1Parfois délaissé au profit de la chaux ou de la terre, le plâtre est redevenu un liant en vogue au XVIIIe siècle. Parent pauvre du patrimoine, le plâtre, lorsqu’il est reconnu, est trop souvent estampillé « XIXe » et à ce titre ni étudié ni conservé. Les façades en plâtre en particulier payent un lourd tribut de l’absence de reconnaissance du liant. Les destructions dans les grandes villes ou les bourgs ruraux sont toujours nombreuses. Savoir reconnaître un mortier de plâtre d’un autre liant et savoir reconnaître sa valeur scientifique sont indispensables à la conservation des ouvrages en plâtres.
2Le patrimoine plâtrier est riche et varié. Il ne se cantonne pas seulement aux décors prestigieux ni à l’art statuaire. Au XVIIIe siècle, à Toulouse, le liant plâtre fût aussi utilisé pour bâtir des cloisons légères, pour enduire des façades, des murs intérieurs, des plafonds et réaliser des sols en plâtre.
- 1 COUTELAS, 2009 : « L’analyse pétrographique des mortiers anciens se fonde sur les observations à l’ (...)
3Sur le plan méthodologique, cet article croise deux regards, celui du plâtrier et celui de l’archéologue du bâti. Ces deux regards sollicitent des techniques d’observations et d’analyses différentes mais complémentaires. La caractérisation macroscopique1 des mortiers de plâtre, réalisée à l’œil nu, concrétise d’une façon simple et empirique cette rencontre des regards et favorise un dialogue entre le mortier de l’archéologue et la chaîne opératoire de fabrication et d’application des techniciens.
- 2 Les infrastructures de transport ont structuré la filière plâtre. Pour la période médiévale et jusq (...)
- 3 LEBRUN, 1753, p. 64-67.
- 4 PICOT DE LAPEYROUSE, 1788, p. 393-394.
4Toulouse ne possède pas de carrières de gypse dans son sol. Pour répondre à sa demande en plâtre, Toulouse va faire appel à des zones de production de plâtres éloignés et connectés à des infrastructures de transport de pondéreux adaptées2. Au XVIIIe siècle, deux sources d’approvisionnement sont mentionnées, chacune associée à un circuit de transport particulier. Ainsi, les plâtres qui arrivent à Toulouse par la Garonne en provenance de la zone de production de Betchat (Ariège) / Salies-du Salat (Haute-Garonne) sont appelés « Plâtre de Montagne » et ceux arrivant par le canal du Midi depuis la zone de production Ricaud / Mas-Saintes-Puelles sont appelés « Plâtre de Castelnaudary »3. Nous intégrons à cette étude la zone de production d’Arignac / Arnave près de Tarascon / Ariège car si sa zone de chalandise semble locale4 à la fin du XVIIIe siècle, une partie de sa production a pu rejoindre la Garonne.
5Selon les gisements, selon les veines au sein d’un gisement, le gypse peut présenter des couleurs différentes5 (fig. 1). Si la coloration naturelle d’un gypse n’a pas d’influences sur les propriétés mécaniques d’un mortier de plâtre, elle revêt une importance prépondérante sur le plan des qualités esthétiques d’un plâtre, lesquelles sont tributaires des modes, des normes esthétiques fixées par une société.
Fig. 1
Exemples de gypses blancs ou naturellement colorés de la région Occitanie.
© Julien Salette
- 6 LAFARGE, 2009, p. 101 : « Depuis le XVIIe siècle en effet, c’est la blancheur qui est considérée co (...)
6Un gypse blanc donnera un plâtre blanc, un gypse rouge donnera, après cuisson, un plâtre rose. Un gypse bigarré blanc et noir donnera un plâtre gris-foncé ou gris-clair selon la dominance de gypse blanc ou noir. Dans la construction, lorsque commanditaires et plâtriers avaient le choix, les plâtres blancs ont toujours été les plus appréciés au détriment des plâtres naturellement colorés6. Le plâtre blanc est donc le plâtre le plus prisé et le plus cher, il est destiné aux couches de finition. Techniquement le plâtre blanc a deux avantages : d’un côté la blancheur apporte plus de luminosité dans des intérieurs souvent mal éclairés, de l’autre elle est une base neutre pour une coloration dans la masse par des terres naturelles.
7La carte de répartition des gisements de gypses blancs et de gypses naturellement colorés en région Occitanie (fig. 2) met en évidence d’une part, une répartition non homogène des gisements de gypse. D’autre part, nous observons une répartition aléatoire des couleurs de gypse. Le sud de l’Aude ou l’Hérault sont riches en gypses colorés et fréquemment dans le bâti ancien les renformis*, âmes de décors ou âme d’escaliers sont réalisés en plâtre rose, gris ou gris-rosé, plâtres moins onéreux que le plâtre blanc utilisé pour les finitions. Dans l’Ariège, la Haute-Garonne ou le nord de l’Aude, le gypse présent y est très majoritairement blanc.
Fig. 2
Répartition chromatique des gisements de gypses en Occitanie.
© Julien Salette
- 7 PICOT DE LAPEYROUSE, 1788, p. 393-394 : « Au pied de cette montagne [à Arignac] est une carrière de (...)
8Les trois gros gisements de gypse situés au sud de Toulouse celui du groupe Mas-Saintes-Puelles / Ricaud située au nord de Castelnaudary (Aude), celui du groupe Arignac / Arnave située près de Tarascon/Ariège (Ariège) et celui du groupe Betchat (Ariège) / Salies-du-Salat (Haute-Garonne) sont constitués de gypses blancs voire très blancs pour les carrières proches de Tarascon/Ariège7 . Au sein de la région Occitanie, c’est une des particularités de Toulouse de n’être approvisionnée qu’exclusivement de plâtres blancs. Ceci est confirmé par l’analyse des mortiers de plâtres toulousains puisque aucun plâtre naturellement n’a été repéré dans le bâti ancien de Toulouse.
- 8 DELORT, 2009, p. 22 : « Le gypse de Betchat […] est apparu en effet au Trias supérieur [201-228 mil (...)
9Les deux zones de gypse situées dans le piémont pyrénéen, celle d’Arignac / Arnave et celle de Betchat / Salies-du-Salat possèdent des particularités proches. Le gypse de ces deux zones constituées au Trias (201-252 millions d’années) contient des pyrites (di-sulfure de fer) mélangées au gypse que nous retrouverons au bout de la chaîne opératoire dans les mortiers (fig. 3). Dans ces gisements, selon les veines, les pyrites peuvent avoir des tailles et une densité différente. Les plus grosses pyrites ont été trouvées à Betchat8.
Fig. 3
Pyrite dans un bloc de gypse de Betchat.
© Patrick Gérardini
10Lors des différentes étapes de la chaîne opératoire de fabrication des plâtres : extraction, cuisson, mouture, tamisage, les pyrites mélangées au gypse sont cuites, broyées et tamisées. Elles sont donc présentes, parfois sous forme d’éclats dans les sacs de plâtres vendus à Toulouse. Elles sont reconnaissables à leur couleur bronze et parfois rouille brillante.
- 9 Voir l’article de Fabienne Fortier dans ce volume : « “Pourvu qu’il soit bon, beau et marchand” : l (...)
- 10 DRALET, 1837, p. 12-13.
11L’usage de fours culée (fig. 4) a été mis en évidence par Fabienne Fortier dans les carrières environnant Betchat9. Ces fours à plâtre à cuisson périodique peuvent avoir des tailles variées. Le modèle toulousain de four culée décrit par Dralet en 1837 apparaît de petites tailles : « Ces fours, dans les environs de Toulouse, sont construits sous un hangar. Ils consistent en un carré long ayant en largeur 1,5 mètre, et en longueur 2,5 mètres. Les quatre murs qui en forment l’enceinte sont élevés de deux ou trois mètres au-dessus du sol ; c’est sur ce sol que l’on place les pierres à plâtre en formant à sec une voûte d’abord avec les plus grosses ; à celles-ci succèdent d’autres pierres à plâtre d’un volume décroissant de couche en couche jusqu’à ce que la dernière ne soit formée que de pierres de la grosseur d’un œuf. Tout étant ainsi disposé, on allume le feu sous la voûte...10 ».
