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Regards croisés entre discours littéraire et culture matérielle

Jeu et genre : le témoignage de Michel Psellos (Philosophica minora II, 19)

Play and Gender: the Testimony of Michel Psellos (Philosophica minora II, 19)
Véronique Dasen et Dominic O’Meara
p. 491-509

Résumés

Une dissertation du philosophe byzantin Michel Psellos (xie siècle) décrit un garçon macrocéphale qui rejette les jeux virils et joue avec des poupées représentant un couple qui se marie et dont la mariée tombe enceinte et accouche. Replacé dans son genre littéraire, avec une nouvelle traduction, cet écrit exceptionnel est commenté en rapport avec les sources utilisées et les idées qui y sont exprimées. Ce témoignage d’une rare précision invite à s’interroger sur la logique plus profonde qui organise la liste de Michel Psellos au-delà de la distribution des activités enfantines selon le genre. Cet article replace cet univers ludique dans une plus longue durée en comparant regards grecs, romains et byzantins sur la passion et la valeur symbolique des activités ludiques des enfants et des jeunes gens.

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Texte intégral

Introduction1

  • 1 Cette recherche a été réalisée dans le cadre du projet soutenu par le Fonds Na (...)
  • 2 Nous citons le texte de l’édition critique, Michael Psellos, Philosophica mino (...)
  • 3 Sur le découpage des âges de la vie à Byzance, et la classe d’âge de meirakion (6-14 ans (...)
  • 4 Sur l’emploi de μεῖραξ pour désigner une fille et un homosexuel, voir Luc., Sol., 5 ; Cr (...)

1Dans une dissertation intitulée « Sur la question pourquoi, parmi les hommes, les uns deviennent sensés (φρόνιμοι), les autres insensés (μωροί) », le philosophe byzantin Michel Psellos (1018 – ca. 1078) décrit Eudokimos, un petit garçon macrocéphale dont le comportement détonne : refusant les jeux des garçons, il s’amuse à jouer avec des poupées représentant un couple de mariés, couple dont la femme tombe enceinte et donne naissance ; il chante aussi les douleurs d’une fille languissant d’amour. Cette description tout à fait singulière comporte une liste détaillée de jeux d’enfants divisés selon le critère du « viril » et du « féminin ». L’enfant est décrit d’abord comme un παιδάριον, « petit garçon » (92, 28)2, puis comme un μειράκιον (93, 5 et 26), un terme qui peut signifier un adolescent selon les lexiques3. Si nous tenons compte des jeux « féminins » pratiqués par Eudokimos, on ne peut exclure l’idée que Psellos y fasse allusion à μεῖραξ, dont μειράκιον est le diminutif, mot qui peut désigner une fille et un homosexuel4. Afin de saisir l’importance de la contribution de Michel Psellos à une histoire des activités ludiques enfantines, il nous a semblé nécessaire de présenter la dissertation de Psellos en la situant dans son contexte littéraire ; de proposer un résumé de la première partie et une traduction de la partie concernant directement le petit garçon et ses jeux ; de commenter le texte du point de vue des conceptions philosophiques qui y sont engagées ainsi que des sources antiques dont Psellos s’inspire, et enfin d’analyser les jeux que mentionne Psellos et leur articulation en fonction du « viril » et du « féminin ». Ce témoignage d’une précision exceptionnelle invite à s’interroger sur la logique plus profonde qui organise la liste de Michel Psellos au-delà de la distribution des activités enfantines selon le genre, féminin ou masculin, des jeux. Nous comparerons ce témoignage d’époque byzantine avec des documents littéraires, visuels et archéologiques inscrits dans une plus longue durée à laquelle Michel Psellos pourrait aussi faire référence.

1. La dissertation dans l’œuvre de Psellos

2La dissertation de Psellos est préservée dans un grand recueil des écrits de Psellos, le Parisianus Graecus 1182 (P), un manuscrit datant du XIIIe siècle. Ce manuscrit donne une idée de l’immense érudition du philosophe byzantin, sa maîtrise de toutes les sciences et de la culture héritées de l’Antiquité gréco-romaine qui lui a permis de se faire une place à la cour impériale à Constantinople où il prodigue entre 1040 et 1070, avec des interruptions, des cours de philosophie et d’autres disciplines en tant que « consul des philosophes ». C’est en référence à un tel contexte pédagogique que s’ouvre la dissertation qui nous occupe :

« Vous avez immédiatement éclaté de rire quand je vous ai dit le thème de mon discours d’aujourd’hui, Eudokimos, comment il se fait que, tout en partageant avec nous la même nature et constitution, il apparaît dans sa manière de penser autre que nous. Quant à moi, si je n’avais pas tout à fait honte de changer de sujet, je l’aurais sans doute évité, sachant à quel point la question est difficile, très philosophique et exigeant une enquête sérieuse. Pourquoi donc, même si celui-ci [Eudokimos] partage la même nature que beaucoup d’entre nous et la même forme d’âme, est-il si différent dans sa manière de penser ? »

  • 5 Michael Psellos, Philosophica minora, I, n° 3, 19, 30, 43, 46. Pour une vue d’ensembl (...)
  • 6 Michael Psellos, Philosophica minora, II, n° 8, 16, 23, 24, 30, 44, 46, 47.
  • 7 Voir par exemple Philosophica minora, II, n° 8.
  • 8 La question est posée par Auburger, 1978, p. 24.
  • 9 Michael Psellos, Philosophica minora, I, 2, 30 fait référence au De usu partium (...)
  • 10 Cf. Temkin, 1962.
  • 11 Les jumeaux seraient nés en Asie Mineure vers 940 apr. J.-C. et vécurent jusqu’à l’âg (...)

3Nous connaissons d’autres dissertations de Psellos qui renvoient au même cadre scolaire : le professeur (ou ses élèves) soulève une question ou propose un thème, question ou thème auquel Psellos apporte une réponse ou une discussion5. On peut lire également dans le corpus des écrits de Psellos des textes adressés à un élève, une connaissance ou un membre de la cour (dont l’Empereur lui-même), répondant à une question, parfois sous la forme littéraire d’une lettre6. Relevant souvent du genre « Apories et solutions », ces textes étaient sans doute destinés à un cercle plus large de lecteurs. Or, les questions qui sont posées dans de tels écrits s’avèrent être parfois tirées de la même source antique que Psellos exploite pour donner ses réponses7. On est en droit donc de se demander si, dans certains cas du moins, la mise en scène scolaire (le maître qui donne des réponses) ne relève pas d’une fiction littéraire dont l’inspiration est antique. Revenant à Eudokimos, nous pouvons ainsi nous demander si ce petit garçon, dont l’aspect et le comportement se faisaient remarquer (éventuellement dans la cour de Constantinople), existait vraiment8, ou s’il s’agit d’un cas inventé, inspiré, de même que l’explication qu’en donne Psellos, de sources datant de l’Antiquité, notamment de l’époque impériale. En effet, Psellos se réfère aux écrits de Galien (129-216 apr. J.-C.), qui cite assez souvent des cas d’enfants9. L’intérêt des savants de l’époque byzantine pour la médecine et l’anatomie est aussi bien attesté10. La Chronique byzantine de Jean Skylitzès (vers 1040-1100) rapporte les particularités physiques d’un couple de jumeaux11 joints au niveau du torse que les médecins de Constantinople tentèrent de séparer lorsque l’un d’eux mourut. Toutefois, à notre connaissance, il manque actuellement les éléments permettant de trancher sur la réalité de l’enfant dont parle Psellos. Il est possible qu’Eudokimos existât vraiment, mais que Psellos, dans la description qu’il en donne, l’ait largement chargé d’une mise en scène « à l’antique », tant dans le contenu que dans le vocabulaire.

2. Résumé de la première partie de la dissertation

  • 12 Nous divisons le texte en sept sections en donnant à la fin de chaque section les numéro (...)

4La réponse que propose Psellos à la question qu’il soulève au début de la dissertation concernant Eudokimos est assez prolixe, lui permettant de faire étalage de ses connaissances d’auteurs et de matières peu courantes. Nous nous limiterons donc à en donner d’abord un résumé, proposant ensuite une traduction pour la dernière partie du texte qui nous intéresse plus particulièrement12.

