Mithriaca
Siemers-Klenner, Ines ,Archäologie des Mithraskultes. Architektur und Kultpraxis am Beispiel der Tempel von Güglingen, Kreis Heilbronn
McCarty, Matthew M. et Egri, Mariana (éd.), The Archaeology of Mithraism: New Finds and Approaches to Mithras-Worship, Babesch Supplements 39, Leuven-Paris, Peeters, 2020, VIII-218 p., ISBN-13 : 978- 9042943520.
Siemers-Klenner, Ines ,Archäologie des Mithraskultes. Architektur und Kultpraxis am Beispiel der Tempel von Güglingen, Kreis Heilbronn, Forschungen und Berichte zur Archäologie in Baden-Wurttemberg 16, Wiesbaden, Reichert Verlag, 2020, 454 p., ISBN-13 : 978-3954904457.
Texte intégral
1Longtemps – trop longtemps ? –, les recherches menées sur le culte du dieu Mithra dans l’Empire romain entre le ier et le ive siècle de notre ère se sont appuyées essentiellement sur quelques rares textes littéraires, d’obédience néo-platonicienne ou chrétienne, sans toujours observer la prudence méthodologique requise pour mobiliser dans l’explication du fonctionnement d’un culte polythéiste les constructions rhétoriques et polémiques d’auteurs n’ayant certainement jamais eu la moindre connaissance personnelle directe du culte en question. Dans le même temps, le long xxe siècle a vu croître considérablement en nombre les sources épigraphiques relatives à Mithra et à son culte. Ce sont aujourd’hui plus d’un millier d’inscriptions qui nous font connaître les noms d’environ 1100 adeptes. Ce total impressionnant masque toutefois le caractère minimaliste de la plupart des textes, qui consistent dans leur très grande majorité en des dédicaces très courtes se contentant le plus souvent de livrer le nom du dieu et celui du dédicant. Les inscriptions honorifiques sont rares, les textes funéraires de quelques unités et les écrits liturgiques inexistants.
2Une part importante de ces dédicaces accompagne toutefois les monuments offerts par les adeptes, conditionnant les catalogues constitués par les savants pour étayer leurs travaux. Franz Cumont déjà, en 1896-1899, avait donné comme titre à son recueil fondateur Textes et monuments figurés. Épigraphie et iconographie s’y révélaient quasi-inséparables, parfois jusqu’à l’excès, un texte n’étant pas nécessairement la légende d’un relief et une fresque guère davantage l’illustration d’un écrit. Depuis la publication séminale du savant belge, les découvertes se sont multipliées et l’on connaît, par exemple, plus de 700 reliefs et rondes-bosses, complets ou fragmentaires, figurant la scène centrale de la mise à mort du taureau par Mithra. La localisation particulière des mithréums, à l’abri des regards extérieurs, leur structure aisément confinable les ont parfois conduits à être remblayés et oubliés, ce qui a permis la découverte d’une très riche iconographie peinte, aussi précieuse qu’originale.
3Pour autant, l’archéologie avait bien plus à offrir que des recueils de textes et de sculptures. À l’heure actuelle, ce ne sont pas moins de 130 lieux de culte mithriaque qui sont attestés physiquement. Chaque année passant en révèle de nouveaux, désormais fouillés et analysés avec toute l’expertise souhaitée. L’instrumentum, longtemps laissé pour compte, à tel point que nombre d’inscriptions gravées, par exemple, sur la vaisselle n’ont jamais été enregistrées par les recueils épigraphiques et, par la suite, n’ont guère nourri les réflexions des historiens, prend une place non négligeable dans la recherche récente. Les nouvelles disciplines de l’archéologie (archéozoologie, palynologie, carpologie, archéologie du geste) mais aussi de la culture visuelle (glyptique, céramologie, lychnologie et, plus rarement, s’agissant d’un culte non public, la numismatique) sont autant de disciplines qu’il s’agit d’interroger de manière croisée pour mieux saisir les realia d’un culte trop longtemps cantonné dans les études à ses aspects théologiques, mystériques et initiatiques.
4Le volume très joliment édité par Matthew McCarty et Mariana Egri en est la plus belle preuve. Ces Actes d’un colloque organisé en 2017 à Alba Iulia, en Roumanie, l’ancienne Apulum, en Dacie, qui a livré plusieurs mithréums, présentent une masse considérable d’éléments d’information, souvent de première main, sur douze lieux de culte de Mithra, depuis Inveresk, en Écosse, jusqu’à Hawarté, en Syrie, en passant par Angers, Mariana en Corse, Kempraten en Suisse ou encore Tienen en Belgique. Tienen dont la découverte avait donné naissance à la première rencontre du genre, publiée en 2004 par les soins de Marleen Martens et Guy De Boe sous le titre programmatique Roman Mithraism : the Evidence of the Small Finds.
