• 1 FORTIER Fabienne, 2005 et 2007.

1À Toulouse, aux XVII^e et XVIII^e siècles, le plâtre connaît un succès croissant pour les besoins de la décoration et de la construction. Il participe des nouvelles façons d’habiter et devient peu à peu un matériau indissociable de l’art de vivre. Les plâtriers répondent aux attentes d’une clientèle pressée et soucieuse de faire des économies1. De fait, durant la première moitié du XVIII^e siècle, les plâtriers toulousains s’unissent en une communauté de métier indépendante des maçons, tailleurs de pierre et tuiliers. Être fédérés en corporation leur permet notamment de contrôler la répartition et l’approvisionnement du plâtre dans la ville car la matière leur fait souvent défaut.

• 2 LEBRUN, 1753, p. 64.
• 3 SAINT-FÉLIX DE MAUREMONT, 1820, p. 186.

2Les artisans disposent alors de plâtre provenant de deux zones de production, comme l’ingénieur Lebrun en témoigne en 1753 : « Le plâtre de Castelnaudary, qu’on employe dans Toulouse, n’est pas à beaucoup près si gras ni si beau que celui de la Montagne, & qu’on fait descendre par la Rivière de Garonne, mais il est infiniment plus fort. L’on s’en sert, ou du moins l’on devroit s’en servir, en les mêlant ensemble moitié de l’un & de l’autre2 ». Bien que la mise en service du canal du Midi en mai 1681 ait permis un approvisionnement régulier de plâtre de Castelnaudary, la préférence des artisans toulousains est pour le plâtre dit de la montagne, en provenance de villages proches de Salies-du-Salat : « le plus beau, le plus gras, le plus blanc, celui qui a le plus d’amour, comme on dit à Paris (nos ouvriers appellent cette qualité liante et onctueuse le mouquet du plâtre)3 » (fig. 1).

• 4 La citation du titre de l’article « pourvu qu’il soit bon, beau et marchand » renvoie à : AD Haute- (...)
• 5 Les propriétaires baillent les carrières à des fermiers qui les exploitent contre une rente annuell (...)
• 6 À l’exemple d’Antoinette, fille de Paul Sajous, qui apporte en dot à son mari Charles Castex une ca (...)

3Afin d’identifier précisément les carrières d’où est tiré le « plâtre de la montagne » expédié à Toulouse sous l’Ancien Régime, des sondages ont été menés dans les archives notariales de la zone de Salies-du-Salat sur une période s’étendant de 1765 à 17904. Quarante-cinq contrats ont été mis au jour : il s’agit d’achats de parcelles, d’associations entre fabricants, de conventions avec des transporteurs et de nombreux contrats d’affermage de plâtrières5. La localisation des carrières dans ces contrats est succincte, seuls sont mentionnés les lieux-dits sur lesquels elles se trouvent. Nombre d’entre elles se situent de part et d’autre du ruisseau du Lens, aux confins des communes de Betchat, Marsoulas et Escoulis. Le cadastre napoléonien et les rapports des ingénieurs des mines du XIX^e siècle viennent éclairer les connaissances qu’apportent les actes notariés (fig. 2 à 5). Dans ces villages, des dynasties se sont consacrées à l’exploitation du gypse et à la vente du plâtre du XVII^e au début du XX^e siècle. Les alliances au sein de cette population sont continuelles et une carrière peut même faire office de dot6. Toutes les archives, y compris celles de l’état-civil, traduisent une mutation lente des pratiques liées à l’industrie du plâtre des petites Pyrénées.

• 7 FRÉMIN, 1702, p. 86.
• 8 Le gypse est une roche sédimentaire. Ce type de roche se forme soit par érosion et transport de roc (...)
• 9 Encyclopédie des Métiers : la plâtrerie…, 1999, t. 1, p. 98.
• 10 FAYOLLE, 2005, p. 14-21.

