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Dossier thématique

Le sol, une ressource à considérer dans les stratégies d’aménagement des villes : mise en place d’une démarche collaborative pour construire un outil d’aide à la décision d’affectation des sols

The soil, a resource to be considered in urban planning strategies : Setting up a collaborative approach to build a decision-making tool for land use
Jean-Noël Consalès, Anne Blanchart, Geoffroy Séré, Laure Vidal-Beaudet et Christophe Schwartz

Résumés

Si les projets et les aménagements paysagers conçus récemment tentent de répondre à de nombreux enjeux environnementaux (autonomie alimentaire, rafraîchissement, gestion des eaux), force est de constater qu’ils considèrent encore peu la multifonctionnalité des sols urbains (production de biomasse, cycle de l’eau, stockage de carbone, support de la biodiversité, etc.) et leur rôle dans la durabilité de l’écosystème urbain. Le projet SUPRA (Sols urbains et projets d’aménagement : de l’échantillonnage des sols à l’outil d’aide à la décision d’affectation des sols) a eu comme objectif de produire des connaissances nouvelles et originales afin que les sols urbains soient perçus, par les acteurs de la fabrique territoriale et urbaine, pas seulement comme un simple support, mais bel et bien comme un potentiel de projets urbains et de paysage à part entière. Dans le cadre de ce programme financé par l’ADEME, le niveau de connaissance sur les sols urbains et les besoins en matière d’outils ont été évalués auprès d’un large panel d’acteurs représentatifs de la planification territoriale et de l’urbanisme français, par le biais d’une enquête nationale en ligne et lors d’un atelier de type focus group. En lien avec les attentes des acteurs enquêtés, un outil d’aide à la décision a ensuite été développé pour aider à une meilleure prise en compte des potentialités des sols dans le processus d’aménagement du territoire urbain et de ses paysages. Cet outil, en phase de calibration, permet d’attribuer des notes aux principales fonctions du sol afin de considérer ce dernier comme un élément incontournable dans la complexité de la fabrique territoriale et urbaine.

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Notes de l’auteur

Le projet SUPRA (numéro 1772C0021) a été financé par l’ADEME (2017-2022). Le rapport final peut être consulté en ligne sur la librairie de l’ADEME : https://librairie.ademe.fr/

Texte intégral

1Jusqu’à ces dernières années, les sols urbains ne faisaient pas l’objet d’investigations détaillées, en dehors des risques environnementaux et des contraintes géotechniques qu’ils pouvaient générer (Blum et al., 2003). Pourtant, au-delà des enjeux environnementaux globaux, les milieux urbains font face à des enjeux localisés spécifiques en lien étroit avec les sols : autonomie alimentaire, îlots de chaleur – amélioration de la qualité de l’air, gestion quantitative et qualitative des eaux –, réduction des discontinuités écologiques, fortes attentes des populations à l’égard de la nature et de ses paysages. Le terme paysage est dans ce cas envisagé en accord avec la définition donnée par la Convention européenne du paysage : « une partie de territoire telle que perçue par les populations, dont le caractère résulte de l’action de facteurs naturels et/ou humains et de leurs interrelations ». Dans le cadre de la construction et du développement des villes, de nombreuses réponses apportées reposent aujourd’hui sur des aménagements qui questionnent directement les services écosystémiques (définis comme les bénéfices retirés par l’homme du fonctionnement des écosystèmes – Morel et al., 2015) rendus par les sols et la végétation. La gestion éclairée des compartiments sol et végétation apparaît en effet comme indispensable à la viabilité des sociétés humaines dans leurs contextes de vie toujours plus urbains. Les sols urbains, en perpétuelle évolution, sont les supports des diverses activités humaines, et remplissent ainsi de nombreuses fonctions qui garantissent notamment le cycle de l’eau (filtration, infiltration, évaporation), la production de biomasse à vocation alimentaire, esthétique ou de loisir, un habitat pour la biodiversité.

2Ainsi, la multifonctionnalité des sols a récemment reçu une forte marque d’attention via la loi Climat et Résilience (no 2021-1104 du 22 août 2021) portant lutte contre le dérèglement climatique et promouvant le renforcement de la résilience face à ses impacts. Dans ce texte réglementaire, l’artificialisation y est définie comme un changement d’affectation des surfaces agricoles, forestières ou naturelles qui se traduit par une « altération durable de tout ou partie des fonctions écologiques d’un sol, en particulier de ses fonctions biologiques, hydriques et climatiques, ainsi que de son potentiel agronomique par son occupation ou son usage ». Cette définition affiche clairement que les sols urbains sont majoritairement perçus comme dégradés et comme des contraintes pour les parties prenantes de la fabrique territoriale et urbaine. Bien que l’utilité des sols tende progressivement à être reconnue par le législateur (Desrousseaux, 2015), les acteurs de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire montrent une appropriation de ce cadre juridique en mutation qui est très partielle, ponctuelle et peu visible (Blanchart, 2018 ; Diaz Sanz, 2021). Ainsi, les plans locaux d’urbanisme (PLU), qui constituent les pièces maîtresses de l’urbanisme actuel, ne tiennent pas compte des multifonctionnalités des sols urbains (Blanchart et al., 2018 ; Cerema, 2021). Or, les sols urbains sont aptes à répondre à la multifonctionnalité espérée, à la seule condition que leur qualité (e.g. caractéristiques physico-chimiques, biologiques, fertilité, pollution) soit évaluée, puis prise en compte par les acteurs de l’aménagement, en amont du processus de planification ou de projet. Pourtant, il n’existe pas encore d’outils opérationnels accessibles aux urbanistes, paysagistes et architectes pour permettre cette anticipation, même si de nombreuses collectivités françaises expriment de fortes attentes en la matière.

3Au regard de la littérature scientifique, les sols urbains restent assez peu étudiés dans leur contribution aux services écosystémiques. Nous formulons alors l’hypothèse que cet état de fait – au-delà d’une méconnaissance globale de ce que sont les sols, dans leur volume et leur complexité – explique en grande partie leur très faible prise en compte dans l’aménagement du territoire et le projet urbain, notamment en matière de multifonctionnalité et d’aptitudes à rendre des services. La planification du territoire en France repose encore sur un grand principe de réglementation et de contrôle de l’utilisation du sol : le zonage à l’intérieur des PLU, c’est-à-dire la délimitation de grandes catégories d’occupation du sol. Cette forme de rationalisation de l’espace permet d’affecter, à une portion de territoire délimitée, des fonctions bien définies et d’organiser sur cette base le développement futur des villes et des territoires. Difficilement dépassable, cette sectorisation du territoire induit largement une vision monofonctionnelle ou monoservice des espaces qui ne contribue pas à l’intégration des caractéristiques pédologiques des sols urbains dans les projets d’aménagement urbain.

