• 1 Al Qahtani et al., 2010.
• 2 Intervalle maximal de 4 mois à 1 an et 7 mois selon Moorrees et al., 1963a, 1963b.
• 3 Maresh, 1970.
• 4 Black, Scheuer, 1996.

9Cette tombe abrite un enfant décédé vers l’âge d’un an à l’époque tibérienne. L’âge au décès peut être déterminé à partir du stade de calcification et d’éruption dentaire1. Il se situerait entre 10 mois et 2 ans2. Sa stature concorde avec cette estimation, les longueurs diaphysaires des fémurs, humérus et clavicules correspondant à un individu de 6 mois à 1 an3 et celles des clavicules à celles d’un enfant de 1 à 2 ans4.

• 5 Présentés au congrès de la SFECAG 2022.

11Ce petit coffre-cercueil a été placé contre le long côté d’une fosse aux dimensions plus vastes (2 m de long pour 1 m de large) qui offre l’espace nécessaire à une quantité remarquable d’objets. Autour du cercueil et sur son couvercle ont été disposés une vingtaine de récipients en terre-cuite (fig. 2-3)5. Certains d’entre eux devaient contenir des denrées alimentaires et des boissons destinées au défunt. De nombreux éléments de boucherie renvoient au banquet-sacrificiel : un demi-cochon coupé dans la longueur, auquel s’ajoutent trois exemplaires de jambon-jarret, deux autres portions de porc plus modestes (épaule et jambon sans le jarret), mais aussi deux poules auxquelles ne manque que la tête. Certains vases miniatures (un vase balustre, deux amphores, une gourde annulaire, un balsamaire, trois cruches), dont certains en céramique plombifère, ont pu contenir des produits cosmétiques ou médicinaux, que des analyses chimiques devraient permettre d’identifier. Deux balsamaires en verre, l’un d’un bleu cobalt et l’autre incolore, pouvaient contenir des huiles parfumées (fig. 3). Ces éléments et les vases miniatures ont été déposés soit sur le couvercle du coffre-cercueil, soit plus probablement sur un dispositif périssable formant une étagère. Un bol en sigillée se trouvait quant à lui, assurément sur le couvercle du coffre, au-dessus des jambes du petit défunt. L’étagère, dont la position peut être restituée le long de la paroi septentrionale de la fosse, supportait un plat et un gobelet en sigillée, ainsi que plusieurs petites cruches, surmontant des dépôts carnés et le corps d’un petit chien. Les vases miniatures se sont effondrés dans le volume du cercueil lorsque le bois de celui-ci s’est décomposé. La rupture de ce couvercle a écrasé la fragile tête osseuse du défunt. La fosse sépulcrale était elle-même fermée par un couvercle, vraisemblablement en bois, dont la rupture tardive a engendré l’éclatement du sommet d’une grande cruche à deux anses. Les tessons de cette cruche sont cependant restés en place et le fond du récipient est demeuré intact, car la fosse s’était alors déjà partiellement comblée de sédiment.

• 6 Feugère, 1985, p. 262-267.
• 7 Aucune variation anatomique non-métrique n’ayant été relevée sur cette dent, sa comparaison avec c (...)

13Des effets personnels accompagnaient l’enfant dans la tombe, parmi lesquels se trouvait une fibule en alliage cuivreux rattachée au type 14b de Michel Feugère, qui apparaît dans le courant du règne d’Auguste, et dont l’usage se limite principalement aux règnes de Tibère à Néron, soit de la fin du i^er siècle av. J.-C. à la première moitié du i^er siècle apr. J.-C.6. Elle n’était pas portée, mais pouvait être fixée à une étoffe sur laquelle reposait le défunt. Un anneau en fer relié à la fibule porte d’ailleurs des empreintes de tissus dans sa masse corrodée. À ses pieds, hors du cercueil, le jeune chien portait un collier, orné d’une quinzaine d’appliques et d’une clochette en alliage cuivreux (fig. 2-3). Le collier était attaché à une chaîne en fer glissée entre les pattes du chiot et disposée le long du cercueil. Dans la tombe, se trouvait également un dépôt aussi petit qu’émouvant, placé sur un fragment de coquillage : une dent de lait appartenant à un autre enfant plus âgé que le défunt. Cette dent, la première molaire déciduale supérieure droite, a vraisemblablement été perdue naturellement vers l’âge de 11 ans, comme en témoigne la résorption racinaire, avant d’être déposée dans la tombe. Rien ne vient étayer l’hypothèse, certes séduisante, que cette offrande funéraire provienne du frère ou de la sœur aîné(e) du jeune défunt7.