Fig. 4
Vue de face d’un four culée. Fig. 28. Four à plâtre. Diderot et d’Alembert, 1762, t. 1, pl. Architecture Maçonnerie, pl. VII, détail.
@ Source gallica.bnf.fr/BnF
- 11 LAFARGE, 2009, p. 101.
- 12 Information recueillie auprès de Marc Potin, directeur des Plâtres Vieujot fabricant.
12Les fours culée dont l’essor est attesté durant la période moderne11 sont adaptés à la fabrication de plâtres surcuits utilisés pour l’enduisage au plâtre des façades12. La chambre de cuisson localisée sous la voûte de blocs de gypse bâti à sec permet d’en extraire cendres et charbons de bois une fois la cuisson terminée et donc de dégager les blocs de gypse cuit sans qu’ils ne soient pollués par le combustible. Lors du gâchage du plâtre, les charbons de bois présents dans un plâtre le grisonnent. Ce four permet donc de produire des plâtres exempts de charbons de bois donc aussi blanc que le permet la couleur naturelle du gypse. Une fois la cuisson achevée et la température descendue, les blocs de gypse sont sortis du four afin d’être broyés. L’ouvrier qui décharge ce four doit être attentif aux blocs situés dans les coins car ils peuvent ne pas être assez cuits : ce sont des « chapons* ».
13Le four conique/elliptique (fig. 5) décrit par Dralet est un four à cuisson continue caractérisé par une stratification de couches de gypse et de combustibles superposées. Ces fours sont chargés progressivement par le dessus et déchargés progressivement par le bas. Ni le déchargement attentif, ni le tamisage ne peuvent enlever la fraction la plus petite du combustible qui teinte de gris le plâtre. Ce type de four produit des plâtres gris pour les renformis* d’intérieur.
Fig. 5
Arignac (Ariège), plan de fours à plâtre. La forme elliptique du four permet une cuisson plus homogène du gypse. Ce type de fours à cuisson continue était progressivement chargé par le haut et déchargé par le bas.
© AD Ariège, 7 S 170
14Il existe trois techniques pour moudre le plâtre : le battage manuel13 avec une batte ou une masse à taper, la mouture avec une meule actionnée par un animal et le moulin à plâtre actionné par l’énergie hydraulique (fig. 6) ou éolienne. Selon Dralet, des moulins non dédiés peuvent être également utilisés pour la mouture du plâtre comme les moulins à cidre.
Fig. 6
Meule de moulin à plâtre hydraulique situé dans le massif du Sédour. Les trois fours de forme elliptique partiellement détruits sont situés à 10 mètres environ.
© Julien Salette
- 14 Voir l’article de Fabienne Fortier dans ce volume : « “Pourvu qu’il soit bon, beau et marchand” : l (...)
15Fabienne Fortier a mis en évidence l’utilisation de la technique du battage manuel à Betchat14 qui reste la technique la plus rudimentaire. Ce plâtre « pilé » produit un plâtre de granulométrie grossière. Il peut être sommairement tamisé au crible de fil de fer afin d’enlever les plus gros granulats et lui assurer une granulométrie homogène de 0 à 5 mm. Ce type de plâtre n’a pas été observé dans les mortiers anciens de Toulouse.
16L’étape du tamisage est indispensable pour calibrer et affiner un plâtre. Christelle Inizan détermine quatre types de granulométrie15 du plâtre :
-
La granulométrie grossière (cf. ci-dessus) est « non tamisée (non râblé) ou sommairement passée au crible de fil de fer. C’est le gros plâtre à forte granulométrie (jusqu’à 5 mm), qui peut être utilisé pur ou avec des agrégats ».
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La granulométrie moyenne « (granulométrie de 1 à 2 mm) » est obtenue par tamisage « au panier de maçon en osier » (fig. 7).
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La granulométrie fine (inférieure à 1 mm). « Ce plâtre blanc est obtenu au sas, tamis de crin de cheval, qui le débarrasse du charbon qui pourrait le noircir. Il sert pour les enduits fins ou enduits de finition, les gypseries*, les moulages, les moulures ».
-
La granulométrie très fine est également appelée « fleur de plâtre ». C’est un plâtre « bluté au tamis de soie … Il est utilisé pour finir les moulures et les moulages. »
Fig. 7
Tamis (ou Sas) et panier d’osier permettent d’obtenir deux granulométries différentes de plâtre à bâtir lors du tamisage. Outils du maçon et du tailleur de pierre. Fig. 139 et 140. Panier d’osier et sas. Diderot et d’Alembert, 1762, t. 1, pl. Architecture Maçonnerie, pl. XI, détail.
@ Source gallica.bnf.fr/BnF
17À Toulouse sur les mortiers de façade seules les granulométries moyennes et fines ont été identifiées.
- 16 MAHUL, 1882, p. 123-125 : « Les maitres platries de la ville et fauxbour de Carcassonne, qu’on appe (...)
- 17 MAHUL, 1882, p. 357-361.
18À Toulouse, dans les sources judiciaires du XVIIIe siècle, l’artisan qui applique le plâtre est appelé « plâtrier ». À Carcassonne pourtant proche de Toulouse et comprise, comme Toulouse, dans l’aire linguistique occitane languedocienne, le statut des plâtriers de 1738 précise que les plâtriers peuvent aussi s’appeler « gipier16 » Toujours à Carcassonne, en 1729, dans le registre d’imposition17, les neuf plâtriers recensés sont appelés « gipier « ou « gypier ».
- 18 Voir l’article de Fabienne Fortier dans ce volume : « “Pourvu qu’il soit bon, beau et marchand” : l (...)
- 19 AMT, HH 47.
- 20 ANTOINE, 2009, p. 143-155.
19Au XVIIIe siècle, le plâtrier toulousain s’approvisionne en sacs de plâtre dans un ou plusieurs magasins gérés par un marchand18. Face à un approvisionnement en plâtre potentiellement irrégulier, la pratique toulousaine de mélanger plâtre de montagne et plâtre de Castelnaudary semble une pratique assez ancrée chez les plâtriers toulousains pour qu’au XVIIIe siècle, deux auteurs toulousains abordent la question. Si Jean-Baptiste Julia19, en 1779, évoque le mélange des plâtres pour pallier aux problèmes d’approvisionnement sans toutefois mentionner les catastrophes hydro-météorologiques20 qui ont perturbées le transport fluvial sur la Garonne durant les années 1760-1780 ; Lebrun, en 1753, est plus précis.
- 21 LEBRUN, 1753, p. 64 : « Le plâtre de Castelnaudary, qu’on employe dans Toulouse, n’est pas à beauco (...)
- 22 LEBRUN, 1753, p. 64-65.