5Section 1 : Psellos ouvre son exposé par une référence aux recherches en philosophie naturelle des « enfants des Grecs ». Il s’agit, comme on le découvre plus loin (89, 26-27), des « Jamblique, des Plotin, des Proclus » et de leur inspirateur, Platon, c’est-à-dire des philosophes néoplatoniciens que Psellos connaissait bien, les exploitant tout en dénonçant leurs doctrines païennes. Ces philosophes, expliquant pourquoi certains hommes ont des âmes libres, d’autres des âmes serviles et basses, pourquoi certains sont vifs d’esprit et intelligents, d’autres le contraire, etc., disent qu’il existe deux sources des natures : l’une, céleste, qui rayonne d’en haut ; l’autre, terrestre, qui coule d’en bas. Or, l’âme qui vient d’en haut est noble et libre, celle qui vient d’en bas est servile, ignoble et privée d’intelligence. De chaque côté il y aurait un large éventail. Ainsi on constaterait, quant aux âmes nobles, des degrés, selon la hiérarchie des sphères célestes, d’âmes de Sybilles, d’Orphiques, de Taures de Beirut, de l’Égyptien Amous, de Socrate et de Platon, d’âmes archangéliques, démoniques, héroïques, parmi d’autres. De cette façon s’expliquerait la différence de caractère des âmes (88, 22-89, 25).

6Section 2 : Or, tout en présentant en grand détail de telles théories, Psellos les dénonce comme des balivernes. Il préfère, lui, suivre les pères chrétiens, Grégoire de Nysse et Maxime le Confesseur, réfutant la préexistence de l’âme par rapport au corps, l’âme qui ne survient pas non plus sur le corps : l’âme et son corps viennent à l’être simultanément et ensemble. Psellos n’accepte pas non plus que les âmes soient différentes les unes des autres selon la forme : il les pose comme étant toutes « semblables » (ὁμοειδεῖς) les unes aux autres. Pour qu’elles deviennent différentes, Psellos conçoit quatre causes : l’éducation ; la formation de caractère ; la nature ; la maladie (mais cette cause se relie à la nature). Or, parler de la manière dont l’éducation et la formation de caractère peuvent effectuer des différences parmi les hommes serait superflu, car elle est évidente. Il faudrait donc examiner la troisième cause, la nature (89, 26-90, 11).

7Section 3 : Nous, les êtres humains, sommes un mélange de corps et d’âme. Corps et âme sont de nature très différente (Psellos en donne une liste des propriétés spécifiques). Mais mélangés, ils prennent part l’un à l’autre. Ainsi le corps prend part à la vie et peut se mouvoir, alors que l’âme reçoit en quelque sorte une extension dans des parties différentes. Le mélange des deux (Psellos parle aussi de l’ajustement, du lien ou de l’unification des deux) peut varier, ce qui donne lieu aux différences entre les âmes, alors que prises en elles-mêmes, elles sont semblables. Le mélange de corps et d’âme peut se faire de manières différentes. Psellos décrit d’abord un type de mélange où l’âme est plongée de telle manière dans le corps qu’elle devient beaucoup plus « corporelle ». Mais il y aurait aussi un mélange intermédiaire ou moyen, où l’âme se tient en équilibre entre des extrêmes. Et enfin un troisième type de mélange voit l’âme planer, pour ainsi dire, sur le corps, à peine retenue par les liens du corps, capable de monter vers Dieu et de s’en approcher. Et ici, dans le texte, réapparaît la Sybille, de façon surprenante (90, 12 - 91, 10).

8Section 4 : Quoi qu’il en soit, ce seraient donc les différents mélanges, les différents ajustements des unions des âmes et des corps, qui peuvent expliquer (parmi les autres causes mentionnées auparavant) les différences entre les âmes. Psellos expose ensuite les façons dont le corps peut « tyranniser » l’âme, l’entraînant vers la corporalité. Il s’agit ici, semble-t-il, du premier type de mélange mentionné ci-dessus, où l’âme est sous l’emprise du corps. Ce tyran ne serait pas homogène, mais agirait de manière différenciée selon le mélange des humeurs. Psellos reprend ainsi la théorie médicale des humeurs, présente dans les textes hippocratiques et chez Galien, selon laquelle les différentes humeurs du corps peuvent donner lieu à différentes dispositions de l’âme, par exemple la mélancholie. Psellos en fait une présentation assez détaillée, indiquant les différents traits de caractère engendrés par les différentes humeurs : la bile noire (91, 15-22), le « chaleureux » (c’est-à-dire le sang, 91, 22-24), la bile jaune (91, 24-92, 9) et le phlegme (92, 9-15).

3. Les jeux d’Eudokimos : traduction de la dernière partie de la dissertation

9La dernière partie de la dissertation de Michel Psellos (sections 5-7) traite du cas de l’enfant Eudokimos, de sa physiologie et de son comportement étrange :

« 5. Mais maintenant je traiterai de la question comment il se fait que l’âme devienne insensée, distinguant au moins ceci, entre ceux dont la perte de raison provient de la nature, et ceux dont cela provient d’une maladie qui survient. Or c’est la nature que nous cherchons à expliquer aujourd’hui. En effet, ou bien [la perte de la raison] est produite, à partir des douleurs de l’enfantement (92, 20), ou plutôt à partir de la conception elle-même, par des excès des humeurs ayant envahi les parties qui raisonnent, à savoir les ventricules du cerveau, retenant le souffle qui est transmis dans ces parties. Ou bien ces excès d’humeurs blessent l’imagination, ou la raison discursive, ou même la mémoire (la première ayant son siège dans le sinciput, la deuxième dans le sommet - l’acropole pour ainsi dire - de la tête, la troisième dans l’occiput). Ou bien les humeurs elles-mêmes ne sont ni multipliées ni diminuées, mais les proportions des grandeurs corporelles dévient vers le plus ou le moins, produisant une féminité de la raison (92, 17-27).

  • 13 Gal., Ars medica, VI, 2. Psellos se réfère dans Poema, 9, 33-40 aux dif (...)

6. Mais ne voyez-vous pas toute la grâce de ce petit enfant (παιδάριον) ? Comment il a reçu une tête excessivement grande, en rien plus petite qu’une tête de bœuf ? Et comment son visage (92, 30) est plus saillant qu’il ne faut ? Qu’en pensez-vous donc ? Dans une telle masse, sa pensée est dispersée, vide et faible et son âme vraiment féminine. Car de même que le souffle qui traverse des passages d’air plus larges devient faible et fin, parce que sa propre substance est diminuée par la surface qu’elle parcourt, et de même que le souffle a un impact plus intense sur les corps quand il traverse des passages plus étroits (92, 35), ainsi dans la tête, le support pneumatique (93, 1) de l’âme, s’il est encerclé d’un crâne proportionné, est densifié en lui-même et rendu puissant. Mais si le crâne est massif et élargi, ce support devient plus mince et vide. Et ne blâmons-nous pas une tête qui est grande (car je sais que le fils d’Asclépius de Pergame en a fait surtout l’éloge dans son Art13) (93, 5), mais celle qui dévie de la nature, celle qui affecte ce petit jeune (μειράκιον), dont le regard sauvage montre aussi l’errement du souffle [de l’âme] qui arrive en désordre dans les passages et détruit la mesure (92, 27-93,8).

  • 14 Nous reprenons ici, avec quelques modifications, la traduction de 93, 8-21 faite par (...)