6Le plâtre est une matière transformée qui résulte de l’extraction du gypse, de sa cuisson et de son broyage. Le gypse est une roche formée par le dépôt de sédiments salins8, issus des ères secondaire et tertiaire9. Il fait partie de la famille des évaporites, couches produites par l’évaporation de l’eau des lagunes aujourd’hui disparues ; ce sont des roches solubles et très plastiques10.

• 11 Terrain sédimentaire de l’ère secondaire.
• 12 LEYMERIE, 1862-1863, p. 261.
• 13 LEYMERIE, 1881, p. 684.

7Dans le sud-ouest de la France, les dépôts gypseux se trouvent généralement dans les couches du Trias11 et les affleurements sont souvent disséminés au sein de marnes (mélange naturel d’argile et de calcaire). Les gisements se situent pour beaucoup sur les contreforts pyrénéens où le gypse est toujours associé à l’ophite comme le soulignent les minéralogistes au XIX^e siècle : « les relations qui lient ces deux roches sont tellement étroites, que tous les observateurs ont été amenés invinciblement à rattacher la présence de l’une à celle de l’autre12 ». Cela s’observe dans le canton de Salies : « le seul des petites Pyrénées qui ait été traversé par l’ophite, et c’est là seulement qu’existe le gypse dont la connexion ne peut laisser le moindre doute dans l’esprit de tout géologue13 ».

• 14 GLEIZES, 1974, p. 659-660.

8Plusieurs cristallisations de gypse existent dans la zone de Salies-du-Salat, où l’on rencontre du gypse blanc saccharoïde, du gypse blanc fibreux, ainsi que de très rares veines de gypse translucide, une variété d’albâtre14. Chacun d’entre eux est très aisément identifiable : le gypse saccharoïde se désagrège très facilement, par simple pression manuelle (fig. 6), le gypse fibreux cristallise en fines aiguilles perpendiculaires aux parois des fissures (fig. 7), enfin, le gypse translucide est brillant (fig. 8).

• 15 AD Haute-Garonne, 3 E 26167, fol. 323-324, « Blanc traité Sajous », 15 avril 1776.

9Le gypse est extrait en fonction de la configuration du terrain où se trouve le gisement. Deux modes d’extraction sont possibles : à ciel ouvert ou en galeries souterraines.

• 16 A.N., F/14/8221. Rapport rédigé à Carcassonne le 16 août 1864 par l’Ingénieur Ordinaire sur un proj (...)

10Les carrières situées dans le secteur de Castelnaudary, dans celui de Limoux et autour de Carcassonne sont exploitées à ciel ouvert16. En revanche, dans la zone de Salies-du-Salat, le gypse présent dans les sous-sols est toujours extrait en galeries souterraines. Dans les actes notariés de vente ou d’affermage de carrières, le « fond » de la terre inculte à exploiter est évoqué, il est souvent précisé que si la matière vient à manquer, il est permis de « creuser » afin de faire de nouvelles « découvertes », ou au contraire, il est parfois défendu « d’élargir » la carrière. Il est quelquefois indiqué où la terre retirée sera entassée et par quelle « ouverture » passer pour atteindre le gypse.

• 17 AD Ariège, 5 E 4235, fol. 72 v.-73 v., « Afferme d’une platriere pour delle Fouert contre Guerre et (...)
• 18 AD Haute-Garonne, 3 E 26077, fol. 1170, « Bail en faveur de Joseph Blanc de Marsoulas par Jean Danc (...)
• 19 AD Haute-Garonne, 3 E 26077, fol. 1213 v.-1214, « Cession en faveur de Bertrand Martres par Louis G (...)