20Selon Lebrun, plâtres de Montagne et plâtres de Castelnaudary n’ont pas les mêmes qualités. Les plâtres de Castelnaudary sont moins onctueux, moins blancs mais plus résistants21 que les plâtres de Montagne. Pour les renformis*, Lebrun préconise le mélange des plâtres à parts égales pour associer leurs qualités et sûrement, indirectement, pour prescrire une technique plâtrière consensuelle afin de toujours profiter des aléas des approvisionnements. Nous pouvons également supposer que cela permet de ne pas concentrer la demande sur un seul centre gypsifère tout en permettant de créer un plâtre régulier en termes de temps de prise et en onctuosité. Appliquer du plâtre étant un métier très sensible, où il est nécessaire d’être à l’écoute de la matière, où chaque étape d’application se fait au bon moment de la prise de la matière, il est important pour le plâtrier toulousain de se formuler un plâtre calibré au temps de prise régulier, adapté à son travail ainsi qu’à son tour de main. Voici les préconisations de Lebrun : « L’on s’en sert, ou du moins l’on devroit s’en servir, en les mêlant ensemble moitié de l’un et de l’autre, pour le bâti des plafonds, corniches, courbes, lambris et généralement pour toutes sortes de moulures, même pour bâtir et dégrossir les cloisons…22 ». Ce mélange de deux plâtres blancs d’origine différente prescrit par Lebrun est donc destiné aux couches de renformis muraux, de plafond et âmes de décors moulurés ou ciselés. Toujours selon Lebrun, la couche de finition est réalisée avec les plâtres de la Montagne plus blancs. Selon ces conseils de mise en œuvre, il apparaît qu’au milieu du XVIIIe siècle, à Toulouse, les volumes vendus des plâtres de Montagne sont largement supérieurs à ceux de Castelnaudary.
21En 1837, Dralet, ne décrit aucun mélange. Au contraire, il préconise pour chaque provenance des fonctions spécifiques comme l’utilisation du plâtre de Castelnaudary pour bâtir des cloisons de briques foraines, faire des renformis de plafonds et de murs. Par déduction, les plâtres de Montagne sont réservés aux couches de finitions. De par les fonctions attribuées par Dralet, les volumes vendus des plâtres de Montagne et des plâtres de Castelnaudary semblent s’équilibrer au début du XIXe siècle.
22Lebrun et Dralet décrivent un lien entre la provenance d’un plâtre et sa fonction comme renformis ou finition. Il est possible qu’au XVIIIe siècle les centres gypsifères se soit spécialisés. Mais on ne peut exclure que selon la blancheur et la qualité des veines rencontrées lors de l’extraction, chacun des entrepreneurs ait pu fournir des plâtres différents du schéma proposé par les deux auteurs.
23Le marchand de plâtre ou le plâtrier peuvent utiliser plusieurs techniques pour vérifier la qualité d’un plâtre. Deux techniques sont évoquées dans la documentation toulousaine : la réalisation d’un échantillon et la palpation du sac de plâtre.
24La réalisation d’un échantillon est un test efficace et rapide préconisé par Lebrun et Dralet. L’objectif est d’évaluer le temps de prise du plâtre et ainsi déterminer sa qualité. Cela suppose que le plâtrier connaisse le temps de prise optimal garant d’un bon plâtre. Également, cet échantillon et l’évaluation du temps de prise observé, permettront au plâtrier d’adapter son travail au temps de mise en œuvre lié aux sacs de plâtre achetés. En 1753, un plâtre très rapide sera considéré comme un « plâtre vert* » selon Lebrun. Un plâtre trop lent sera considéré comme un « plâtre éventé* ». L’« onctuosité » du plâtre synonyme de « gras* » est une qualité très appréciée en 1753 comme sa blancheur. En 1837, un bon plâtre est un « plâtre court* », « gras* » et « blanc ». L’absence de procès conservés aux Archives Municipales de Toulouse liés à une mauvaise qualité des plâtres invite à considérer ces faits comme très rares.
- 23 AMT, FF 809/7, procédure #155, verbal de plainte du 27 septembre 1765. Transcription Géraud de Lave (...)
25En 1765, une procédure judiciaire décrit la technique d’un plâtrier toulousain pour évaluer la qualité d’un plâtre conditionné dans un sac fermé. Elle consiste à secouer les sacs : « … le nommé Beautier dit Madelon cadet [entrepreneur du plâtre au Port Garraud] vint il y a environ un an à la grange où ledit plâtre est déposé audit port, et … se mit à remuer ledit plâtre et choisir celluy qui y convenoit...23 ». Lors du transport depuis la plâtrière jusqu’au magasin toulousain, un sac de plâtre est chargé et déchargé à plusieurs reprises. La poudre de plâtre tout comme d’autres liants poudre se tassent et se compactent avec les manutentions, d’autant plus que les sacs de toile peuvent être stockés les uns sur les autres. En remuant les sacs, le plâtrier décompacte la poudre et peut ainsi vérifier la présence ou l’absence de boules ou boulettes de « plâtre pris* » dans le sac. Cette technique reste toutefois un moyen hasardeux d’évaluation puisqu’elle ne peut déterminer que s’il s’agit d’un « plâtre mouillé* » ou non.
26Si le plâtrier possède des techniques pour contrôler la qualité du plâtre vendu par le marchand, l’ingénieur/architecte et le prescripteur d’un chantier ont eux aussi le moyen de contrôler le travail du plâtrier. La technique décrite par Lebrun en 1753 consiste à observer la matrice d’un enduit. La présence de points rouges dans le plâtre blanc est anormale puisqu’il n’y a pas de plâtres naturellement colorés en rose ou rouge dans les veines des carrières de gypse qui alimentent Toulouse. Ceci signale une malfaçon avec l’ajout de plâtras* de cloisons briquetées réduit en poudre. Lebrun décrit ainsi l’utilisation de l’analyse macroscopique des mortiers de plâtre dans son activité professionnelle et celle des architectes ou commanditaires.
27Un mortier est un mélange anthropique d’un liant plâtre, chaux ou terre avec une charge minérale (sable fin, sable gros …). C’est une caractéristique du plâtre que d’être à la fois liant et sa propre charge. C’est-à-dire que le mortier de plâtre ne nécessite pas l’ajout de sable. Si vous observez un mortier épais de plus d’un demi-centimètre exempt de sables ; il s’agit alors très certainement d’un mortier de plâtre puisque mortiers de chaux aérienne ou de chaux hydraulique nécessitent obligatoirement une charge minérale visible à l’œil nu. Lors de sa prise, le plâtre gonfle tandis que la terre et la chaux aérienne ou hydraulique se rétractent créant ainsi une fissuration du mortier lorsque la charge minérale n’est pas adaptée en quantité et en granulométrie. La présence de sable dans le plâtre est un cas particulier que je n’ai que rarement observé dans le sud toulousain.
28En région Occitanie, selon les mortiers de plâtre nous pouvons observer des grains de tailles, de nature et de couleurs différentes. À l’œil nu et aidé d’une loupe de diamantaire, nous pouvons distinguer quatre types de granulométrie calquée sur la typologie d’affinage des plâtres par mouture et tamisage24 (cf. 1.4) : fine (inférieure à 1 mm), moyenne (1 mm < >2 mm), grosse (2 mm < > 5 mm), très grosse (5 mm < > 4 cm). L’identification de la granulométrie de plâtre est difficile lorsque le plâtre est blanc. Par contre, elle est très facile à observer lorsque le plâtre est naturellement coloré. Nous distinguons alors des grains colorés (gypse, plâtres incuits, grains de plâtre pris) plus ou moins gros (de 1 mm à ¾ cm de diamètre) selon la réalisation. Ces mortiers que l’on rencontre en région Occitanie surtout dans les Corbières (Aude) et dans l’Hérault, ne doivent surtout pas être confondus avec un « béton romain », mélange de chaux aérienne et de tuileaux concassés.
29L’absence de sables et l’observation d’une granulométrie du plâtre constitue une première hypothèse d’identification. Une méthode simple consiste à écraser un petit bout de mortier de plâtre entre le pouce et l’index. Le mortier écrasé produit une poudre fine qui vous permettra d’observer de déterminer ou non la présence de sables. De plus, cette poudre fine de plâtre s’incrustera dans vos empreintes digitales et créera une sensation de douceur proche de celle du talc.
30Cette technique de caractérisation développée au cours d’un Master 2 est simple et peu onéreuse. Elle constitue l’étape préparatoire avant les analyses physico-chimiques plus approfondies réalisées en laboratoire. L’analyse macroscopique permet donc d’orienter les analyses physico-chimiques et microscopiques, d’avoir une réponse précise et fine liée aux questionnements suscités par l’analyse à l’œil nu, de réduire les coûts d’analyses en laboratoire en ciblant les analyses et d’obtenir ainsi un meilleur ratio coût/résultats des analyses.