7. Comme14 il s’est donc détourné une fois pour toutes de ce qui est viril (τοῦ ἀνδρώδους) et hardi (θαρραλέου), c’est ainsi que s’est déversé sur lui tout ce qui est précisément féminin (θήλεα). En effet, lui sont devenus haïssables les logis d’hommes (ἀνδρῶνες) (93, 10) et les gymnases, les chasses et les réunions des jeunes gens. Il ne veut pas non plus participer au jeu de ballon ni au jeu de dés, ni s’adonner aux sueurs de l’effort. Ce qui lui plaît, ce sont le métier à tisser et la quenouille, et tout le reste du travail de la laine. Et il s’occupe de l’ensemble des activités liées au gynécée : il veut faire tourner le fuseau et tisser tout autant. Et quand il faut se mettre à un jeu, il n’éprouve pas de plaisir (93, 15) aux osselets et ne joue pas au cottabe ; il n’apprécie pas non plus le plateau de jeu (τηλίαν) et ne se réjouit pas non plus des toupies, ni de lancer de longues noix sur une cible. Mais avec des figurines (εἰδώλοις) et des objets ressemblants, il construit une chambre nuptiale (παστάδα τε πήγνυται), bricole un jeune époux et couche à ses côtés une jeune mariée. Et, après avoir gonflé (93, 20) le ventre de la figurine de l’épousée avec de la bourre (φορυτῷ τινι ἐξογκῶν), il imagine qu’elle est enceinte, et, du coup, voilà les douleurs de l’enfantement, l’accouchement, la sage-femme et ses honoraires. Et quand il s’agit de pratiquer l’harmonie de la voix, il ne chante pas les combats des hommes d’antan, ni les batailles, ni les trophées, mais il chante comme une fille qui répond à sa mère qui l’interroge sur ce dont elle se soucie en allant vers la source (πηγή), une fille qui dit, parlant d’elle-même, que la source déborde d’amour (ἐρώτων ... πέπλησται), que le bassin est rempli de pudeur (ἀκκισμῶν δὲ ἡ λεκανίς) (93, 25) et le vase d’eau chargé de minauderies (κολακείας τὸ ἄγγος τοῦ ὕδατος). Voilà donc ce bien beau petit jeune (μειράκιον) ! Et c’est pour ces raisons qu’il est devenu ainsi (93, 8-26). »

4. Commentaire : les conceptions philosophiques et les sources

10Psellos distingue entre plusieurs facteurs pouvant expliquer les différences d’intelligence qui s’observent chez les hommes : l’éducation, la formation de caractère, la nature (90, 5-1). La nature inclut les déséquilibres de la nature, à savoir les maladies (90, 6-8 et 92, 17-19), ainsi que ce qui dévie de la nature (παρὰ φύσιν), comme dans le cas de la macrocéphalie d’Eudikomos (93, 5). Or, c’est une explication en fonction de la nature que Psellos entreprend de donner du comportement étrange du petit garçon.

  • 15 Syn., Aegyptii,, I, 1 (Psellos en copie des phrases entières).
  • 16 Voir Psellos, Philosophica minora, II, nos 39, 40.
  • 17 Syn., Dion, IX, 2-4. Amous est nommé aussi par Psellos dans son Éloge de sa mè (...)
  • 18 Procl., in Ti., III, 160, 1-4 ; 282, 2-6.

11Dans la première section (1), Psellos fait étalage de son érudition dans le domaine de la philosophie néoplatonicienne, qui, selon lui, trouve des différences d’esprit dans les âmes déjà avant leur descente dans le corps. Les deux sources des natures qu’il mentionne sont tirées d’un texte de Synésius (ca. 370-413 apr. J.-C.)15, alors que la hiérarchie des âmes descendant de la source supérieure – une hiérarchie articulée selon les niveaux du supra-céleste et des sept sphères célestes et qui comprend des âmes archangéliques, démoniques et héroïques – se lit dans des résumés que fait Psellos des doctrines des Oracles Chaldaïques16, s’inspirant très probablement de textes de Proclus (412-485 apr. J.-C.) disparus depuis. Les « Taures de Beirut » que nomme Psellos correspondent à Calvenus Taurus (iie siècle apr. J.-C.), platonicien auquel Jean Philopon fait référence. Et l’Amous l’Égyptien qui figure également dans le texte de Psellos est mentionné chez Synésius17. Quant à la Sybille, elle dit sa haute ascendance chez Proclus dans son commentaire sur le Timée de Platon18. Un érudit bricolage, s’il en est, de la main de notre savant byzantin !

  • 19 L’édition critique donne les références pour Grégoire et Maxime. Même prise de (...)
  • 20 Même thèse dans De omnifaria doctrina, 39 (où Psellos suit Simp., in de An., 1 (...)

12Dans la deuxième section (2), Psellos réfute la thèse que les âmes diffèrent déjà dans leurs qualités d’esprit, avant leur descente dans un corps. Car il n’accepte pas le présupposé que les âmes puissent exister avant leur vie dans un corps, en cela suivant les grands théologiens Grégoire de Nysse (ive siècle apr. J.-C.) et Maxime le Confesseur (viie siècle apr. J.-C.) : les âmes viennent à l’être en même temps que leurs corps19. Psellos n’accepte pas non plus que les âmes puissent différer en elles-mêmes (c’est-à-dire indépendamment de leur rapport aux corps ; 90, 22-23) : elles ne se différencient pas selon la forme et sont toutes semblables (ὁμοειδεῖς) les unes aux autres (90, 2-3)20. Mais alors – Psellos se plaît à faire durer l’aporie (90, 3) – si les âmes ne sont pas différentes les unes des autres, comment se fait-il que tant de différences entre elles surviennent (90, 3-4) ?

  • 21 Dans la littérature médicale (infra n. 25), les différents mélanges des humeur (...)
  • 22 Comparer les trois conditions de l’âme distinguées par Psellos dans sa Chronographia, VI (...)
  • 23 La mention de l’excès et de la déficience se comprend en rapport avec le concept de la v (...)
  • 24 Ce passage, d’inspiration néoplatonicienne, est proche d’autre textes similaires chez Ps (...)

13Dans sa troisième section (3), il précise que c’est dans le mélange (κρᾶσις) de l’âme et du corps que les différences apparaissent21. Même si âme et corps sont de nature très différente (90, 12-18), ils sont mélangés de telle sorte que le corps est rendu vivant et l’âme s’étend dans de différentes parties dans le corps. Or Psellos distingue trois types (ou plutôt trois degrés) de mélange22 : un mélange extrême qui plonge des âmes dans les profondeurs du corporel et les somatise en quelque sorte (90, 24-28) ; un mélange moins intense, intermédiaire, qui permet à des âmes d’éviter une vie faite des extrêmes d’excès et de déficience (90, 28-30)23 ; et enfin un mélange peu contraignant qui permet à certaines âmes de survoler en quelque sorte leur vie en corps, de se détourner du corps, de se connaître et de s’approcher de Dieu (90, 30-91, 4)24. Ainsi, comme il n’y a pas qu’un type de mélange (ou harmonie ou union) liant l’âme au corps, il en résulte des différences entre nous au niveau de l’âme.

  • 25 La théorie des quatre humeurs et de leur effet sur les dispositions de l’âme est exposée (...)

14Psellos présente dans la section suivante (4) quatre sortes de « tyrannie » que le corps peut exercer sur l’âme. Nous pensons qu’il doit s’agir ici d’une élaboration de la description du premier type de mélange distingué plus haut, car les deux autres types de mélange (mélange intermédiaire, mélange atténué) ne constituent pas de tyrannies exercées par le corps sur l’âme. Les quatre tyrannies correspondent aux quatre humeurs, dont Psellos fait une présentation détaillée (une des quatre tyrannies est distinguée en cinq parties), afin de montrer les différentes dispositions psychiques qui en résultent25.

  • 26 Voir Aetius Amidenus (vie siècle apr. J.-C.), Libri medicinales, VI, 2 (éd. A. Olivieri, (...)

15Enfin (section 5), Psellos aborde le cas d’Eudokimos dont la macrocéphalie est accompagnée d’une faiblesse de l’esprit et d’un comportement aberrant aux yeux de Psellos. S’agit-il ici d’une des quatre tyrannies des humeurs présentées juste avant ? Il semble qu’Eudokimos, du fait de la malformation de sa tête, n’entre pas dans la classification normale des humeurs et représente un cas exceptionnel, déviant. Psellos applique toutefois au cas d’Eudokimos le modèle explicatif de la théorie des humeurs, invoquant des liquides et leurs conduites dans le corps. Ainsi des excès des humeurs peuvent endommager des parties du cerveau26. Ou bien la masse excessive de la tête du petit garçon fait que le souffle de l’âme qui traverse les passages ventriculaires du cerveau est dispersé sur des surfaces trop larges, donnant lieu à une pensée faible, vide, chaotique, « féminine ». Et de cette faiblesse d’esprit résulte un comportement étrange, observé notamment dans les jeux féminins (et sexuels) qu’affectionne le petit garçon.