• 8 Cf. supra § 2. Description de la tombe.

15Cet objet circulaire en fer a été prélevé dans la sépulture en seize fragments. Ces derniers forment un cercle dont le diamètre minimal actuel avoisine les 300 mm et la section ronde mesure entre 6 et 7 mm. Il est très difficile de savoir comment le cerceau se fermait. En effet, une extrémité est en biseau (volontaire ? dégradation ?) tandis que l'autre semble être en cassure nette, témoignant de deux phases d’altération distinctes. En raison de ces cassures, nous ne pouvons attester avec certitude l’intégralité de l’objet, dont le diamètre aurait ainsi pu être légèrement plus important. Cependant, au moment de sa découverte, il formait nettement un cercle de 300 mm. L’objet était à la verticale, vraisemblablement déposé contre le cercueil, intercalé entre une de ses longues parois et la paroi septentrionale de la fosse sépulcrale (fig. 4-5)8.

• 9 Dasen, 2018, 2019a et b ; Lambrugo, 2013 ; Weiss, 2013.
• 10 Les représentations figurées montrent strictement des personnages masculins utilisant un cerceau, (...)
• 11 Les différents supports iconographiques montrent systématiquement le bâton avec le cerceau. L’inta (...)

18En raison d’une morphologie ressemblante avec des représentations iconographiques anciennes, nous envisageons que cet objet puisse correspondre à un cerceau à vocation ludique. Au sein des différents travaux portant sur les cerceaux dans les sociétés anciennes9, de nombreuses illustrations présentées témoignent de leur utilisation athlétique, mais également ludique, souvent associée à l’enfance (fig. 7). Les cerceaux (trochus) sont, dans l’Antiquité romaine, des attributs genrés, exclusivement associés aux garçons et aux jeunes hommes10, à l’inverse de nos sociétés actuelles, où le cerceau est davantage un objet féminin depuis l’engouement du hula hoop dans les années 1950. Le cerceau antique est utilisé pour les activités physiques qui exercent l’adresse et la motricité, où il est actionné à l’aide d’une baguette ou d’un bâton (clavis), en bois ou en fer, droit ou à l’extrémité recourbée11. Également présent dans la tombe, un élément en fer interprété dans un premier temps comme clavis, s’est avéré être une chaîne, partant du collier du chien. La baguette n’a donc pas été retrouvée mais il est possible qu’elle ait été façonnée dans un matériau périssable.

• 12 Dasen, 2018, p. 1-23, 2019b, p. 54-55 ; Pietrobelli, 2020, p. 149-169.
• 13 Lambrugo, 2013, p. 32-33.

19D’après l’iconographie et la littérature, le cerceau semble assigné à une catégorie sociale particulière composée de l’élite romaine ou, tout du moins, d’un groupe au statut privilégié12. Pour les enfants issus des populations aisées, les cerceaux sont certainement en fer et ils paraissent être fabriqués de toutes pièces, mais pour les catégories sociales les plus modestes, le jouet semble davantage confectionné à partir de brindilles de bois flexibles ou à partir d’un bandage de roue recyclé13. Une fabrication ex-nihilo de l’anneau d’Aulnat est probable, car sa section est ronde ; si la pièce provenait du recyclage d’une bande de roue, sa section aurait été plate rectangulaire.

