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Techno-typologie lithique et chronométrie du mésolithique récent de la vallée du sado : le cas de l’amas coquillier d’Amoreiras (Alcácer do Sal, Portugal)

Diana Nukushina
Traduction(s) :
Lithic Techno-Typology and Chronometry in the Late Mesolithic of the Sado Valley: the Case of Amoreiras Shell Midden (Alcácer do Sal, Portugal) [en]

Résumé

Amoreiras, un amas coquillier de la vallée du Sado (sud du Portugal), fut considéré pendant des années un des sites les plus récents du complexe mésolithique du Sado ainsi qu’un lieu d’interactions entre les derniers chasseurs-cueilleurs et les groupes néolithiques. Cependant, l’industrie lithique restait mal connue et les données chronologiques et stratigraphiques, mal assurées. Nous présentons ici les résultats de l’analyse techno-typologique d’un assemblage lithique issu des premières fouilles d’Amoreiras dans les années 1950-1960.

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Texte intégral

Ce travail a été effectué dans le cadre d’un mémoire de Master intitulé Techno-typologie et chronométrie du Mésolithique récent de la vallée du Sado : le cas de l’amas coquillier d’Amoreiras (Alcácer do Sal), sous la direction de Mariana Diniz (Université de Lisbonne, Faculté de Lettres), terminé en 2012.

1 - La problématique autour du site d’Amoreiras : un survol des données et des problèmes

1Les amas coquilliers reconnus dans vallée du Sado se trouvent le long du fleuve sur une bande d’environ 15 km, à 40-50 km de l’estuaire actuel, dans la municipalité d’Alcácer do Sal. L’amas d’Amoreiras est situé sur une colline bordant la marge gauche du Sado (figure 1). Il a été fouillé dans les années 1950‑1960 par Manuel Heleno, alors directeur du Musée National d’Archéologie (MNA). Des milliers des pièces archéologiques furent retrouvées, mais ces données ne firent jamais l’objet d’une publication et les artefacts ne bénéficièrent que d’une étude préliminaire sous la direction de J. Arnaud (1989, 2000).

Figure 1 - Localisation du site d’Amoreiras dans la péninsule Ibérique et dans le complexe des amas coquilliers de la vallée du Sado (fond de carte : Google earth)

Figure 1 - Localisation du site d’Amoreiras dans la péninsule Ibérique et dans le complexe des amas coquilliers de la vallée du Sado (fond de carte : Google earth)

Vue de la colline d’Amoreiras depuis le Sado (Juillet 2011)

2En dépit du manque d’études systématiques, Amoreiras fut considéré comme l’un des amas coquilliers les plus tardifs et un lieu d’interactions entre groupes mésolithiques et néolithiques. La présence de fragments de céramique avec des décorations cardiales dans les niveaux inférieurs de la surface fouillée par J. Arnaud, ainsi que les datations radiocarbone amenèrent ce chercheur à attribuer l’occupation à la transition entre le VIe et le Ve millénaire, laquelle serait donc contemporaine du processus de néolithisation (Arnaud, 2000). G. Marchand, se fondant sur le caractère dominant des segments au sein des armatures géométriques mentionnée par Arnaud (1989), proposa également d’attribuer cet amas à la dernière phase du modèle chrono-typologique mésolithique récent élaboré pour le centre-sud du Portugal (Marchand, 2001, 2005).

3Plus récemment, la datation du « squelette 5 » d’Amoreiras -Beta-125110 : 7 230±40 14C BP (Cunha, Umbelino, 2001) – recula l’occupation du site à la fin du VIIe et au début du VIe millénaire cal BC (Diniz, 2010). La controverse fut de surcroît alimentée par la mise en évidence de différentes occupations culturelles au cours du Néolithique (Diniz, ibid.) par l’étude du matériel céramique.

4Au vu de cette complexité non perçue auparavant et des problèmes qui en découlent, l’analyse systématique du matériel lithique des fouilles Heleno s’est imposée.