5. Jeux et genre

16La liste détaillée des jeux qu’Eudokimos aime ou rejette constitue un document unique. La partie la plus longue énumère des activités qui réunissent les garçons, tout d’abord par types d’espaces génériques (les « logis d’hommes », les lieux de « réunions des jeunes gens », le gymnase, la chasse), puis en précisant sept types de jeux qui se pratiquent avec des accessoires : le ballon, les osselets, les noix, la toupie, les dés, les jeux de plateau et le cottabe. Plus brève, la seconde partie évoque « ce qui se rapporte au gynécée » et aux filles : le filage et le tissage ainsi que la manipulation d’une paire de figurines anthropomorphes.

  • 27 Sur la maturité attendue du future saint qui se détourne des jeux dans les hagiographies (...)
  • 28 Sur ce mépris du jeu dans le discours des Pères de l’Église, voir Caseau, Mess (...)
  • 29 August., Conf., I, 9, 15 : « Un juge équitable pourrait-il cependant approuver qu’un enf (...)
  • 30 Les jeux des enfants dans les sanctuaires grecs peuvent toutefois aussi mener (...)
  • 31 Sur jeu (paidia) et sérieux (spoudê) chez Platon, voir Jouët-Pastré, 2006. Cf. (...)
  • 32 Sur le double sens de ces termes, voir Laes, 2021. Sur le jeu et le goût des é (...)

17Ce passage semble transmettre les goûts personnels d’un enfant et donner à un petit garçon une voix si rarement entendue dans les textes, qu’il s’agisse d’auteurs byzantins, grecs ou latins. Chez les auteurs contemporains de Psellos, le jeu est d’ordinaire commenté de manière négative et principalement comme une activité de garçons. Les hagiographes et biographes des empereurs byzantins présentent d’ordinaire l’enfance comme la période de la vie où se manifeste la maturité précoce d’un puer senex qui refuse de jouer comme il serait attendu pour son âge27. D’autres auteurs présentent les jeux d’une manière moralisatrice et méprisante. La passion qui caractérise le jeu enfantin peut entraîner des comportements inadaptés. Elle est perçue comme le signe d’appétits animaux qu’il faut apprendre à contrôler et qui suscitent la méfiance et la réprobation28. Dans les Confessions, Augustin jette une lumière sinistre sur la première période de sa vie marquée par les brimades et les coups. Le jeu (de balle, de noix…) y est synonyme de légèreté coupable, de désobéissance et de péché car il détourne l’écolier de son apprentissage et ne mérite que des punitions29. Ce point de vue diffère profondément de celui des auteurs grecs et romains. L’enfant y est aussi vu comme un être en formation, mais sans associer son impétuosité et sa spontanéité à la dimension religieuse de faute30. Plusieurs auteurs anciens, de Platon à Quintilien, reconnaissent à l’activité ludique une valeur positive d’apprentissage. Ils insistent sur l’importance d’intégrer le plaisir et le goût de la compétition enfantine dans le processus pédagogique, de l’apprentissage de la lecture et du calcul aux exercices de rhétorique31. Cette synergie est potentiellement contenue dans le double sens du terme grec σχολή, qui signifie à la fois « le loisir », qui permet d’étudier, et l’école, comme dans le latin ludus32.

  • 33 CIL VI 19007 (CLE 562, 4) ; Dasen, Mathieu, 2020.

18Une épitaphe de la Rome impériale (iie siècle apr. J.-C.) résume cette vision positive du jeu ; elle honore la mémoire de la petite Geminia Agathe, morte prématurément à l’âge de cinq ans, sept mois et vingt-deux jours33. Les premières lignes de l’inscription présentent son activité ludique comme la marque de son intégration sociale et une forme d’accomplissement dans sa brève vie : « Tant que j’ai vécu, j’ai joué, toujours aimée de tous », Dum uixi lusi sum cunctis semper amata.

19L’interprétation de la liste d’Eudokimos est toutefois complexe dans la mesure où la figure du petit garçon pourrait être fictive, tout comme ses activités. Son contenu nous interpelle car des jeux familiers sont absents, d’autres sont décrits avec des détails jusqu’ici inconnus. Cependant, même inscrite dans un discours qui ne serait pas basé sur l’observation d’un cas réel, cette liste témoigne d’une façon de penser la valeur sociale et symbolique des activités ludiques à l’époque byzantine et suggère le rôle qu’ils ont pu tenir dans la biographie d’un enfant. Psellos l’organise de manière explicite selon le critère du genre, ce qui correspond aux témoignages sur les jeux séparés selon les sexes, mais d’autres paramètres sont aussi à l’œuvre.

5.1. Les jeux de garçons

20Les activités ludiques que Psellos désigne comme viriles (ἀνδρώδης) ou féminines (θῆλυς) évoquent différentes formes de sociabilité qui s’inscrivent dans une longue durée. Les jeux de garçons se caractérisent tous par une dimension à la fois collective et compétitive. Ils peuvent être divisés en trois catégories.

  • 34 Gal., Sur l’exercice avec la petite balle (Kühn V, 899-910 ; trad. P. Singer, Galen (...)
  • 35 Sur Galien et les jeux de balles, voir Pietrobelli, 2020. Différents types de jeux (...)
  • 36 Mathieu, 2021. Voir p. ex. la scène de jeu de balles dans les thermes de Petron., S (...)

21Un premier groupe est associé aux exercices physiques, à l’effort et à la sueur qu’Eudokimos fuit, ainsi qu’à l’adresse, la rapidité et la résistance physique qui faisaient sans doute défaut à l’enfant. Psellos mentionne explicitement les jeux de balle dont la popularité est bien documentée à l’époque romaine, sans en préciser le type, qui pouvait varier en taille et poids. Les jeux avec une petite balle sont relativement bien connus grâce à un traité que Galien leur consacre34. Il les préconise comme exercices bons pour la santé, fortifiant la musculation, la vue et l’agilité, car ils entraînent des mouvements harmonieux qui procurent le bien-être. Ces jeux sont aussi recommandés dans le cadre d’un entraînement de type militaire35. À l’époque romaine impériale, les exercices pouvaient se faire dans les sphaeristeria, des édifices souvent intégrés à un complexe architectural comprenant des thermes, une palestre et des portiques36. Ils avaient aussi lieu sur le Champ de Mars, à la vue d’un public prompt à applaudir l’habileté du joueur ou à railler sa maladresse. Comme le joueur évoqué par Horace, Eudokimos semble avoir préféré s’abstenir de se livrer en pâture aux moqueurs en pratiquant ce type de jeux :

  • 37 Hor., Ars P., 379-381 (trad. F. Villeneuve, CUF). Voir aussi le spectacle offert à (...)

« Qui ignore les jeux du Champ de Mars n’en manie pas les armes ; l’homme inhabile à la balle, au disque, au cerceau se tient en repos, de peur que le cercle pressé des spectateurs n’éclate de rire avec impunité37. »

  • 38 Cf. la description de Grégoire de Nysse, Lettres,16 ; Boudon-Millot, 2015, p. 50 ; (...)
  • 39 P. ex. Dig., IX, 2, 52, 4 ; Pietrobelli, 2020, p. 166. La fille âgée de dix ans de (...)

22La méfiance d’Eudokimos est sans doute aussi liée à la violence que pouvaient prendre certains jeux de balle. Les plus populaires voyaient deux équipes se disputer le ballon avec acharnement, comme dans l’episkyros ou sphairomachia (« bataille avec le ballon ») et la phaininda, « le jeu de la feinte », appelé en latin harpastum, identifié à une forme de rugby38. Comme Antoine Pietrobelli l’a récemment montré, des textes juridiques décrivent les blessures que pouvaient se faire les joueurs, leurs accompagnants ou les spectateurs lors de ces parties39.

  • 40 Angelov, 2009, p. 105-111; Ariantzi, 2018, p. 126.
  • 41 Sur le cerceau à Rome, Dasen, 2019b.
  • 42 Azzara, 1996 ; Lilie, 2013 ; Angelov, 2018, p. 110, n. 107, indiquent plusieurs tex (...)