4Fort de ces constats et de ces interprétations, le projet SUPRA (Sols urbains et projets d’aménagement : de l’échantillonnage des sols à l’outil d’aide à la décision d’affectation des sols) a eu comme objectif de produire des connaissances nouvelles et originales afin que les sols urbains soient perçus, par les acteurs de la fabrique territoriale et urbaine, comme un potentiel de projet à part entière (Viganò et al., 2020), dont la qualité et la multifonctionnalité évoluent en fonction des échelles spatiales et temporelles et dont les affectations d’usages peuvent être optimisées. Le présent article souhaite présenter les résultats des démarches entreprises auprès des acteurs de l’aménagement du territoire, de la planification et de l’urbanisme. Pour ce faire, les chercheurs ont organisé, parmi les nombreuses activités de ce projet de recherche financé par l’ADEME, une enquête nationale et un atelier de type focus group afin de recueillir les attentes des acteurs mobilisés afin de construire un outil d’aide à la décision (OAD), notamment par rapport à la conception et au devenir des sols urbains.

Analyse des considérations et des attentes des acteurs de la planification et de l’urbanisme pour un OAD sur les sols

5Il s’agit ici d’évaluer la capacité des acteurs de l’aménagement du territoire, de la planification territoriale et de l’urbanisme à se saisir d’un outil d’aide à la décision permettant la prise en compte des sols dans la fabrique territoriale, urbaine et paysagère. Pour ce faire, la recherche s’est fondée sur deux approches méthodologiques complémentaires :

  • une enquête nationale réalisée à distance et auprès d’un large panel d’acteurs représentatifs de la planification et de l’urbanisme français, afin de cerner leur niveau de connaissance ainsi que leurs considérations à l’égard des sols ;

  • un atelier de type focus group (Kitzinger, 1994) réalisé en présentiel et avec des acteurs choisis de la fabrique territoriale et urbaine. L’atelier doit permettre de récolter, par des approches qualitatives, la parole de ces professionnels de la fabrique territoriale et urbaine quant à leurs réflexions déjà initiées sur les sols.

Une enquête nationale auprès d’acteurs de la planification et de l’urbanisme

La méthode développée

6Effectuée dans le cadre des trois doctorats associés au programme SUPRA (Anne Blanchart, Aurélie Cambou, Baptiste Sauvaget), une enquête nationale, conduite en 2016-2017, a permis de recueillir l’avis émanant de professionnels de la maîtrise d’ouvrage et la maîtrise d’œuvre. De fait, divers acteurs ont été sélectionnés pour leur appartenance à des structures travaillant quotidiennement sur la thématique des sols (instituts de recherche, bureaux d’études, intercommunalités et communes). Pour les collectivités territoriales, ce sont les services urbanisme, planification, espaces verts et environnement ainsi que les élus qui ont été prioritairement enquêtés. Finalement, un sondage en lien avec la thématique des sols a été envoyé par mail à 201 personnes et structures dans les 20 plus grandes aires urbaines et les 40 plus grandes unités urbaines de France. Ce sondage a permis d’identifier les informations emmagasinées à l’échelle locale, d’apprécier leur disponibilité et d’évaluer leur possible intégration à la base de données nationale construite dans le cadre de SUPRA. Des contacts avec des personnes ressources ont été établis et une autorisation d’entretien téléphonique systématiquement demandée. En cas de réponse positive, la personne mobilisée a été interviewée selon une grille d’entretien générique.

7Cet enchaînement de sollicitations a par ailleurs donné lieu à une évaluation notée des réponses fournies par les structures et les personnes ressources. Cette évaluation s’est faite en fonction de cinq grands critères :

  • la prise de conscience de l’intérêt de la thématique sol ;

  • la prise de conscience de l’existence de données sur les sols urbains au sein de l’organisme enquêté ;

  • la nature de la réponse lors de la sollicitation ;

  • l’emplacement des données sur les sols urbains ;

  • la réutilisation de ces données pour influencer les stratégies d’aménagement à l’échelle du projet urbain.

En fonction de sa réponse, chaque structure ou personne ressource s’est vu attribuer la note de 1, en cas de validation du critère, ou de 0, en cas de non-validation du critère (figure 1). Il convient, néanmoins, de souligner qu’à travers cette démarche, il ne s’agissait pas de distinguer les bons et les mauvais acteurs mais bel et bien d’établir une typologie de niveaux de connaissance et de prise en considération des sols, à l’échelle locale, dans la fabrique territoriale et urbaine. Les données chiffrées récoltées ont donné lieu à un traitement statistique simple (Blanchart, 2019).

Figure 1. Méthode d’exploitation des réponses au sondage envoyé aux acteurs

Figure 1. Méthode d’exploitation des réponses au sondage envoyé aux acteurs

Les résultats de l’enquête

8L’enquête nationale a été envoyée à 201 acteurs de la planification et de l’urbanisme. Au total, 73 personnes y ont répondu, ce qui correspond à un taux de réponse de 36 %, ce qui est plus élevé que la moyenne de 30 % de retours généralement constatée pour ce type de passation par e-mail (Taylor, 2017). Les réponses ont été principalement fournies par des intercommunalités, des communes (services espaces verts et urbanisme), des agences d’urbanisme et, dans une moindre mesure, des bureaux d’études (figure 2).

Figure 2. Structures d’appartenance des acteurs sondés

Figure 2. Structures d’appartenance des acteurs sondés

9Le principal enseignement de cette enquête est que les considérations à l’égard des sols varient en fonction du type de structures d’appartenance des acteurs sondés. Les personnes travaillant au sein de collectivités territoriales (intercommunalités ou communes), et plus particulièrement dans des services sols, environnement et urbanisme, sont non seulement celles qui ont le plus répondu au sondage (figure 3), mais encore celles qui ont obtenu la meilleure note (note de 2,6 en moyenne).

Figure 3. Note de considération du sol attribuée aux acteurs sondés

Figure 3. Note de considération du sol attribuée aux acteurs sondés

10Le niveau de considération des sols s’est, en outre, révélé extrêmement variable au sein des bureaux d’études (note de 2,1 en moyenne) et des agences d’urbanisme (note de 1,88 en moyenne) sondés. Celui des élus a été le plus faible (note de 1,6 en moyenne). Enfin, il convient de noter qu’aucun acteur interrogé n’a obtenu la note maximale de 5 lors de l’évaluation de son discours. Cela montre qu’il y a encore une marge de progression possible en matière de connaissances et de considérations des sols chez les acteurs de l’aménagement du territoire, de la planification et de l’urbanisme, notamment à travers la mise en place d’un outil d’aide à la décision adapté.

