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Sports et paysages : espaces, représentations, pratiques – Introduction au numéro thématique

Nathalie Carcaud et Hervé Davodeau

Texte intégral

1L’idée de ce numéro thématique consacré au croisement entre sports et paysages n’a pas émergé durant le confinement, mais l’appel à contributions que nous avons fait paraître juste après cette période si particulière (décembre 2021) soulignait combien ce contexte avait actualisé le sujet : « Depuis la seconde partie du xxe siècle, [les] pratique[s] sportive[s] [ont] gagné l’espace public et les paysages ordinaires […]. Cette diffusion a été particulièrement marquante lors de la crise sanitaire qui les a rendues encore plus visibles en les projetant à l’extérieur des enceintes sportives, dans ou hors la ville. Ces pratiques ont parfois entraîné des arrêtés d’interdiction sur l’espace public et se sont exprimées à travers des adaptations individuelles aux contraintes, faisant du balcon, voire même du salon, de nouveaux micro-espaces supports à ces usages. Face à ce constat et à celui de la multiplication des salles de sport, on doit se demander si la pratique sportive peut se passer du paysage et, à l’inverse, comment les paysages ordinaires sont le support de ces pratiques : en somme comment penser la relation entre sports et paysages, du point de vue des espaces et représentations engagés par ces pratiques sociales ».

2Est-ce cette même actualité de la crise sanitaire (dont nous ne sommes pas encore sortis) qui justifie qu’avec ce numéro de la revue Projets de paysage soit aussi en préparation un numéro de la revue Géocarrefour portant sur « Les territoires touristiques et sportifs en transition », ainsi qu’une session thématique « Le sport et ses outils pour l’éducation et la création de lieux » pour le congrès de l’Union géographique internationale (Paris, juillet 2022) ? À ces publications s’ajoute le récent numéro de la revue Norois sur les activités sportives dans l’espace littoral (janvier 2021). Il faut bien sûr certainement y voir aussi l’effet d’un autre événement mondial : les Jeux olympiques organisés à Paris en 2024, dont la publicité envahit déjà l’espace médiatique avec un storytelling qui mise sur la renommée des paysages de la « Seine olympique1 ».

3C’est bien cette dimension paysagère qui fait la spécificité de la réflexion que nous proposons dans ce numéro de Projets de paysage et que nous avons orientée autour de deux axes dans l’appel à contributions : le paysage-support des pratiques sportives afin de cibler la matérialité des espaces produits ou transformés par le sport, et le paysage-expérience pour questionner la relation sensible que nous entretenons avec les paysages au cours des activités sportives. Chacun des quinze articles qui ont été sélectionnés et que nous présentons ici privilégie donc l’une ou l’autre de ces entrées, même s’il est évidemment difficile de traiter l’une sans l’autre car, inévitablement, le support génère une expérience et l’expérience nécessite un support. Si le lecteur veut y trouver une façon d’orienter ses choix de lecture, alors positionnons plutôt les articles de Laurent Astrade et al., Xavier Cailhol, Marion Florez, Caterina Franco, Julia Moutiez, Olivier Pégard, Gabrielle Saumon et Frédéric Richard du côté du paysage-support, et ceux de Philippe Bodénan et Sébastien Coupez, Christophe Camus, Hervé Davodeau, Yannick Hascoët et al., Lilia Khelifi, Stéphane Marpot et al. du côté du paysage-expérience. Mais cette répartition équilibrée n’est qu’apparente tant la distinction est plus théorique qu’effective dans les textes, ceux de Julien Glauser sur le skate à Tokyo et d’Aude Nikiema sur le sport à Ouagadougou ne pouvant très clairement pas être rangés dans l’une ou l’autre de ces catégories. Nous préférons donc présenter ensemble ces quinze articles, neuf dans le « Dossier thématique » et six dans la rubrique « Matière première », du point de vue des sports et des paysages qu’ils prennent pour objets, et des disciplines et méthodes qu’ils mobilisent.

4Pour la moitié d’entre elles, les contributions sont des textes de géographes : sept (Astrade et al., Cailhol, Davodeau, Florez, Khelifi, Nikiema, Saumon et Richard), voire dix si l’on ajoute les textes pluridisciplinaires (géographie et histoire pour Hascoët et al., géographie, sociologie et ethnologie pour Marpot et al., géographie et paysagisme pour Bodénan et Coupez). À cette dominante géographique s’ajoutent l’architecture (Franco, Moutiez), la sociologie (Camus, Pégard), l’anthropologie et l’urbanisme (Glauser). La démarche scientifique varie selon ces disciplines mais pour la moitié d’entre elles les analyses s’appuient sur un traitement qualitatif exploitant soit des enquêtes ou des entretiens, soit des matériaux d’archives (Franco, Camus, Moutiez, Pégard), soit la réflexivité des auteurs sur leur propre expérience sportive (Cailhol, Davodeau, Bodénan et Coupez). La dominante géographique pouvait laisser présager un traitement cartographique qui se révèle finalement discret (Astrade et al., Nikiema), ou qui du moins n’est pas plus important que la photographie (Pégard) et la vidéo (Glauser), ces deux outils permettant certainement mieux de saisir la pratique sportive « sur le vif ».