2 - L’industrie lithique d’Amoreiras : fouilles Manuel Heleno

5Un échantillon du matériel provenant de la zone centrale fouillée par Heleno (« extension du sondage A ») a été analysé afin de mettre en évidence les chaînes opératoires en présence. En ce sens, le manque de données contextuelles représentait une limite infranchissable à cette étude, la fouille ayant consisté à décaper des niveaux artificiels, ce qui nous a obligés à considérer l’assemblage comme un tout.

6Les 1592 restes lithiques examinés documentent toutes les catégories technologiques de la chaîne opératoire dédiée à l’industrie microlithique ; les outils retouchés sont peu abondants et présentent peu de variabilité (tableau 1 ; figure 2).

Tableau 1- Catégories technologiques lithiques d’Amoreiras (ext. sondage A), par niveau (assemblage total incluant les fragments).

Catégorie

Niveau 1

Niveau 2

Niveau 3

Total

%

N

Nucléus

34

21

11

4,15

66

Préparation/entretien nucléus

9

11

1

1,3

21

Produits du débitage

285

178

46

31,97

509

Lames

5

4

0

0,57

9

Lamelles

212

120

35

23,05

367

Éclats

68

24

11

8,35

133

Outils retouchés

133

100

36

16,90

269

Armatures géométriques

71

53

18

8,92

142

Lamelles retouchées

26

20

10

3,52

56

Fonds commun

14

16

2

2,01

32

Déchets

365

335

27

45,67

727

Fragments

331

281

24

39,95

636

Micro-éclats

12

33

2

2,95

47

Microburins

22

21

1

2,76

44

Total

826

645

121

100,00

1 592

Figure 2 - Matériaux lithiques de l’amas coquillier d’Amoreiras (fouilles Heleno) et les deux principales stratégies technologiques reconnues.

Figure 2 - Matériaux lithiques de l’amas coquillier d’Amoreiras (fouilles Heleno) et les deux principales stratégies technologiques reconnues.

1-2 : nucléus prismatiques ; 3-6 : lamelles ; 7-10 : segments ; 11-13 : lamelles retouchées ; 14 : microburin ; 15 : chopper ; 16 : éclat retouché de manière marginale ; 17 : éclat semi-cortical

Matériel du Musée National d’Archéologie – MNA

7L’objectif principal du débitage est la production de lamelles à partir de nucléus prismatiques. Une partie des lamelles a été transformée, principalement en microlithes géométriques fortement normalisés. Les segments dominent (66,9 % des armatures géométriques) et affichent majoritairement des formes symétriques (figure 3). Les fréquences de lamelles non retouchées (23,1 % du total de l’assemblage lithique) suggèrent leur utilisation sans transformation préalable. Dans une moindre mesure, le débitage de petits et de moyens éclats, non retouchés, est également attesté. Le débitage prismatique domine (72,7 % des nucléus entiers) avec une exploitation des nucléus jusqu’à leur épuisement. De manière secondaire, on perçoit l’utilisation de la méthode « aléatoire » (Carvalho, 1998) pour l’obtention d’éclats non standardisés, dont les cicatrices sont visibles sur certains nucléus informes/polyédriques (16,4 %) et éclats de galets (2 exemplaires). La production d’outils (grattoirs sur éclats et perçoirs) à partir d’éclats épais ou en utilisant directement les galets comme supports est également significative.

Figure 3 - Variabilité des microlithes géométriques dans l’amas coquillier d’Amoreiras.

Figure 3 - Variabilité des microlithes géométriques dans l’amas coquillier d’Amoreiras.

