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Session « des techniques aux territoires »

Le mésolithique, une révolution verte au cœur de l’Europe des forêts ? Éléments pour une amorce de réflexion

Nicolas Valdeyron
Traduction(s) :
The Mesolithic, a Green Revolution in the Heart of Forested Europe? First Reflections on this Question [en]

Résumé

Ce court article pose, pour l’introduire, la question de la part du végétal dans l’économie alimentaire mésolithique. Pendant longtemps, celle-ci a été considérée comme une évidence, alors qu’aucun fait archéologique probant ne venait véritablement la confirmer. Depuis une dizaine d’années cependant, des observations crédibles permettent de relancer la discussion, en documentant en Europe occidentale des pratiques de collecte intenses de fruits à coques (noisettes, pour l’essentiel) ainsi que des traitements visant à en favoriser le stockage et la consommation différée.

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Texte intégral

1Le Mésolithique ne couvre qu’une courte période de la Préhistoire européenne, les cinq ou six premiers millénaires de l’Holocène. Il est donc coincé entre le Paléolithique récent, beaucoup plus long et qui a vu l’arrivée en Europe des Hommes anatomiquement modernes créateurs supposés des premières formes d’art et le Néolithique, à peine un peu plus court mais consacrant, avec le début des économies paysannes, l’accélération irréversible du processus de complexification des sociétés humaines. Dépourvu a priori de ce genre d’attribut identitaire, le Mésolithique pourrait, par comparaison, paraître bien terne, sans intérêt spécifique ni véritable consistance. Pourtant, les enjeux qui s’attachent à son étude, inscrits dans la dialectique d’un rapport Homme-Environnement totalement renouvelé, sont au moins aussi importants que ceux qui fondent l’originalité et la réputation des deux périodes qui l’encadrent : le Mésolithique, en effet, c’est le moment durant lequel l’Europe postglaciaire se végétalise, avec la mise en place progressive d’une grande forêt primaire continentale peu à peu dominée par la chênaie. Ceux qui peuplent et parcourent ces territoires, oubliant sans doute jusqu’au souvenir même des grands espaces paléolithiques et ignorant tout de la révolution agricole à venir, inventent de nouveaux modes de vie, fondés sur une économie de prédation et de stockage où la cueillette et la collecte intenses de végétaux occupent, très vraisemblablement, une place économique mais aussi sociale à la fois inédite et emblématique.

2Cette contribution innovante du végétal à l’alimentation mésolithique a été présentée, de longue date ou plus récemment, comme une évidence (Clarke, 1976) ou au moins comme un fait très probable (Barbaza, 1999 ; Ghesquière, 2012), position tout à fait légitime justifiée à la fois par le contexte environnemental, potentiellement éminemment favorable bien sûr à son développement, et par des exemples ethnographiques de populations évoluant dans des espaces forestiers plus ou moins comparables à ce que devait être la grande forêt primaire européenne. Pour autant, les témoignages archéologiques probants de la collecte et du stockage alimentaires restaient jusqu’il y a peu inexistants et la réalité de cette contribution demeurait donc (presque) purement spéculative car archéologiquement (presque) silencieuse. De fait, si les restes végétaux comestibles carbonisés sont fréquents sur les gisements mésolithiques européens, y compris les plus méridionaux (Antolín et al., 2013), les preuves directes de l’origine anthropique de leur présence, de leur préparation et/ou de leur consommation, différée ou non, par l’Homme, pouvaient paraître impossibles à réunir. Ce n’est plus tout à fait le cas aujourd’hui et quelques exemples récemment publiés soulignent la réalité de cette double pratique (i.e la collecte intense et le stockage) dans laquelle il est tentant de voir, désormais, un élément spécifiquement et authentiquement mésolithique.