12À titre d’exemple, le 1^er février 1771, Marie Fouert, veuve Fournié, donne à travailler à Louis Guerre et Jean Dancausse la carrière de plâtre qu’elle possède dans le quartier du Lens à Betchat. Elle leur donne la permission de « faire la découverte dune autre carrière dans le fonds appartenant a lad(ite) de(mois)elle dans le susd(it) quartier » et si tel est le cas, « lesdits fermiers et dautres quils pourroient associer avec eux y travailler à leur profit sans aucune augmentation dud(it) prix17 ». Dès le 6 avril 1772, les fermiers cèdent un tiers de la carrière à Joseph Blanc. Ils partagent les frais, les travaux et les profits tous les trois18. Un an et demi plus tard, le 4 octobre 1773, Louis Guerre concède à Bertrand Martres sa moitié de tiers de carrière19. Il se fait indemniser des travaux qu’il a accomplis pour « découvrir » un filon. De deux fermiers en 1771, on passe donc à quatre en 1773 et à une surface exploitable qui s’étend.

• 20 AD Haute-Garonne, 3 E 26084¸ fol. 1270-1271, « Gazave partage Blanc », 16 août 1780. L’acte d’achat (...)

13Des bornes matérialisées indiquent la propriété de chacun sous terre. La carrière acquise en commun par Balthazar Gazave et Joseph Blanc dans le quartier du Lens à Betchat est délimitée en parts bien distinctes au bout de huit ans d’exploitation : « de manière que la portion du cotté de midy jusques à une croix entaliée dans le plâtre en mine sera laissée pour servir de borne appartiendra audit Balthazar Gazarre qui confrontera du levant Paulet Sajoux midy et couchant le sr Fournier septentrion la rue publique et autres meilleures confrontations s’il y en a suivant la borne plantée du cotté du levant jusques à lentaillée sur leur rocher qui sera laissé pour borne permanente et des autres cottés en toute son étendue20 ».

• 21 AD Haute-Garonne, 4 Mi 30, monographies communales composées en 1885-1886 par les instituteurs de l (...)
• 22 LEYMERIE, 1881, p. 563.

14Les descriptions du XIX^e siècle font état d’une industrie primitive et périlleuse. Les témoins rapportent que l’on pénétrait dans les carrières par des puits verticaux de 10 à 30 mètres de profondeur et de 5 mètres de large sur les parois desquels étaient taillés des escaliers21. Les couches de gypse étaient exploitées en galeries horizontales. Le géologue Alexandre Leymerie évoque ainsi le groupe de carrières du vallon du Lens : « Il se compose d’assez nombreuses exploitations situées, de part et d’autre du ruisseau, mais surtout sur la rive droite. Certains de ces gîtes exploités appartiennent à l’Ariège. Ceux qui se trouvent sur le territoire de la Haute-Garonne, au nombre de cinq, s’alignent au bord droit du ruisseau. […] On exploite ici, comme à Salies, en fonçant des caves où l’on entre par une ouverture qui laisse passer à peine un peu de jour. Des escaliers grossiers, entaillés dans la roche, permettent de descendre dans ces vastes excavations, dont la voûte est soutenue par quelques piliers rectangulaires22 ».

• 23 AD Ariège, 5 E 4235, fol. 413, « Afferme d’une carrière en plâtre entre Charouleau et Bartet », 2 a (...)
• 24 AD Haute-Garonne, 3 E 26084, fol. 1650-1652, « Raymond Charouleau bail à ferme François Castex », 5 (...)

15L’exploitation consiste en un véritable travail de mineur, mené à l’aide d’un pic et d’un outillage rudimentaire. L’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert consacre l’une de ses planches au « Carrier-Plâtrier » (fig. 9 et 10). Nous pouvons y voir les outils utilisés pour extraire le gypse, précieuse illustration car nos archives mentionnent seulement des « outils servant a luzage de ladite platriere23 » ou des « outils aratoires24 ».

• 25 AD Ariège, 8 S 494. Lettre rédigée le 15 janvier 1861 par le maire de Betchat et adressée au sous-p (...)
• 26 A.N., F/14/8221. Rapport de l’Ingénieur des Mines dressé à Vicdessos le 23 mai 1862 sur les carrièr (...)
• 27 MUSSY, 1870, vol. 17, p. 466.

