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La séquence chrono-culturelle des ensembles belges dans le cadre de l’Aurignacien européen

Damien Flas
Traduction(s) :
The Chronocultural Sequence of Belgian Complexes in the European Aurignacian Context [en]

Résumé

L’étude des collections aurignaciennes du bassin mosan, associée aux données récentes provenant de travaux de terrain, permet de proposer une nouvelle synthèse de l’Aurignacien de cette région. Ce travail permet d’écarter certaines hypothèses parfois avancées concernant les plus anciennes occupations aurignaciennes du Nord-Ouest européen et de proposer une séquence chrono-culturelle, certes hypothétique mais fondée sur les données les plus fiables. Le bassin mosan offre, en effet, une concentration importante d’occupations aurignaciennes, parfois très riches, permettant des comparaisons à large échelle, notamment avec des régions ou le cadre chrono-stratigraphique est plus précis. L’existence de similitudes techniques et artistiques entre ces différentes régions européennes conduit également à souligner la force des liens unissant le complexe aurignacien, élément probablement important pour la compréhension de la transition du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur en Europe.

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Texte intégral

Introduction

1Dans le Nord-Ouest de l’Europe, les occupations aurignaciennes sont généralement rares et les ensembles peu abondants, à l’exception du bassin mosan, dans la partie méridionale de la Belgique. Ces traces du complexe aurignacien sont importantes car elles correspondent probablement aux premières diffusions des populations anatomiquement modernes dans ces latitudes septentrionales, ainsi qu’en raison de leur abondance qui permet des comparaisons avec d’autres régions européennes.

2En effet, le bassin mosan belge offre une concentration particulière d’occupations aurignaciennes à l’échelle du Nord-Ouest de l’Europe. En comparaison, la Grande-Bretagne est très pauvre et n’a livré que quelques artefacts attribuables à l’Aurignacien (Dinnis, 2012). Les plaines du nord de la France sont clairsemées de rares ensembles, souvent sans contexte chrono-stratigraphique (Bodu et al., 2013 ; Brou et al., 2013 ; Fagnart et al., 2013), et l’Allemagne septentrionale, du Rhin à l’Oder, ne compte que quelques sites d’importance (Wildscheuer, Lommersum, Breitenbach ; Hahn, 1977, 1989 ; figure 1). À l’inverse, au moins 16 sites belges sont attribuables à l’Aurignacien (Flas, 2008), dont certains sont particulièrement riches. La densité des occupations aurignaciennes dans cette région pourrait être liée à l’ancienneté et à l’intensité des recherches dans le karst mosan (Otte, Noiret, 2013). Néanmoins cela ne peut complètement expliquer les différences vis-à-vis de régions nettement plus pauvres comme la Grande-Bretagne, où les recherches ont été tout aussi importantes dès la première moitié du XIXe siècle (Flas, 2009 ; Dinnis, 2013), et le Nord de la France où les nombreux travaux d’archéologie préventive n’ont livré que de très rares traces attribuables au Paléolithique supérieur ancien (Goval, Hérisson, 2012 ; Fagnart et al., 2013). Il faut toutefois rappeler que les conditions taphonomiques dans cette dernière région sont peu favorables à la préservation et à la découverte des sites du paléolithique supérieur ancien (Soriano, 2013).

Figure 1 - Les principaux sites mentionnés dans le texte.

Figure 1 - Les principaux sites mentionnés dans le texte.

DAO : D. Flas, F. Tessier

3Cependant, la plupart des ensembles aurignaciens du bassin mosan, provenant de fouilles anciennes principalement de la fin du XIXe et au début du XXe siècle, livrent des données imprécises et peu fiables. En outre, la dernière étude détaillée de ces ensembles a été menée il y a une quarantaine d’années (Otte, 1979). Depuis cette époque, d’importants développements sont venus modifier la perception et l’étude des industries aurignaciennes, en particulier en ce qui concerne les modalités de production lamellaire, conduisant à un renouveau de la compréhension de la structure chronologique et technologique des différentes phases ou faciès du complexe aurignacien (Le Brun-Ricalens et al., 2005). Par ailleurs, la prise en compte grandissante des facteurs taphonomiques a souligné les problèmes de fiabilité des ensembles archéologiques et invite à une révision critique des hypothèses proposées jusqu’alors. En outre, des fouilles (Maisières-Canal ; Miller et al., 2004) et des données chronologiques et stratigraphiques récentes (Trou Walou et Trou Al’Wesse ; Pirson et al., 2012 ; Miller et al., 2011) ont également permis d’enrichir notre vision de l’Aurignacien belge.