3L’une de ces évidences est donnée par le gisement de Staosnaig, situé sur l’île écossaise de Colonsay (Mithen et al., 2001). Occupé vers 6 500 cal BC, il a livré six structures emplies de restes de noisettes carbonisées : à elle seule, une grande fosse de 5 m de diamètre a fourni 16 kg de coquilles correspondant à 30 à 40 000 noisettes ! Les auteurs ont montré que cette fosse correspondait à une zone de rejet du contenu trop grillé d’un four, four qui du coup pourrait avoir traité entre 120 et 330 000 noisettes, soit la production cumulée de plusieurs milliers d’arbres. Un autre exemple est fourni par les 7 500 coquilles de noisettes extraites d’un échantillon sédimentaire de 250 litres seulement, provenant du gisement irlandais de Derragh Island (Bunce, 2011). Leur analyse montre qu’elles ont subi une carbonisation légère et homogène, comparable à celle reproduite lors d’expériences de torréfaction. Encore plus démonstratives sont les « roasting structures » des gisements 8 et 6 de Duvensee, dans le nord de l’Allemagne (Holst, 2010, 2011), sur des sites à occupation courte spécialisés dans le traitement des noisettes et occupés durant les phases ancienne et moyenne du Mésolithique. Aménagées dans un niveau artificiel de sable formant une sorte de chape et reposant lui-même sur un sol d’écorces de pin et de bouleau, ces structures complexes (figure 1), mesurant de 6 à 0,2 m², organisées en batterie et protégées pour les plus grandes par des coffrages en bois, témoignent d’une pratique à l’évidence courante et intensive du grillage des noisettes, dont des quantités phénoménales (plusieurs dizaines de milliers) de coquilles ont été retrouvées.

Figure 1 - Duvensee (Allemagne)

Figure 1 - Duvensee (Allemagne)

WP6. Détail sur la zone fouillée, avec des foyers de grillage, des planches en pin, du charbon et des concentrations de coques de noisettes

DAO : N. Valdeyron, d’après D. Holst, 2011

4En France, aucune occurrence de ce type n’a encore été formellement identifiée ou décrite pour du Mésolithique, à l’exception de certaines fosses du site d’Auneau interprétées comme des structures de stockage alimentaire de fruits à coques (Verjux, 2000, 2004 et 2006). Les gisements lotois des Escabasses (Thémines) et du Cuzoul de Gramat pourraient cependant documenter les mêmes types de comportements que ceux décrits plus haut, marqués par la collecte et le traitement de grandes quantités de noisettes (Valdeyron, 2013). Aux Escabasses, une structure foyère (US 14) datée du VIIIe millénaire cal BC évoque fortement, par sa morphologie (fosse oblongue profonde avec des parois partiellement rubéfiées) comme par son contenu (une très grande quantité de charbons de bois) un « roasting pit ». Quant au Cuzoul de Gramat, des amas intacts de plusieurs dizaines de coquilles de noisettes pris dans une masse cendreuse ont été observés (figure 2), dans un niveau rapporté à la première moitié du VIe millénaire cal BC : les travaux en cours sur ce dernier gisement cherchent à expliquer cette configuration originale, en testant l’hypothèse d’un lien fonctionnel entre les accumulations de cendres et le traitement des noisettes en vue de leur stockage.

Figure 2 - Le Cuzoul de Gramat (Lot, France)

Figure 2 - Le Cuzoul de Gramat (Lot, France)

Détail sur un amas de cendres, en cours de fouille dans un niveau de la fin du Mésolithique, contenant des coques de noisettes entières ou presque entières

Cliché : M. Miesch

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Bibliographie

Antolín F., Piqué R., Ballesteros A., Burjachs F., Buxo R., Mensua C., Edo M., 2013 - Changes in the interaction from the Mesolithic (10300-8500 cal BC) to the Early Neolithic (C. 5400 cal BC) in Can Sadurní cave (Begues, Barcelona province, Sapin). A view from the archaeobotanical data, in Damblon F. (ed.), Proccedings of the Fourth International Meeting of Anthracolocy, Brussels, September 2008 (« BAR International Series » 2486), 19-29.

Barbaza M., 1999 - Les civilisations postglaciaires. La vie dans la grande forêt tempérée, Édition la Maison des roches, Paris, Histoire de la France préhistorique, 127 p.