• 14 Dasen, 2019a ; Lambrugo, 2013.

20Sur les représentations anciennes, les cerceaux sont de modules divers. Ils sont bien souvent de grande taille d’après les sources grecques, atteignant la hanche ou la taille des individus qui les manipulent, sur plusieurs exemples de vases à figures rouges ou des lécythes à fond blanc du v^e siècle av. J.-C.14. Des cerceaux de grande taille sont également illustrés sur des exemples plus récents, comme sur l’intaille en sardoine conservée à Berlin (fig. 7, n° 2) et ou la mosaïque de l’apodyterium d’Ostie (fig. 7, n° 6). Des représentations de cerceaux plus réduits nous sont également parvenues, comme ceux de la Maison des Épigrammes de Pompéi (i^er siècle apr. J.-C. ; fig. 7, n° 1), de la plaque de marbre des catacombes de Calixte à Rome (iii^e-iv^e siècle apr. J.-C. ; fig. 7, n° 1) et du sol en mosaïque du palais de Constantinople (v^e siècle apr. J.-C. ; fig. 7, n° 5). Ces exemples de petite taille, fréquents en contexte romain, ne dépassent pas les genoux des personnages qui les manipulent (fig. 7, n^os 4-5). Ils sont le plus souvent figurés comme des roues munies de jantes à rayons. Ceux de la peinture murale de la Maison des Épigrammes de Pompéi en sont néanmoins dépourvus ; leur diamètre n’est pas mesurable, mais ils doivent être de dimensions relativement faibles, comparativement à l’hydrie et au cratère contre lesquels ils sont appuyés.

• 15 Mart., Epigr., XIV, 169.
• 16 Weiβ, 2013, p. 34-35.
• 17 Dasen, 2019a.

21Sur cet exemple, les cerceaux sont agrémentés de petits anneaux, tels les Garrulus anulus qu’évoque le poète Martial à la fin du i^er siècle apr. J.-C.15. Ils sont destinés à avertir ou à faire fuir les passants par leurs tintements sonores lorsque le cerceau roulait16. Selon les préconisations du médecin Antylle (ii^e siècle apr. J.-C.), en faisant rouler le cerceau, les petits anneaux, produisaient une douce mélodie qui donnerait du plaisir à l’âme17. Trois objets placés sur l’anneau de la tombe d’Aulnat, peuvent évoquer ce type de dispositifs. Néanmoins, leurs morphologies longilignes et leurs extrémités évasées (fig. 6, n° 1) les rapprochent d’une pelle à feu, d’une hachette et d’une herminette miniaturisées, dont la vocation sonore apparaît moins évidente que leur symbolique, particulièrement dans ce contexte funéraire. Ces appendices n’étaient vraisemblablement pas scellés à l’anneau ; ils ont pu limiter sa rotation, mais ils ne semblent pas l’interdire. L’hypothèse de son utilisation en tant que jouet, nous semble ainsi toujours valide. Cependant, en contexte funéraire, le rôle du jouet n’était peut-être qu’allégorique et, en considérant l’âge du défunt auprès duquel il a été déposé, il apparaît évident que le jeune enfant n’était pas encore capable de le faire rouler.

• 18 Ortner, 2003, p. 102.

22Rien ne permet de préciser la cause du décès du jeune enfant. Tout au plus remarquons-nous la présence de légères réactions périostées sur l’os frontal, notamment sur le plafond des orbites, qui peuvent préfigurer des cribra orbitalia. Il s’agit d’un indicateur de stress non spécifique, qui peut avoir des origines multiples (anémie et autres carences, processus inflammatoire ou infectieux, etc.)18. La mort des enfants n'avait rien d'anormal dans les populations du passé, la majorité des décès se produisant dans la première année et près de la moitié des enfants n'atteignant pas l'âge adulte.