16Si l’on se fie aux instruments présentés par la planche de l’Encyclopédie, nous voyons que la poudre est usitée sous l’Ancien Régime, cependant, nous n’avons trouvé aucune preuve de son emploi à cette période dans les environs de Toulouse. Son utilisation se généralise au XIX^e siècle (fig. 11 à 14). Le maire de Betchat signale au sous-préfet en janvier 1861 que dix carrières souterraines se sont effondrées et précise : « Ce procédé d’extraction ne présentait pas de bien grands inconvénients tant que les ouvriers n’ont fait usage que du pic, mais aujourd’hui qu’on se sert uniquement de poudre, l’éclat des mines produit un ébranlement qui ne peut être que dangereux25 ». L’ingénieur des mines se rend sur place et donne un rapport en mai 1862 : « Ces carrières sont souterraines, exploitées depuis de longues années sans méthode bien nette, un grand nombre se sont effondrées, ont été envahies par les eaux, d’autres sont en voie d’effondrement, quand une carrière est perdue, on en recommence une autre à côté, le gîte est pour ainsi dire d’une richesse indéfinie ; on exploite par piliers et galeries, mais par suite d’un système de propriété des carrières qui appartiennent indivis et sans aucune règle fixe à tous les propriétaires du sol ; chacun rejette les travaux de consolidation et d’amélioration sur son voisin ; peu à peu les piliers conservés se réduisent à rien, les galeries deviennent d’immenses excavations, et tôt ou tard tout s’effondre ; la durée d’une carrière est d’environ 15 à 20 ans26 ». Ce sont alors 120 ouvriers qui travaillent à Betchat, dont « 90 charrieurs » qui remontent les pierres à la surface dont « des femmes et des enfants, chargés d’une pierre sur la tête27 ».

• 28 AD Haute-Garonne, 3 E 26167, fol. 227 v°-228 v°, « Anglade société Abejean », 1^er janvier 1776.
• 29 AD Ariège, 5 É 4235, fol. 72 v.-73 v., « Afferme d’une platriere pour delle Fouert contre Guerre et (...)

17Les fours et lieux de criblage sont placés aux abords de chaque carrière. Lorsqu’une nouvelle exploitation est lancée, leur construction et son mode de financement sont actés. La fourniture des matériaux, « le bois et la tuille28 », nécessaire en cas de réparations, fait l’objet d’accords. La propriétaire Marie Fouert stipule à ses preneurs Jean Dancausse et Louis Guerre que l’entretien de la bâtisse et du four est à leurs frais : « de manière qu’on puisse continuer de cuire et piler le plâtre sans obstacle mais sil arrive un cas fortuit de grelle sur le couvert de lad(ite) batisse, les fraix en seront suporter moytié par lad(ite) d(emois)elle et lautre moitié par lesd(its) fermiers29 ».

• 30 DRALET, 1837, p. 12-13.

18Les descriptions de fours que nous avons réunies datent du XIX^e siècle et démontrent qu’il s’agit de fours-culées (fig. 15). En 1837, Étienne-François Dralet les dépeint : « Ces fours, dans les environs de Toulouse, sont construits sous un hangard. Ils consistent en un carré long ayant en largeur un mètre cinquante centimètres, et en longueur deux mètres cinquante centimètres. Les quatre murs qui en forment l’enceinte sont élevés de deux à trois mètres au dessus du sol ; c’est sur ce sol que l’on place les pierres à plâtre en formant à sec une voûte d’abord avec les plus grosses ; à celles-ci succèdent d’autres pierres à plâtre d’un volume décroissant de couche en couche jusqu’à ce que la dernière ne soit formée que de pierres de la grosseur d’un œuf. Tout étant ainsi disposé, on allume le feu sous la voûte et on l’entretient graduellement pendant dix-huit ou vingt heures, jusqu’à ce que le plâtre commence à prendre la couleur de rouge brun30 ». Dralet déplore la forme carrée de ces fours qui ne permet pas à la pierre placée dans les angles de cuire convenablement.