Un atelier avec des acteurs choisis de la fabrique territoriale et urbaine

La méthode développée pour les focus group

11En se fondant sur les résultats de l’enquête nationale précédemment exposée, ainsi que sur les avancées du travail de thèse d’Anne Blanchart, un atelier de rencontre avec des acteurs choisis de l’aménagement du territoire, de la planification et de l’urbanisme a été organisé, les 13 et 14 juin 2018 à Nancy. À travers cette opération, il s’est agi de récolter, par des approches qualitatives, la parole de professionnels de la fabrique territoriale, paysagère et urbaine concernant leur attention portée sur les sols, en général, et leurs attentes à l’égard d’un outil d’aide à la décision, en particulier. Dans chacune des trois agglomérations de référence associées au programme SUPRA (Métropole d’Aix-Marseille-Provence, Métropole du Grand Nancy, Nantes Métropole), trois acteurs ont été identifiés et contactés afin d’être les représentants des différentes parties prenantes de l’urbanisme opérationnel : société d’aménagement, maîtrise d’ouvrage et maîtrise d’œuvre. Ainsi, huit acteurs ont pu être mobilisés pour l’atelier (figure 4) organisé autour de quatre focus groups. En sciences sociales, ceux-ci se définissent comme « des discussions de groupe ouvertes, organisées dans le but de cerner un sujet ou une série de questions pertinents pour une recherche. Le principe essentiel consiste en ce que le chercheur utilise explicitement l’interaction entre les participants, à la fois comme moyen de recueil de données et comme point de focalisation dans l’analyse » (Kitzinger, 1994). Afin de faciliter l’exploitation des résultats, ces séances ont été filmées. Elles ont, en outre, reposé sur la présence d’un animateur-modérateur (Jean-Noël Consalès), d’un observateur (Anne Blanchart) et de facilitateurs de discussion (Laure Vidal-Beaudet, Christophe Schwartz, Geoffroy Séré), intervenant suivant une grille de thématiques et de questions définies à l’avance.

Figure 4. Participants à l’atelier

Figure 4. Participants à l’atelier

12Chaque focus group a permis de travailler sur un thème défini au préalable.

13Le focus group no 1 s’intéressait à la manière dont les parties prenantes considéraient le sol lors de la définition d’un projet urbain. Les professionnels de l’urbanisme opérationnel ont pu s’exprimer sur les contraintes imposées et sur les opportunités offertes par les sols lors de la définition de projets urbains. Durant 20 minutes, ils ont été appelés à écrire leurs idées sur des Post-it puis à les présenter à l’ensemble des participants. Par la suite, une discussion générale s’est engagée. Les discours formulés lors de ce focus group ont donné lieu à une retranscription, puis à une classification des idées au sein de grands items organisés en deux catégories : les contraintes et les opportunités liées au sol dans les projets urbains. Pour chaque catégorie, il a été réalisé un nuage de mots mettant en exergue les occurrences de chacune des thématiques soulevées dans les discours des acteurs mobilisés. Ce matériel a été analysé de manière qualitative.

14Le focus group no 2 a été réalisé, in situ, sur l’écoquartier Biancamaria à Vandœuvre-lès-Nancy afin d’évaluer les services rendus par les sols urbains. Cette visite de terrain a permis de présenter les principaux objectifs et les éléments de programmation d’un des îlots du projet, en lien avec la thématique des sols. Par la suite, la démarche de recherche-action mise en œuvre sur ce site, dans le cadre de la réalisation de la thèse d’Anne Blanchart, a été présentée, afin de faire réagir les acteurs sur la description et l’échantillonnage des sols au sein d’un projet. Trois fosses pédologiques ont notamment été analysées, à partir de photos qui avaient été imprimées en grandeur réelle. Les caractéristiques physiques de chaque fosse ont ainsi pu être mises en évidence et l’hétérogénéité des sols, pourtant espacés de quelques dizaines de mètres, a été démontrée. Les réactions des participants ont été consignées. Par la suite, la possibilité de traduire des éléments de programmation d’un projet urbain en services écosystémiques a été examinée par les acteurs mobilisés, à partir du cas de l’îlot étudié. Les réponses formulées ont été classées et organisées au sein de thématiques génériques. Ce matériel qualitatif a été analysé.

15Le focus group no 3 souhaitait développer des réflexions à propos d’un OAD sur les sols urbains. Il était fondé sur l’exposition des résultats du programme de recherche DESTISOL1 (ADEME) qui a permis l’élaboration d’un outil d’aide à la décision sur la qualité des sols, dans le cadre d’un projet d’aménagement, pour les acteurs de l’urbanisme. L’outil DESTISOL traduit, par une évaluation semi-quantitative, les propriétés bio-physico-chimiques d’un sol urbain en matière de services écosystémiques rendus. Pour ce faire, il s’appuie sur les fonctions et les couvertures du sol envisagées. Cet outil sera mis à disposition des aménageurs par l’ADEME au début de l’année 2023. Les réactions des participants quant aux tenants et aux aboutissants d’un tel outil ont été consignées et analysées de manière qualitative.

16Le focus group no 4 a eu pour objectif de modifier le cadre de réflexion, en envisageant la prise en compte du sol à une échelle plus large, celle de l’aire urbaine, par l’intermédiaire de l’aménagement de territoire et de la planification. Il a débuté par une présentation des résultats de l’analyse lexicale de documents d’urbanisme de 15 aires urbaines réalisée par Anne Blanchart. Une discussion générale a montré que les prises en compte du sol en tant que ressources dans les PLUi ont notamment été envisagées. Les réactions des participants ont été consignées et analysées par la suite.

Les résultats des focus groups

17Le travail du focus group no 1 a montré qu’il n’y avait aucune différence dans l’intérêt porté aux sols en fonction de la catégorie professionnelle (société d’aménagement, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre) ou de la provenance géographique (Métropole d’Aix-Marseille-Provence, Métropole du Grand Nancy, Nantes Métropole) des acteurs mobilisés. Le matériel récolté a donc été traité de manière globale au sein de deux nuages de mots (contraintes et opportunités liées au sol dans les projets urbains) mettant en avant les occurrences des thématiques soulevées par les professionnels lors de l’atelier. Dans le nuage de mots, plus une thématique est imposante plus elle a été soulevée par les acteurs (figure 5).