4C’est sur ces bases qu’un programme d’étude des collections provenant des fouilles anciennes a été lancé et se poursuit actuellement. Cette révision de l’Aurignacien du bassin mosan, en particulier de sa composante lithique, dont nous utilisons ici les résultats préliminaires, a débuté par l’étude des collections de la grotte de Spy (Flas et al., 2013) avant de se poursuivre en abordant les principaux gisements aurignaciens (Trou Magrite, Goyet, Trou du Renard, Trou du Sureau, Trou Al’Wesse, Grand-Abri à Ben-Ahin). Cette nouvelle approche des ensembles lithiques se base principalement sur les avancées récentes de la techno-typologie aurignacienne, développée au cours des quinze dernières années pour les séquences du Sud de la France et qui ont permis de préciser la succession des phases d’évolution technique du complexe aurignacien (Bon, 2002 ; Bordes, 2006 ; Chiotti, 2003 ; Le Brun-Ricalens et al., 2005 ; Michel, 2010 ; Pesesse, Michel, 2006).

1 - Un Aurignacien très ancien dans le Nord-Ouest de l’Europe ?

  • 1 Toutes les datations mentionnées sont en chronologie radiocarbone non calibrée.

5Le Trou Magrite a principalement fait l’objet de travaux à la fin du XIXe et au début du XXe siècle, livrant d’importantes industries moustériennes (Ulrix-Closset, 1975), aurignaciennes et gravettiennes (Otte, 1979), ainsi que quelques éléments plus récents, du Magdalénien à l’âge du Fer (Dewez, 1985, 1987). De nouveaux travaux eurent lieu sur la terrasse du Trou Magrite en 1991-92 conduisant à la reconnaissance de plusieurs couches archéologiques. Parmi celles-ci, le stratum 3 a livré un matériel qui a été attribué à l’Aurignacien et daté par radiocarbone à 41300±1690 BP (CAMS-10352)1 (Straus, 1995). Cette attribution a conduit certains chercheurs à imaginer une diffusion très précoce de l’Aurignacien et des populations anatomiques modernes en Europe septentrionale (Churchill, Smith, 2000 ; Davies, 2001 ; Harrold, Otte, 2000 ; Klein, 2000). Cependant, d’autres chercheurs ont émis des réserves quant à la fiabilité de l’association entre les ossements datés et l’ensemble lithique (Jacobi, Pettitt, 2000) ; tandis que d’autres proposaient de rapporter cet ensemble à une industrie transitionnelle à pointe foliacée plutôt qu’à l’Aurignacien (Djindjian et al., 2003 ; Zilhão, d’Errico, 1999).

6Une révision du matériel conservé à l’Université de Liège montre en effet qu’une attribution à l’Aurignacien de l’ensemble provenant du stratum 3 peut être rejetée. Ainsi, contrairement aux interprétations typologiques proposées alors (Straus, 1995), il n’y a pas d’artefact caractéristique de l’Aurignacien dans cet ensemble, ni pièce carénée, ni lamelle Dufour. Presque toute la collection correspond à une typologie et une technologie compatibles avec une industrie du Paléolithique moyen (figure 2) ; seuls quelques éléments (30 sur 2319 artefacts) pouvant éventuellement se rattacher au Paléolithique supérieur (fragments de lamelles, de lames légères, une lame à crête), sans être pour autant diagnostiques de l’Aurignacien. En outre, parmi ces éléments, un fragment mésial de pièce pédonculée, similaire aux pointes de la Font-Robert provenant des fouilles précédentes (Otte, 1979), se rapporte probablement au Gravettien. Par ailleurs, la plupart des artefacts du stratum 3 montrent un endommagement important (bords ébréchés, surfaces émoussées) trahissant un remaniement post-dépositionnel conséquent. Également, une intrusion d’éléments encore plus récents, mise en évidence par la présence de scories métalliques, a affecté certaines zones de cette couche sans doute par l’entremise de bioturbations. Ces observations permettent de proposer que cet ensemble corresponde plus probablement à un matériel moustérien, éventuellement remanié vu son endommagement important, comprenant quelques éléments intrusifs (notamment une pièce gravettienne). L’ossement daté vers 40000 BP n’est alors pas incohérent avec le matériel lithique mais il ne peut néanmoins être utilisé pour dater l’occupation moustérienne étant donné le remaniement apparent des dépôts.

Figure 2 - Trou Magrite, stratum 3.