1-3 : trapèzes ; 4 : forme de transition ; 5-10 : triangles ; 11-16 : segments

MNA

8Les données ne mettent pas en évidence de dépendance entre les modes opératoires et le type de manière première. Malgré la grande diversité de roches disponibles, on constate une utilisation préférentielle d’ardoises siliceuses et de chaille pour l’ensemble des catégories technologiques (tableau 2). Ces roches étaient accessibles localement sous la forme de galets présents dans des dépôts secondaires. On note également une économie des meilleures roches siliceuses disponibles, les chailles, exclusivement utilisées pour les produits d’entretien/de réfection du nucléus.

Tableau 2 - Représentation des types de matières premières identifiées à Amoreiras ( %), par catégorie techno-typologique.

Catégorie

Chaille

Ardoise
silicieuse

Jaspe

Porphyre

Quartz-
diorite

Quartz

Quartz
hyalin

Quart-
zite

Autre

Indé-
terminé

Nucléus

37,88

42,42

1,52

3,03

3,03

1,52

3,03

4,55

0,00

3,03

Préparation
/entretien
nucléus

52,38

47,62

0,00

0,00

0,00

0,00

0,00

0,00

0,00

0,00

Produits
du
débitage

31,43

47,74

5,70

1,18

0,98

3,54

8,06

0,39

0,20

0,79

Outils
retouchés

43,87

42,75

8,92

0,00

0,74

0,00

1,86

0,37

0,00

1,49

Déchets

20,77

57,91

9,22

0,55

0,55

2,89

6,46

0,14

0,00

1,51

Total
%
(sur
total
assemblage)

29,27

51,32

7,60

0,75

0,82

2,51

5,97

0,44

0,06

1,32

9Certains indices de débitage des lamelles par pression ont été reconnus (tableau 3), sans que ce dernier soit systématique. L’emploi d’autres techniques de détachement, de manière unique ou de manière complémentaire (Pelegrin, 2012 : 467) à savoir, la percussion indirecte, est probable (tableau 4). Certains éclats avec de larges talons, des bulbes proéminents et des ondulations prononcées (Carvalho, 1998 : 79) suggèrent aussi l’utilisation de la percussion directe. 8,3 % de l’assemblage, principalement des chailles, montrent des indices macroscopiques de traitement thermique (lustre thermique et texture homogène, parfois en association avec des altérations thermiques plus agressives, voir Boix Calbet, 2012). Ce procédé est attesté pour toutes les catégories technologiques, lamelles et microlithes (tableau 5). Bien que souvent détecté dans plusieurs contextes néolithiques du sud de la péninsule ibérique (Manen et al., 2007), l’origine culturelle du traitement thermique à Amoreiras, qu’il ait été pratiqué par les mésolithiques ou les néolithiques, est peu claire du fait du peu d’informations stratigraphiques dont nous disposons.

10Notre analyse montre que les opérations de taille ont eu lieu sur le site en utilisant les ressources locales et sont caractérisées par un effort d’économie aussi bien sur la ressource que l’effort de production. L’homogénéité de l’assemblage lithique est visible, malgré la présence de quelques éléments posant question, tels que le traitement thermique et un fragment de lame avec un talon piqueté.

Tableau 3 - Caractéristiques des lamelles d’Amoreiras suggérant la technique du débitage par pression

Caractéristique

%

Référence

Bords parallèles

35,37 (lamelles entières)

Inizian et al., 1999

Talon plus étroit que la largeur maximale

5,38 (MNI)

Inizian et al., 1999

Absence d’ondulations

74,39 (total)

Pelegrin, 1984 ; Inizian et al., 1999

Profil distal concave ou plongeant

59,76 (lamelles entières)

Binder, 1987 ; Brunet, 2012

Bulbes petits et prononcés

46,24 (MNI)

Tixier, 1984 ; Binder, 2012

Talons à facettes

17,20 (MNI)

Binder, 1987

Traitement thermique

11,44 (total)

Inizian et al., 1999 ; Boix Calbet, 2012

Caractéristique

mm

Référence

Épaisseur mésiale (constante)

2,36 ± 1,01 (MNI)