31Les critères discriminants utilisés pour réaliser ces caractérisations de mortiers sont la couleur (blanc, naturellement coloré, teinté dans la masse), les granulats présents : la granulométrie de plâtre (granulométrie fine, moyenne, grosse), la couleur et forme de ce granulat, et la présence d’éléments atypiques liés à la chaîne opératoire (pyrite, charbons de bois, sables ajoutés ou non, tuileaux), également la stratigraphie des mortiers (supports, renformis, finition et rénovations postérieures) et toutes les informations concernant l’application (traces d’outils, état de prise du plâtre lors de l’application).
Fig. 8
Toulouse (Haute-Garonne), Façade en plâtre blanc du 7 rue Peyras.
© Julien Salette
32Un prélèvement a été réalisé sur la façade au niveau du 3e étage donnant sur la rue Peyras. L’habitation est à pans de bois structurée avec des croix de Saint-André. L’hourdissage est hétérogène selon les endroits : torchis, briques foraines bâties à plat, lattis bois. Un échantillon a été prélevé sur le torchis et un autre sur le poteau droit de la fenêtre.
33Le plâtre étant plus dur que la terre, nous observons en négatif l’aspect du torchis avant l’enduction au plâtre. Celui-ci ne présente pas de bûchage mais une texture organique bosselée. La surface du torchis semble brute et les accroches mécaniques, réalisées par une application sommaire, nombreuses. Aucune trace d’un enduit intermédiaire résultant d’une finition antérieure à la chaux ou à la terre n’a été observée.
34Le prélèvement sur le remplissage de torchis met en évidence deux couches distinctes de plâtre. Le prélèvement sur torchis, composé de deux couches, a une épaisseur totale de 1,2 à 2 cm selon l’irrégularité du torchis. L’épaisseur des couches est variable avec une moyenne de 1 cm d’épaisseur pour le renformis et 6 mm pour la finition.
35Son renformis* est plus crème que la couche de finition blanche. Celui-ci est composé d’une granulométrie blanche, grise ou brillante dont les plus gros grains atteignent 3 mm. Ces grains sont tendres et interprétés comme des grains de plâtre. Le plâtre utilisé est donc un plâtre au panier de moyenne granulométrie sans sables ajoutés. De fins grains noirs pourraient être une impureté de la veine de gypse ou de fines traces de charbons de bois. Des traces de truelle berthelet à dents sont visibles à la surface du renformis et suggère soit le raclage d’une bosse soit la création d’une accroche mécanique pour l’adhérence de la couche de finition.
36Les deux couches renformis et finition sont intimement liées confirmant ainsi l’efficacité du passage de la berthelet dentée tout comme l’application de la couche de finition sur un renformis fraîchement appliqué encore humide.
37La couche de finition de teinte crème plus claire que le renformis présente une granulométrie fine dont les plus gros grains atteignent 1mm. Ce granulat de teinte brune et noire ressemble aux impuretés de la carrière supposée dans le renformis. Les deux plâtres de cette façade, plâtre au panier et plâtre au tamis semblent donc provenir du même gisement. La surface de cet enduit de finition réalisé au plâtre blanc au tamis ne présente pas de texture lissée.
38Trois finitions postérieures ont été appliquées sur le plâtre sec. Elles ont été réalisées par l’application de laits de chaux coloré, le premier de couleur brune, le second blanc et le troisième jaune.
39L’absence de charbon de bois nettement identifiables et la cuisson haute que nécessite ce plâtre de ravalement suggère l’utilisation de fours culée.
40L’absence de pyrite, dont la découverte est toujours fortuite résulte peut-être du faible volume des prélèvements. Il est donc difficile de se prononcer sur l’origine des deux plâtres à bâtir*.
Fig. 9
Toulouse (Haute-Garonne), 17 rue des Changes ; façade en plâtre blanc recouverte d’une peinture imitant un stuc brique.
© Julien Salette
41Un petit prélèvement (3 cm x 2 cm) a été réalisé au niveau de la façade du 1er étage donnant sur la rue Malcousinat. L’habitation à pans de bois est structurée avec des croix de Saint-André. Dans les parties visibles, le remplissage est constitué de briques foraines bâties à plat.
42Le ravalement au plâtre est composé d’une seule couche de finition épaisse de 1 à 1,2 cm en moyenne.
43C’est un plâtre blanc de granulométrie fine. Les granulats de gypse d’1 mm sont rares. Des petits « points noirs », sont visibles mais rares. Il est difficile d’identifier une texture de finition sur la surface de l’enduit. Une couche de lait de chaux postérieure est nettement visible. Ce lait de chaux a une épaisseur d’1 mm environ et sa coloration semble crème.
44Ce plâtre de ravalement très blanc affiné au tamis a nécessité une cuisson haute. Une cuisson périodique dans un four culée avec un gypse très blanc peut permettre de fabriquer ce type de plâtre de qualité supérieure par sa blancheur, sa finesse de mouture et la résistance mécanique de l’enduit de plâtre.
Fig. 10
Toulouse (Haute-Garonne), 3 rue des Changes ; façade de stuc pierre au plâtre teinté dans la masse.
© Julien Salette
45Prélèvement réalisé lors du chantier de restauration de la façade de stuc pierre. Habitation à pans de bois.
46Le ravalement au plâtre est composé d’une seule couche de finition épaisse de 1,2 cm en moyenne. Une anomalie est présente dans l’échantillon. En effet, un petit volume de plâtre très blanc de 4 cm x 3 cm est enrobé par la couche de finition de couleur brun-clair.
47Ce plâtre très-blanc présente la même granulométrie fine que le plâtre de finition brun-clair qui l’enrobe. Il présente également la même densité de petit points noirs identifiés comme des impuretés de la veine d’extraction de type micro-silice. Ainsi, tout porte à penser que ces deux mortiers proviennent d’un même type de sacs : même mouture fine, densité équivalente de points noirs, même cuisson produisant des surcuits.
48La couleur brun clair du mortier de plâtre de finition n’est donc pas due à la couleur naturelle du gypse mais à l’ajout de pigments naturels destiné à teinter dans la masse le plâtre très blanc.
49Lors d’une campagne de rénovation postérieure, le stuc pierre a été recouvert par une couche picturale très adhérente de couleur blanc cassé. À l’origine, cette façade était un stuc pierre teinté dans la masse de couleur brun clair.
50Prélèvement réalisé après la phase de décroûtage de la façade dans les sacs à gravats de l’entreprise chargé de la rénovation. Habitation à pans de bois.
51Avant sa rénovation, la façade se caractérisait par la préservation d’éléments décoratifs en plâtre (deux pilastres ornés de chapiteaux simplement moulurés, corniches entre le 1er et le 2nd étage, bandeau de plâtre qui couronne la façade) qui sont interprétés comme les éléments décoratifs d’une façade à l’origine entièrement enduite au plâtre. Une rénovation postérieure réalisée au cours du XXe siècle a remplacé l’enduit de plâtre par un enduit de ciment.
52Le prélèvement correspond à un fragment d’un pilastre. Il est composé de deux couches de plâtre : un renformis épais de 9 mm environ et une couche de finition de 1,5 cm d’épaisseur. La fonction de pilastre et sa surépaisseur nécessaire expliquent que la couche de finition soit plus épaisse que le renformis.
53Plâtre de renformis et plâtre de finition ont sensiblement la même couleur blanche.
54Le plâtre de renformis se caractérise par une granulométrie gris-bleu tendre interprétée comme des grains de plâtre de diamètre maximal de 2 à 3 mm alors que le plâtre de finition présente une granulométrie fine. Nous avons donc un plâtre au panier en renformis et un plâtre au tamis en finition.