Figure 2 - Trou Magrite, stratum 3.

1 : racloir ; 2 : racloir (classé comme grattoir à museau par L. Straus) ; 3 : fragment de racloir

d’après Straus, 1995

7Ce travail vient donc confirmer les doutes auparavant exprimés quant à la nature aurignacienne de cet ensemble et remettre en cause la présence de ce complexe à une période aussi ancienne dans le Nord-Ouest de l’Europe. Cette dernière question n’est pas sans importance en raison des hypothèses récemment avancées à la suite de la nouvelle estimation chronologique des restes humains provenant de Kent’s Cavern en Angleterre (Higham et al., 2011a). D’après ces travaux, se basant uniquement sur un modèle bayésien établi à partir de datations radiocarbones de restes fauniques, le fragment de maxillaire d’anatomie moderne découvert dans cette grotte pendant les années 1920 serait plus vieux que ~37000 BP et correspondrait à une diffusion du complexe aurignacien dans les îles Britanniques dès cette période. Cependant, le contexte stratigraphique de cette découverte n’est absolument pas fiable (Flas, 2013 ; White, Pettitt, 2012) ; des remontages de fragments d’une lame ayant notamment démontré le caractère remanié de ces dépôts. En outre, aucune occupation aurignacienne aussi ancienne n’est connue en Grande-Bretagne où ce complexe n’est identifié que dans une phase nettement plus récente (Dinnis, 2012).

8L’absence d’un Aurignacien très ancien dans le Nord-Ouest de l’Europe est, en outre, cohérente avec les données indiquant une présence à cette période d’un autre complexe dans cette région, le Lincombien-Ranisien-Jerzmanowicien, et le maintien de la population néandertalienne jusqu’aux environs de 36000 BP à la grotte de Spy (Flas, 2014 ; Semal et al., 2013).

2 - Du Proto-Aurignacien au Nord d’Arcy-sur-Cure ?

9Dans certaines séquences stratigraphiques du Sud-Ouest de la France, des ensembles à lamelles retouchées présents sous des niveaux aurignaciens ont d’abord été classés comme "Périgordien II" par Denis Peyrony (1946). Plus tard, les similitudes avec le complexe aurignacien ont été prises en compte et ces ensembles ont été qualifiés de "Proto-Aurignacien" par Georges Laplace (1966). Mais ce concept fut ensuite peu utilisé et certains de ces ensembles à lamelles retouchées furent réunis avec d’autres, parfois hétérogènes, sous diverses appellations, notamment celle d’"Aurignacien 0" (Djindjian, 1993). Récemment, le renouveau des approches technologiques des industries lithiques aurignaciennes a confirmé les différences entre le Proto-Aurignacien et l’Aurignacien ancien (ou Aurignacien I) en particulier en ce qui concerne la typologie des lamelles retouchées et les rapports techniques entre les productions lamellaires et laminaires (Bon, 2002 ; Bordes, 2006). Les mêmes différences observées dans les ensembles français ont également été reconnues en Europe centrale (Teyssandier, 2008) où l’Aurignacien de type "Krems-Dufour" auparavant défini par Joachim Hahn (1977) correspond en partie au Proto-Aurignacien. Ces ensembles à grandes lamelles retouchées du début du Paléolithique supérieur participent d’un phénomène large reconnu du Nord de l’Espagne jusqu’aux Balkans et présentant des similitudes avec certaines industries du Proche-Orient (Tsanova et al., 2012). Dans le cadre européen, la répartition géographique du Proto-Aurignacien apparaît donc méridionale et son point d’extension le plus septentrional est la Grotte du Renne à Arcy-sur-Cure, où la couche VII a en effet livré un riche ensemble Proto-Aurignacien (Bon, Bodu, 2002).

10Souvent considérée comme la première phase du complexe aurignacien, la présence de ce Proto-Aurignacien dans les régions du Nord-Ouest de l’Europe serait un élément particulièrement important pour les discussions concernant les processus de transition du Paléolithique moyen au Paléolithique supérieur et de la diffusion de l’Homme moderne dans ces régions. Cependant, la présence de grandes lamelles Dufour dans quelques ensembles lithiques du bassin mosan n’avait été que très peu soulignée auparavant (Otte, 1979). Lors de la révision récente du matériel de la grotte de Spy, deux fragments de lamelles Dufour, longues et rectilignes, similaires aux pièces proto-aurignaciennes, ont été reconnues (Flas et al., 2013). Des pièces équivalentes ont, en outre, été identifiées dans d’autres collections : Goyet, Abri Sandron, Trou du Chêne (Otte, 1979), grotte Scladina (Otte, 1998), Franquenies (figure 3). Mais, dans tous les cas, ces pièces n’ont pas de contexte stratigraphique précis et rien ne permet d’assurer qu’elles proviennent d’une occupation du début du Paléolithique supérieur. Le travail sur les collections ayant livré de telles lamelles à retouche inverse doit se poursuivre mais la plus grande prudence s’impose en raison des risques de confusion avec des pièces du Paléolithique supérieur récent pour ces rares éléments sans cadre stratigraphique et chronologique bien établi. En effet, des lamelles à retouche inverse similaires sont connues au Magdalénien final du Nord de la France (Valentin, 1995) et de Belgique (Dewez, 1987).