• 19 Alfonso, Blaizot, 2004.
• 20 Baills-Barré, 2016, p. 188.
• 21 Lacoste, Barp, 1994.
• 22 Tirel, 2020, p. 222-223.
• 23 Responsable de l'opération M. Zabeo, Archeodunum, communication personnelle S. Foucras.

23Les sépultures de jeunes enfants gallo-romains sont souvent situées hors de l’espace funéraire communautaire, parfois installées à proximité des habitats ou d’autres lieux de vie. Ce schéma est bien documenté en Auvergne où elles forment parfois de petits ensembles funéraires comme celui situé en marge de la villa de Champ-Madame à Beaumont19 ou à proximité d’installations de potiers dans le contexte de l’agglomération secondaire artisanale de Lezoux20. En périphérie occidentale du chef-lieu de cité, Augustonemetum, d’autres groupements de tombes d’enfants ont été découverts dans le voisinage de bâtiments d’habitation (site du Carré Jaude)21, le long du tracé suburbain de l’aqueduc (rues Gabriel-Péri et Saint-Dominique)22, de même que dans sa périphérie orientale (Place des Carmes)23. Le plus souvent, les sépultures de jeunes enfants sont dispersées, constituant des découvertes aussi récurrentes qu’inopinées lors des fouilles d’établissements antiques. Davantage qu’un héritage de la romanisation, l’inhumation de très jeunes enfants en contexte domestique est un phénomène propre au monde méditerranéen, bien attesté en Gaule méridionale durant la protohistoire.

• 24 Alfonso, Blaizot, 2004, p. 168.
• 25 Blaizot et al., 2009, p. 79.
• 26 Communication personnelle de C. Bonnet.
• 27 Blaizot, 2009, p. 321-323.
• 28 Communication personnelle de la responsable de l’opération : J. Viriot, Hadès.

25À titre de comparaison régionale, seules quelques tombes de jeunes enfants renfermaient du mobilier en proportion comparable. Une sépulture de nouveau-né du site de Champ-Madame à Beaumont recelait onze récipients céramiques24. Ce site, qui correspond à un petit ensemble funéraire, regroupant les tombes de vingt-six enfants décédés durant la phase infantile, a également livré trois autres tombes contenant plus de cinq vases. Dans la région, et plus largement dans le quart sud-est de la France, seule une poignée de sépultures de jeunes enfants contiennent plus de cinq récipients céramiques25. La fouille récente de Saint-Vulbas, que nous avons déjà évoquée, a livré de très nombreuses sépultures d’enfants antiques dotées de céramiques, mais le nombre de récipients reste toujours inférieur à dix26. Il n’est pas non plus fréquent que les sépultures d’adultes livrent de telles quantités de vaisselle, hormis en association avec des bûchers funéraires où l’essentiel des récipients, fragmentés et passés par le feu, représente probablement la part des vivants au banquet funéraire27. Une fouille récente conduite à Pérignat-lès-Sarliève, à seulement 6 km au sud du site d’Aulnat, a révélé une sépulture exceptionnelle qui présente quelques caractéristiques communes avec celle d’Aulnat. Elle contenait une quinzaine de récipients en céramique et deux en verre, disposés avec soin autour d’un coffre en bois muni d’une serrure placée dans une fosse quadrangulaire28. Ceci dit, en dépit d’une datation très proche et des similitudes de l’appareil funéraire, elle présente pour différence majeure d’accueillir le dépôt secondaire d’une crémation d’un sujet adulte, dont l’ossuaire est une urne en verre déposée sur le coffre.

• 29 Plin., HN, VII, 15.