23Eudokimos rejette aussi la chasse, une activité qui appartient à l’éducation physique et militaire idéale des enfants impériaux dans les miroirs des princes qui prennent forme à l’époque de Psellos. Dans un poème célébrant la naissance d’Alexios, le fils du Sebastokrator Andronikos Kommenos (1091-1130), Théodore (xiie siècle) détaille l’entraînement du futur meirakion qui comprend une partie des jeux qu’Eudokimos n’aime pas et sont à nouveau autant d’exercices de préparation à la vie militaire : jeux de balle, chasse, équitation, tir à l’arc40. Parmi les absents de la liste de Psellos, relevons les jeux de cerceau, qui se pratiquaient dans le gymnase41, peut-être car aucune compétition n’y était associée. D’autres jeux, sans doute destinés à des jeunes plus âgés, manquent, comme les jeux sportifs équestres qui étaient très appréciés par l’élite de la période byzantine. Jean Cinnamus (1143-1185) rapporte qu’une forme de polo pratiquée avec une sorte de raquette était le divertissement favori de la cour de l’empereur Manuel Ier (1143-1180) ; deux équipes de jeunes gens, neaniai, montés à cheval, s’y affrontaient. Ce sport était déjà pratiqué sous le règne de Théodose II (408-450)42.

  • 43 Sur les différentes sortes de jeux d’osselets, voir la description de Poll., Onom., (...)
  • 44 Sur la triche aux dés, voir Th. Daniaux dans ce volume.

24Une deuxième catégorie de jeux écartés par Eudokimos sort du cadre sportif, mais se pratique dans un but compétitif, comme les jeux d’osselets43, de noix, et de pions, avec des paris, parfois pour de l’argent, comme dans les jeux de dés, avec parfois aussi de la triche, source de conflits et de violence physique44. Dans son Interprétation des songes, Artémidore (iie siècle apr. J.-C.) associe aux enfants trois activités qu’Eudokimos n’aime pas en insistant sur la dimension conflictuelle de ces jeux :

  • 45 Artem., III, 1, Pack 205, 6-14 (trad. Groupe Artémidore, Montpellier) ; Du Bouchet, (...)

« Les dés eux-mêmes, si on les voit en rêve, annoncent des discordes et des inimitiés : si on les perd, ils mettent fin aux discordes présentes, mais si leur nombre augmente, ils les avivent. Rêver qu’un enfant joue aux dés, aux osselets ou aux pions n’est pas mauvais, car les enfants ont l’habitude de jouer sans cesse45. »

Αὐτοὶ δὲ οἱ κύβοι ὁρώμενοι στάσεις καὶ ἔχθρας προαγορεύουσιν, ἀπολλύμενοι δὲ λύουσι τὰς ἐν ποσὶ στάσεις καὶ αὐξανόμενοι ἐπιτείνουσι. Παιδίον δὲ παῖζον ἰδεῖν κύβοις ἢ ἀστραγάλοις ἢ ψήφοις οὐ πονηρόν· ἔθος γὰρ τοῖς παιδίοις ἀεὶ παίζειν·

  • 46 Voir Pichonnaz, 2018 et A. Pace dans ce volume.

25Dans le même chapitre, Artémidore associe explicitement les dés aux jeux d’argent qui sont condamnés dans la législation romaine46, car le désordre qu’ils engendrent menace l’ordre social :

  • 47 Artem., III, 1, Pack 205, 1-4 (trad. Groupe Artémidore, Montpellier) ; Du Bouchet, (...)

« Rêver de jouer aux dés (κυβεύειν) signifie être en conflit avec quelqu’un pour de l’argent, car les dés comportent un nombre et on appelle « pions » (ψῆφοι) ce avec quoi jouent les joueurs de dés. Il est toujours bon de gagner47. »

Κυβεύειν δοκεῖν φιλονεικῆσαι πρός τινα σημαίνει περὶ ἀργυρίου· καὶ γὰρ οἱ κύβοι ἀριθμὸν περιέχουσι καὶ ψῆφοι λέγονται αἷς οἱ κυβεύοντες παίζουσιν. Ἀεὶ δὲ νικᾶν ἀγαθόν.

  • 48 Sur les jeux d’argent (dés, plateau avec pions) dans la construction de l’identité (...)

26Rarement associé aux enfants, ce type de jeu, tout comme les jeux de plateau, pourrait figurer dans la liste pour évoquer des milieux mal famés et le comportement transgressif de jeunes gens dont Eudokimos veut se distinguer48.

  • 49 Londres, British Museum inv. 1865,0103.7 ; Huskinson, 1996, p. 17, no 1.12, pl. 4, (...)
  • 50 Giuman, 2020.

27Les jeux de noix figurent dans la même liste. Ils échappent à cet opprobre, car ils caractérisent essentiellement les plus jeunes, comme le paidion que représente Eudokimos, mais leur jeu peut aussi dégénérer en disputes qui constituent un topos visuel sur plusieurs sarcophages de l’époque romaine. Alors que les filles y jouent ensemble à la balle ou aux noix de manière posée, les garçons sont souvent représentés s’en prenant aux mains, comme sur le sarcophage du petit Lucius Aemilius Daphnus (iiie siècle apr. J.-C.)49. La présence de la toupie dans la liste nous surprend, car on la voit aux mains des filles comme des garçons dans l’Antiquité grecque et romaine, sans être associée à des comportements anormaux, qu’on y joue seul ou à plusieurs50. Un élément ergonomique peut toutefois expliquer cette mention. Le sabot de buis doit être frappé vigoureusement au moyen d’un fouet pour se mettre en mouvement, puis se déplacer. La réticence d’Eudokimos pourrait exprimer sa crainte des débordements susceptibles de se produire dans le feu de l’action, amenant les enfants à se frapper les uns les autres. Dans l’Enéide, Virgile évoque cette dimension collective et la vivacité du jeu. Un groupe de garçons (pueri) dont le nombre n’est pas précisé jouent avec entrain à fouetter leurs sabots dans l’atrium d’une demeure, apparemment sans surveillance particulière :

  • 51 Verg., Aen., VII, 378-383 (trad. J. Perret, CUF).

« Avez-vous vu voler sous les coups de fouet la toupie que les enfants en grand cercle, attentifs à leur jeu, font tourner autour de l’atrium désert ? Activée par la lanière, elle décrit des courbes rapides ; la troupe enfantine, immobile, émerveillée, se penche sans comprendre, admire le buis qui tourne et qu’animent les coups51. » 

  • 52 Sur le jeu de cottabe, voir Jacquet-Rimassa, 1995.

28Une troisième catégorie de jeux pourrait se composer de ceux qui n’ont plus cours à Byzance mais qui correspondent à un passé auquel Psellos se réfère en démontrant son érudition, comme le cottabe, ce jeu de banquet très populaire en Grèce ancienne, pratiqué tant par les hommes que les femmes, mais d’ordinaire d’âge adulte. Il consiste à lancer les gouttes de vin qui restent au fond de la coupe dans un bassin posé en équilibre sur une tige en métal ; le son du métal ou la chute du bassin rend un présage amoureux, avec des gages en cas d’échec52. Cet espace du banquet pourrait être évoqué dans le texte de Psellos par le terme ἡβητήρια qui désigne aussi le symposion.

5.2. Les jeux de filles

  • 53 Cf. les jeux similaires des petites filles du Haut atlas marocain ; Rossie, 2019.
  • 54 Pitarakis, 2009, p. 242-250 ; Behling, 2011.

29Par constraste, Eudokimos semble aimer des occupations qui se pratiquent seul, comme s’il craignait la compagnie d’autres garçons. Dans l’espace du gynécée, il s’active paisiblement, à son rythme, à filer la laine ou à tisser. De manière concentrée, sans intervention d’adulte, il s’adonne aussi à un jeu de rôle particulier. Il utilise deux figurines anthropomorphes, eidola, pour mimer un mariage et un accouchement53. Le récit donne des détails insolites et inattendus, comme la mention du salaire de la sage-femme. En soi, ce jeu mimétique ne nous surprend pas, car les poupées, grecques, romaines ou byzantines, représentent toutes des femmes au corps adulte et sexué, jamais des bébés. Les exemplaires conservés sont toutefois d’ordinaire en terre cuite, os ou ivoire54. Seule l’Égypte romaine a livré des poupées en matière végétale, comme celles en lin, bourrées de feuilles de papyrus, provenant de tombes d’enfants qui s’échelonnent du ier au ive siècles apr. J.-C. L’apparence de ces figurines féminines insistent sur la séduction physique d’une femme adulte, aux seins bien marqués, maquillée avec de grands yeux peints en noir, des lèvres peintes et des bijoux. Certaines ont une garde-robe avec un nécessaire (miroir miniature, clé, boîte ou panier avec un couvercle…) où se trouve aussi un fuseau miniature à manipuler, des ensembles qui paraissent destinés à inspirer à l’enfant le désir de grandir et de devenir une épouse et une maîtresse de maison accomplie.