Figure 3 - Fragments de lamelles rectilignes à retouche inverse sur le bord droit, similaires aux lamelles Dufour du Proto-Aurignacien.

Figure 3 - Fragments de lamelles rectilignes à retouche inverse sur le bord droit, similaires aux lamelles Dufour du Proto-Aurignacien.

1-2 : grotte de Spy ; 3 : Trou du Chêne

1-2 : d’après Flas et al., 2013) ; 3 : d’après Otte, 1979

11Affirmer une présence du Proto-Aurignacien dans le bassin mosan sur base de ces quelques artefacts est pour l’instant prématuré. L’existence de ces pièces invite néanmoins à se montrer attentif car d’autres ensembles du Nord-Ouest de l’Europe pourrait indiquer une présence proto-aurignacienne plus septentrionale. C’est en particulier le cas du gisement de Beg-ar-C’hastel, sur la côte Nord de la Bretagne, qui a livré un ensemble marqué notamment par l’importance des lamelles Dufour évoquant fortement le Proto-Aurignacien, ici dans un contexte stratigraphique précédant le dernier maximum glaciaire (Giot et al., 1975 ; Hinguant, Monnier, 2013). Quoi qu’il en soit, si le Proto-Aurignacien s’est étendu au Nord du bassin parisien, cela n’a probablement pu se faire qu’à une période contemporaine des ensembles proto-aurignaciens les plus septentrionaux actuellement connus, entre ca. 36 et 34000 BP (couche VII de la Grotte du Renne, unité 04 inférieur des Cottés ; Higham et al., 2010 ; Hublin et al., 2012 ; Talamo et al., 2012).

3 - Proposition de séquence chrono-culturelle de l’Aurignacien du bassin mosan

A - L’Aurignacien ancien à pointes à base fendue

12Au contraire du Proto-Aurignacien, la présence d’occupations attribuables à l’Aurignacien ancien apparaît vraisemblable. Cependant, elle ne repose pour l’instant sur aucune occupation homogène ni niveau archéologique clairement identifié ; il s’agit toujours d’artefacts provenant de collections plus larges dans lesquelles différents complexes et probablement différentes phases de l’Aurignacien sont mélangés. Les comparaisons avec des industries homogènes permettent néanmoins de reconnaître dans ces ensembles hétérogènes une composante correspondant à l’Aurignacien ancien. La présence de grattoirs carénés à front large à partir desquels ont été produites des lamelles courbes de plus de 2 cm de longueur, dont certaines sont retouchées en lamelles Dufour sous-type Dufour, évoquent ainsi ce qui est connu à l’Aurignacien ancien dans d’autres régions (Bon, 2002 ; Bordes, 2006 ; Chiotti, 2003 ; Le Brun-Ricalens, 2005 ; Pelegrin, O’Farrell, 2005 ; Teyssandier, 2008). En outre, plusieurs grottes du bassin mosan ont livré des pointes de sagaies à base fendue. Le lien strict entre ce type de pointe osseuse et l’Aurignacien ancien peut être discuté, en particulier sa présence éventuelle dans des ensembles relevant du Proto-Aurignacien (Ortega Cobos et al., 2005 ; Tartar, White, 2013). Cependant, à notre connaissance, aucune pointe de sagaie à base fendue n’existe dans des occupations homogènes plus récentes que l’Aurignacien ancien. Il apparaît donc que les quelques pointes à base fendue du bassin mosan peuvent être tout à fait cohérentes avec les éléments lithiques précédemment décrits et correspondent le plus probablement à des occupations de l’Aurignacien ancien. Ces traces les plus anciennes du complexe aurignacien dans cette région sont identifiées dans plusieurs grottes : Spy (Flas et al., 2013), Goyet, Trou Magrite, Trou du Sureau et Trou Al’Wesse (Otte, 1979) (figure 4).