• 31 AD Haute-Garonne, 4 Mi 30, monographies communales composées en 1885-1886 par les instituteurs de l (...)
• 32 Ibid.

19Ses affirmations sont corroborées par celles, plus succinctes, d’instituteurs ayant réalisé des monographies sur leur commune à la fin des années 1880. L’instituteur de Salies-du-Salat rapporte qu’auprès de la carrière de gypse souterraine appartenant à M. Cluzon sont annexés des fours « composés de trois murs entre lesquels on entasse le gypse, laissant en bas un espace vide où l’on brûle les fagots31 ». Celui de Cassagne dresse exactement le même portrait des fours situés auprès des carrières ouvertes au quartier du Goutillon, « dans le vallon du Lens32 ».

• 33 AD Ariège, 5 E 4234, fol. 7, « Afferme d’une platriere pour Fourcade et autres contre delle Fouert  (...)
• 34 AD Ariège, 5 E 4234, fol. 97-98, « Afferme pour Blanc et Bartet contre Anglade », 10 décembre 1765.

20Le bois à employer pour la cuisson du plâtre est parfois fourni par le propriétaire du gisement. Antoine Fourcade, Thomas Roques et Pierre Dupuy peuvent user du bois qui se trouve dans les environs de la carrière qu’ils afferment à Marie Fouert à l’exception du chêne, du hêtre et des haies33 ; au contraire, Jean Bartet et les frères Michel et Joseph Blanc qui travaillent dans la carrière d’Anglade sont tenus de se procurer « tout le bois nécessaire pour chaufer le plâtre34 ».

• 35 AM Toulouse, HH 75, fol. 125.

22Au sortir du four, le gypse calciné, donc déshydraté, est devenu du plâtre qui doit être réduit en poudre. Les plâtriers toulousains réclament un produit « bien cuit, bien pillé, et criblé35 ». Si l’on se fie au modèle parisien tel qu’il est véhiculé par la gravure (fig. 16), le broyage du plâtre s’accomplit à l’extérieur mais les archives de la zone de Salies-du-Salat indiquent que cette opération se déroule à l’intérieur, à l’abri des intempéries.

• 36 AD Ariège, 5 E 4235, fol. 72 v.-73 v., « Afferme d’une platriere pour delle Fouert contre Guerre et (...)

23Associée aux fours se trouve toujours une « grange » ou une « boutique à leffet de piler et sacher le plastre36 ». La méthode et les outils employés pour la pulvérisation ne sont pas décrits. Sous l’Ancien Régime, ce sont généralement des battes en bois qui sont utilisées pour frapper la pierre refroidie après sa calcination (fig. 17 et 18).

• 37 FERROUSSAT DE CASTELBON, 1776, p. 49.
• 38 Ibid.

24Une sorte de houe pointue est également en usage, « sa tête porte une superficie arrondie d’un pouce et un quart, sa pointe sert à détasser le plâtre sa tête est la touche avec laquelle les batteurs l’écrasent37 ». Selon l’auteur qui en fait mention dans son ouvrage, l’utilisation de cet outil « réunit le double désavantage d’être très lente, et de très mal exécuter38 » (fig. 19).

• 39 LUCOTTE, 1783, p. 30.

25Afin de parfaire la pulvérisation du plâtre, il est nécessaire de le « passer au panier » : le cribler en utilisant un tamis ; le produit ainsi obtenu est un plâtre « à demi-fin39 ».

• 40 MAGNIER, 1864, p. 293-294.
• 41 AD Ariège, 5 E 4235, fol. 72 v°-73 v°, « Afferme d’une plâtrière pour delle Fouert et Guerre et Den (...)
• 42 AD Haute-Garonne, 3 E 26084, fol. 1217-1219, « Marie Fouert bail à ferme Martres et autres », 3 jui (...)
• 43 LEBRUN, 1753, p. 66.
• 44 SAINT-FELIX DE MAUREMONT, 1820, p. 187.
• 45 Ibid.
• 46 AD Haute-Garonne, 3 E 6798, fol. 138, 23 août 1722.