  • 55 Pour l’époque romaine, l’exercice concerne aussi les pratiques religieuses, comme l (...)
  • 56 Cf. Ariantzi, 2012, p. 51-76, 246-298 ; Congourdeau, 2009.

30Le jeu d’Eudokimos pourrait entrer dans la catégorie des jeux mimétiques qui exercent le rôle social de l’enfant55. Toutefois, si le mariage reste toujours accompli par la naissance d’un enfant à Byzance56, il ne reflète plus l’unique destin idéal des petites filles chrétiennes dont on espère aussi une vie monastique avec l’offrande à Dieu de leur virginité. En 413 apr. J.-C., Jérôme adresse une lettre à la petite Pacatula, âgée de sept ans, en décrivant des activités qui correspondent en partie à celles qu’aime Eudokimos. Elle doit s’exercer à lire, à filer, et on l’encourage avec des cadeaux, comme des « poupées qui amusent ». Elle apprend à « chanter des psaumes pour une petite récompense » et peu à peu à aimer :

  • 57 Jerôme, Lettres, 128, 1, 4-5 (trad. J. Labourt, CUF). Cette idéologie est développé (...)

« ce qu’elle est obligée de dire, de façon que ce ne soit pas une besogne, mais un plaisir, non une contrainte, mais un libre vouloir. […] Voilà l’époque où Pacatula est née ; tels sont les jouets parmi lesquels se déroule son premier âge ; elle va connaitre les larmes avant de rire et sentir les pleurs avant la joie57. »

  • 58 Cojocaru, 2021, p. 99-110 mentionne l’hypothèse que la poupée ait pu représenter la (...)
  • 59 Le chant pratiqué par Eudokimos, celui d’une fille languissant d’amour (93, 22-25), (...)

31Si les poupées séduisent toujours les filles à Byzance, leur jeu se déroule désormais sans la dimension religieuse liée aux rites nuptiaux grecs et romains58. En jouant avec ce couple de mariés, Eudokimos faisait-il l’apprentissage d’un rôle marital59 ? Le garçon pourrait avoir recherché un tout autre plaisir.

Conclusion : un jeu pour grandir ?

  • 60 Sur la condamnation des dérapages des jeux de garçons à Byzance, voir Caseau, Messis, 20 (...)

32Ce parcours entre monde gréco-romain et byzantin fait ressortir ce qui peut être la principale caractéristique de l’Eudokimos de Psellos : un paidion/meirakion qui n’aspire pas à être un adulte conforme au stéréotype masculin de son temps, axé sur la compétition et le monde militaire. Affligé d’une différence physique stigmatisée par les autres enfants, il semble principalement chercher à éviter d’être la cible de moqueries et de mauvais traitements. Il reste à l’écart de la compagnie d’autres garçons dont les activités turbulentes peuvent aisément dégénérer en harcèlement60.

  • 61 Sur l’importance de la formation de sages-femmes, à la mesure de la valeur acc (...)
  • 62 L’oraison funèbre de Psellos à la mort de sa fille Styliane à l’âge de neuf ans (Funeral (...)
  • 63 Sur le regard porté sur l’enfant différent dans le monde chrétien, Congourdeau, (...)

33Il se plaît à un jeu de poupées qui ne consiste pas simplement à mettre en scène les rites de mariage avec un couple de mariés. Le couple procrée et la femme devient mère. La description explicite du processus qui mène à l’accouchement, des douleurs de l’enfantement et de la présence d’une sage-femme professionnelle qui reçoit un salaire suggère l’importance symbolique particulière que ce jeu mimétique est censé avoir eue pour le garçon. Contrairement aux jeux ordinaires, visant l’apprentissage d’une vie future, il ne semble pas l’avoir projeté dans l’avenir, mais à l’inverse avoir autorisé Eudokimos à rejouer l’événement fondateur de sa propre naissance, dramatisée et valorisée par l’épreuve maternelle, entourée de soins à la mesure de l’espoir d’un héritier61. En recréant le récit de ses origines, dont il était le personnage principal et attendu, Eudokimos cherchait peut-être à réparer symboliquement la dérision dont il était victime. Psellos n’en parle pas, mais en creux le récit, réel ou fictif, dessine en filigrane le sort difficile des enfants nés différents, physiquement et intellectuellement62, tout en éclairant la valeur symbolique exceptionnelle du jeu dans les contextes difficiles63.

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Scafoglio, G., 2020, Il lusus come strategia pedagogica nella poesia di Ausonio, dans V. Dasen, et M. Vespa (éd.), Dossier Bons ou mauvais jeux ? Pratiques ludiques et sociabilités, Pallas, 114, p. 43-67.

Schädler, U., 1996, Spielen mit Astragalen, AA, 111, p. 61-73.

Temkin, O., 1962, Byzantine Medicine: Tradition and Empiricism, DOP, 16, p. 97-115.

Volk, R., 1990, Der medizinische Inhalt der Schriften des Michael Psellos, Munich, Miscellanea Byzantina Monacensia 32.

Vuolanto, V., 2020, Daily Life of Children in Late Antiquity: Play, Work and Vulnerability, dans L.A. Beaumont, M. Dillon et N. Harrington (éd.), Children in Antiquity. Perspectives and Experiences of Childhood in the Ancient Mediterranean, Londres, p. 268-280.

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Annexe

Michael Psellos, Philosophica minora, II, 19, p. 93. 9-26 (éd. D. O’Meara, Leipzig, 1989)

μεμίσηνται γὰρ αὐτῷ ἀνδρῶνές τε καὶ γυμνάσια, κυνηγέσιά τε καὶ ἡβητήρια, καὶ οὔτε
συσφαιρίζειν ἐθέλει οὔτε δὴ συγκυβεύειν οὔτε ξηρῶν ἱδρώτων ἀντέχεσθαι. φίλα δὲ
αὐτῷ ἱστός τε καὶ ἠλακάτη καὶ ἡ λοιπὴ ταλασιουργία, καὶ τὸ ὅλον περὶ
τὴν γυναικωνίτην τὴν πραγματείαν ἔσχηκεν, ἄτρακτόν τε ἑλίττειν ἐθέλει
καὶ ὑφαίνειν οὐχ ἥκιστα. δεῆσαν δὲ καὶ πρὸς παιδιὰν τρέπεσθαι, οὔτε
(15) ἀστραγάλοις ἐφήδεται οὔτε κοττάβοις προσπαίζει, ἀλλ’ οὐδὲ τηλίαν  
ἀσπάζεται οὐδ’ ἐπὶ στρόμβοις ἀγάλλεται οὐδὲ τοῖς ἐπιμήκεσι τῶν καρύων
κατὰ τοῦ προκειμένου βάλλει σκοποῦ. ἐν εἰδώλοις δὲ καί τισιν ὁμοιώμασιν
παστάδα τε πήγνυται καὶ σχηματίζει νυμφίον καὶ νύμφην τούτῳ συγ-
κατακλίνει, καὶ τὸ τῆς νύμφης εἴδωλον φορυτῷ τινι ἐξογκῶν κατὰ τὴν
(20) γαστέρα κύειν αὐτὸ οἴεται, ὠδὶς ἐπὶ τούτοις καὶ λοχεία καὶ μαῖα καὶ  
μαίωτρα. δεῆσαν δὲ καὶ τῷ τῆς φωνῆς μέλει χαρίσασθαι, οὐ συνασπισμοὺς
παλαιῶν ἀνδρῶν τραγῳδεῖ οὐδὲ μάχας καὶ τρόπαια, ἀλλ’ ὡς ἡ θυγάτηρ
ἀνακρινομένη παρὰ τῆς μητρός, ἐφ’ ᾧ παρὰ τὴν πηγὴν ἰοῦσα μέλει, ὑπὲρ
αὐτῆς φησιν ὡς ἐρώτων μὲν ἐκείνη πέπλησται, ἀκκισμῶν δὲ ἡ λεκανὶς
(25) καὶ κολακείας τὸ ἄγγος τοῦ ὕδατος. τοιοῦτόν ἐστι τὸ κάλλιστον τοῦτο
μειράκιον καὶ διὰ ταῦτα τοιοῦτον ἐγένετο.