26Ces deux cas illustrent une pratique funéraire différente, ce qui n’a rien de surprenant : les tout-petits bénéficient rarement du même traitement que leurs aînés, généralement soumis à la crémation au Haut-Empire. Plusieurs auteurs antiques évoquent cette distinction, notamment Pline l’Ancien au i^er siècle apr. J.-C., qui précise que les enfants dont les dents n’ont pas encore percé sont trop jeunes pour le bûcher29. Cette distinction est fréquemment confirmée par les découvertes archéologiques, la pratique de l’inhumation étant observée de manière presque systématique pour les individus décédés en phase périnatale ou durant leurs six premiers mois. Âgé d’environ un an, et possédant déjà de belles petites incisives fonctionnelles, l’enfant d’Aulnat est cependant un peu plus âgé.

• 30 Scheid, 1984, p. 131.
• 31 Blaizot, 2009, p. 324.
• 32 Bonnet, Wittmann, 2009, p. 184.
• 33 Communication personnelle de S. Foucras.
• 34 Bonnet, Wittmann, 2009, p. 184.

27Quoi qu’il en soit, si le choix entre les pratiques de la crémation et de l’inhumation peut être lié à l’âge au décès, la cérémonie se déroulait vraisemblablement en partie de façon similaire. Les convives et le défunt partageaient ainsi un banquet-sacrificiel, le repas du mort étant cependant clairement dissocié de celui des vivants30. De fait, une partie des récipients déposés dans la tombe devaient contenir des denrées alimentaires et des boissons liées au banquet funéraire, en représentant la part destinée au défunt, ou symboliser les repas qui suivent les funérailles lors des cérémonies commémoratives31. Ces dernières expliquent peut-être la présence fréquente, à proximité ou au sein des ensembles funéraires, de fosses dépourvues de restes humains. De telles fosses ont notamment été mises au jour sur les sites déjà évoqués de La Grande Borne et du Pâtural32 ou sur celui de la place des Carmes33. Elles contiennent de grandes proportions de vases miniatures comparables à ceux découverts dans la tombe d’Aulnat, ainsi que parfois de la faune ou des restes de végétaux calcinés. Les dépôts semblent parfois avoir été mis en scène, parfois agencés sur des étagères34.

• 35 Blaizot et al., 2009, p. 39-40.
• 36 Alfonso, Blaizot, 2004, p. 226.

28Les pièces de boucherie, très abondantes dans la tombe d’Aulnat participent vraisemblablement de la mise en scène d’un repas ou d’un banquet. Les dépôts de viande se rencontrent parfois en contexte funéraire antique, mais restent rares et n’impliquent jamais autant de dépôts carnés35. La seule sépulture d’enfant, comportant plus de dix vases, connue jusque-là (Champ-Madame à Beaumont, cf. supra), contenait un jambon de porc et probablement une portion de viande de mouton36. Dans la sépulture d’Aulnat, la présence d’un demi-cochon, d’au moins trois autres jambons, a nécessité la mise à mort d’au moins trois porcs (données préliminaires en attente de l’étude), auxquels s’ajoutent deux poules.

• 37 Guichard, 2000, p. 130.

29Une structure proche, datant des lendemains de la conquête romaine, soit quelques décennies avant la sépulture d’Aulnat offre une comparaison intéressante. Elle est située sur la commune de Malintrat, à Chaniat, c’est-à-dire à moins de 3 km. Cette fosse oblongue, dépourvue de restes humains, occupait un monument fossoyé quadrangulaire dont le sol intérieur était jonché de restes osseux (humains et animaux) et de tessons d’amphores. Le mobilier est comparable à la sépulture d’Aulnat par la profusion de vaisselle, soigneusement disposée, et de viande, dont un demi-cochon37. La présence d’armes évoque toutefois la tombe d’un guerrier gaulois.

• 38 Communication personnelle de S. Foucras.
• 39 Foucras, 2014.
• 40 Blaizot et al., 2018.
• 41 Alfonso, 2001, p. 184.
• 42 Gleize, 2017, p. 183.
• 43 Thomson, 2010, p. 193.