Inizian et al., 1999

Tableau 4 - Caractéristiques des lamelles d’Amoreiras suggérant la technique de la percussion indirecte

Caractéristique

%

Référence

Talons plats

43,55 (MNI)

Binder, 1987 ; Carvalho, 1998

Bulbes assez prononcés

41,94 (MNI)

Tixier, 1984

Tableau 5 - Traitement thermique ( %) reconnu sur l’industrie lithique d’Amoreiras (totalité de l’assemblage)

Catégorie technologique

%

Préparation/entretien nucléus

23,81

Nucléus

20,00

Lamelles

11,44

Lames

0,00

Éclats

6,02

Outils retouchés

13,75

Déchets

3,99

3 - Quelle valeur culturelle accorder à l’industrie lithique d’Amoreiras ?

11Les occupations d’Amoreiras présentent finalement une diachronie assez large – une sépulture datée de la fin du VIIe millénaire cal BC, deux dates 14C entre la seconde moitié du VIe et le début du Ve millénaire cal BC, certains fragments de céramique cardiale, des récipients de différentes phases du Néolithique et, enfin, une industrie microlithique au sein de laquelle prédominent nettement les segments.

12L’absence de faune domestique (Albizuri Canadell, 2010) pourrait renvoyer au caractère fugace des occupations post-mésolithiques, ces dernières ne pouvant pas, pour autant, être ignorées.

13Par conséquent, l’hypothèse selon laquelle Amoreiras serait exclusivement représentatif de la phase terminale du Mésolithique, ou encore l’assomption généralisée de son caractère tardif sont toutes deux irrecevables. Au vu du manque de données stratigraphiques pour les amas coquilliers de la vallée du Sado, la valeur chrono‑culturelle récente attribuée aux segments au sein des assemblages lithiques mésolithiques mérite également d’être remise en question.

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Bibliographie

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Boix Calbet J., 2012 - El tratamiento térmico en rocas silíceas, un procedimiento técnico para la talla, Trabajos de Prehistoria, 69 (1), 37-50.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 - Localisation du site d’Amoreiras dans la péninsule Ibérique et dans le complexe des amas coquilliers de la vallée du Sado (fond de carte : Google earth)
Légende Vue de la colline d’Amoreiras depuis le Sado (Juillet 2011)
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/1590/img-1.jpg
Fichier image/jpeg, 264k
Titre Figure 2 - Matériaux lithiques de l’amas coquillier d’Amoreiras (fouilles Heleno) et les deux principales stratégies technologiques reconnues.
Légende 1-2 : nucléus prismatiques ; 3-6 : lamelles ; 7-10 : segments ; 11-13 : lamelles retouchées ; 14 : microburin ; 15 : chopper ; 16 : éclat retouché de manière marginale ; 17 : éclat semi-cortical
Crédits Matériel du Musée National d’Archéologie – MNA
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/1590/img-2.jpg
Fichier image/jpeg, 264k
Titre Figure 3 - Variabilité des microlithes géométriques dans l’amas coquillier d’Amoreiras.
Légende 1-3 : trapèzes ; 4 : forme de transition ; 5-10 : triangles ; 11-16 : segments
Crédits MNA
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/1590/img-3.jpg
Fichier image/jpeg, 112k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Diana Nukushina, « Techno-typologie lithique et chronométrie du mésolithique récent de la vallée du sado : le cas de l’amas coquillier d’Amoreiras (Alcácer do Sal, Portugal) »Palethnologie [En ligne], 6 | 2014, mis en ligne le 10 février 2014, consulté le 16 avril 2024. URL : http://journals.openedition.org/palethnologie/1590 ; DOI : https://doi.org/10.4000/palethnologie.1590

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Auteur

Diana Nukushina

Universidade de Lisboa, Faculdade de Letras Alameda da Universidade 1600-214 Lisboa, PORTUGAL
dnukushina[at]campus.ul.pt

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