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Notes

1 Cette recherche a été réalisée dans le cadre du projet soutenu par le Fonds National Suisse de la Recherche Scientifique (FNS) Poupées articulées grecques et romaines (xe s. av. J.-C./ viie s. apr. J.-C.). Approches archéologiques et anthropologiques. Il développe une des facettes de la culture ludique grecque antique révélée par le projet Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity financé par le Conseil Européen de la Recherche (ERC), programme de recherche et d’innovation de l’Union Européenne Horizon 2020 (# 741520).

2 Nous citons le texte de l’édition critique, Michael Psellos, Philosophica minora, II, no 19. Une traduction allemande du texte se trouve dans Auburger, 1978. Sur la biographie de Psellos, Kaldellis, 2006.

3 Sur le découpage des âges de la vie à Byzance, et la classe d’âge de meirakion (6-14 ans), voir par exemple Ariantzi, 2012, p. 36-41 ; Prinzing, 2009, p. 19 ; Caseau, 2018, p. 19; Angelov, 2009, p. 102-103, relève plusieurs récits où c’est à l’âge du μεῖραξ, à peine 15 ans, que de futurs empereurs signalent leur volonté de prendre part aux combats (Alexios I et Michael VIII Palaiologos).

4 Sur l’emploi de μεῖραξ pour désigner une fille et un homosexuel, voir Luc., Sol., 5 ; Cratin., Drapetides (éd. I. Story, Fragments of Old Comedy, Loeb, t. I, fr. 60) ; Phrynichos, Eclogae no 183 (éd. E. Fischer, Berlin, 1974).

5 Michael Psellos, Philosophica minora, I, n° 3, 19, 30, 43, 46. Pour une vue d’ensemble, voir O’Meara, 1998.

6 Michael Psellos, Philosophica minora, II, n° 8, 16, 23, 24, 30, 44, 46, 47.

7 Voir par exemple Philosophica minora, II, n° 8.

8 La question est posée par Auburger, 1978, p. 24.

9 Michael Psellos, Philosophica minora, I, 2, 30 fait référence au De usu partium où Galien traite (VIII, 1) d’un jeune homme de Smyrne qui souffrait d’une blessure à la tête ; voir aussi Gal., Pro puero epileptico consilium. Hummel, 1999, p. 27-40, et Gourevitch, 2001, sur les enfants malades chez Galien.

10 Cf. Temkin, 1962.

11 Les jumeaux seraient nés en Asie Mineure vers 940 apr. J.-C. et vécurent jusqu’à l’âge de 30 ans ; Dasen, 2005, p. 39-40, fig. 5 a, b (vignettes du manuscrit de Madrid de la fin XIIIe/XIVe siècle illustrant l’opération).

12 Nous divisons le texte en sept sections en donnant à la fin de chaque section les numéros des pages et des lignes de l’édition critique.

13 Gal., Ars medica, VI, 2. Psellos se réfère dans Poema, 9, 33-40 aux différentes tailles de tête et leurs effets sur la pensée.

14 Nous reprenons ici, avec quelques modifications, la traduction de 93, 8-21 faite par Michel Casevitz et publiée par Dasen, 2019a, p. 25.

15 Syn., Aegyptii,, I, 1 (Psellos en copie des phrases entières).

16 Voir Psellos, Philosophica minora, II, nos 39, 40.

17 Syn., Dion, IX, 2-4. Amous est nommé aussi par Psellos dans son Éloge de sa mère, 29 (éd. Criscuolo 1810).

18 Procl., in Ti., III, 160, 1-4 ; 282, 2-6.

19 L’édition critique donne les références pour Grégoire et Maxime. Même prise de position de Psellos dans son De omnifaria doctrina, 59 et 198.

20 Même thèse dans De omnifaria doctrina, 39 (où Psellos suit Simp., in de An., 12, 15-23) ; une thèse opposée se lit dans un extrait de Proclus sur les Oracles Chaldaïques (éd. E. Des Places, 1971, p. 212), d’origine sous doute Psellienne.

21 Dans la littérature médicale (infra n. 25), les différents mélanges des humeurs dans le corps donnent lieu aux différentes dispositions psychiques, alors qu’ici, chez Psellos, ce sont les différents mélanges de l’âme et du corps qui ont cet effet ; c’est, me semble-t-il, une originalité de sa part. Ailleurs dans le De omnifaria doctrina, 35, 60, 65, Psellos dit, non pas que l’âme elle-même se mélange au corps, mais qu’elle donne vie, une lumière, au corps qui devient ainsi un mélange, un ensemble, un corps vivant.

22 Comparer les trois conditions de l’âme distinguées par Psellos dans sa Chronographia, VI a 8.

23 La mention de l’excès et de la déficience se comprend en rapport avec le concept de la vertu morale qui est un état moyen de l’âme entre l’excès et la déficience que sont les vices ; voir O’Meara, 2021.

24 Ce passage, d’inspiration néoplatonicienne, est proche d’autre textes similaires chez Psellos ; voir Delli, O’Meara, 2022.

25 La théorie des quatre humeurs et de leur effet sur les dispositions de l’âme est exposée, par exemple, dans le De natura hominis, 3-4, hippocratique, l’Ars medica, VI, 10, et le Quod animi mores, 3, de Galien, les Problemata, XXX, 1, du Pseudo-Aristote et le De humoribus du Pseudo-Galien. Psellos donne une présentation des quatre humeurs sous forme poétique dans Poema, 9, 72-80. Voir aussi Psellos, Oratoria minora, 26, 12-19 ; Scripta minora, I, 465, 14-466,12 ; Moore, 2005, p. 305, 546. Pour une liste des écrits médicaux de Psellos, voir Moore, 2005, p. 419-444 ; Volk, 1990. Le langage chez Psellos de la « tyrannie » des humeurs est insolite, inspirée peut-être par la République de Platon, 573cd.

26 Voir Aetius Amidenus (vie siècle apr. J.-C.), Libri medicinales, VI, 2 (éd. A. Olivieri, Teubner, p. 125, 10-19). Sur l’explication chez Galien de la μώρωσις (modèle dont Psellos s’inspire), voir Gal., De locis affectis, III, 160, 8-166, 5 ; 174, 10-13 ; 180, 1-5 et Devinant, 2020, p. 156, 192-193.

27 Sur la maturité attendue du future saint qui se détourne des jeux dans les hagiographies, Caseau, 2009, p. 149-153, Cojocaru, 2021, p. 38-46, 98-99. Voir aussi les jeux de Jésus enfant qui servent à révéler sa nature divine ; Herrero de Jáuregui, 2021. La description que fait Psellos de son petit-fils de quatre mois, tout comme celle de Constantin Doukas bébé, est toutefois empreinte d’une grande tendresse pour leur apparence physique et leurs premières activités ; Psellos, Chronographia, VII, cl2 et Lettre à son petit-fils ; Kaldellis, 2006, p. 163-164 ; Cojocaru, 2021, p. 33-36.

28 Sur ce mépris du jeu dans le discours des Pères de l’Église, voir Caseau, Messis, 2020.

29 August., Conf., I, 9, 15 : « Un juge équitable pourrait-il cependant approuver qu’un enfant fût châtié pour s’être laissé détourner par le jeu de paume d’apprendre des leçons qui devaient devenir, entre ses mains d’homme fait, un jeu autrement nuisible ? » (trad. E. de Labriolle, CUF) ; ibid., I, 19, 30 : jeux de noix et de petites balles (ou billes ?). Cojocaru, 2021, p. 46, nuance toutefois cette vision négative de l’immaturité enfantine chez les auteurs byzantins en soulignant l’attitude affectueuse récurrente envers les caractéristiques physiques et le caractère des tout petits.