Figure 5. Les contraintes associées au sol dans les projets urbains

Figure 5. Les contraintes associées au sol dans les projets urbains

18Pour les acteurs mobilisés, la notion de qualité des sols urbains se présente comme la principale contrainte liée à la prise en compte des sols en tant que ressource dans l’aménagement urbain. Derrière ce terme générique de « qualité », se cachent essentiellement des considérations d’ordre géotechnique. Les sols restent, en effet, envisagés comme des supports de constructions et de réseaux (leur encombrement est dénoncé), dont les caractéristiques mécaniques demeurent encore trop largement méconnues pour garantir la sérénité des projets et de leurs parties prenantes. Malgré leur volonté réelle de changer de regard sur la question, les acteurs avouent leur incapacité à intégrer la nature, la profondeur et surtout l’hétérogénéité des sols urbains dans leurs réflexions. Ils s’interrogent notamment sur la propension des sols à réguler ou à accentuer les problèmes d’hydrologie urbaine (remontée des nappes phréatiques, perméabilité ou imperméabilité aux eaux pluviales). De la même manière, ils se disent démunis face aux différents niveaux de pollution des sols urbains : les diagnostics de contamination sont complexes et onéreux et le traitement ou la gestion de pollution sont difficiles. Cela est particulièrement vrai dans le cas de contaminations modérées qui autorisent certains usages mais en restreignent un grand nombre. Ils s’estiment également trop peu compétents pour composer avec les sols en place afin de choisir les plantations les mieux adaptées aux contextes pédologiques et de fabriquer de réelles aménités paysagères. Au-delà de cette méconnaissance avouée, accentuée par la quasi-absence des sols dans les règlements d’urbanisme et les cahiers des charges de projets, les acteurs mobilisés les perçoivent comme un sous-produit, voire un déchet du chantier d’aménagement dont il convient d’organiser l’évacuation, la mise en décharge, voire le traitement sur site ainsi que la gestion. De fait, les sols sont envisagés en matière de coûts, voire de surcoûts, dans les projets d’aménagement.

Figure 6. Les opportunités associées au sol dans les projets urbains

Figure 6. Les opportunités associées au sol dans les projets urbains

19En revanche, pour les acteurs mobilisés, les sols représentent de réelles opportunités d’avenir pour l’aménagement urbain (figure 6), notamment en raison de leur capacité à évoluer et à être transformés par la technique. Pour ces professionnels, la qualité des sols relève, en effet, de paramètres modifiables in situ, soit par l’apport de matériaux (mélanges), soit par le traitement sur place. À cet égard, ils attendent beaucoup des approches de bio- et phyto-remédiation. Les sols représentent donc de véritables pistes de projets cohérentes, non seulement parce qu’ils sont des socles de réflexion de plus en plus prégnants mais encore parce qu’ils ouvrent de nouvelles voies programmatiques. Le développement de la nature en ville et de l’agriculture urbaine est, par exemple, cité comme une tendance actuelle de l’aménagement et de l’urbanisme qui doit apprendre à mieux composer avec la réalité des sols. De fait, les acteurs mobilisés militent pour l’affirmation d’un agri-urbanisme garant de paysages de qualité et fondé sur les propriétés agronomiques des territoires. Pour eux, il en va d’enjeux écologiques (garantir les continuités, préserver la faune et la flore locales), hydrologiques (permettre l’infiltration des eaux de pluie), environnementaux (réguler les changements climatiques) et sociaux (maintenir les sols comme des biens communs).

20À l’issue du focus group no 2, force a été de constater que tous les grands types de services écosystémiques, bien que jamais nommés suivant le vocabulaire normé (services de support, d’approvisionnement, de régulation et culturels), sont non seulement connus mais encore associés aux sols urbains :

  • en termes de services de support, les professionnels interrogés mettent en avant la capacité des sols à accueillir des espaces verts et, par extension, à maintenir la biodiversité (notamment la flore spontanée). De manière secondaire, ils les désignent comme la matrice des réseaux urbains de voiries ou de raccordements ;

  • en termes de services d’approvisionnement, tous reconnaissent à ces sols leur potentiel de production alimentaire dans le cadre du développement de différentes formes d’agriculture urbaine (jardins collectifs ou micro-fermes) ;

  • en termes de services de régulation, ces acteurs insistent sur l’importance des sols dans la lutte contre les changements climatiques (îlots de chaleur urbains), contre les inondations (stockage des eaux de pluie) et contre la mauvaise qualité de l’air (stockage du carbone) ;

  • en termes de services culturels, ils leur attribuent, en tant que socles d’espaces verts, des fonctions récréatives.

21En conclusion de ce focus group, les professionnels mobilisés insistent sur le fait que, si les services écosystémiques constituent une grille d’analyse nouvelle de la fabrique territoriale et urbaine, ils ne suffisent pas, à eux seuls, à appréhender la totalité et la complexité d’un projet urbain.

22Dans le focus group no 3, la présentation de la démarche DESTISOL a permis aux acteurs mobilisés d’exprimer leurs attentes à l’égard d’un outil d’aide à la décision sur les sols urbains. Ainsi, pour eux, l’utilité d’un tel OAD est incontestable mais il ne doit pas être considéré comme une fin en soi, car il existe, en dehors du sol, un grand nombre de paramètres à prendre en compte dans la fabrique territoriale et urbaine. En revanche il doit, toujours selon ces acteurs :

  • permettre l’expression des spécificités de chacune des approches de l’urbanisme. Cet OAD ne doit pas être un carcan et vient plutôt proposer qu’imposer une solution. À cet égard, la formulation de différents scénarios sur lesquels peuvent se positionner les décideurs est à privilégier ;

  • être appropriable par toutes les parties prenantes d’un projet (aménageurs, maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, habitants) afin d’être efficace. Les données fournies par un tel outil doivent, en effet, être appréhendées par tous ;

  • être pensé pour intervenir dès l’amont du processus, afin que les informations qu’il offre ne soient pas intégrées trop tard même si cet outil peut servir à rectifier a posteriori un projet d’aménagement ;

  • être multiscalaire, adapté à l’échelle de l’immeuble, de l’îlot et du projet d’aménagement, mais aussi capable d’envisager les interfaces et les interrelations avec les milieux environnants ;

  • également être évolutif et permettre d’envisager la gestion future des espaces créés.

23Cependant pour les acteurs mobilisés, l’utilisation des services écosystémiques comme unités de référence au sein de l’OAD est à nuancer, car peu compréhensible par les élus et les habitants. Pour ce faire, il convient peut-être d’avoir recours à de nouveaux experts, à de nouvelles compétences sur les sols qui ne sont, pour l’instant, que peu intégrées à la fabrique territoriale et urbaine. Selon les acteurs mobilisés, les attentes exprimées dessinent les contours d’une nouvelle forme d’assistance à maîtrise d’ouvrage et à maîtrise d’œuvre qui doit être présente à chaque phase du projet (conception, réalisation, gestion).

