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Recensions

Jörg Becker, Claudia Beuger et Bernd Müller-Neuhof (éd.) – Human iconography and symbolic meaning in Near Eastern Prehistory. Proceedings of the workshop held at 10th ICAANE in Vienna, April 2016

Alain Le Brun
p. 200-201
Référence(s) :

Jörg Becker, Claudia Beuger et Bernd Müller-Neuhof (éd.) 2019 – Human iconography and symbolic meaning in Near Eastern Prehistory. Proceedings of the workshop held at 10th ICAANE in Vienna, April 2016. Vienne : Austrian Academy of Sciences (Oriental and European Archaeology 11), 246 p.

Texte intégral

1Ces dernières années ont été marquées par un renouveau de l’intérêt pour les aspects symboliques des sociétés néolithiques du Proche-Orient. L’organisation du workshop intitulé « Human Iconography and Symbolic Meaning in Near Eastern Prehistory » qui s’est tenu à Vienne en 2016 dans le cadre du 10e Congrès international d’archéologie du Proche-Orient ancien (10th ICAANE), en est le témoin. Il s’articulait autour de trois thèmes : anthropologie physique et pratiques funéraires, perception de soi et auto-expression de l’être humain et, enfin, symbolisme et iconographie, la période considérée allant de l’Épipaléolithique au Chalcolithique. Multiplicité des approches, variété des sujets traités, large éventail chronologique que ne reflète qu’imparfaitement le présent ouvrage qui ne rassemble qu’une partie des interventions.

2Du premier thème, le plus touché par les défections, relèvent quatre contributions.

3Dans un texte qui fait office d’entrée en matière, M. Schultz et T. H. Schmidt-Schultz se penchent sur l’homme encore vivant et tracent les perspectives nouvelles qu’ouvrent la paléopathologie et la bioarchéologie pour la reconstitution de l’état sanitaire et des conditions de vie des populations anciennes. Le développement est illustré d’exemples dont une étude de la population du site PPNB de Basta. Deux contributions sont consacrées à des sites de la moyenne vallée de l’Euphrate : l’un, Dja’de el-Mughara (B. Chamel et É. Coqueugniot), documente la séquence PPNA récent – PPNB ancien, l’autre, Tell Halula (M. Molist et al.), celle du PPNB moyen et récent. Elles permettent une mise en perspective des pratiques funéraires et des représentations de la figure humaine. Sur un fond de continuité technologique, culturelle et à un certain degré symbolique se dessine une image contrastée. La diversité à Dja’de el-Mughara des pratiques funéraires (sépultures primaires, secondaires, communes et collectives) s’oppose à la standardisation des sépultures (sépultures assises ou seated memory) qui caractérise Tell Halula. De même, la diversité des formes et des supports des figurines humaines recueillies à Dja’de el-Mughara tranche sur leur raréfaction à Tell Halula où, en revanche, les murs et les sols des maisons s’ornent de représentations humaines peintes. Sur aucun de ces deux sites une association particulière entre figurines humaines et pratiques funéraires n’a été relevée. Mais le dépôt dans certaines sépultures de Tell Halula d’objets, en terre cuite ou métal, dont la fabrication demande une expertise technologique particulière suggèrerait l’existence d’un lien fort entre innovation technique et le monde des symboles. C’est aussi une technologie nouvelle, le plâtre, qui est mise en œuvre pour le surmodelage des crânes, pratique dont K. Croucher propose une nouvelle lecture, sentimentale, à l’opposé de certaines lectures guerrières. Plutôt que de s’en tenir aux interprétations traditionnelles (culte des ancêtres, expression du statut social, moyen de renforcer la cohésion sociale), elle y voit une réponse à la perte d’un être cher qui relèverait de l’émotion, une tentative de maintenir des liens durables avec le défunt, sans pour autant exclure l’éventualité qu’à la longue, les années passant, le défunt puisse gagner le statut d’ancêtre, ce qui ne fait guère avancer la question.

4L’étude par O. Dietrich et al. de l’imagerie de Göbekli Tepe placée dans l’ouvrage dans le troisième thème, aurait tout aussi bien pu être rattachée au premier, tant figurations anthropomorphes et pratiques funéraires sont imbriquées. La description de cette imagerie : statues-piliers en T et sculptures naturalistes dont un catalogue est joint, est suivie de l’analyse du rôle joué par ces dernières dans la procédure de condamnation des enceintes. La différence de traitement entre les piliers en T, laissés intacts, et les sculptures naturalistes, brisées intentionnellement les conduit à suggérer l’existence d’une hiérarchie entre ces deux modes de représentation. Ces piliers monumentaux de Göbekli Tepe ainsi que ceux de Nevalı Çori seraient-ils des représentations matérielles de dieux surnaturels, s’interroge d’ailleurs T. Watkins. À quoi il répond, s’appuyant sur le lien étroit qui unirait le caractère de l’organisation de la société et le pouvoir attribué aux dieux dans cette société, que, si les piliers peuvent représenter des êtres surnaturels, « perhaps something like ancester-gods », il n’y aurait aucune raison de voir en eux des « supernatural agents », auxquels la capacité d’agir dans le monde quotidien des êtres humains aurait été prêtée.