26Pour fabriquer un plâtre fin – ou plâtre au sas – servant aux « enduits d’architecture et de sculpture », il convient de cuire le gypse dans un four proche de ceux des boulangers, de broyer les pierres dans un mortier au pilon puis de passer la poudre au tamis de crin ou de soie40. Ces opérations ne s’accomplissent pas en plâtrière et du gypse pur – non transformé – est également mis en vente. Marie Fouert indique à ses fermiers qu’« il leur sera loysible den envoyer du cru à Toulouse si bon leur semble41 » mais encore, qu’elle laisse « libres lesdits preneurs de tirer tout le plâtre en mine ou entail quils pourront débiter42 ». Ce gypse est appelé « plâtre cristallin43 » à Toulouse et sa pierre transparente se délite « en feuilles, comme du talc44 ». Il s’agit vraisemblablement de cristallisations translucides de gypse qui donne un plâtre qui « est très-blanc et a beaucoup de force45 ». Quelques plâtriers toulousains doivent disposer d’un moyen de cuisson dans leur atelier, à l’image de Guillaume Julia qui rémunère le maçon Jacques Barthe en août 1722 pour avoir « haussé le canon de la cheminée à plâtre » de sa boutique - entre autres travaux réalisés dans sa maison du quartier Saint-Étienne à Toulouse46.

• 47 AD Ariège, 5 E 4235, 2^e reg., fol. 141 v°-142, « Convention du transport de sacs entre Dinat voitur (...)
• 48 AD Haute-Garonne, 3 E 26167, fol. 323-324, « Blanc traité Sajous », 15 avril 1776.

27Le conditionnement s’effectue dans des sacs en toile fermés par des cordons tels que ceux représentés dans l’Encyclopédie (fig. 9). Les sacs sont toujours mentionnés dans les contrats enregistrés par les notaires et toute éventualité est prise en compte, notamment la possibilité qu’ils puissent se perdre ou s’user. Le propriétaire de carrière et marchand de plâtre Joseph Blanc s’engage à fournir à son fermier les sacs et les pièces nécessaires pour les repriser « et même de les réparer toutes les fois quils en auront besoin48 ».

• 49 AD Ariège, 5 E 4235, 2^e reg., fol. 141 v°-142, « Convention du transport de sacs entre Dinat voitur (...)

28Les sacs, qui passent entre plusieurs mains avant de revenir aux exploitants, ont un circuit bien organisé. L’exemple de la convention signée le 12 octobre 1777 pour neuf ans entre huit fabricants et le voiturier Louis Dignat est très représentatif. Le voiturier réceptionne les sacs de plâtre vides laissés par les marchands commissionnaires à Toulouse, « dans son auberge accoutumée dans la rue gourmande, à l’heure de mydi du samedi de chaque semaine ». Il les rapatrie ensuite à Salies dans sa propre maison, promettant également de « porter les pieces de toile devant servir pour lad(ite) sacherie telles que leurs marchands de Toulouse pourront leur envoyer49 ».

29Chaque maillon de la chaine a sa part de responsabilité à l’égard des sacs et l’on peut supposer que l’entretien de ceux-ci est encore confié à d’autres mains, qu’il y a réellement une « économie » du sac dont l’ampleur peut se présager à la vision de photographies anciennes montrant des raccommodeuses de sacs de plâtre à Paris (fig. 20).

• 50 AM Toulouse, FF 810/2, liasse 036

30Les sacs sont individualisés et portent la marque de leur propriétaire. Balthazar Gazave inscrit les lettres « A.B, avec deux croix, l’une entre les deux lettres, et la seconde au fonds du sac, laquelle marque faite avec du brun rouge et autre drogue ». Il a pu, grâce à sa marque, reconnaître ceux que lui a dérobés Jean-Baptiste Bartot, marchand de plâtre de Mazères, logé chez la Demoiselle Cornu au Port Garaud50.