55Les petits points noirs que l’on rencontre fréquemment sont présents mais en faible densité.
56L’enduit de plâtre du pilastre a été recouvert de deux couches de badigeon représentant chacune une phase de rénovation. La première couche est un lait de chaux de couleur jaune. La seconde couche de lait de chaux est plus fine que la première ; sa teinte est brun-vert.
57À l’origine cette façade n’était pas enduite au ciment ni à la chaux hydraulique comme cela a été fait lors de la rénovation en 2023 mais au plâtre dont l’ancienneté est attestée par les deux couches de lait de chaux coloré des rénovations postérieures à l’enduction au plâtre.
58Lebrun et Dralet décrivent différentes utilisations des plâtres à bâtir de Montagne et de Castelnaudary. Ces deux plâtres aux blancheurs et qualités différentes servent à bâtir des cloisons, enduire les murs, les plafonds et les cloisons, réaliser des décors moulurés ou ciselés. Concrètement, qu’observons-nous dans le bâti toulousain ?
59La nouvelle mode architecturale du XVIIIe siècle entraîne une réorganisation des espaces et de nouveaux cloisonnements : « Tout au long du XVIIIe siècle, les travaux en plâtre dans les demeures se multiplièrent. La distribution des pièces évolua, les grandes salles « à tout faire » disparurent peu à peu pour être divisées en salle à manger, salon, chambre à coucher, antichambre, et les plâtriers furent requis pour effectuer ces séparations.25 »
- 26 Terme utilisé par LEBRUN en 1753, p. 64.
60À Toulouse, il existe une technique largement pratiquée pour réaliser des cloisons légères non porteuses : le briquetage. Il s’agit de bâtir de champs des briques foraines de terre cuite avec du plâtre. Cette technique est exposée par Lebrun en 1753 lorsqu’il décrit le mélange des plâtres de Castelnaudary avec ceux de montagne pour « bâtir des cloisons » et réaliser leur renformis (« dégrossir26 ») qui seront recouverts d’un enduit de finition.
- 27 AMT, HH 66, f°535 : « Que dorénavant chaque habitant et particulier de Toulouse qui fera ou fera fa (...)
- 28 ROUSSELLE, 1994. p. 155 : « Avant l’ordonnance de 1768 qui décrit les principaux produits et donne (...)
61Cette association brique cuite et plâtre est connue à Toulouse depuis la fin du Moyen-Âge. Suite à l’incendie de 1463 à Toulouse, les capitouls promulguent une ordonnance27 le 3 mars 1473 qui encadre la construction des cheminées privatives. La réglementation stipule qu’elles devront être construites à présent à la brique violette28 et au plâtre.
62À Toulouse, la technique du briquetage est utilisée pour la réalisation de cloisons légères et également comme fermeture des façades à pans de bois. Cette technique qui remplace le remplissage des pans de bois hourdis à la brique foraine bâtie à plat à la chaux aérienne permet de diminuer le poids de l’hourdissage, de réduire le temps de travail sur chantier, de réduire la quantité de briques foraines consommées et donc de diminuer les coûts de construction. Au XVIIIe siècle, le briquetage est une technique de cloisonnement rapide, peu coûteuse, légère, solide et fine en épaisseur (6 à 7 cm). Cette technique de cloisonnement est l’ancêtre des cloisons contemporaines en plaques de plâtre.
63La destruction en novembre 2022, d’une façade en plâtre située dans la cour intérieure du 4 rue Chalandes à Toulouse a laissé à nu le support. Le temps d’observation a été court avant son recouvrement à l’enduit de chaux hydraulique. Cette habitation à pans de bois est un ajout postérieur aux façades du XVIIe siècle qui l’entoure et sur lesquelles elle s’appuie. Une analyse dendrochronologique de l’ossature bois pourrait dater ce mortier contemporain de l’ossature et vérifier l’hypothèse de sa datation au XVIIIe siècle. Cette façade constitue un exemple toulousain de briquetage entre pans de bois (fig. 11 et 12). Le briquetage est ici constitué d’une double rangée de briques foraines bâties au plâtre. L’absence de deux briques extérieures sur une rangée permet d’observer la projection d’un « mouchetis » de plâtre destiné à coller et solidariser les deux épaisseurs de briques. Le mortier du mouchetis de plâtre blanc est anormalement composé d’une charge conséquente de grains minéraux de 2 mm environ de diamètre. Certains grains bleutés pourraient être de la recoupe de pierre au regard de leur morphologie anguleuse. D’autres grains blancs plus nombreux, de morphologie plus arrondie évoque la criblure* de plâtre. Le mouchetis est un mortier de plâtre projeté liquide. Les zones de concentration des granulats observés peuvent également résulter de la projection à la truelle d’un fond de gamate où se sont accumulés les granulats d’un plâtre de moyenne mouture. Sur des façades briquetées et laissées nues29 les trous de boulins nécessaires à l’ancrage d’un échafaudage sont absents. Ceci confirme que le briquetage des façades se réalise depuis l’intérieur. Les trous de boulins observés sur la façade briquetée du 4 rue Chalandes sont grossiers, réalisés par percussions par l’équipe des plâtriers-enduiseurs qui ont réalisés la façade en plâtre.
Fig. 11
Toulouse (Haute-Garonne), cour intérieure du 4 rue Chalandes ; hourdissage de l’ossature bois par briquetage de briques foraines bâties de champ à l’origine, recouvert d’une façade de plâtre blanc. La façade en plâtre a été détruite en novembre 2022.
© Julien Salette
Fig. 12
Toulouse (Haute-Garonne), cour intérieure du 4 rue Chalandes, l’hourdissage de l’ossature bois a été doublé pour assurer une meilleure solidité à la cloison de façade.
© Julien Salette
64Si sur le plan de la distribution intérieure, le cloisonnement des pièces à la fin du XVIIIe siècle annonce une nouvelle manière d’habiter son intérieur, sur le plan esthétique et stylistique les intérieurs vont vivre une transformation radicale avec le recouvrement au plâtre des murs et des plafonds.
65Le plâtrage d’un plafond nécessite dans un premier temps la préparation des supports : clouage d’un lattis de bois fendu sur les solives et pour le recouvrement des poutres maîtresses, entaillage à l’outil tranchant et/ou création d’un maillage de clous. Une fois les supports préparés, la seconde étape consiste à enduire au plâtre les surfaces ainsi préparées.
- 30 LEBRUN, 1753, p. 64-65.
- 31 DRALET, 1837, p. 17 et 49.
66Au niveau du plâtre sur lattis, nous observons très fréquemment l’application en deux couches que décrivent Lebrun30 et Dralet31. Dans un premier temps une première couche de renformis est appliquée pour recouvrir le lattis et pénétrer dans les interstices entre chaque latte de bois fendu. Sur cette première couche est appliquée la couche de finition avec un plâtre blanc plus fin. La poutre maîtresse entaillée est directement enduite aux plâtres.
67Parfois, dans le bâti ancien entre canal du Midi et Garonne, la couleur du plâtre des renformis de plafonds peut être légèrement crème ou grise-clair. À Soues (Hautes-Pyrénées), j’ai observé l’ajout de fibres de crins de cheval pour armer le plâtre de plafond daté des années 1800. Dans les départements de l’Hérault, des Corbières dans l’Aude et des Pyrénées Orientales, la sous-couche des plafonds, les renformi/corps d’enduit muraux ou l’âme des décors sont généralement réalisés avec un plâtre naturellement coloré de couleur grise, rosée, rouge ou gris-rosée.
- 32 AMT, FF 816/6, procédure #150, n° 1, Requête en plainte du 7 septembre 1772. Transcription Géraud d (...)