5En ciblant la relation au paysage, le lecteur ne s’étonnera pas de ne pas lire de contribution sur l’haltérophilie, le tennis de table ou l’escrime… Les sports en salle sont éclipsés au profit de pratiques en extérieur comme le ski (Franco, Astrade et al., Marpot et al., Cailhol), le nautisme (Florez, Bodénan et Coupez), la nage ou plongée (Camus, Moutiez), le surf (Khelifi), le vélo (Davodeau), le skate (Glauser). Plusieurs articles n’en ciblent pas un exclusivement mais traitent d’une diversité de pratiques sur un espace particulier (Hascoët et al., Saumon et Richard, Nikiema), ou d’une diversité d’équipements tous sports confondus (Pégard). Malgré ce matériau apparemment assez varié, une « nature de sports » s’impose dans ce numéro : les sports de glisse sont présents dans les deux tiers des articles présentés. Comment alors interpréter ce lien sport-glisse-paysage ? Nous invitons le lecteur à garder en tête cette question au fil de sa lecture… Il nous semble en tout cas que la glisse – comme nous l’avons déjà souligné – relève à la fois du paysage-support car on glisse sur (le bitume, la neige, l’eau), et du paysage-expérience car ce qui glisse n’est pas seulement l’objet (le surf, le ski, le vélo, le bateau) mais bien les corps (qui tendent à « faire corps » aussi bien avec l’objet qu’avec le paysage), et non pas sur mais dans le paysage. C’est d’ailleurs bien cette approche relationnelle que nous questionnions dans l’appel à contributions : « comment penser la relation entre sports et paysages, du point de vue des espaces et représentations engagés par ces pratiques sociales ».

6Les articles conduisent le lecteur sur quatre continents (Amérique, Afrique, Asie, Europe), dans les Alpes, française et italienne (Astrade et al., Cailhol, Franco, Marpot), en Bretagne (Bodénan et Coupez, Florez), à Paris (Moutiez), à Tokyo (Glauser), à Ouagadougou (Nikiema), à Madagascar (Khelifi), dans le New West aux USA (Saumon et Richard), et dans divers espaces moins exclusivement géolocalisés (Camus, Davodeau, Hascoët et al., Pégard). Ces paysages-supports et paysages-expériences des pratiques sportives sont donc aussi bien montagnards, maritimes, ruraux et urbains, tous ces espaces présentant des « paysages ordinaires qui ne sont pas conçus pour recevoir une pratique sportive mais qui en sont tout de même le support » (appel à contributions).

  • 2 Elle n’héberge pas des articles répondant aux normes et attendus scientifiques mais « des textes au (...)

7Ces points de repères étant donnés au lecteur, examinons maintenant ce qui ne lui est pas donné de lire. D’abord la situation sanitaire dont nous avons dit qu’elle participait du contexte de l’appel à contributions mais qui n’est finalement pas abordée dans ces textes : par manque de recul ou par besoin compréhensible de s’en libérer ? Autre absence importante, mais que nous ne déplorons pas dans la mesure où nous redoutions même de recevoir trop de propositions en la matière : la marche (traitée mais marginalement dans quelques articles) dont le lien avec la question du paysage est déjà abondamment traité dans la littérature scientifique et non scientifique. Mais ce qui nous surprend le plus est de ne pas pouvoir proposer au lecteur de contribution de praticien sur la conception, la réalisation ou la gestion des terrains de sport, cela étant un aspect non négligeable des pratiques professionnelles (« quels sont les enjeux de programmation, de conception, de gestion qui se portent sur ces infrastructures paysagères ? », appel à contributions). La rubrique « Matières premières » le permettait2 mais, indépendamment de ce numéro thématique précis, les paysagistes ne se la sont sans doute pas encore suffisamment appropriée et ne l’alimentent que trop rarement (qu’ils voient là un appel à contributions pour les numéros à venir !).

8Pour clore cette rapide introduction et laisser le lecteur sur une deuxième question (la première porte sur la glisse), remarquons enfin que la nature de la pratique sportive dont il est question à travers ces articles est particulière dans la mesure où elle déroge à ce qu’elle est souvent, de façon dominante dans notre société : compétitrice. Faut-il en déduire que le paysage désamorce le besoin de performance ? Si les textes décrivent bien ce que le sport fait au paysage, peu cherchent à clarifier ce que le paysage fait au sport : si tant est qu’elle existe, une « éthique du paysage » modifierait-elle l’éthique sportive ? Nous laissons au lecteur le soin de questionner la relation sports et paysages dans cette double réciprocité, en émettant l’hypothèse – comme cela est dit au sujet de la pratique du vélo (Davodeau) – qu’au-delà d’un certain engagement physique et psychique il est probable que la relation au paysage se détériore… En somme tout est affaire de dosage et de contrôle, dans l’aménagement du paysage-support – plus ou moins réussi – comme dans l’expérience sportive du paysage – plus ou moins épanouissante.

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Notes

1 https://youtu.be/tqSEoFnHC88

2 Elle n’héberge pas des articles répondant aux normes et attendus scientifiques mais « des textes au statut divers (notes, récits, commentaires d’images, descriptions, entretiens, etc.) correspondant à la thématique du numéro en cours.

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Pour citer cet article

Référence électronique

Nathalie Carcaud et Hervé Davodeau, « Sports et paysages : espaces, représentations, pratiques – Introduction au numéro thématique »Projets de paysage [En ligne], 25 | 2021, mis en ligne le 31 décembre 2021, consulté le 28 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/paysage/24783 ; DOI : https://doi.org/10.4000/paysage.24783

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Auteurs

Nathalie Carcaud

Nathalie Carcaud est professeure de géographie à l’Institut Agro (pôle paysage d’Angers), UMR 6590 CNRS ESO (Espaces et sociétés)
Nathalie.Carcaud[at]agrocampus-ouest[dot]

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Hervé Davodeau

Hervé Davodeau est maître de conférences HDR en géographie à l’Institut Agro (pôle paysage d’Angers), UMR 6590 CNRS ESO (Espaces et sociétés)
herve.davodeau[at]agrocampus-ouest[dot]fr

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