30 Les jeux des enfants dans les sanctuaires grecs peuvent toutefois aussi mener à des actes condamnés comme impies ; voir le récit de l’Artémis de Kondyléa, où les enfants pendent une statuette à la manière d’une poupée, transformant l’épiclèse d’Artémis en Apanchomênè (« pendue ») ; Paus., VIII, 23, 6-7 ; Dasen, 2020 (avec d’autres exemples).

31 Sur jeu (paidia) et sérieux (spoudê) chez Platon, voir Jouët-Pastré, 2006. Cf. les recommandations de Pl., Leg., VII, 819b-c pour un apprentissage ludique du calcul ; Dasen, Gavin, 2021. Voir aussi Quint., Inst., I, 3, 10-12 ; I, 1, 26 (pour un apprentissage divertissant de la lecture au moyen de lettres en ivoire et de compétitions rhétoriques).

32 Sur le double sens de ces termes, voir Laes, 2021. Sur le jeu et le goût des énigmes comme instrument d’apprentissage, voir Scafoglio, 2020 ; Beta, 2020, 2021. Dickey, 2020, relève cependant l’absence de mention de jeu dans les Hermeneumata, un manuel scolaire bilingue d’époque romaine impériale qui se concentre sur la matière à apprendre.

33 CIL VI 19007 (CLE 562, 4) ; Dasen, Mathieu, 2020.

34 Gal., Sur l’exercice avec la petite balle (Kühn V, 899-910 ; trad. P. Singer, Galen Selected Works, Oxford University Press, 1997, p. 299-304).

35 Sur Galien et les jeux de balles, voir Pietrobelli, 2020. Différents types de jeux de balles sont énumérés par Poll., Onom., IX, 103-107 (episkyros ou éphêbikê/ épikoinos, phaininda, aporraxis, ourania).

36 Mathieu, 2021. Voir p. ex. la scène de jeu de balles dans les thermes de Petron., Sat., 27. Sur les jeux de balles des femmes, Pietrobelli, 2020, p. 157.

37 Hor., Ars P., 379-381 (trad. F. Villeneuve, CUF). Voir aussi le spectacle offert à la foule par l’agilité de Pison selon Pseudo-Calpurnius, Éloge de Pison, 185-189.

38 Cf. la description de Grégoire de Nysse, Lettres,16 ; Boudon-Millot, 2015, p. 50 ; Pietrobelli, 2020, p. 160-161.

39 P. ex. Dig., IX, 2, 52, 4 ; Pietrobelli, 2020, p. 166. La fille âgée de dix ans de Cyrille le Philéote perd ainsi l’œil droit, crevé par un caillou lancé par une camarade lors d’un jeu à l’extérieur de la maison ; Vie de saint Cyrille le Philéote, 13, 1 (éd. E. Sargologos, Bruxelles, 1964, p. 301-302) ; Cojocaru, 2021, p. 98.

40 Angelov, 2009, p. 105-111; Ariantzi, 2018, p. 126.

41 Sur le cerceau à Rome, Dasen, 2019b.

42 Azzara, 1996 ; Lilie, 2013 ; Angelov, 2018, p. 110, n. 107, indiquent plusieurs textes, notamment le panégyrique de Nicéphore Choumnos (1284-1285).

43 Sur les différentes sortes de jeux d’osselets, voir la description de Poll., Onom., IX, 99-103 ; Costanza, 2019. Sur les différentes façons d’y jouer, voir p. ex. Schädler, 1996. Sur la violence que suscite ce jeu, Dasen, 2022.

44 Sur la triche aux dés, voir Th. Daniaux dans ce volume.

45 Artem., III, 1, Pack 205, 6-14 (trad. Groupe Artémidore, Montpellier) ; Du Bouchet, 2021, p. 277 (avec un commentaire de l’ensemble des jeux mentionnés dans les Oneirokritika).

46 Voir Pichonnaz, 2018 et A. Pace dans ce volume.

47 Artem., III, 1, Pack 205, 1-4 (trad. Groupe Artémidore, Montpellier) ; Du Bouchet, 2021, p. 275.

48 Sur les jeux d’argent (dés, plateau avec pions) dans la construction de l’identité littéraire du mauvais prince accusé d’avidité et d’immoralité, voir Gaillard-Seux, 2020 ; Benoist, 2021.

49 Londres, British Museum inv. 1865,0103.7 ; Huskinson, 1996, p. 17, no 1.12, pl. 4, 4. Sur le comportement contrasté des filles et des garçons dans le jeu sur les sarcophages, Dolansky, 2017, p. 125-126, fig. 8.2 (Paris, Louvre inv. Ma 99), fig. 8.4 (Vatican, Museo Chiaramonti inv. 1304) ; Dasen, 2022, figs 8-9. Sur les jeux de noix, Behling, 2013.

50 Giuman, 2020.

51 Verg., Aen., VII, 378-383 (trad. J. Perret, CUF).

52 Sur le jeu de cottabe, voir Jacquet-Rimassa, 1995.

53 Cf. les jeux similaires des petites filles du Haut atlas marocain ; Rossie, 2019.

54 Pitarakis, 2009, p. 242-250 ; Behling, 2011.

55 Pour l’époque romaine, l’exercice concerne aussi les pratiques religieuses, comme la « dînette » de Julia Graphis qui constitue un laraire miniature ; Darani, 2021. Pour l’Antiquité tardive et byzantine, voir les exemples de jeux de rôle des garçons et des filles rassemblés par Vuolanto, 2020, p. 274.

56 Cf. Ariantzi, 2012, p. 51-76, 246-298 ; Congourdeau, 2009.

57 Jerôme, Lettres, 128, 1, 4-5 (trad. J. Labourt, CUF). Cette idéologie est développée dans la lettre 107, écrite en 401-402 ; Katz, 2007.

58 Cojocaru, 2021, p. 99-110 mentionne l’hypothèse que la poupée ait pu représenter la fillette comme future épouse du Christ, mais les auteurs chrétiens ne l’évoquent pas. Sur le rôle des poupées articulées dans les rites nuptiaux grecs, voir dans ce volume l’article de V. Dasen et A. Verbanck. Pour l’époque romaine, voir dans ce volume l’exemplaire en bois d’Alba Fucens présenté par Ch. Bianchi.

59 Le chant pratiqué par Eudokimos, celui d’une fille languissant d’amour (93, 22-25), met en scène aussi la sexualité féminine que cherche à incarner le garçon. Ce passage pourrait s’inspirer d’une source poétique dont l’identité nous échappe.

60 Sur la condamnation des dérapages des jeux de garçons à Byzance, voir Caseau, Messis, 2020. Sur les jeux de harcèlement qui entraînent la résistance des jeunes dans un monde socialement violent, Costanza, 2020 ; Dasen, 2022 ; Haziza, 2022.

61 Sur l’importance de la formation de sages-femmes, à la mesure de la valeur accordée aux enfants, voir Laes, 2010.

62 L’oraison funèbre de Psellos à la mort de sa fille Styliane à l’âge de neuf ans (Funeral Oration for his Daughter Styliane in Kaldellis, 2006, p. 111-138) insiste sur l’harmonie de ses proportions physiques, augurant la beauté de son âme et ses qualités intellectuelles ; Cojocaru, 2021, p. 36-38.

63 Sur le regard porté sur l’enfant différent dans le monde chrétien, Congourdeau, 1993 et 1995.

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Pour citer cet article

Référence papier

Véronique Dasen et Dominic O’Meara, « Jeu et genre : le témoignage de Michel Psellos (Philosophica minora II, 19) »Pallas, 119 | 2022, 491-509.

Référence électronique

Véronique Dasen et Dominic O’Meara, « Jeu et genre : le témoignage de Michel Psellos (Philosophica minora II, 19) »Pallas [En ligne], 119 | 2022, mis en ligne le 22 septembre 2023, consulté le 11 novembre 2025. URL : http://journals.openedition.org/pallas/25454 ; DOI : https://doi.org/10.4000/pallas.25454

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Auteurs

Véronique Dasen

Professeure d’archéologie classique
Université de Fribourg
Directrice du projet ERC AdG Locus Ludi. The Cultural Fabric of Play and Games in Classical Antiquity (# 741520)

Articles du même auteur

Dominic O’Meara

Professeur émérite de philosophie
Université de Fribourg

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Droits d’auteur

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