5Décrite à Göbekli Tepe, évoquée dans cet ouvrage à Dja’de el-Mughara ainsi qu’à Tell Halula, la pratique du bris intentionnel de représentations humaines est aussi illustrée au début du VIe millénaire av. J.-C. ainsi que l’indique J. Becker dans sa contribution où il traite des figurines de la culture de Halaf. La description des figurines et des récipients anthropomorphes et zoomorphes est accompagnée d’une étude de leur contexte, de leur(s) utilisation(s) et de leur(s) fonction(s), en particulier de celles des figurines anthropomorphes, majoritairement féminines. Ces objets dont le façonnage ne demande pas une grande expertise, très souvent délibérément brisés, seraient à considérer comme des vecteurs de magie (magic vehicles), utilisés à différentes occasions dans des rituels accomplis dans le cadre de la maison.

6Le Néolithique final de Haute Mésopotamie montre un autre usage de la figure humaine sous la forme d’appliques placées haut sur l’épaule de grandes jarres de stockage et figurant comme un être humain. Leur interprétation demanderait, selon O. Nieuwenhuyse, une approche multi-sensorielle, « a multi-sensory perspective », car ces décors plastiques auxquels il prête une fonction apotropaïque, seraient en fait les éléments d’un langage qui solliciterait le toucher plus que la vue : leur faible relief, la couleur de leur pâte se fondant avec celle du corps de la jarre ne les rendent pas facilement lisibles, d’autant plus que les lieux de stockage sont des pièces obscures. C’est ce qu’ont toutefois beaucoup de mal à démontrer les grandes jarres de stockage enterrées jusqu’au col à Umm Dabaghiyah (p. 201) ou bien l’exemple figuré p. 202, fig. 8 : 1, où le motif appliqué est oblitéré par une couche de plâtre, soustrait donc, dans ce cas comme dans l’autre, à la vue comme au toucher.

7Une plus grande abstraction des formes et leur miniaturisation ainsi que par le recours à de nouveaux supports marqueraient en Anatolie centrale, au tournant des VIIe et VIe millénaires, la transition entre le Néolithique et le Chalcolithique. C’est ce que font apparaître G. Naumov et P. F. Biehl comparant le matériel provenant du West Mound à celui du East Mound de Çatal Höyük.

8Le second thème est nourri par trois textes. Vêtements et nudité sont au cœur de la problématique de deux d’entre eux. Dans l’un, Cl. Beuger, se plaçant dans la longue durée, reconnaît un changement dans la perception du vêtement et, parallèlement, dans la perception de soi. Elle en voit les racines dès la fin de la période d’Obeid et le commencement de la stratification de la société, comme quoi l’habit peut faire le moine. Dans l’autre, tenant compte de la différence de taille des personnages représentés, de leurs vêtements ou de leur absence, de leur maniement ou non d’objets singuliers, B. Drabsch déchiffre en termes sociologiques les fresques de Teleilat Ghassul. B. Müller-Neuhof, pour sa part, propose une typologie des représentations humaines tridimensionnelles, figurines ou statues, le critère déterminant étant, à côté de la posture (debout, assis...) et du sexe, le geste figuré (bras le long du corps, bras pliés...), soit au total 17 types. De la valeur opérationnelle d’une telle classification bien des figurines font douter, à commencer par certaines des statuettes reproduites dans ce volume, ainsi p. 64, fig. 4 : 2, 7 ou p. 171, fig. 2 : 4 ; 6 : 1, 8. L’auteur s’emploie ensuite à prêter un discours à chacun de ces témoins muets et l’on ne saurait là lui reprocher de souligner le caractère préliminaire et hypothétique des conclusions auxquelles il est parvenu ayant eu recours à des sources multiples, archéologiques et historiques, éthologiques, ethnologiques, psychologiques, théologiques... À l’entendre on aurait à faire à des invariants, à des archétypes bavards dont la qualité ultime est de faire signifier la même chose à la même représentation quel qu’en soit le contexte. La figuration de l’être humain serait devenue une sorte de sémaphore figé, une fois pour toutes, dans le temps, indifférente à ce qui l’entoure, ressassant imperturbablement le même message.

9L’ouvrage, à la typographie claire et aux illustrations soignées s’achève brusquement, sans conclusion. Veut-on toutefois tirer une leçon de l’entreprise, on doit alors se rabattre sur les dernières lignes d’un texte introductif qui souligne à la fois que « it is obvious that the anthropomorphic representations were not image of one and the same subject », mais qui, quelques lignes plus bas, assigne à la recherche « to trace the longue durée of specific characteristics, representations and themes ». N’est-ce pas contradictoire ? Faudrait-il vraiment ne s’attacher qu’à la seule apparence de la représentation ? Je doute que tous les participants à l’atelier de Vienne partagent ce point de vue.

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Pour citer cet article

Référence papier

Alain Le Brun, « Jörg Becker, Claudia Beuger et Bernd Müller-Neuhof (éd.) – Human iconography and symbolic meaning in Near Eastern Prehistory. Proceedings of the workshop held at 10th ICAANE in Vienna, April 2016 »Paléorient, 47-1 | 2021, 200-201.

Référence électronique

Alain Le Brun, « Jörg Becker, Claudia Beuger et Bernd Müller-Neuhof (éd.) – Human iconography and symbolic meaning in Near Eastern Prehistory. Proceedings of the workshop held at 10th ICAANE in Vienna, April 2016 »Paléorient [En ligne], 47-1 | 2021, mis en ligne le 01 décembre 2021, consulté le 14 juin 2025. URL : http://journals.openedition.org/paleorient/991 ; DOI : https://doi.org/10.4000/paleorient.991

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Auteur

Alain Le Brun

ArScAn-VEPMO, UMR 7041, CNRS, Maison des Sciences de l'Homme Mondes, Nanterre | France – alr.lebrun@wanadoo.fr

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