Bunce A., 2011 - An accident of surplus or deliberate subsistence? The hazelnuts from Derragh Island, Ireland. Article en ligne sur le site The Discovery Programme, http://www.discoveryprogramme.ie/environmental/plant-remains/148-hazelnutprocessing-on-derragh-island.html

Clarke D. L., 1976 - Mesolithic Europe: the economic basis, in Sieveking G., Longworth I. H., Wilson K. H., Problems in Economic and Social Archaeology, Duckworth, London, 448-481.

Ghesquière E., 2012 - Le Mésolithique en Basse-Normandie, Thèse de doctorat, EHESS, Université Toulouse 2- Le Mirail, 2 vol. , 848 p.

Holst D., 2010 - Hazelnut economy of early Holocene hunter-gatherers: a case study from Mesolithic Duvensee, northern Germany, Journal of Archaeological Science, 37, 11, 2871-2880.

Holst D., 2011 - Spatial organization and settlement dynamics of Mesolithic nut processing sites in the Duvensee Bog (Northern Germany), in Gaudzinski-Windheuser S., Jöris O., Sensburg M., Stret M., Turner E. (eds.), Site internal spatial organization of hunter-gatherer societies: case studies from the European Paleolithic and Mesolithic, papers submitted at the session C58, 15th UISPP conference in Lisbon, September 2006, Verlag Römisch-Germanisches Zentralmuseum, Tagungen, 12, 187-212.

Mithen S., Finlay N., Carruthers W., Carter S., Ashmore P., 2001 - Plant Use in the Mesolithic: Evidence from Staosnaig, Isle of Colonsay, Scotland, Journal of Archaeological Science, 28, 223-234.

Valdeyron N., 2013 - Of Men and Nuts. Essai sur le Mésolithique et sur la place qu’y tient le végétal, Mémoire d’habilitation à diriger des recherches, Université Toulouse 2-Le Mirail, 169 p.

Verjux C., 2000 - Les fosses mésolithiques d’Auneau (Eure-et-Loir - France), in Crotti P. (dir.), Méso ‘97, Actes de la Table ronde « Épipaléolithique et Mésolithique », Lausanne, 21-23 Novembre 1997, Lausanne, Cahiers d’archéologie romande, 81, 129-138.

Verjux C., 2004 - Creuser pour quoi faire ? Les structures en creux au Mésolithique, in Bodu P., Constantin C. (dir.), Approches fonctionnelles en Préhistoire, Actes du XXVe Congrès préhistorique de France, Nanterre, 24-26 Novembre 2000, 239-248.

Verjux C., 2006 - Trous de combustions, fosses dépotoirs et autres structures en creux antérieurs au Néolithique en Europe, in Frère-Sautot M. C. (dir.), Des trous… Structures en creux pré- et protohistoriques, Actes du Colloque de Dijon et Baume-les-Messieurs, 24-26 mars 2006, 457-471.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 - Duvensee (Allemagne)
Légende WP6. Détail sur la zone fouillée, avec des foyers de grillage, des planches en pin, du charbon et des concentrations de coques de noisettes
Crédits DAO : N. Valdeyron, d’après D. Holst, 2011
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/1337/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 212k
Titre Figure 2 - Le Cuzoul de Gramat (Lot, France)
Légende Détail sur un amas de cendres, en cours de fouille dans un niveau de la fin du Mésolithique, contenant des coques de noisettes entières ou presque entières
Crédits Cliché : M. Miesch
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/1337/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 352k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Nicolas Valdeyron, « Le mésolithique, une révolution verte au cœur de l’Europe des forêts ? Éléments pour une amorce de réflexion »Palethnologie [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 10 février 2014, consulté le 08 juillet 2025. URL : http://journals.openedition.org/palethnologie/1337 ; DOI : https://doi.org/10.4000/palethnologie.1337

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Auteur

Nicolas Valdeyron

Université Toulouse-Jean Jaurès. Traces (UMR 5608) 5 allée Antonio Machado 31 100 Toulouse, France
valdeyro[at]univ-tlse2.fr

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