Figure 4 - Éléments attribuables à l’Aurignacien ancien.

Figure 4 - Éléments attribuables à l’Aurignacien ancien.

1 : grattoir caréné (grotte de Spy) ; 2, 6-7 : pointes à base fendue (2, 6 : grotte de Spy ; 7 : Trou du Sureau) ; 3-5 : lamelles Dufour (sous-type Dufour), grottes de Spy

1-5 : d’après Flas et al., 2013 ; 6-7 : d’après Otte, 1979

13Étant donné l’hétérogénéité des ensembles concernés, cette phase est difficile à dater directement. Au Trou Al’Wesse, un outil en os récemment découvert a été daté à 33600±550 BP (OxA-19969 ; Miller et al., 2011) et pourrait hypothétiquement correspondre aux éléments de l’Aurignacien ancien découverts précédemment (Otte, 1979). À Spy, un fragment de pointe osseuse, très probablement une pointe de sagaie à base fendue en bois de renne, a été daté à 32800+200/-190 BP (GrA-32619), résultat toutefois probablement rajeuni (C/N ratio=3,6 ; Semal et al., 2013). Proche du basin mosan belge, le site de plein-air de Lommersum (Rhénanie) a livré une occupation dont la production lamellaire semble proche de l’Aurignacien ancien et qui a été daté entre ca. 35 et 33000 BP (Hahn, 1989 ; Matthies, 2012). C’est jusqu’à présent l’occupation aurignacienne la plus ancienne reconnue dans ces régions septentrionales.

14Ces données chronologiques sont également cohérentes avec les datations réalisées pour des ensembles à pointes à base fendue en France, comme à l’Abri Pataud couches 14 à 9, de ca. 35000 à 33500 (Higham et al., 2011b), à l’Abri Castanet de ca. 33 à 32000 BP (White et al., 2012) et au Trou de la Mère Clochette entre ca. 35500 et 33500 BP (Szmidt et al., 2010).

B - L’Aurignacien moyen à grattoirs à museau

15Dans les séquences du Sud-Ouest de la France, entre l’Aurignacien ancien "classique" et l’Aurignacien récent à burin carénés (burins busqués, burins des Vachons), on rencontre souvent des niveaux marqués par la prédominance des grattoirs carénés "à museau", nucléus ayant livré des lamelles souvent torses et de plus petites dimensions qu’à la phase précédente (Bordes, 2005, 2006 ; Chiotti, 2003 ; Michel, 2010). Ces éléments sont présents en grand nombre dans les ensembles aurignaciens belges (figure 5). Ils constituent ainsi la grande majorité des pièces carénées observées lors de la récente révision des collections de la grotte de Spy (Flas et al., 2013). Ils sont également abondants dans de nombreux autres ensembles, notamment au Trou Magrite, à Goyet, à la Grotte de la Princesse Pauline et au Trou du Diable (Otte, 1979). Cependant, cette phase n’apparaît jamais dans des ensembles homogènes et chronologiquement situés. Un des rares ensembles qui pourrait avoir livré une série de l’Aurignacien moyen peu contaminée par d’autres phases du même complexe est celle du Grand-Abri à Ben-Ahin (Destexhe-Jamotte, 1973) dont une datation directe du matériel osseux pourrait éventuellement éclairer la chronologie de cette phase dans le bassin mosan. Par comparaison, dans la séquence de l’Abri Pataud (couche 8), cette phase moyenne du complexe aurignacien a récemment été datée vers 33000 BP (Higham et al., 2011b).

Figure 5 - Grattoirs à museau.

Figure 5 - Grattoirs à museau.

1-3 : grotte de Spy ; 4-6 : Grand-Abri (ou grotte de la Cave, Ben-Ahin)

1-3 : d’après Flas et al., 2013 ; 4-6 : d’après Destexhe-Jamotte, 1973

C - L’Aurignacien récent à burins carénés

16Dans les séquences aquitaines, les niveaux aurignaciens les plus récents voient le développement des nucléus de types "burins carénés", en particulier des burins busqués et des burins des Vachons (Bordes, Lenoble, 2002 ; Chiotti, 2003 ; Lucas, 1997 ; Michel, 2010 ; Pesesse, Michel, 2006). Des technologies tout à fait similaires ont également été reconnues en Belgique et qui montrent, une fois de plus, la force des liens unissant différentes régions d’Europe lors de la période aurignacienne (figure 6). Ainsi à Maisières-Canal, la couche NB a révélé une brève occupation correspondant essentiellement à des activités de débitage et qui a livré une série de burins busqués, ainsi que des lamelles Dufour sous-type Roc-de-Combe, identiques à ceux décrits dans les ensembles du Sud-Ouest (Flas et al., 2006). Grâce à l’étude très détaillée de la séquence chrono-stratigraphique du site (Haesaerts, 2004), on peut très probablement situer cette couche NB à l’Interstade d’Huneborg II, daté vers 32500 BP (van der Hammen, 1995).

