1Découvert au milieu du 19e siècle, le gisement préhistorique de Solutré est remarquable par la puissante accumulation d’ossements mis au jour dans les différentes couches du Paléolithique supérieur dont la conservation est exceptionnelle. La configuration topographique du site et la récurrence de ses accumulations fauniques composées essentiellement d’équidés, ont, dès les premières investigations, conduit à interpréter ce gisement comme un grand lieu de chasse. Si un abattage massif de troupeaux de chevaux du haut de la Roche est aujourd’hui définitivement écarté (Poplin, 1990 ; Combier, 1976), la question de la nature de ces occupations et des accumulations associées reste posée.
2Localisé dans le département de Saône-et-Loire en Bourgogne, le gisement de Solutré s’ouvre directement sur la vallée de la Saône (figure 1). La situation géographique de ce site de plein air pouvait constituer un lieu stratégique : il occupe une sorte d’esplanade sur le rebord occidental de la vallée de la Saône, au débouché des monts du Mâconnais vers la plaine de Bresse, surplombant ainsi un couloir potentiellement favorable au passage de troupeaux entre les plateaux et la vallée.
3Du pied de la Roche jusque dans le village, Solutré a fait l’objet depuis sa découverte de multiples fouilles qui ont permis de mettre en évidence une fréquentation importante depuis le Paléolithique moyen et, surtout, au cours du Paléolithique supérieur. Les principales phases culturelles de cette période sont représentées au Crôt‑du-Charnier, où elles sont associées à une exploitation constante et récurrente des équidés. L’étendue du site est estimée à plus d’un hectare (Combier, 1976). Deux analyses archéozoologiques ont été réalisées, par S. Olsen (1989) pour une partie de l’Aurignacien et par E. Turner (2002) pour le Magdalénien. Leurs travaux ont permis de confirmer que le site a été un lieu de chasse, principalement d’équidé : S. Olsen a estimé, sur l’ensemble du gisement, la présence d’au moins 32 000 carcasses de chevaux sur toute la séquence (Olsen, 1989). Les hypothèses concernant les modes de chasses divergent cependant selon les auteurs. Les chevaux auraient pu être rabattus du contrebas du vallon vers la Roche pour y être abattus (Olsen, 1989) ou bien ils étaient chassés à l’affût depuis la roche (Turner, 2002).
Figure 1 - Localisation du site de Solutré
R. Bernard et F. Bambaggioni, INRAP
4En 2004, une opération de fouille archéologique préventive a été menée en prévision des travaux d’aménagement du parc archéologique du site du Crôt‑du-Charnier à Solutré. La fouille a concerné deux niveaux aurignaciens préservés sur 15 m², à quelques mètres au sud-est des fouilles de J. Combier et A. Montet‑White (figure 2 ; Connet et al., 2005).
5La séquence stratigraphique du Crôt-du-Charnier est essentiellement constituée de plaquettes calcaires accumulées par éboulis gravitaire depuis la Roche (Combier, Montet‑White, 2002 ; Konik in Connet et al., 2005). Ce sédiment est de nature très lacunaire et instable. Il s’est déposé sur une pente relativement forte, de l’ordre de 30 % par endroits sur l’emprise de la fouille de 2004.
Figure 2 - Plan de situation et coupe de la fouille archéologique préventive réalisée en 2004 par rapport aux fouilles plus anciennes
Connet et al., 2005 modifié
6Deux ensembles sédimentaires correspondant à deux couches archéologiques, couches 1 et 2, ont pu être identifiés. C’est la couche inférieure, couche 2, la plus riche en mobilier, qui est présentée dans cet article.
7La couche 2, présentant une épaisseur variant de 10 à 50 cm, repose sur un substrat irrégulier dont elle comble les irrégularités. Le mobilier découvert dans cette couche se rapporte à l’Aurignacien ancien, daté par 14C entre 29300 à 28000 BP (Lyon-3150, 3153, 3155). Une grande quantité d’ossements d’animaux bien conservés, dont les surfaces ont été très peu altérées par les radicelles et les agents atmosphériques, y a été mise au jour. La fouille et le tamisage systématique des sédiments a permis de récolter 41 000 restes (soit plus de 2 700 restes au m²). L’industrie lithique comprend 695 restes (en moyenne 46 restes au m²), soit 1,7 % de l’ensemble des vestiges archéologiques.
8Outre des vestiges lithiques et des restes de faune, la fouille a également permis de mettre au jour des éléments d’industrie osseuse, et, à la base de la couche 2, un horizon cendreux composé d’ossements brûlés et de charbons pouvant correspondre au rejet de foyers sur la pente.