68L’étape du plâtrage des plafonds est évoquée lors d’un conflit judiciaire opposant en 1772 deux plâtriers toulousains travaillant sur le même chantier mais dans des pièces différentes jusqu’à ce que survienne une altercation verbale entre le plâtrier Cabagnal et le plâtrier Fourcade, quant à lui sur « l’échafaudage », la « petite hache » à la main menaçante32. Fourcade devait très certainement utiliser sa hachette pour entailler les poutres maîtresses, fendre plus précisément un lattis et le tailler à la bonne dimension. Le travail en hauteur sur échafaudage conforte cette hypothèse. La procédure judiciaire mentionne également que Fourcade est accompagné sur l’échafaudage par Bernard son beau-frère, lui aussi plâtrier. Le travail en binôme est indispensable pour le clouage des longues lattes au plafond.
69Au 4 rue Chalandes à Toulouse, les briques foraines bâties au plâtre pour fermer l’ossature bois de façade sont enduites de plâtre en extérieur et en intérieur. À la différence des enduits de plâtre extérieur qui peuvent être parfois teintés dans la masse, les enduits de finition réalisés en intérieur à Toulouse sont très majoritairement réalisés au plâtre blanc non teinté. La recherche de luminosité dans les habitations explique ce choix chromatique. Rappelons que le mortier de plâtre est reconnu dès la fin du XVe siècle comme ignifuge. Il est également, par sa porosité, un régulateur de l’hygrométrie des pièces de vie. Lumineux, ignifuge, régulateur de l’humidité crée par la cuisson d’aliments sont les trois qualités sanitaires du liant plâtre qui expliquent son omniprésence dans les intérieurs du XVIIIe et du XIXe siècle de Toulouse jusqu’au piémont pyrénéen.
- 33 INIZAN, 2017, p. 30-31.
70Comme le met en évidence cette corniche des années 1800 provenant de Saint-Jory (Haute-Garonne), au nord de Toulouse (fig. 13), les plâtres des décors toulousains présentent les mêmes caractéristiques que ceux des enduits intérieurs. A l’œil nu, sur une coupe en section, nous pouvons observer que le décor a été réalisée en deux étapes. Une première phase consiste à structurer l’âme du décor ou renformis avec un plâtre gris-très clair de moyenne granulométrie. Nous notons la présence d’une granulométrie de 2 à 2,5 mm de diamètre pour les grains les plus gros. La couleur de ces grains de gypse varie du gris-bleu au blanc brillant. La couche est épaisse et les tuileaux de brique ont été noyés dans cette couche dont le plâtre a sûrement été appliqué à la truelle avant d’être pré-formé par traînage d’un calibre de bois non mouluré. La seconde couche composée de plâtre fin et blanc est très fine (entre 0,5 et 15 mm d’épaisseur). La finition moulurée est obtenue par traînage d’un calibre mouluré. Certaines imperfections ont pu être corrigées au guillaume ou à la gouge33 notamment dans les angles rentrants.
Fig. 13
Corniche provenant de Saint-Jory (Haute-Garonne). Datation : environ 1800. La corniche a été réalisée en trois temps. Au plâtre au panier, sont scellés tessons de briques foraines et de tuiles. La forme de l’âme est ensuite obtenue par traînage de plâtre au panier avec un calibre non mouluré. Un second traînage d’une épaisseur maximale de 1 cm est exécuté au plâtre blanc au tamis pour obtenir la finition moulurée.
© Julien Salette
71Parmi les préjugés sur le plâtre, s’il y en a un qui est bien tenace, c’est celui qui considère que le plâtre ne peut être appliqué en extérieur. Or, pour qu’un plâtre puisse être appliqué en extérieur il faut que celui-ci soit chargé en surcuits, obtenus par cuissons hautes comprises entre 350 et 550 °C (fig. 14).
Fig. 14
Cycle des plâtres.
© Plâtres Vieujot
72Un pré-inventaire des façades en plâtre de Toulouse a été publié en 2019 sur un blog dédié aux plâtres34. Cet inventaire non exhaustif permet d’établir une première typologie des supports sur lequel est appliqué l’enduit de plâtre d’extérieur. Dix enduits sont appliqués sur façade à pans de bois aux remplissages parfois hétérogènes (torchis, briques cuites, lattis de bois, briquetage) (fig. 8), un enduit et ses décors de style art nouveau sur un bâti de briques cuites bâtie à plat et trois exemples d’enduit de plâtre dans des espaces semi-extérieurs tels que couloir d’entrée, coursives et intérieur de balcon protégés par un avant-toit (fig. 15).
Fig. 15
Toulouse (Haute-Garonne), enduit semi-extérieur dans une coursive située au 93 rue de la Colombette. Deux enduits de plâtre teintés dans la masse sont superposés. La première finition était enduite au plâtre fin teinté à l’ocre jaune. La seconde finition postérieure est un enduit de plâtre teinté à l’ocre rouge.
© Julien Salette
73Si l’on peut observer l’enduit de plâtre d’extérieur sur différents types de constructions, ce sont les façades à pans de bois qui représentent la très grande majorité des supports d’enduits de plâtre d’extérieurs relevés. Nous pourrions nous interroger sur la fiabilité de ce corpus toulousain si nous n’observions la même fréquence dans l’association pans de bois – enduit de façade en plâtres dans les bourgs ruraux au sud de Toulouse35 jusqu’au piémont pyrénéen. Que ce soit pour Toulouse ou pour les départements situés au sud de Toulouse (Aude, Ariège, Haute-Garonne) nous n’avons pas répertorié d’injonction du pouvoir politique pour obliger ou même préconiser la réalisation de façades en plâtre. L’association pans de bois – enduit extérieur de plâtre est-elle une association de bon sens qui n’a pas nécessité d’être encadrée par la loi ? Les qualités du matériau pourraient suggérer cette hypothèse. D’une part, le plâtre est encore aujourd’hui reconnu comme un matériau ignifuge. D’autre part, la porosité du plâtre facilite les transferts de l’eau tant à l’état gazeux dans le mur, évitant ainsi, par la respiration du matériau, la condensation de celle-ci dans le mur et préservant l’ossature de bois porteuse du pourrissement comme le provoque des enduits fermés comme ceux en ciment, en chaux hydraulique, en mortiers résinés ou recouverts de peintures non écologiques et non respirantes.
- 36 WALKER, 1835, T. 1, p. 239-241.
74Hors de la région Occitanie, une Ordonnance de Police à Paris sur les pignons et pans de bois du 18 août 1667 fixe l’obligation de plâtrer les maisons à pans de bois. En prenant comme prétexte le risque d’effondrement d’habitations (une forme d’insécurité) et d’obscurité dans les rues de Paris, des mesures d’aménagement urbain sont prises sur les thèmes de l’ornementation, de la décoration et de l’élargissement des rues. Parmi les trois mesures prises, une d’elles oblige les particuliers à recouvrir de plâtre les poutres et solives tant en intérieur qu’en extérieur : « Enjoignons auxdits propriétaires de faire couvrir à l’avenir les pans de bois de lattes, clous et plâtre tant en dedans qu’en dehors.36 »
75Certaines façades en plâtre ont été peintes comme le faux appareil de brique peint sur la façade en plâtre du 17 rue des Changes (fig. 9). On ne peut peindre que sur un plâtre sec. C’est pour cela qu’au regard de l’immobilisation de l’échafaudage nécessaire au séchage de l’enduit, toutes les couches picturales observées en extérieur sont interprétées comme des opérations de rénovation largement postérieure à l’enduit de plâtre. Du sol, nous pouvons observer la blancheur de l’enduit en section ainsi que l’absence de sable dans l’enduit de plâtre épais de plus d’un centimètre. Nous pouvons également remarquer la belle tenue de l’enduit malgré l’absence d’entretien de l’ossature bois porteuse qui entraîne des mouvements de la construction. De plus, nous observons une dégradation de la couche picturale millimétrique alors que l’enduit de plâtre est sain. La porosité et la respiration du plâtre réagissent différemment selon la rénovation réalisée dans chacun des appartements : isolation non adaptée, peinture non respirante, absence de ventilation… ; ce qui permet d’observer les croix de Saint-André de l’ossature de bois lorsque la peinture imitant un stuc brique se désagrège par réaction à un aménagement intérieur non adapté.