Figure 6 - Maisières-Canal, couche NB, production lamellaire sur burins busqués.

Figure 6 - Maisières-Canal, couche NB, production lamellaire sur burins busqués.

1 : burin busqué et les produits et sous-produits de la production lamellaire ; 2 : remontage d’un burin busqué, d’une chute de burin/tablette et d’un éclat de ravivage d’encoche limitant la longueur des produits lamellaires ; 3 : lamelles Dufour (sous-type Roc-de-Combe), les zones retouchées sont soulignées

d’après Flas et al., 2006

17Un autre ensemble restreint mais apparemment homogène provient de la couche CI-1 du Trou Walou. Il est marqué par la présence de burins carénés et a également livré une sagaie losangique à base massive ainsi que des éléments de parure (Dewez, 1993). La chronostratigraphie et une date radiocarbone réalisée anciennement [29800±760 BP] (Lv-1587) sur charbon de bois] conduisent à une estimation de l’occupation vers 30000 BP (Pirson et al., 2011a, 2011b), toujours cohérente avec cette phase récente de l’Aurignacien. Un autre ensemble restreint dominé par les burins carénés et busqués, accompagné de lamelles Dufour sous-type Roc-de-Combe, est celui du Trou du Renard (Otte, 1976), hypothétiquement daté vers 28000 BP (Flas, 2005) mais où des mélanges avec des périodes plus récentes (Paléolithique supérieur récent, Holocène ?) ne sont pas à exclure (Dinnis, Flas, travail en cours). Les burins carénés et busqués sont aussi présents dans les ensembles aurignaciens hétérogènes de Spy, du Trou Magrite, de Goyet et de Fonds-de-Forêt (Otte, 1979).

18Les burins des Vachons, relevant probablement de la phase finale de l’Aurignacien, en tout cas dans les séquences du Sud-Ouest (Pesesse, Michel, 2006), sont également connus en quelques exemplaires dans les séries belges, notamment à Spy (Flas et al., 2013), Goyet et Trou Magrite (Flas, travaux en cours). On peut également mentionner des "burins de Paviland" provenant des trois mêmes sites, pièces similaires à celles identifiées dans certains ensembles britanniques et qui s’intègrent très probablement à la phase récente de l’Aurignacien (Dinnis, 2011 ; Flas et al., 2013).

19La chronologie de la fin de l’Aurignacien dans le bassin mosan n’est pas claire en raison des datations peu fiables obtenues au Trou du Renard et de l’absence de données chronologiques pour les ensembles à burins des Vachons et à "burins de Paviland". Dans les séquences aquitaines, l’Aurignacien à burins busqués est daté entre ca. 33 et 32000 BP à l’Abri Pataud et précéde la phase à burins des Vachons (Chiotti, 2003 ; Higham et al., 2011b ; Michel, 2010). Ces données sont cohérentes avec les rares éléments chronologiques fiables pour les occupations aurignaciennes britanniques (Dinnis, 2012) et belges où les mêmes technologies sont observées, entre ca. 33 et 30000 BP. À partir de 28000 BP, un autre complexe est présent, le Maisiérien, caractérisé par la présence de pièces pédonculées présentant des analogies avec les pointes de la Font-Robert du Gravettien ancien et une technologie très différente de celle de l’Aurignacien (Pesesse, Flas, 2012).

4 - La place des productions symboliques

20Si les éléments symboliques (parure, statuette, gravure sur matière osseuse) attribués à l’Aurignacien sont relativement nombreux dans le bassin mosan (Dewez, 1985 ; Otte, 1979 ; Lejeune, 1987), il n’y a, cependant, qu’un seul ensemble probablement homogène, la couche CI-1 du Trou Walou, ayant livré de telles productions symboliques, sous la forme de deux dents de cervidé perforées et d’un os de renne gravé d’incisions régulières (Dewez, 1993).