24Il ressort du focus group no 4 que les acteurs mobilisés ont pleinement conscience que le sol, pris dans son épaisseur en tant qu’élément vivant, devient actuellement un élément de projet à part entière. Ils regrettent, néanmoins, que l’on ne sache pas encore le traduire correctement dans les documents de planification et d’urbanisme qui ne sont pas conçus pour impulser des logiques projectuelles. Face à ce constat, ils proposent la création d’un label « sol-ressource » dans l’aménagement du territoire et l’urbanisme, pour amplifier les considérations à l’égard des sols dans la définition des projets, sans obligatoirement passer par des approches réglementaires.

Discussion à l’issue des focus groups

Des considérations ambiguës

25Les résultats obtenus démontrent que les acteurs de l’aménagement du territoire, de la planification et de l’urbanisme rencontrés ont des considérations ambiguës à l’égard des sols, notamment dans le cadre de l’élaboration de projets urbains. D’un côté, ils tendent de plus en plus à reconnaître leurs bénéfices en matière écologique (garantir les continuités, préserver la faune et la flore locales), hydrologique (permettre l’infiltration des eaux de pluie), environnementale (réguler les changements climatiques, séquestrer le carbone) et sociale (maintenir les sols comme des biens communs, offrir des espaces d’appropriation, notamment grâce à l’agriculture urbaine). Ils en perçoivent même toute la dimension programmatique et projectuelle pour la fabrique de territoires et de villes plus durables. Il convient, par exemple, de noter que, récemment, des grands noms de l’urbanisme, tels que Panos Mantziaras et Paola Viganò (2016) ou Corinne Vezzoni (2018), ont formulé de véritables plaidoyers en faveur de la prise en compte des sols dans les projets urbains. Mais, d’un autre côté, les conceptions restent généralement dominées par un utilitarisme révélateur de paradigmes anthropocentrés et de principes conventionnels encore largement répandus dans le monde de l’aménagement et de l’urbanisme. Les acteurs tendent ainsi à considérer le sol bien plus comme une surface à aménager ou une matière malléable, modifiable par des techniques dont ils espèrent beaucoup, que comme un système complexe et vivant. Cette matière, ils l’envisagent souvent en termes de pollution, de flux, de stockage, de décharge, de traitement et donc, in fine, en termes de coûts inhérents au projet ou au chantier.

26Ces résultats font pleinement écho à ceux obtenus par Anne Blanchart (2018) dans sa thèse de doctorat liée au programme SUPRA. Celle-ci démontre que les réflexions urbanistiques sur les sols se limitent actuellement à leur seule dimension surfacique, occultent leurs caractéristiques agronomiques et ne se concentrent que sur leurs propriétés géotechniques et leur niveau de contamination (Blanchart, 2018). De fait, les sols sont souvent perçus comme une ressource abondante, voire infinie, sur laquelle il est possible de puiser ou d’intervenir pour satisfaire les attendus économiques, sociaux ou sanitaires des aménagements. Issus de nombreux remaniements et d’apports de matériaux exogènes (déblais, matériaux de déconstruction, déchets), les sols urbains sont particulièrement déconsidérés. Ils apparaissent comme peu valorisables, peu fertiles et peu capables de produire des paysages amènes ou des biens de consommation agricoles de qualité. Ils sont alors majoritairement perçus comme des déchets de l’activité d’aménagement urbain. Selon les besoins, ils sont altérés, déplacés, jetés, imperméabilisés ou restructurés. À l’inverse, le sol non urbain (i.e. agricole, forestier, naturel) apparaît comme une ressource sous le vocable de « terre végétale ». Alors que la qualité de ce matériau est très rarement évaluée, il est très largement utilisé pour les opérations de végétalisation des zones à aménager (Rokia et al., 2014). Pour cela, il est acheté, décapé (fréquemment dans le cadre de projets d’extension urbaine) puis transporté jusqu’à son lieu d’utilisation. Les impacts économiques et environnementaux de ces pratiques sont désormais perçus par les opérateurs. Pourtant, les situations sont très variables sur le territoire français ; si la raréfaction de cette ressource ou des décisions politiques entraînent un basculement vers d’autres pratiques, c’est encore loin d’être la règle.

27Par-delà les sites de projet et les opérations, les considérations ambiguës du sol par les acteurs de l’aménagement du territoire et de l’urbanisme sont également perceptibles dans les documents de planification. Ceux-ci restent cantonnés à des conceptions éminemment surfaciques des sols que traduisent, à elles seules, les logiques de zonage des plans locaux d’urbanisme, fussent-ils intercommunaux (Blanchart, 2018 ; Diaz Sanz, 2021). Malgré de grands effets d’annonces réalisés depuis longtemps à l’échelle globale, tels que la charte mondiale des sols adoptée le 26 novembre 1981 sous l’égide de la FAO, les lois, les règlements et les politiques publiques en matière d’aménagement et d’urbanisme peinent à impulser des actes concrets, à l’échelle locale. Ainsi en France, la charte mondiale des sols, n’ayant que peu de portée juridique et d’effets contraignants, est d’une efficacité toute relative (Desrousseaux, 2015). De la même manière, l’Union européenne ne dispose pas de directive communautaire sur la protection des sols (Blum et al., 2003). C’est, par conséquent, au niveau national que les réflexions sur les sols doivent être insufflées dans la planification. Or, force est de constater que les documents d’urbanisme locaux (SCoT, PLU(i), principalement) demeurent très peu consistants en la matière. Dernièrement, des évolutions notables en faveur des sols sont tout de même perceptibles dans le droit de l’urbanisme et de l’environnement. Deux raisons principales à cela (Robert, 2012) :

  • la lutte contre l’érosion de la biodiversité qui, depuis les Grenelles de l’environnement, fixe des ambitions écologiques aux documents d’urbanisme et des outils de planification adaptés ;

  • la lutte contre les risques sanitaires liés aux pollutions qui, depuis la loi Alur, détermine des dispositifs de dépollution des sols dans le cadre des opérations d’aménagement. Gageons, par ailleurs, que la mise en action des objectifs de zéro artificialisation nette (ZAN) pour 2050, définis par la loi Climat et Résilience de 2021, aura des incidences de plus en plus concrètes sur les considérations des acteurs de la fabrique territoriale et urbaine à l’égard des sols, en général, et des sols urbains, en particulier.