9Quelques éléments d’industrie osseuse ont été identifiés parmi les restes fauniques. Il s’agit d’une part de deux outils « finis » et utilisés : un lissoir et un brunissoir qui indiquent des activités différentes de la boucherie, probablement un traitement des peaux. D’autre part, une dizaine de fragments de diaphyse (un tiers sur diaphyse de renne, deux tiers sur diaphyse de cheval) a été utilisée comme retouchoirs. Enfin, quelques fragments de bois de renne portent les stigmates de débitage et des fragments de défense de mammouth pourraient correspondre aux premières étapes du débitage de matière première d’origine animale. Précisons à cet égard qu’il existe un fort déficit des bois de renne, notamment des perches, suggérant peut être un transport hors de l’emprise fouillée.
10Deux perles en ivoire et une incisive de marmotte incisée sont les trois éléments de parure mis au jour sur les 15 m² de la fouille de 2004 et les premiers découverts dans les horizons aurignaciens de Solutré (figure 3).
Figure 3 - Solutré 2004, couche 2, éléments de parure mis au jour en 2004
Cliché : M. Vanhearen in Connet et al., 2005
11Les 3 594 restes déterminés de la couche 2 de Solutré appartiennent à neuf espèces dont sept sont des mammifères : le Mammouth (Mammuthus primigenius), le Cheval (Equus sp.), le Renne (Rangifer tarandus), le Loup (Canis lupus), le Renard (Vulpes sp.), le Lièvre (Lepus sp.) et la Marmotte (Marmotta marmotta). Les oiseaux et les poissons sont documentés par quelques restes qui n’ont pu être déterminés spécifiquement. Seules trois espèces au sein des neuf dénombrées ont été consommées avec certitude. Il s’agit du Cheval qui totalise environ les deux tiers des restes (NR = 2 257), du Renne, constitué de l’autre tiers (NR = 1 241) et du Lièvre, qui n’est représenté que par une trentaine de restes (tableau 1).
12L’environnement du site laisse présumer une circulation de deux espèces principales d’ongulés entre les plateaux et la vallée de la Saône, par le vallon situé en contrebas. Il est d’ailleurs fort probable que ce contexte ait conditionné l’implantation des occupations humaines.
Tableau 1 - Solutré 2004, couche 2, décompte des restes osseux
Taxons
|
|
NR
|
% NRD
|
NMIf
|
NMIc
|
Cheval
|
Equus sp.
|
2257
|
62,1
|
18
|
29
|
Renne
|
Rangifer tarandus
|
1241
|
34,2
|
10
|
12
|
Loup
|
Canis lupus
|
10
|
0,3
|
1
|
1
|
Renard
|
Vulpes/Alopex
|
15
|
0,4
|
2
|
2
|
Mammouth
|
mammuthus primigenius
|
27
|
0,7
|
1
|
1
|
Lièvre
|
Lepus sp.
|
35
|
1,0
|
1
|
1
|
Marmotte
|
Marmotta marmotta
|
1
|
0,0
|
1
|
1
|
Oiseau
|
|
4
|
0,1
|
|
|
Poisson
|
|
4
|
0,1
|
|
|
Total des restes déterminés (NRD)
|
|
3594
|
|
|
|
Indéterminés
|
|
3274
|
|
|
|
Fugaces (petits restes non cotés)
|
|
41020
|
|
|
|
Total des restes (NRT)
|
|
47888
|
|
|
|
13L’estimation du nombre minimum d’individus a reposé sur l’analyse des stades d’éruption et d’usure dentaire ainsi que sur celle des stades d’épiphysation, livrant un NMI de combinaison de 29. Les données sur les âges suggèrent que l’abattage des chevaux a dû avoir lieu à différents moments de l’année, avec toutefois un pic à la fin de l’automne et en hiver. La population abattue ne comporte que des femelles et des jeunes et l’absence de mâle évoque des chasses sur plusieurs troupeaux de type « harem » (figure 4).