21Dans d’autres contextes stratigraphiques moins fiables, il apparaît néanmoins que l’association d’une production symbolique avec les occupations aurignaciennes est probable. Mais au sein de ces ensembles mélangeant probablement différentes phases de l’Aurignacien, il est impossible de les relier à une phase particulière (ancienne, moyenne ou récente) de ce complexe. C’est notamment le cas à Spy et à la Grotte de la Princesse Pauline (Otte, 1979). À Spy, des pendeloques ocrées en ivoire en "forme d’oreilles", des perles sphériques en ivoire (accompagnées de tous les stades de production depuis les bâtonnets d’ivoire brut jusqu’au produits finis), des anneaux en ivoire, de nombreuses dents animales perforées (renard, cervidé) et des tubes en os décorés d’incisions régulières sont ainsi attribués aux occupations aurignaciennes (Otte, 1974 ; White, 1995 ; Khlopatchev, 2013). À la grotte de la Princesse Pauline, on retrouve, outre des dents animales perforées, une pendeloque en bois de renne et un anneau en ivoire décoré d’incisions (Otte, 1979). Les anneaux en ivoire de Spy et de la Grotte de la Princesse Pauline ont souvent été comparés avec des pièces provenant d’autres sites, tel Paviland Cave, Bockstein-Törle et Arcy-sur-Cure (Otte, 1979 ; White, 2002). Certaines des perles en ivoire et des tubes en os décorés de Spy montrent également des analogies avec des éléments de parure de l’Aurignacien des Cottés (Rigaud et al., 2014).

22Dans d’autres sites, comme le Trou Magrite et Goyet, l’association des éléments symboliques avec les occupations aurignaciennes doit être considérée avec beaucoup de prudence. Certains éléments, notamment des perles et des fragments d’anneaux en ivoire apparaissent similaires à ceux déjà mentionnés dans les autres sites ; leur attribution à l’Aurignacien paraît plausible. Mais d’autres éléments sont plus difficiles à attribuer, notamment la statuette anthropomorphe du Trou Magrite (Otte, 1979 ; Dewez, 1985), d’autant plus si l’on considère les mélanges avérés avec du matériel gravettien et magdalénien.

Conclusion

23L’Aurignacien du bassin mosan est le seul du Nord de l’Europe qui, par son abondance, permet des comparaisons avec d’autres régions, tels l’Aquitaine et le Jura souabe. Néanmoins, par manque de précision et de fiabilité, les travaux anciens ne nous ont livré que des ensembles souvent hétérogènes, laissant un caractère hypothétique aux propositions esquissées ici.

24Contrairement à ce qui a parfois été avancé à propos de Kent’s Cavern ou du Trou Magrite, aucun ensemble de ces régions ne peut être attribué à l’Aurignacien entre 40 et 35000 BP. C’est le complexe Lincombien-Ranisien-Jerzmanowicien qui est présent à cette période et qui est plus probablement l’œuvre des dernières populations néandertaliennes de la région. Par ailleurs, des occupations proto-aurignaciennes, probablement plus récentes que 36000 BP, restent trop hypothétiques dans l’état actuel des données ; la seule possibilité forte étant l’ensemble de Beg-ar-C’hastel.

25Par contre, à partir de 35000 BP, comme l’indique les datations de Lommersum, des occupations attribuables à l’Aurignacien ancien sont très probables, sur base d’éléments lithiques et de la présence de pointes de sagaies à base fendue dans plusieurs sites du bassin mosan. Ensuite, le complexe aurignacien semble montrer une évolution de la technologie lamellaire suivant une trajectoire parallèle à celle décrite dans le Sud-Ouest français : développement des grattoirs carénés à front étroit (notamment "à museaux") puis passage, après 33000 BP, aux différentes formes de burins carénés, dont les burins busqués et burins des Vachons. La chronologie de la fin de l’Aurignacien dans le Nord-Ouest de l’Europe n’est pas clairement établie, l’existence d’un hiatus avant le développement de la phase suivante, le Maisiérien, vers 28000 BP, ne peut être exclue.