76Quelques cas de plâtres teintés dans la masse ont été repérés en extérieur : deux sur façade et deux dans des coursives d’étage.
77Concernant les coursives, au 93 rue de la Colombette (fig. 15), dans une cour intérieure du XIXe siècle, un premier enduit de plâtre teinté à l’ocre jaune a été recouvert lors d’une rénovation postérieure d’un second enduit de plâtre teinté à l’ocre rouge (la teinte de l’enduit est rose). Le couloir d’entrée était d’un plâtre teinté bleu-gris. Avant d’être grossièrement rénové il y a peu, le couloir d’entrée du 22 rue des changes était enduit de plâtre teinté dans la masse à l’ocre jaune. Cet enduit est parfois encore visible dans les coursives d’étage.
78Concernant les façades en plâtre teintées dans la masse, deux exemples ont été répertoriés à Toulouse. La façade du 3 rue de l’Esquile est enduite de plâtre teinté à l’ocre jaune. La façade du 3 rue des Changes est constituée d’un stuc pierre dont le plâtre a été teinté d’une couleur brun clair rappelant un ton pierre.
- 37 AMT, Blanchiment des façades, 12 juillet 1783, BB163.
79Si certaines façades en plâtre sont teintées dans la masse, la majorité d’entre elles sont enduites de plâtres blancs. Les revêtements millimétriques que représente l’application d’un lait de chaux ou d’une peinture couvrant l’enduit plâtre ne sont certainement pas contemporains des enduits de façade, mais une opération postérieure correspondant à une nouvelle mode chromatique concrétisée par une nouvelle phase de ravalement. Un badigeon ou peinture ne peuvent être appliquée que sur un plâtre sec et nécessite donc d’immobiliser un échafaudage en le protégeant de la pluie pendant un mois pour réaliser cette opération. Dans leur première intention, les façades de Toulouse enduites au plâtre blanc n’ont pas reçu de finitions chromatiques ; elles sont de finition blanche. Ce type de finition est préconisé par l’acte toulousain du 12 juillet 1783 sur le blanchiment des façades toulousaines37. En effet, au motif d’apporter de la luminosité la nuit pour lutter contre l’insécurité et afin d’apporter par réverbération de la luminosité dans les intérieurs le jour, les capitouls ordonnent en 1783 que tous les ravalements de façade dans le neuf ou la rénovation seront de couleur blanche.
- 38 Nous remarquons l’évolution du vocabulaire depuis le XVIIIe siècle. « Lait de chaux » est aujourd’h (...)
80Décrivant une mode chromatique toulousaine antérieure à leur acte de 1783, les Capitouls dressent un inventaire des types de blanchiment déjà réalisés à Toulouse : « on voit un grand nombre de maisons dont les dehors sont crépis, peints à la céruse ou au lait de chaux, enduits de stuc ou de badigeon. » Ce blanchiment peut être millimétrique par l’application38 de peinture ou plus épais par l’application d’un enduit simple ou d’un « stuc ».
- 39 INIZAN, 2017, p. 24.
- 40 Les façades des habitations construites autour de la Place des Vosges à Paris entre 1605 et 1612 so (...)
- 41 BLONDEL, 1752, T. 1. p. 297 : « … l’autre qui est beaucoup plus solide, consiste à étendre un endui (...)
- 42 NÈGRE, 2002, § 3.
81Le terme « stuc* » peut avoir plusieurs définitions selon l’époque concernée. L’acte de 1783 étant d’époque moderne, nous privilégions donc la troisième définition qui décrit le stuc comme « un enduit donné à être vu39 », c’est-à-dire un enduit de finition qui n’a pas besoin d’être recouvert par une finition chromatique tel que le sont les stucs marbre, stucs brique et stucs pierre. Bien connu depuis le début du XVIIe siècle40, Jacques-François Blondel et Pierre Patte expliquent dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, la mise en œuvre du stuc brique qui est réalisée au plâtre41. La problématique des Capitouls étant le blanchiment des façades, ils ne peuvent faire référence au stuc brique coloré, mais plutôt au « stuc pierre ». Comme le précise Valérie Nègre42 « la coloration blanche [des façades] est motivée par la volonté d’imiter la pierre », imitation que le stuc pierre au plâtre traduit de la façon la plus parfaite. Une façade de stuc pierre est toujours en élévation au 41 rue des Changes (fig. 16). L’enduit est blanc, les joints de pierre de taille gravé dans l’enduit de plâtre dessinent un appareil régulier. Le stuc pierre est simple, régulier, blanc sans coloration dans la masse mais il apporte à la façade beaucoup d’élégance. Cette façade du 41 rue des Changes constitue le dernier témoin du style de finition à l’enduit de stuc préconisé par les Capitouls toulousains en 1783.
Fig. 16
Toulouse (Haute-Garonne) Façade en stuc pierre de plâtre blanc du 41 rue des Changes.
© Julien Salette
- 43 Les joints de finition au plâtre ont été observés durant la restauration des fenêtres à meneaux et (...)
82Deux types de joints au plâtre ont été identifiés en extérieur à Toulouse. Le type le plus ancien concerne les joints de finition sur pierre de taille. L’exemple le mieux conservé sont les joints observés43 sur les fenêtres à meneaux situé dans la cour intérieure du lycée Pierre de Fermat (fig. 17). Ces joints au plâtre ont des couleurs différentes selon l’objectif esthétique recherché pour le rendu final. Ceux-ci peuvent être de couleur blanche (plâtre blanc) ou ton pierre (plâtre teinté dans la masse).
Fig. 17
Toulouse (Haute-Garonne), lycée Fermat ; joint au plâtre de couleur ton pierre en finition sur mortier chaux-sable de pose des pierres de taille. Fenêtre à meneaux en pierre, cour intérieure.
© Julien Salette
83Les pierres de taille sont bâties au mortier de chaux et sable. Ce mortier est gratté afin de laisser une réserve d’épaisseur suffisante et régulière pour façonner le joint de finition au plâtre fin dont l’épaisseur varie entre 5 à 10 mm. L’exemple de la figure 17 permet d’observer un joint de finition de couleur ton pierre dont l’objectif esthétique semble de se confondre avec la pierre puisque l’on observe des traces de gratte-fond sur le joint comme sur la pierre de taille. Associé intimement au processus de finition des décors en pierre sculptée ou taillée, le plâtre est un liant utilisé par le tailleur de pierre.
84Ce type de jointoiement n’est pas un cas isolé. Il a également été observé sur le portail d’entrée du 9 rue du May (fig. 18) et avec un regard attentif, de nombreux cas non restaurés restent encore à identifier dans Toulouse. Les joints au plâtre fin blanc exempts de sables contrastent avec la couleur brun-gris de la pierre de taille qu’ils mettent ainsi en valeur. Ici, la surface du joint présente une légère érosion caractéristique.
Fig. 18
Toulouse (Haute-Garonne), immeuble 9 rue du May ; joint au plâtre blanc sur appareil de pierre taillée.
© Julien Salette
- 44 AD Haute-Garonne, 3 E 6995, vol. 1, f° 54, quittance Bernadou-Delas, 12 février 1644. Transcription (...)
85Le travail du bâti de pierres de taille est décrit dans une quittance de 1644 concernant la rénovation de « croisées de fenêtre ». Le tailleur de pierre Jean Delas liste le matériel nécessaire à son chantier : « Savoir : redressé trois grandes croisées de fenêtre de la salle haute, y mis les crampons de fer [...] barres, aussi faire le plomb pour tenir les barres, le mastic, plâtre, chaux et sable nécessaire, et ramendé le dedans et dehors desdites croisées...44 ». Nous retrouvons dans cet extrait ce que nous avons décrit au lycée Pierre de Fermat et au 9 rue du May : des pierres de taille bâties au mortier chaux et sable, et une finition jointée au mortier de plâtre.