14Toutes les parties squelettiques sont représentées, ce qui suppose un abattage sur le site ou à proximité. La forte présence des bas de patte en connexion – qui s’apparentent aux déchets d’une découpe primaire des carcasses – témoigne davantage en faveur d’un abattage sur le site (figure 5). Nous avons enregistré assez peu de traces de découpes (sur 2 % des restes de chevaux), mais elles documentent toutefois les principales étapes du traitement des carcasses : prélèvement de la peau, désarticulation et décharnement, tandis que les fractures et les points d’impacts évoquent l’extraction de la moelle. Tous les os longs, mis à part quelques métapodes en connexion lâche avec des phalanges, ont été brisés (au total, les os longs entiers représentent 14,3 % des restes d’os longs du cheval). Tous ces indices nous informent que les chevaux ont été consommés en partie sur place. Un petit déficit de certaines parties charnues (encolure, épaule et cuisse) a néanmoins été observé et pose la question d’un éventuel prélèvement voire d’une préparation particulière et d’un emport.
Figure 4 - Solutré 2004, couche 2, saison de mort des chevaux
Figure 5 - Solutré 2004, couche 2, taux de survie des différentes parties squelettiques des chevaux
Dessin : M. Coutureau [INRAP] modifié d’après R. Barone, 1976
15Un minimum de 12 rennes a été dénombré dans la couche 2 (sur la base d’appariements dentaires). Ils ont été abattus à différents moments de l’année avec, comme pour le cheval, un pic à la fin de l’automne et en hiver. Ces abattages ont principalement été orientés sur des jeunes adultes et des adultes. Le sex‑ratio de la population de renne est moins déséquilibré que pour les chevaux puisque mâles et femelles sont documentés. Ceci suppose des événements de chasse sur des hardes différentes et confirme les données de saisonnalité obtenues d’après les âges dentaires (figure 6).
16Toutes les parties squelettiques du Renne sont représentées (figure 7). Si le transport d’une carcasse de renne peut s’avérer moins problématique que celui d’un cheval, l’hypothèse d’une mort sur le site ou à proximité nous parait plus probable car toutes les étapes du traitement de l’animal sont attestées. En effet, les quelques traces d’intervention enregistrées (sur 3 % des restes de renne) suggèrent, comme pour le cheval, le prélèvement des peaux, la désarticulation, le décharnement et l’extraction de la moelle. Les os longs de renne ont tous été fracturés. Autant d’indices qui évoquent une consommation, au moins partielle, sur place. L’utilisation de fragments de diaphyses comme outils (compresseur / retouchoir) évoque la multiplicité des activités qui se sont déroulées ici. Le déficit en bois suggère en revanche qu’ils aient pu être emportés ailleurs.
Figure 6 - Solutré 2004, couche 2, saison de mort des rennes
Figure 7 - Solutré 2004, couche 2, taux de survie des différentes parties squelettiques des rennes
Dessin : C. Beauval et M. Coutureau [INRAP] modifié d’après Cl. Bellier et P. Semal
17Les principales caractéristiques observées dans cet ensemble se retrouvent dans les autres occupations du Paléolithique supérieur de Solutré (Olsen, 1989 ; Turner, 2002). Le cheval y est toujours l’animal dominant, suivi du renne. On observe une petite différence au Magdalénien avec l’apparition du bison (Turner, 2002). Les carcasses de chevaux sont quasi complètes dans les ensembles aurignaciens et magdaléniens (la partie du rachis et les parties charnues des membres sont toutefois déficitaires au Magdalénien). Comme dans notre échantillon, certaines parties, notamment des bas de pattes et du rachis, ont été retrouvés en connexion. Le faible nombre de traces d’exploitations sur les restes fauniques se retrouve dans les différentes occupations, mais caractérise toujours l’ensemble des phases du traitement des carcasses (dépouillement, désarticulation, éviscération, prélèvement de viande et récupération de la moelle). Si, au Magdalénien, l’abattage des chevaux et des rennes semblent aussi avoir eu lieu principalement en hiver et au printemps sur des femelles et des jeunes (Turner, 2002), en revanche, dans les niveaux aurignaciens étudiés par S. Olsen, les chevaux auraient été tués surtout en été (Olsen, 1989).
18En résumé, les chevaux et les rennes ont été tués sur le site ou à proximité immédiate lors d’épisodes de chasse se déroulant sur toute l’année, avec des périodes d’occupation (ou d’activité ?) plus intense. Il ne fait pas de doute que c’est un site d’abattage, de traitement primaire mais aussi de consommation. Il est en revanche beaucoup plus difficile de définir la durée et l’amplitude de ces occupations sur la base des données fauniques.
19Les vestiges lithiques de la couche 2 représentent un petit ensemble de près de 700 pièces, dont les deux tiers sont assimilables à des petits et très petits déchets de taille (70 % < 10 mm et 55 % < 5 mm). L’environnement immédiat du site ne comporte pas de matériaux siliceux exploitables, et l’industrie lithique présente dans le site provient sans doute des argiles à silex du Mâconnais, localisées dans un rayon assez proche que l’on peut estimer à quelques kilomètres.