5On trouvera dans ce nouveau volume de très riches contributions, le plus souvent fort bien illustrées et nourries de données des plus utiles sur des sanctuaires fouillés durant ces deux dernières décennies, mais aussi sur des sites connus depuis plus longtemps, mais jamais publiés comme ils auraient dû l’être (Doura-Europos, Ostie). Cette masse documentaire entend apporter de premiers éléments de réponse aux questions nombreuses posées par les éditeurs dans une introduction courte mais très stimulante. Après des décennies passées à interroger les aspects mystériques, ésotériques, eschatologiques, astronomiques etc. du culte de Mithra, sans que de claires réponses aient finalement pu être apportées, les interrogations se sont recentrées sur le culte lui-même, ceux qui le pratiquaient et la manière dont ils le faisaient. Quels étaient les espaces du culte ? les temps du culte ? qui étaient les intervenants ? quel était leur rôle ? quels rituels étaient accomplis ? quelles mises en scène étaient élaborées ? comment les banquets étaient-ils préparés, organisés et où ?
6Le croisement des données présentées dans les diverses contributions fait apparaître des variations locales, des réalités topographiques et géographiques, ethniques, sociales, architecturales différentes d’un site à un autre, parfois même d’un mithréum à un autre, quand bien même ils auraient été aménagés dans la même agglomération. Variations chronologiques, spatiales et humaines semblent être les maîtres mots qui ressortent d’un tel volume qui doit se lire et s’appréhender dans toute sa complexité.
7On pourra alors regretter qu’ici et là reparaissent des travers que l’on aurait pu penser avoir été remisés au placard de l’historiographie, à commencer par l’emploi du terme Mithraism, qui implique une vision structurellement et conceptuellement unitaire du culte romain de Mithra et qui convient décidément bien peu aux facettes multiples de pratiques si fortement autonomes d’une communauté à l’autre. On restera également circonspect sur un certain nombre d’interprétations proposées, qui trop souvent cherchent à faire coïncider la documentation avec des modèles pré-établis dont il est difficile d’évaluer la pertinence, tant ils sont peu étayés. Ainsi, la notion de réseau, très présente, demande à être largement approfondie pour prouver sa pertinence. Ou pas.
8De même, l’analyse proposée pour les restes picturaux du mithréum de Caesarea Maritima, qui s’appuient, selon un procédé traditionnel quelque peu imprudent, sur les fresques de Capua Vetere et divers passages littéraires chrétiens, n’emporte pas l’adhésion. L’explication, comme souvent, est plus simple, comme on pourra le lire dans le catalogue de l’exposition Le mystère Mithra. Plongée au cœur d’un culte romain, présentée en 2021-2023 aux musées de Mariemont, de Toulouse et Francfort s/Main. L’un dans l’autre, le volume apporte moins de réponses qu’il ne pose de questions. Mais les poser, déjà, n’est pas son moindre mérite.
9Il faut en tous cas remercier tous les savants qui ont contribué à ce très beau volume d’avoir mis à la disposition du monde scientifique un ensemble de données tout à fait remarquable.
10C’est dans cette même dynamique de publication du résultat de fouilles récemment menées sur un (en l’occurrence ici deux) mithréum(s) que s’inscrit le volume proposé par Ines Siemers-Klenner. Le présent ouvrage est la version remaniée d’une dissertation de même titre soutenue à l’Université de Hambourg en 2014, consultable en ligne https://ediss.sub.uni-hamburg.de/handle/ediss/6000.
11L’auteur nous offre une analyse méthodique et approfondie de ces deux lieux de culte sis dans le vicus romain de Güglingen, en Germanie Supérieure, qui se trouvait au carrefour de deux voies de communication importantes (routière et fluviale) et bénéficiait très probablement d’un point de passage à gué. Le commerce, l’artisanat et les services étaient les fondements économiques de cette petite colonie humaine, sur le territoire de laquelle ont été mis au jour, en 1999 et 2003, deux mithréums. Le premier a été fondé dès le début du iie siècle (vers 115-125), en même temps que la communauté villageoise. Les dimensions de ce premier temple (mithréum II, Phase 1), assez modestes au départ, lui permettaient d’accueillir probablement une douzaine d’adeptes participant aux banquets collectifs. Quelques années plus tard, au milieu de ce même iie siècle, le temple fut agrandi à l’occasion d’une restauration/reconstruction. Un second temple (mithréum I), situé à seulement 130 m du premier, fut bâti dans le cadre du même programme de construction. Compte tenu de sa taille, ce sont donc au minimum 40 personnes qui pouvaient prendre part au culte, dans l’une ou l’autre des deux communautés, qui fonctionnèrent simultanément un siècle durant. En se fondant sur le fait que le vicus était composé de 40 à 50 habitations, on peut supposer que la plupart des familles étaient, d’une manière ou d’une autre, investies dans l’une ou l’autre des deux congrégations – voire les deux, même si cela semble moins probable –, tout en admettant que certains adeptes aient pu venir des villae rusticae voisines. Quoi qu’il en soit, à Güglingen, dans la seconde moitié du iie siècle, une bonne partie de la communauté villageoise était impliquée dans les cultes de Mithra.
