent des taux relativement homogènes. Ces résultats, comparés à ceux d’autres sites de Turquie centrale et du Sud-Est indiquent que les habitants du village de Çavi Tarlası étaient probablement originaires de la région ce qui permet a priori d’écarter l’hypothèse de migrations.
- 2 Il fait suite à l’ouvrage Nevalı Çori publié en 2007 (Becker 2007).
18Pour conclure, ce travail précis et de très bonne tenue apporte des connaissances substantielles sur les premières étapes de l’expansion halafienne en Turquie du Sud-Est2. Les idées défendues par J. Becker et A. von Wickede corroborent l’interprétation d’un réseau d’échange de proximité où les affinités techniques apparaissent d’autant plus proches que les populations sont voisines. Il semble illusoire de réduire la culture de Halaf à une entité fixe (Breniquet 2016) : les découvertes archéologiques recueillies ces dernières décennies doivent au contraire nous conduire à assouplir notre réflexion sur la classification des sociétés et nous amener à mieux concilier l’interprétation des faits matériels à une réalité sociale oubliée.
Notes
1 Programme DFG Research Grant no 255465930 “Identity and Contact as exemplified by the Late Neolithic site of Çavi Tarlası (Turkey)” (2014-2017).
2 Il fait suite à l’ouvrage Nevalı Çori publié en 2007 (Becker 2007).
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Référence papier
Emmanuel Baudouin, « Jörg Adam Becker et Alwo von Wickede (éd.) – Çavi Tarlası: Identität und Kontakt am Beispiel eines spätneolithischen Fundplatzes der Ḥalaf-Zeit, I-II », Paléorient, 47-1 | 2021, 184-187.
Référence électronique
Emmanuel Baudouin, « Jörg Adam Becker et Alwo von Wickede (éd.) – Çavi Tarlası: Identität und Kontakt am Beispiel eines spätneolithischen Fundplatzes der Ḥalaf-Zeit, I-II », Paléorient [En ligne], 47-1 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 15 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/paleorient/975 ; DOI : https://doi.org/10.4000/paleorient.975
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