- 45 VOINCHET, 2007.
- 46 La présence d’un siccatif au plomb (litharge) est rendue évidente par des traces de noircissement r (...)
- 47 COLSON, 2002, p. 329-339.
86Le type de joints au plâtre le plus récent concerne le jointoiement de briques cuites recouvertes d’un enduit millimétrique hydrofuge et translucide (fig. 19). L’usage de cette technique semble très circonscrit dans le temps puisqu’à Toulouse nous l’observons sur les façades de la fin du XIXe siècle durant les années 1885-1900. Cette technique particulière est appelée « chaffre45 » par certains auteurs. La couche hydrofuge et translucide pourrait être composée d’huile de lin, de produits siccatifs46 et durcissants ainsi qu’occasionnellement de terres colorantes47. Les maçons et architectes ont utilisés le caractère translucide du « chaffre » pour créer, sous celui-ci, des effets décoratifs à la brique et au joint de plâtre. Ainsi les joints entre les briques de terre cuites peuvent être blancs, colorés à l’ocre jaune ou brun-clair. Ces joints confèrent à la façade l’aspect d’un stuc-brique sous la couche d’hydrofuge translucide. Parfois, les joints des encadrements moulurés ou des panneaux en relief sont d’une couleur différente afin de les différencier du traitement du reste de la façade.
Fig. 19
Toulouse (Haute-Garonne), 4 rue des Trois Journées. Au centre de l’image, le joint plâtre et la brique apparaissent à nu. En haut, la patine rosée qui ne recouvre que les briques est visible. En bas, le revêtement de finition hydrofuge et translucide est encore conservé.
© Julien Salette
87En 1753, Lebrun utilise un terme technique particulier et peu utilisé, celui de « marbre artificiel » réalisé au plâtre et l’associe avec un terme tout aussi ambivalent : le « cabinet ».
- 48 LEBRUN, 1753, p. 66-67.
« Parmi les quantités de plâtre qu’on tire de la Montagne et de Castelnaudary l’on en trouve qui se débite par feuilles en pierre transparente (fig. 20), que les ouvriers appellent plâtre cristallin. Il est extrêmement fin, et l’on en fait de très beaux ouvrages. L’on s’en sert aussi pour faire du marbre artificiel, en y mêlant de la chaux [aérienne] avec des couleurs convenables, et détrempant le tout avec des blancs d’œufs. Cette composition reçoit un très beau poli, et bien de personnes s’en servent dans le Royaume pour carreler des Cabinets, ce qui est d’une assez longue durée.48 »
Fig. 20
Gypse maclé translucide de Betchat.
© Patrick Gérardini
- 49 INIZAN, 2017, p. 40-61.
- 50 INIZAN, 2017, p. 45.
- 51 D’AVILER, 1691, p. 352.
- 52 TOGNI, 2010, p. 22 ; INIZAN, 2017, p. 44
88Le terme « cabinet » peut avoir deux définitions. S’agit-il d’un cabinet-meuble ou bien d’un cabinet-pièce ? Si Lebrun fait référence à un cabinet-meuble, le « marbre artificiel » désigne alors sûrement un « scagliola », terme italien traduit par « stuc marbre » en français. Par contre, si Lebrun décrit un cabinet-pièce, le « marbre artificiel » serait très certainement un plâtre de sol proche des « plâtres à plancher »49 ». L’article 27 des statuts des plâtriers de Carcassonne de 1738 décrit la réalisation de carrelages au plâtre : « Art. 27 : Qu’il soit défendu aux mêmes massons et tailleurs de de faire aucune espece de carrelage, soit en mortier ou plâtre, sous la meme amende cy dessus [25 livres]. » Les statuts des plâtriers de Carcassonne font la différence entre « paver » au plâtre des briques et moulons et faire du carrelage au plâtre. Ainsi, le « marbre artificiel » désigne un plâtre de sol, et le « cabinet » désigne un cabinet-pièce. Nous rejoignons donc l’interprétation de Christelle Inizan50, qui associe ce document de 1753 aux « planchers en marbre artificiel ». Elle rappelle la description qu’en a réalisé d’Aviler en 1691 : « … on fait des Compartiments de diverses couleurs, semblables aux marbres & cette sorte d’Aire, qui est un marbre artificiel, ne faisant qu’un corps & recevant le poli, serait d’un bel & grand usage, si elle n’étoit sujette à s’écailler & à s’éclater, particulièrement lorsque les planchers s’affaissent51. » Comme le décrit d’Aviler, ces sols en plâtre ne sont pas adaptés aux étages soutenus par l’ossature porteuse de solives bois et poutres maîtresses mais leur dureté est parfaitement adaptée aux sols de plain-pied. Pour donner l’aspect d’un carrelage parfait (fig. 21), « comme le font les carreleurs, l’ouvrier tend un cordeau au travers de la pièce dont le point central est défini par le relevé du milieu de chacun des murs opposés. Le tracé de faux-joints, exécutés par gravure dans le plâtre, s’effectue à partir de ce centre et suivant l’axe déterminé par le cordeau52. »
Fig. 21
Rouen (Seine-Maritime), Ancien Régime, sol en plâtre de finition avec façon de faux joints noirs évoquant le carrelage.
© Marc Potin – Plâtres Vieujot
- 53 Voir l’article de Fabienne Fortier dans ce volume : « “Pourvu qu’il soit bon, beau et marchand” : l (...)
89L’originalité de la fabrication du plâtre à marbre artificiel au XVIIIe siècle ainsi que la demande d’une clientèle aisée explique pourquoi Lebrun décrit avec autant de précision cette filière particulière. En effet, alors que le plâtre à bâtir arrive cuit à Toulouse, le plâtre à marbre artificiel est cuit hors des zones d’extraction du gypse cristallin par des artisans spécialisés. C’est peut-être la fonction du four à plâtre installé à Toulouse en 1722 dans l’atelier de Guillaume Julia53. Cette cuisson atypique hors des zones d’extraction résulte d’une part de la nécessité d’utiliser un gypse spécifique, maclé et translucide (fig.20). D’autre part, il est fort probable que ce plâtre nécessite une cuisson spécifique en termes de température, de temps et d’infrastructure de cuisson. Sachant que ces sols minéraux au plâtre peuvent être gravés de joints comme un faux appareils de pierre, de tomettes ou de carreaux de marbre, seule leur observation en section révèle le plus souvent qu’il s’agit d’un sol élaboré à partir d’un mortier et non d’une vraie pierre ou d’un carreau de terre cuite ?
90Avec ses multiples sources d’approvisionnement en plâtres blancs et surtout sa connexion à deux hyper-structures de transport de pondéreux que sont la Garonne et le canal du Midi, Toulouse bénéficie d’une situation géographique idéale pour suivre et développer à sa manière les modes décoratives aux plâtres qui se diffusent progressivement depuis la fin du XVIIe siècle dans le Royaume de France.
91À la fin du XVIIe siècle et au début du XVIIIe siècle, les intérieurs se recouvrent de plâtre dans tout le Royaume. Grâce à un approvisionnement de plâtres à bâtir de qualité : plâtres blancs, de mouture fine ou moyenne, de cuisson haute, Toulouse est une ville privilégiée dans le Royaume de France. Les manteaux de cheminées décorés de plâtre, les plafonds, les murs, les corniches, les décors en relief et parfois les sols en plâtre décorent alors les intérieurs toulousains selon les styles qui se succéderont au cours des siècles. Au XVIIIe siècle à Toulouse, la mode du plâtre ne se limite pas aux intérieurs, elle se diffuse également en extérieur en recouvrant les maisons à pans de bois d’enduits de plâtre ou de stuc pierre en plâtre comme la façade du 41 rue des Changes à Toulouse.
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