20Deux qualités de silex sont présentes, des silex à grain fin et des silex à grain grossier. L’absence de nucléus et la rareté des produits de mise en forme pour les silex à grain fin semblent montrer que ces éléments sont arrivés sous forme d’équipement (comprenant des lames et des lamelles, brutes ou retouchées). Pour les silex grenus, trois nucléus à lamelles sur lesquels quelques remontages ont pu être réalisés, attestent d’une exploitation au moins en partie de ce matériau sur le site. Enfin, une chaille locale a fait l’objet d’une exploitation très secondaire avec seulement six restes retrouvés lors de la campagne de fouille de 2004. L’absence de produits d’entames et la rareté des produits corticaux (1 %, hors petits éléments) semblent plaider pour une préparation des volumes laminaires en dehors de notre zone de fouille. Toutefois, la présence de deux tablettes et de quelques produits de mise en forme dont deux lames à crête (transformées en outils) indiquent qu’une partie de la production laminaire a eu lieu sur place. Les Aurignaciens de Solutré sont donc arrivés sur le site avec un volume de silex déjà élaboré et sous la forme de base de débitage pour les nucléus à lamelles (caréné et sur bloc). Enfin, la présence d’éclats de retouches (premiers et de réfection) témoigne d’un aménagement au moins en partie des outils sur le site même.
Tableau 2 - Solutré 2004, couche 2, décompte des vestiges lithiques
SOLUTRE N11-12 couche 2 (fouille 2004)
|
Silex fin
|
Silex grenu
|
Chaille
|
Total
|
Éclats entiers
|
8
|
11
|
|
19
|
Fragments d’éclats
|
44
|
27
|
2
|
73
|
Lames et lamelles entières
|
13
|
6
|
|
19
|
Fragments de lames et lamelles
|
37
|
34
|
1
|
72
|
Outils (hors pièces à retouches partielles)
|
16
|
10
|
2
|
28
|
Nucléus
|
|
3
|
|
3
|
Cassons
|
|
2
|
1
|
3
|
Total
|
118
|
93
|
6
|
217
|
Petits déchets entiers (5 à 10 mm)
|
49
|
|
|
49
|
Très petits déchets entiers (< 5 mm)
|
86
|
|
|
86
|
Petits et très petits fragments (< 10 mm)
|
338
|
|
|
338
|
Total
|
695
|
21Figure 8 - Solutré 2004, industrie lithique
1 à 3 : lamelles ; 4 : lame retouchée ; 5 : grattoir ; 6 : lame retouchée convergente ; 7 : lamelle Dufour
Dessins : E. Boitard in Connet et al. 2005
22Hors les petits déchets de mise ou remise en forme d’outils et de production de lamelles, l’industrie lithique de la couche 2 de Solutré se compose pour plus de 40 % de lames, dont six retouchées, de cinq grattoirs, d’un perçoir et de 14 lamelles, dont un fragment de lamelle à dos et une lamelle Dufour qui porte une surface de fracture transversale en languette, caractéristique d’un choc frontal violent. Nous pouvons également noter la présence d’une lamelle chute de burin.
23L’état de conservation du mobilier lithique ne permettant pas une étude tracéologique, il apparait donc difficile de se prononcer sur l’utilisation réelle des vestiges lithiques. Toutefois, la présence d’éléments de mise en forme d’outils que sont les éclats de retouches, les types d’outils les plus représentés (grattoirs et lames retouchés) et l’importance du volume de tranchants bruts plaident pour un lieu de consommation du silex en rapport avec les vestiges fauniques présents. Le volume de silex « utile » abandonné, que sont les outils et pièces tranchantes, fragments compris, peut être estimé à 150 restes lithiques, ce qui peut apparaître suffisant, au regard de quelques expérimentations (Poplin, 1972), au traitement des 41 carcasses présentes, d’autant que l’exploitation des animaux à Solutré apparaît assez partielle. Seule la présence de la lamelle Dufour irait dans le sens d’une activité cynégétique des occupants de Solutré.