Besoin d’aller vers un OAD d’affectation des sols

28Les acteurs interrogés militent finalement pour la mise en œuvre d’un outil d’aide à la décision d’affectation des sols leur permettant d’évaluer aussi bien leurs contraintes (pollutions notamment) que les opportunités qu’ils offrent (pistes programmatiques et projectuelles). Selon eux, cet OAD doit, néanmoins, répondre à quelques impératifs pour être efficient :

  • intégrer la complexité de la fabrique territoriale et urbaine ;

  • être compréhensible et mobilisable par toutes les parties prenantes d’un projet (professionnels, élus, habitants), et à cet égard il ne peut reposer que sur la savante notion de services écosystémiques ;

  • être multiscalaire, à la fois sur l’échelle métropolitaine proposée par le programme Muse2 et celle du site de projet proposée par le programme DESTISOL.

Proposition d’un OAD pour les sols urbains

Objectifs et principe de l’OAD

29En se basant sur les retours des acteurs du territoire et sur la connaissance des partenaires scientifiques du projet SUPRA, les objectifs et les fonctionnalités prévues de l’OAD SUPRA sont les suivants :

1) une approche multifonctionnelle et multithématique des sols des milieux urbains qui permette d’informer les acteurs de l’aménagement sur les potentialités et les contraintes des sols en matière de fertilité, d’hydrodynamique, d’accueil de biodiversité et de niveaux de contamination ;

2) une ambition forte de construction de l’OAD autour du changement d’échelle pour diagnostiquer les potentialités des sols depuis l’échelle projet jusqu’à l’échelle de la planification ;

3) une démarche susceptible de s’intégrer dans les études préalables classiquement conduites et qui visent à diagnostiquer les propriétés géotechniques et les pollutions ;

4) une prise en compte de la couverture pédologique dans ses 3 dimensions (i.e. surface et profondeur), mais sans considérer son évolution temporelle : l’évaluation proposée par l’OAD sera le cliché à un instant t, au moment du diagnostic, des fonctionnalités des sols urbains ;

5) une phase initiale opérationnelle de diagnostic basée sur :

  • une sélection d’un nombre limité d’indicateurs afin de rendre cette phase abordable pour le maître d’ouvrage avec des coûts des prestations de diagnostic terrain et de frais analytiques raisonnables,

  • une mise en œuvre de cette phase qui nécessite cependant un niveau d’expertise en pédologie avancé ; cette expertise spécifique aux sols urbains se développe de plus en plus au sein de bureaux d’études spécialisés ou de bureaux d’études plus généralistes (e.g. sites et sols pollués, diagnostic agronomique),

  • la perspective (non testée actuellement) de pouvoir baser l’évaluation uniquement sur un diagnostic terrain (i.e. observations et description des profils de sol, mesures rapides de terrain) ;

6) une phase de saisie des données simple et intuitive, par l’intermédiaire d’un fichier Excel, qui permette également de renseigner des données « estimées » afin que le fonctionnement de l’outil ne soit pas bloqué par l’absence de données ; à terme l’objectif serait de saisir les données selon le format de centralisation des bases de données nationales, afin de pouvoir les y intégrer ;

7) une évaluation semi-quantitative et explicite de 6 fonctions et sous-fonctions des sols sous la forme de notes de 0 (plus défavorable) à 3 (plus favorable) et facile à manipuler sous la forme d’une feuille Excel.

Réalisation de l’OAD

Constitution d’un référentiel adapté au sol urbain

30Il s’agissait de proposer un référentiel commun permettant, à travers des indicateurs de qualité des sols urbains, de traduire leur capacité à assurer différentes fonctions. Ces indicateurs peuvent être aussi bien des paramètres bio-physico-chimiques des sols, que la traduction de niveaux de contamination ou d’activité biologique au sens large. Le choix de ces indicateurs se base en particulier sur l’expertise des différents partenaires et la disponibilité de référentiels de valeur dans les bases de données existantes ou la littérature et sur la possibilité de les comparer avec les valeurs du réseau de mesure de la qualité des sols (RMQS, INRAE) et de la base de données sol urbain (BDSolU, BRGM).

31Les informations sélectionnées doivent renseigner sur les potentialités agronomiques des sols, supports potentiels de végétation, leur rôle dans la régulation du climat (via le stockage de carbone), leur contribution au cycle de l’eau (régulation des crues, filtration de l’eau) mais aussi sur les niveaux de contamination des sols. Une originalité forte de SUPRA est le fait qu’en complément des analyses classiques de laboratoire, un accent est mis sur la faisabilité de la mise en œuvre de mesures rapides et fiables de terrain (e.g. fluorescence X portable, spectrométrie proche infrarouge). Une batterie minimale de paramètres et d’indicateurs a été retenue afin de faciliter l’estimation des fonctions du sol et ainsi d’accélérer la prise de décision. Six fonctions principales ont été retenues pour traduire la qualité du sol :

32La fonction « 1 – Stockage, recyclage et transformation de la matière organique » permet de traduire la capacité du sol à stocker du carbone d’après des paramètres principalement physiques. Une bonne capacité de stockage permettra de développer la fonction de recyclage de la matière organique qui va dépendre principalement de l’activité biologique (voir la fonction 6 – biodiversité) et des conditions de milieu (exemples : présence d’eau, température) (voir également la fonction 2 – fourniture/recyclage des éléments nutritifs).

33La fonction « 2 – Rétention et fourniture des éléments nutritifs (décomposition de la matière organique) » permet de renseigner sur la capacité du sol à fournir aux plantes, au niveau de leur système racinaire, mais aussi aux organismes du sol, les éléments nutritifs nécessaires à leur activité métabolique et donc à leur développement.

34La fonction « 3 – Support physique – habitat » permet de traduire la capacité du sol à être support physique de végétation et aussi un habitat pour la biodiversité. Pour les végétaux, le sol doit assurer l’ancrage des racines et permettre au végétal de se développer harmonieusement sans contraintes mécaniques ou physiques.

35La fonction « 4 – Rétention, circulation et infiltration eau » permet de traduire, d’une part, la capacité du sol à retenir, au sein de la porosité, de l’eau utile (notion de réserve utile) et, d’autre part, la contribution du sol à l’infiltration des eaux (notamment pluviales), par opposition au ruissellement. Cette fonction est donc aussi bien liée aux services écosystémiques d’approvisionnement en biomasse (via la fertilité physique) qu’à celui de régulation des crues et inondations.

36La fonction « 5 – Rétention, filtration, dégradation des contaminants » permet de traduire la capacité du sol à être support de contaminants. Les indicateurs retenus visent à qualifier une présence, un stock de contaminants sachant que leur devenir ultérieur (infiltration, transfert, sorption, dégradation…) va dépendre notamment de l’activité biologique (voir la fonction 6 – biodiversité) et des conditions de milieu (exemples : propriétés d’écoulement, présence d’eau, de végétation, température). Ces éléments n’ont pas été développés car, en cas de présence avérée de contaminants, des études particulières dédiées devront être mises en place afin de vérifier la compatibilité avec l’usage. Ainsi, pour cette fonction, seuls les stocks ont été considérés.