12Le mithréum II de Güglingen, était une construction en bois avec un toit de tuiles, qui fut en activité jusqu’au milieu du iiie siècle. Bien que la majorité des monuments de pierre restés dans la zone de l’autel aient survécu presque indemnes, protégés par la toiture qui s’était effondrée sur eux, une analyse détaillée des vestiges archéologiques montre que le temple fut partiellement pillé avant d’être détruit par le feu. Le même sort semble avoir été réservé au mithréum I, une construction en pierres qui fut elle aussi ravagée par un incendie avant de servir de carrière au Moyen-Âge. Ces destructions ont probablement eu lieu vers 230/240 ce qui, au stade actuel des recherches, semble être également le moment où une grande partie de la population résidente a quitté le vicus. Il est possible qu’à Güglingen les affrontements qui ont précédé la chute du limes soient à l’origine des destructions observées.
13Il est probable que face à l’accroissement rapide du nombre d’adeptes, lorsque les aménagements intérieurs ne furent plus suffisants pour les accueillir tous, on choisit sans doute, plutôt que de scinder la communauté en plusieurs groupes participant à des cérémonies à des dates différentes, de construire ou d’aménager un nouveau bâtiment plutôt que d’agrandir le premier. Ni l’un ni l’autre ne semblent avoir été entourés d’une palissade ou d’un mur. Les espaces environnant les temples leur étaient toutefois associés. L’infrastructure préservée du complexe cultuel du mithréum II se composait ainsi d’une latrine, d’un puits et d’une citerne, tandis qu’une fosse-dépotoir et un déversoir étaient connectés au mithréum I.
14Dans le mithréum II, l’intérieur du speleum était recouvert de peintures. Celles qui ornaient les murs suggèrent l’existence de panneaux imagés, mais leur état les rend hélas difficilement identifiables. En revanche, fait quasi unique dans les provinces du nord-ouest de l’Empire, le plafond peint est fort bien conservé. Il ne s’agit en rien d’un ciel étoilé, cosmique, mais d’un plafond à caissons inspiré des tendances de l’architecture profane de l’époque, soulignant le caractère fondamental de salle à manger de la pièce principale du mithréum. Les plafonds à caissons peints de ce mithréum, les parois polychromes, aux tracés linéaires, des mithréums de Koenisgshoffen, en Germanie Supérieure, et de la Casa di Diana à Ostie, le décor géométrique du mithréum de Szombathely (la Colonia Claudia Savaria, en Pannonie) étaient sans doute plus fréquents que les fresques spectaculaires de Santa Prisca, Capoue, Marino ou du mithréum V d’Aquincum. Moins onéreux, également.
15Si les reliefs bifaces retrouvés dans l’espace rhénan notamment permettaient de structurer le rituel en au moins deux temps, d’autres procédés amplifiaient l’impact visuel de l’image divine sur les adeptes. À Güglingen, la sculpture représentant la naissance du dieu pétrogène, retrouvée dans le mithréum II, fut ainsi l’objet d’un certain nombre de modifications nécessaires pour l’associer à un dispositif de levage permettant désormais de la faire apparaître et disparaître à volonté dans une fente derrière l’autel, pour des mises en scènes très expressives.
16D’autres données encore, comme les analyses archéozoologiques indiquent que l’on y consommait principalement des volailles (coqs, poulets et oies pour l’essentiel) et des porcins, plutôt que des bovinés et des caprinés. Les études comparables menées sur d’autres mithréums (Orbe et Martigny en Suisse, Carrawburgh en Angleterre) montrent que les animaux du cheptel étaient généralement abattus assez jeunes, avant l’âge d’un an, tandis que les gallinacés l’étaient à l’âge adulte. Tout concourt à penser qu’il était important de disposer de produits alimentaires de haute qualité pour les repas rituels.
17À Güglingen comme dans la majorité des mithréums gaulois et germaniques, la proportion de gobelets et de cruches est nettement plus élevée que dans les habitations. Contrairement à ce que l’on observe en milieu domestique, les assemblages de poteries caractéristiques des contextes rituels comprennent une grande proportion de matériel de consommation de boisson, très peu de marmites et seulement quelques récipients de stockage, qui sont peut-être d’abord destinés à conserver l’huile et l’eau plutôt que du vin et des mets. Souvent préparés en dehors du mithréum, les aliments étaient probablement cuits sur place.
18Ce ne sont que quelques-uns des apports considérables du volume superbement édité d’Ines Siemers-Klenner. Espérons que d’autres publications de cette qualité apporteront de nouvelles informations que l’on pourra croiser de plus en plus finement, nous permettant de mieux comprendre, petit à petit, ce qu’étaient les cultes romains de Mithra.
Pour citer cet article
Référence papier
Laurent Bricault, « Mithriaca », Pallas, 117 | 2021, 283-295.
Référence électronique
Laurent Bricault, « Mithriaca », Pallas [En ligne], 117 | 2021, mis en ligne le 20 septembre 2022, consulté le 13 mai 2025. URL : http://journals.openedition.org/pallas/23252 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pallas.23252
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