• 51 AM Toulouse, BB 163, fol. 137-139 v; BB 167, fol. 141.

32D’après Lebrun, le sac en vente à Toulouse en 1747 contient 120 livres poids de marc si le plâtre est de la montagne. En 1770, la communauté des plâtriers de Toulouse déclare que le sac doit contenir 70 livres poids de marc et l’ordonnance des Capitouls du 2 septembre 1784 fixe son poids à 60 livres s’il provient de la montagne51. Au fil du XVIII^e siècle, le poids du sac varie plus que du simple au double, il se situe entre 60 et 120 livres, soit entre 29 et 63 kilogrammes ou 10,40 et 22,50 litres. À Paris la contenance d’un sac de plâtre est de deux boisseaux, soit 26 litres.

• 52 AM Toulouse, HH 75, fol. 125.
• 53 AM Toulouse, BB 164, fol. 73-74.

33Dès 1770, les baillis de la communauté des plâtriers de Toulouse peuvent inspecter le produit mis en vente par les négociants et vérifier son poids, ils leur imposent « de placer un timon dans leurs magazins avec les poids nécessaires au cas de contravention »52. Le marchand Jacques David est condamné en 1787. Ayant proposé des sacs jugés trop « courts » à ses clients, il se voit confisquer son plâtre qui est vendu au plus offrant et dont le produit est distribué aux prisonniers53.

• 54 AD Ariège, 5 E 4235, fol. 180-181, « Convention entre plâtriers et batelliers », 25 mars 1772.
• 55 Pour un état de la question sur les activités fluviales et portuaires ainsi que sur l’impact économ (...)
• 56 ROSCHACH, 1862, p. 171-172.
• 57 MANIERE, 1995, p. 47.

34Le plâtre de la montagne, comme nombre de denrées et matériaux, a toujours voyagé sur la Garonne55. Si en 1862, on charge encore « beaucoup de bateaux de plâtre qui descendent jusqu’à Toulouse56 », à partir de 1866, date de la mise en service du chemin de fer à Boussens, la navigation sur la Garonne devient quasiment nulle57.

• 58 MERCADIER DE BÉLESTA, 1800, p. 68-69.
• 59 Ibid. et : DARDENNE, 1805, réédition 1990, p. 306.
• 60 AD Ariège, 5 E 4235, fol. 180-181, « Convention entre plâtriers et batelliers », 25 mars 1772.

35Le plâtre est exporté sur des barques construites dans des communes situées au bord du Salat : Bonrepaux, Taurignan-Castet et Lacave où les « habitants ne savent faire autre chose que des bateaux58 ». Les barques sont destinées à être vendues à Toulouse après avoir charrié des marchandises59. Un contrat d’exclusivité est signé le 25 mars 1772 entre les exploitants de trois plâtrières et douze bateliers de ces villages. La marchandise est amenée dans les ports de Salies, Bouque de Lens et Roquefort-sur-Garonne pour être expédiée au Port Garaud à Toulouse sur des barques prêtes à partir tous les lundis et mercredis60 (fig. 21 et 22).

• 61 AD Haute-Garonne, 3 E 1553, fol. 105-106, « Marché Lapeyre Morères », 20 juin 1678.
• 62 AD Haute-Garonne, 3 E 1553, 2^e reg., fol. 89, « Marché Grammont Lapeyre Vidal », 23 mai 1678.
• 63 AD Haute-Garonne, 3 E 1553, 2^e reg., fol. 124 v.-125, « Réquisition Lapeyre Moureres » ; fol. 125, (...)
• 64 Relation d’un prodigieux débordement de quelques rivières de la Gascogne, au mois de juillet 1678, (...)