30La présence du chien – parfaitement distincte des dépôts alimentaires – auprès d’un jeune enfant est quant à elle bien attestée en contexte funéraire antique, le chien étant probablement considéré comme un animal psychopompe. En contexte arverne, elle est particulièrement bien documentée. Sur le site clermontois de la place des Carmes, une quinzaine de sépultures de jeunes enfants est associée à autant d’inhumations de chiens, sans pour autant qu’il y ait d’exemple regroupant les deux dans une même tombe38. Ce type d’association indirecte se retrouve sur plusieurs sites proches, comme ceux du Pâtural39 et de la Grande Borne40 à Clermont-Ferrand et de Rochefort à Gerzat, où chaque chien est également groupé avec un coq41. La réunion d’un chien et d’un enfant dans la même tombe est connue sur le site des Queyriaux à Cournon-d’Auvergne, à environ 7 km au sud du site d’Aulnat42, ainsi que sur celui de Layat à Riom, environ 12 km plus au nord43.

• 44 Creuzieux et al., soumis ; Parlama, Stampolidēs, 2001, p. 157.
• 45 Fouille du Service Archéologique de la Ville de Lyon, étude : L. Guillaud.

31Le collier porté par le chien d’Aulnat, ainsi que la clochette et la laisse qui y sont attachés, sont en revanche totalement inédits en Auvergne. Un exemple lyonnais et un autre athénien, correspondant à des sépultures individuelles de chiens portant chacun un collier, semblent être les seuls autres exemplaires connus dans le monde romain44. Celui découvert à Lyon, Place Varillon45, est d’un type très proche de celui d’Aulnat ; les deux devraient prochainement faire l’objet d’une publication conjointe. Les chiens arborant un collier figurent sur de nombreuses représentations d’époque romaine. Nous ne présenterons qu’un exemple comportant des caractères similaires à la découverte d’Aulnat, à savoir des appliques disposées à espace régulier autour du collier, auquel est attachée une chaîne (fig. 7, n° 7).

• 46 Tirel, 2020, p. 399.

32Enfin, même si les tombes gallo-romaines livrent régulièrement des objets personnels, on doit souligner à quel point le petit coquillage recueillant la dent de lait d’un aîné est un dépôt singulier. Un recensement réalisé à l’échelle nationale montre que le dépôt de coquillage semble en lui-même relativement rare, puisqu’il n’a été identifié que dans une douzaine de sépultures antiques de jeunes enfants46.

• 47 Bigot, étude en cours ; responsable de l’opération : C. Ronco, Inrap.
• 48 Artefacts.mom.fr : OMI-4008 ; Lintz, 2001, p. 328-329.
• 49 Un cerclage dont la dimension est plus proche de notre objet (30 mm), enserré d’une fibule et de p (...)
• 50 Demierre, 2019, p. 305-306.
• 51 Grange, 1857.
• 52 Demierre, 2012, p. 52.
• 53 Demierre, 2019, p. 305-306.
• 54 Artefacts.mom.fr : AML-4036 ; Brives, 2008 ; Lintz, 2001.
• 55 Dasen, 2019c, p. 32-33.
• 56 Blaizot et al., 2009, p. 81-82 ; Tirel, 2020, p. 318-372.