24Le corpus de pièces lithiques mis au jour antérieurement dans les niveaux aurignaciens de Solutré est tout à fait comparable à celui de 2004, tant par son effectif réduit que par sa composition typo‑technique (Combier et Montet-White, 2002). Il faut noter un nucléus à lame en silex grenu découvert lors des fouilles antérieures (op. cit.), dans la couche 5 du secteur M12, qui attesterait d’une production laminaire plus complète sur le site. Au vu des données de 2004 et des années antérieures, les groupes aurignaciens qui ont fréquenté le pied de la Roche de Solutré paraissent avoir des comportements assez similaires :
-
ils arrivent sur le site équipés de produits laminaires élaborés, de nucléus préparés et de lames retouchées ou aménagées en grattoirs dont une partie peut‑être réalisée ou ravivée sur place ;
-
dans la zone de fouille de 2004, l’abandon des outils sur lames et de lames brutes, et la rareté des déchets de la production laminaire (absence de nucléus, les crêtes présentes ont été transformées en outils) montrent un fractionnement dans l’espace, peut-être en partie à l’échelle du site, et le temps (acquisition, production, consommation) de la chaine opératoire laminaire ;
-
pour la production lamellaire, les vestiges présents attestent d’une plus grande unité de la production, sans toutefois pouvoir se prononcer sur la consommation qui, dans l’hypothèse d’une production d’armature, répondrait alors en partie à des objectifs différents de la production laminaire.
25L’exploitation d’un espace par un groupe préhistorique implique l’existence de lieux d’approvisionnement en silex et en matière carnée, qui, s’ils peuvent parfois être les mêmes, sont souvent dissociés. Dans ce territoire d’acquisition, dont les dimensions peuvent changer au fil des saisons, quels éléments seraient susceptibles de définir le lieu de résidence : la pérennité de l’occupation, la trace d’installations structurées (trous de poteau, marques de tentes), l’intensité et la diversité des activités ? Ces caractéristiques se retrouvent dans quelques sites de plein air et dans de nombreux site en grotte ou abris. À l’opposé, quels éléments signeraient une « halte de chasse » : un temps d’occupation court, une fonction spécifique, une décomposition dans l’espace et le temps des activités de subsistance ?
26Les quelques mètres carrés fouillés en 2004, même rattachés aux 16 m² des fouilles de M12 (Combier, Montet-White, 2002), ne sont qu’une portion de l’occupation aurignacienne sur le site du Crôt‑du-Charnier. En outre, la couche 2 (corrélée à la couche 6 des fouilles de J. Combier) correspond à un cumul d’occupations, comme l’attestent les différentes saisons d’abattage du gibier. Dans ce contexte, comment définir le statut et la durée de ces fréquentations ?
27Il est indéniable que le site a constitué un emplacement stratégique pour la chasse. La présence de toutes les parties squelettiques suggère une mort sur place, ce qui définirait le site comme un lieu d’abattage.
28L’industrie lithique montre un apport de produits partiellement ou totalement transformés. Il existe donc une rupture dans la chaîne opératoire de production entre un ou plusieurs lieux d’acquisition des matériaux et de préparation des volumes, et les zones fouillées sur le site de Solutré où une partie des outils sont produits, transformés, utilisés, et parfois recyclés.
29L’étude des ossements d’animaux montre que l’ensemble des étapes du traitement des deux espèces principales est présente et qu’il existe une consommation sur place et des activités annexes comme le traitement des peaux. La présence de traces de combustion peut également être le témoignage d’une préparation des matières carnées.
30En résumé, si, en l’absence d’organisation spatiale lisible du fait d’un contexte sédimentaire particulièrement défavorable à la reconnaissance de phases d’occupations distinctes, les témoins matériels ne permettent pas d’estimer la durée de chacune des fréquentations, il est toutefois possible de comprendre, au moins en partie, la fonction du site et d’en proposer la définition suivante : à Solutré, les vestiges recueillis témoignent d’une diversité des activités autour des carcasses d’animaux chassés et, plus qu’une halte de chasse, ce site apparaît comme une étape où l’abattage, la décarnisation, le dépeçage, le travail primaire de l’os et des bois sont réalisés. Est‑il lié à un campement plus pérenne localisé ailleurs ? Peut-être, et le déficit de certains éléments comme les bois de cervidé pourrait en effet suggérer leur transport possible hors des secteurs fouillés, ainsi que l’emport vraisemblable de certains quartiers de viande. Toutefois, à la différence d’une halte de chasse à proprement parler (c’est‑à-dire d’un site occupé très ponctuellement par quelques chasseurs seulement, plus ou moins au hasard de leurs courses), le Crôt‑du-Charnier peut prétendre au statut de véritable camp de chasse, où les membres d’un groupe sont susceptibles de se rendre à dessein afin de participer à toutes les activités impliquées par le traitement de gibiers capturés dans un site connu et reconnu comme très propice à cette activité.