37La fonction « 6 – Support de biodiversité » permet de traduire la capacité du sol à être support de biodiversité. Les indicateurs retenus visent à qualifier la présence et l’activité de différents groupes biologiques.

Structuration de l’OAD

38Pour chacune des fonctions, les paramètres utiles à leur évaluation ont été identifiés. Puis, un référentiel a été créé pour chaque paramètre permettant de définir des indicateurs pertinents. Une moyenne arithmétique des indicateurs liés à une fonction est calculée (max = 3, min = 0) en y associant la notion d’indicateur déclassant. Cela signifie que si l’un des indicateurs a la note de 0, quelles que soient les valeurs des autres indicateurs, la note de la fonction sera également nulle. Les différents paramètres et indicateurs identifiés pour caractériser les fonctions des sols ont été codés à l’aide du langage de programmation R. Afin de tester l’OAD SUPRA, une base de données a été créée contenant des données de 102 profils de sol et 342 horizons constitutifs de ces profils. Ces données proviennent en premier lieu du projet SUPRA, mais également d’autres projets ou de collaborations (projet DESTISOL, projet SEMOIRS, thèse d’Antoine Vialle, 2021, collaboration avec l’université de Saint-Jacques de Compostelle). L’OAD SUPRA a ainsi permis de déterminer pour les 102 profils des notes pour chacune des 6 fonctions évaluées, soit un total de 816 notes (figure 7).

39La moyenne des fonctions calculées est de 1,8 (± 0,5) avec une valeur maximale de 2,4 et une minimale de 0,7, ce qui témoigne d’une forte dispersion de l’évaluation conduite par cette méthode pour les sols étudiés. Toutes les fonctions ont des valeurs moyennes comprises entre 1,5 et 1,7, à l’exception de la fonction 5 « contaminants » pour laquelle il est à noter une très forte absence (82 %) de valeurs pour les indicateurs servant à la déterminer (ce qui s’explique par le grand nombre d’indicateurs documentaires, absents des études conduites dans les projets alimentant cette base de données). Pour les cinq autres fonctions, seulement 12 % de données sont manquantes ; il est cependant à noter que 19 % de données ont été estimées (notamment à partir d’informations ou de paramètres autres que ceux considérés dans l’OAD SUPRA). La fonction présentant la plus grande dispersion de notes calculées est la fonction 4 « infiltration » de l’eau. Les fonctions 2 et 3 ont également conduit à des évaluations minimales nulles (« rétention et stockage des éléments nutritifs » et « support physique-habitat), mais aucune des fonctions autres que la fonction 4 « infiltration » n’a obtenu des valeurs maximales égales à 3. La fonction ayant la dispersion la plus limitée est la fonction 1 « stockage de carbone » (max = 2,55, min = 0,86).

Figure 7. Notes de fonctions obtenues sur les 102 sols de la base de données SUPRA

Figure 7. Notes de fonctions obtenues sur les 102 sols de la base de données SUPRA

Étude spécifique de profils de sols d’intérêts pour l’analyse de l’OAD

40Nous avons choisi de tester l’outil sur trois profils de sols contrastés et dont les propriétés physico-chimiques sont connues (figure 8). Le premier site occupé par un jardin partagé et anciennement par une activité de maraîchage (figure 8a) a obtenu la meilleure note (2,4). C’est un sol profond sur une zone plane, qui se caractérise par un niveau de fertilité très élevé (i.e. pH proche de la neutralité, teneur en éléments nutritifs élevée, structure grumeleuse, nombreuses traces d’activité biologique) d’un point de vue bio-physico-chimique, avec une texture équilibrée facilitant la circulation de l’eau, une concentration en carbone organique élevée.

41Le second profil (figure 8b), ancien site industriel actuellement en friche, obtient une note moyenne assez faible (1,25) est l’un de ceux qui présente les notes les plus différentes (écart-type de 1) avec des fonctions assez bien notées (« stockage de carbone » et « rétention en nutriments » = 1,9), mais également plusieurs valeurs très faibles ou nulles (« stock en éléments nutritifs », « infiltration de l’eau » et « support physique » = 0). Cette évaluation semble traduire de manière fidèle la forte hétérogénéité verticale du profil étudié. En effet, alors que l’horizon de surface est visiblement le résultat d’un apport de matériaux terreux de valeur agronomique moyenne, les horizons sous-jacents semblent constitués de matériaux de remblai pierreux et argileux fortement compactés.

42Enfin, le troisième profil (figure 8c) a obtenu la note la plus faible (0,7). Il provient d’une ancienne parcelle agricole faisant actuellement l’objet de travaux d’aménagement avec un décapage intégral de l’horizon superficiel. Il en a résulté un profil de sol très argileux, marqué par de nombreuses traces d’hydromorphie, dont la structure est très compacte et sans aucune activité biologique visible. Les concentrations en éléments nutritifs et en carbone organique sont très faibles.

Figure 8. Trois profils de sol étudiés dans SUPRA, représentatifs de la variabilité des évaluations des fonctions

Figure 8. Trois profils de sol étudiés dans SUPRA, représentatifs de la variabilité des évaluations des fonctions

a) MJC 3 Maisons (Nancy) ; b) plateau de Haye (Nancy) ; c) haie Cerlin (Nancy).

Discussion sur l’OAD

43L’un des principaux enjeux est la calibration des notes attribuées par l’OAD SUPRA. Cet exercice est complexe car il n’existe pas de références objectivables permettant d’évaluer la justesse des notations, à l’exception de l’expertise du pédologue chevronné. Le choix de l’évaluation semi-quantitative avec une gamme restreinte de notes (de 0 à 3) se rapproche de la démarche de l’expert de terrain, mais sans la traduire fidèlement. Les tests que nous avons conduits sur les résultats obtenus font ressortir une justesse de l’évaluation car « les sols jugés bons [pour leurs propriétés agronomiques] par le pédologue lors de son expertise sur le terrain ont été bien notés, alors que ceux qui étaient jugés à forte contrainte ont été mal notés ». Ainsi la semi-quantification des fonctions des sols, obtenue avec l’OAD SUPRA, devrait permettre une optimisation de l’allocation de l’usage des sols dans un projet d’aménagement en lien avec le niveau de services écosystémiques attendus. L’amélioration de certaines fonctions du sol, qualifiées lors de l’étude préalable d’un projet d’aménagement, pourrait faire partie des stratégies de réponses de la fabrique urbaine aux enjeux environnementaux.