33Le cerceau orné d’outils miniatures, représente également un effet personnel, placé tout comme le chien au plus près de l’enfant. Les outils miniatures se rencontrent dans des tombes d’enfants et d’adultes, comme c’est le cas dans une dizaine de sépultures de la nécropole romaine de Saint-Vulbas (Ain), PIPA, Lot 9 Sud47 et dans la nécropole de Pontarion, « Les Sagnes » en Creuse48. Toutefois, les diamètres des anneaux sur lesquels les ustensiles sont suspendus ne dépassent pas un diamètre de 150 mm environ49. D’autres éléments de comparaison régionale ont été découverts en contexte domestique ou artisanal sur l’oppidum arverne de Corent (fig. 6, n° 3)50. Il s’agit de cinq anneaux de 50 à 80 mm de diamètre (fin ii^e-i^er siècle av. J.-C.), auxquels peut être ajoutée une découverte ancienne similaire (fig. 6, n° 2)51, chacun étant connecté à une hache, une herminette et un piton cannelé miniatures. Ces objets, initialement interprétés comme des cumangles servant au tractage des arbres52, semblent d’une confection bien trop fine, suggérant davantage une fonction décorative53. Pour d’autres auteurs, ces assemblages composés des jeux d’amulettes passées sur un anneau sont considérés comme des pièces votives54, voire comme des hochets55. L’hypothèse d’un hochet apparaît ici peu probable, l’anneau s’approchant de la moitié de la stature du jeune défunt. Il pourrait en revanche s’agir d’amulettes accrochées sur un cerceau, de manière indépendante de sa vocation initiale de jouet. Les amulettes sont fréquentes en contexte funéraire antique, particulièrement dans les tombes de jeunes enfants, où leurs formes sont diverses, telles que des médaillons ou des pendentifs, souvent en matière dure animale, des jetons ou des monnaies perforées56.

• 57 Alfonso, Blaizot, 2004 ; Dousteyssier et al., 2004 ; Dousteyssier, Trément, 2006-2007 ; Segard, 20 (...)
• 58 Dousteyssier et al., 2004.
• 59 PCR HARGARA, coord. L. Lautier et B. Dousteyssier.

36Ces formes relativement riches d’habitat, sont prégnantes dans la plaine de La Limagne, comme le montrent les prospections et les fouilles réalisées ces dernières décennies57. Ces recherches ont mis en évidence un réseau d’établissements résidentiels de configurations et de statuts variés dont la densité est tout particulièrement notable autour du chef-lieu de cité. L’exploitation céréalière de la plaine de la Limagne, dont la richesse et la fertilité ont tout particulièrement été louées par les auteurs antiques à plusieurs reprises, a visiblement favorisé l’accession d’une catégorie de la population à un niveau de vie relativement élevé58. Notre établissement s’inscrit-il dans cette trame des villae aristocratiques, accueillant des propriétaires fortunés que l’on imagine volontiers exercer des charges à Augustonemetum ? Il nous est impossible dans l’état actuel de nos connaissances de répondre à cette question, étant donné que seuls les bâtiments d’exploitation ont été retrouvés, la partie résidentielle, très ponctuellement observée, semblant se développer sous l’aéroport. Néanmoins, nous espérons que la réalisation de prospections géophysiques dans son emprise, dans le cadre d’un Programme Collectif de Recherche sur l’habitat rural chez les Arvernes59, apportera dans les prochaines années, des précisions supplémentaires sur le contexte de cette sépulture.

• 60 Sur la gestion du deuil des tout-petits, et l’importance symbolique du jeu, voir en dernier lieu D (...)

37En somme, s’il s’agit bien là d’un jouet, le cerceau de la sépulture d’Aulnat paraît être le premier exemplaire archéologiquement connu. Son diamètre conservé de 300 mm environ, semble faible au regard des scènes iconographiques, mais sa petite taille pourrait se corréler avec son positionnement dans la sépulture d’un enfant dont l’âge au décès ne dépasserait pas les deux ans60. Trois outils miniatures semblent fixés sur le cerceau ; leurs formes paraissent coïncider avec une hachette, une herminette et une pelle à feu. Ce type d’ensemble d’amulettes se rencontre dans les aires funéraires romaines, mais pas exclusivement dans des tombes d’enfants, et il revêt une signification votive et symbolique. Cet objet prend place dans un contexte funéraire exceptionnel au regard du nombre de vases déposés, du chien placé à ses côtés et de la quantité de viande dans la tombe. Enfin, le voisinage archéologique proche dans lequel s’insère cette sépulture pourrait témoigner d’un statut privilégié, qu’il reste à démontrer.