26Si le complexe aurignacien semble se structurer entre différentes régions européennes, entre lesquelles les occupations apparaissent plus rares, à l’image d’un archipel constitué de différents îlots, ces régions sont bien connectées par des contacts, des circulations d’idées, des flux de populations. Ces connections sont notamment visibles par la diffusion très large de certaines pratiques techniques, telle la pointe de sagaie à base fendue dans la phase ancienne, ou la production de lamelles Dufour sous-type Roc-de-Combe à partir de burins busqués à la phase récente, unifiant de manière très claire différente régions d’Europe occidentale (Aquitaine, bassin mosan, Grande-Bretagne). Les circulations de matière première indiquent également des réseaux étendus et des parcours trans-régionaux (Le Brun-Ricalens, Bordes, 2007). En outre, la similitude de certains éléments de parure entre le bassin mosan et le Jura souabe ou le Sud-Ouest français (Khlopachev, 2013 ; Rigaud et al., 2014 ; Vanhaeren, d’Errico, 2006) attestent clairement de la force des liens reliant les différentes régions de l’Aurignacien européen, à l’inverse de ce qui est observé auparavant lorsque des complexes très différents et sans contact apparent divisaient l’Europe (Châtelperronien, Lincombien-Ranisien-Jerzmanowicien, Uluzzien, Szélétien, pour n’en citer que quelques-uns).

27Cependant, il ne faut pas masquer les différences qui existent également entre les régions européennes au risque de faire de l’Aurignacien une entité monolithique qu’il n’est pas (Liolios, Teyssandier, 2008). Car si des similitudes très fortes relient certaines régions lors de certaines phases, ces connections sont variables et ont probablement évolués au cours de l’histoire de ce complexe, avec des phénomènes de régionalisation peut-être plus marqués à certaines périodes (où sont les burins busqués à l’Est du Rhin ?, Flas et al., 2006). À cet égard, même des collections anciennes et peu homogènes comme celles de l’Aurignacien du bassin mosan permettent d’aborder ces questions et d’éclairer l’histoire de ce complexe.

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Notes

1 Toutes les datations mentionnées sont en chronologie radiocarbone non calibrée.

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Table des illustrations

Titre Figure 1 - Les principaux sites mentionnés dans le texte.
Crédits DAO : D. Flas, F. Tessier
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/730/img-1.png
Fichier image/png, 710k
Titre Figure 2 - Trou Magrite, stratum 3.
Légende 1 : racloir ; 2 : racloir (classé comme grattoir à museau par L. Straus) ; 3 : fragment de racloir
Crédits d’après Straus, 1995
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/730/img-2.png
Fichier image/png, 187k
Titre Figure 3 - Fragments de lamelles rectilignes à retouche inverse sur le bord droit, similaires aux lamelles Dufour du Proto-Aurignacien.
Légende 1-2 : grotte de Spy ; 3 : Trou du Chêne
Crédits 1-2 : d’après Flas et al., 2013) ; 3 : d’après Otte, 1979
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/730/img-3.png
Fichier image/png, 72k
Titre Figure 4 - Éléments attribuables à l’Aurignacien ancien.
Légende 1 : grattoir caréné (grotte de Spy) ; 2, 6-7 : pointes à base fendue (2, 6 : grotte de Spy ; 7 : Trou du Sureau) ; 3-5 : lamelles Dufour (sous-type Dufour), grottes de Spy
Crédits 1-5 : d’après Flas et al., 2013 ; 6-7 : d’après Otte, 1979
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/730/img-4.png
Fichier image/png, 383k
Titre Figure 5 - Grattoirs à museau.
Légende 1-3 : grotte de Spy ; 4-6 : Grand-Abri (ou grotte de la Cave, Ben-Ahin)
Crédits 1-3 : d’après Flas et al., 2013 ; 4-6 : d’après Destexhe-Jamotte, 1973
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/730/img-5.png
Fichier image/png, 374k
Titre Figure 6 - Maisières-Canal, couche NB, production lamellaire sur burins busqués.
Légende 1 : burin busqué et les produits et sous-produits de la production lamellaire ; 2 : remontage d’un burin busqué, d’une chute de burin/tablette et d’un éclat de ravivage d’encoche limitant la longueur des produits lamellaires ; 3 : lamelles Dufour (sous-type Roc-de-Combe), les zones retouchées sont soulignées
Crédits d’après Flas et al., 2006
URL http://journals.openedition.org/palethnologie/docannexe/image/730/img-6.png
Fichier image/png, 378k
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Pour citer cet article

Référence électronique

Damien Flas, « La séquence chrono-culturelle des ensembles belges dans le cadre de l’Aurignacien européen »Palethnologie [En ligne], 7 | 2015, mis en ligne le 12 décembre 2015, consulté le 22 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/palethnologie/730 ; DOI : https://doi.org/10.4000/palethnologie.730

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Auteur

Damien Flas

UMR 5608 - TRACES, Maison de la recherche
Université Toulouse Jean Jaurès, Campus Mirail
damienflas[at]yahoo.com

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Droits d’auteur

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