44La partie « calibration » de l’OAD est une phase essentielle et complexe à conduire. Elle repose en effet sur la confrontation des résultats du modèle avec, d’une part, l’appréciation des fonctionnalités d’un sol par un expert du domaine et, d’autre part, la réalisation de mesures objectivables (e.g. production de biomasse, séquestration de carbone, hydrodynamique du sol). Ce dernier volet nécessiterait en particulier la réalisation de suivi intégré de sols contrastés. Ainsi, il nous semble que la mise en place de réseaux (nationaux, voire internationaux) de monitoring des sols, en milieux urbains, visant à établir une métrique des fonctions et des services écosystémiques, est un objectif ambitieux mais décisif pour progresser sur ces questions.

Conclusion et perspectives

45Les résultats obtenus dans le cadre du projet SUPRA montrent que l’ambivalence des acteurs de la planification territoriale et de l’urbanisme opérationnel pour les sols est moins le fait de choix délibérés que d’une certaine méconnaissance. Les professionnels de l’aménagement du territoire, de la planification et de l’urbanisme ont, en effet, une culture de projet qui n’intègre actuellement que très peu la réalité et la complexité du sol. À la faveur d’une prise de conscience grandissante, certains se sentent ainsi démunis face à cette question. Ils appellent donc de leurs vœux une meilleure collaboration entre le monde de l’urbanisme et celui de l’agronomie. Ils pensent même que se dessinent, dans ce rapprochement, de nouvelles professions, de nouvelles formes d’assistance à maîtrise d’ouvrage ou à maîtrise d’œuvre dans les projets urbains. Le projet SUPRA a permis la création d’une première version d’un OAD permettant la prise en compte des potentialités des sols (évaluation multicritère intégrant le sol dans sa profondeur, son volume) dans le processus d’aménagement du territoire.

46Les nombreux échanges entre les partenaires, tout au long du projet, ont permis de formuler le rôle de cet OAD : proposer une manière de renforcer l’expertise du pédologue dans l’évaluation de la qualité et des potentialités d’un sol. En effet, l’évaluation conduite dans l’OAD s’inspire de la démarche des chercheurs en science du sol : mener une analyse multicritère qui repose sur des référentiels d’interprétation qui font consensus dans le domaine. L’OAD cherche alors à approfondir et à objectiver le diagnostic. C’est par ce prisme que nous avons interprété les résultats obtenus.

47Cependant cet OAD doit répondre à plusieurs impératifs pour être efficient : intégrer la complexité de la fabrique territoriale et urbaine ; être compréhensible et mobilisable par toutes les parties prenantes d’un projet (professionnels, élus, habitants) et être multiscalaire à l’échelle du projet, du quartier et à l’échelle métropolitaine pour produire ou entretenir des paysages en adéquation avec les attentes des usagers.

Nous tenons particulièrement à remercier les participants à l’atelier sur la prise en compte des sols dans les projets urbains et tous les répondants à l’enquête en ligne.

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Bibliographie

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Table des illustrations

Titre Figure 1. Méthode d’exploitation des réponses au sondage envoyé aux acteurs
URL http://journals.openedition.org/paysage/docannexe/image/31354/img-1.png
Fichier image/png, 81k
Titre Figure 2. Structures d’appartenance des acteurs sondés
URL http://journals.openedition.org/paysage/docannexe/image/31354/img-2.png
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Titre Figure 3. Note de considération du sol attribuée aux acteurs sondés
URL http://journals.openedition.org/paysage/docannexe/image/31354/img-3.png
Fichier image/png, 114k
Titre Figure 4. Participants à l’atelier
URL http://journals.openedition.org/paysage/docannexe/image/31354/img-4.png
Fichier image/png, 49k
Titre Figure 5. Les contraintes associées au sol dans les projets urbains
URL http://journals.openedition.org/paysage/docannexe/image/31354/img-5.png
Fichier image/png, 434k
Titre Figure 6. Les opportunités associées au sol dans les projets urbains
URL http://journals.openedition.org/paysage/docannexe/image/31354/img-6.jpg
Fichier image/jpeg, 26k
Titre Figure 7. Notes de fonctions obtenues sur les 102 sols de la base de données SUPRA
URL http://journals.openedition.org/paysage/docannexe/image/31354/img-7.png
Fichier image/png, 120k
Titre Figure 8. Trois profils de sol étudiés dans SUPRA, représentatifs de la variabilité des évaluations des fonctions
Légende a) MJC 3 Maisons (Nancy) ; b) plateau de Haye (Nancy) ; c) haie Cerlin (Nancy).
URL http://journals.openedition.org/paysage/docannexe/image/31354/img-8.png
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Pour citer cet article

Référence électronique

Jean-Noël Consalès, Anne Blanchart, Geoffroy Séré, Laure Vidal-Beaudet et Christophe Schwartz, « Le sol, une ressource à considérer dans les stratégies d’aménagement des villes : mise en place d’une démarche collaborative pour construire un outil d’aide à la décision d’affectation des sols »Projets de paysage [En ligne], 27 | 2022, mis en ligne le 30 décembre 2022, consulté le 12 février 2025. URL : http://journals.openedition.org/paysage/31354 ; DOI : https://doi.org/10.4000/paysage.31354

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Auteurs

Jean-Noël Consalès

Jean-Noël Consalès est maître de conférences en géographie, aménagement du territoire et urbanisme, Aix-Marseille université, UMR Telemme.
jean-noel.consales[at]univ-amu[dot]fr
https://telemme.mmsh.fr/ ?membres =jean-noel-consales

Articles du même auteur

Anne Blanchart

Anne Blanchart est docteure en sciences du sol et urbanisme et présidente cofondatrice de Sol &co (https://sol-et-co.com).
anne.blanchart[at]sol-et-co[dot]fr

Geoffroy Séré

Séré Geoffroy est professeur en sols anthropisés et services écosystémiques, université de Lorraine, INRAE, LSE.
geoffroy.sere[at]univ-lorraine[dot]fr
https://lse.univ-lorraine.fr/node/45

Laure Vidal-Beaudet

Laure Vidal-Beaudet est professeur en agronomie urbaine, Institut Agro Rennes-Angers, unité de recherche EPHor.
laure.beaudet[at]agrocampus-ouest[dot]fr
https://pro.institut-agro-rennes-angers.fr/fr/laure-vidal-beaudet

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Christophe Schwartz

Christophe Schwartz est professeur en pédologie urbaine, université de Lorraine, INRAE, LSE.
christophe.schwartz[at]univ-lorraine[dot]fr
https://lse.univ-lorraine.fr/node/74

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