36Malgré la régularité des transports prévus, le plâtre de la montagne vient souvent à manquer dans la ville. Les périodes d’étiage, de crue et d’inondations nuisent au trafic fluvial. La rupture du contrat passé entre les frères Morères, marchands de plâtre et de chaux de Cérisols, et les maîtres plâtriers associés Jean Lapeyre et Jean Vidal le 20 juin 167861 s’interprète plus facilement à la lueur des évènements météorologiques. Engagés sous la conduite de l’architecte Nicolas Buterne, ils doivent avoir terminé le 8 août les plafonds, les cloisons, les corniches et les ornements « quy seront nécessaires » et « généralement tout ce quy est à faire de plastre » dans l’hôtel de Pierre de Barthélemy de Gramont-Lanta quartier Saint-Étienne62. Le 18 juillet, les maîtres plâtriers sont contraints d’interrompre le chantier et de congédier leurs fournisseurs. Ils prennent la route eux-mêmes pour chercher le matériau, « lun des comparants va partir pour aller à la montaigne et lautre sen va en Languedoc aux perils et risques63 ». Ce n’est point étonnant si l’on considère le « prodigieux débordement » qu’ont connu le fleuve et ses affluents en juillet 1678, « après quelques jours d’une pluie médiocre qui ne grossit qu’à l’ordinaire les eaux de la Garonne, cette rivière s’accrut tout d’un coup si fort que tous les ponts et les moulins furent emportés au-dessus de Toulouse64 ».

• 65 BESCHERELLE, 1857, T. III, p. 29.
• 66 AD Haute-Garonne, 3 E 5654, fol. 42-44 v°, « Gazane Ladevèze traité », 20 avril 1769.
• 67 AD Haute-Garonne, E 1354, fol. 49.
• 68 Ibid.
• 69 Il est à noter que François Marseillan est nommé tantôt : Marseilhan ; Marcillan ; Marcillac ; Marc (...)
• 70 BELIDOR, 1729, livre 3, p. 13.

37Si les inondations sont redoutables pour le commerce du plâtre, les périodes de basses eaux le sont tout autant ; le transport est annulé ou prend deux fois plus de temps : « une barque qui arrive en 6 ou 7 heures de l’embouchure du Salat à Toulouse, avec les eaux les plus favorables, met au moins douze heures aux époques de l’étiage65 ». Des artisans tentent d’anticiper les disettes et signent des contrats d’exclusivité sur plusieurs années avec des marchands. L’accord entre le plâtrier toulousain Jacques Ladevèze et le marchand-producteur Balthazar Gazave stipule bien que si « à cause de la maigreur de la rivière ledit Gazave ne peut point faire faire le transport du plâtre au moment que ledit Ladevèze en demandera, ledit Gazave ne pourra sous aucun prétexte en envoyer en cette ville à d’autres personnes lorsque la voiture s’en pourra faire qu’en envoyant la quantité demandée par ledit Ladevèze par préférence à tous autres66 ». Le plâtrier fournit les sacs de toile et paie le transport lui-même. Bien qu’il soit prémuni contre l’approvisionnement aléatoire, il se heurte sans doute aux réquisitions et partages imposés par la communauté des maîtres-plâtriers. Au début du mois de septembre 1771, « veu la dizette quil y a dudit plâtre », les six chars et demi de plâtre destinés au maître plâtrier toulousain Carrière aîné sont saisis67. Sa livraison, à peine déchargée au port, est amenée près de l’église de la Daurade pour être dispersée de manière équitable entre tous les maîtres de la corporation. Son apprenti et les charretiers qu’il a embauchés ne peuvent s’y opposer et « si ledit Carrière en vouloit sa portion, on la luy bailleroit68 ». La nouvelle de l’arrivée de ce plâtre dans la ville a été divulguée par le marchand François Marseillan69 qui a réalisé la transaction. Les éléments recueillis sur cet individu attestent ce qu’écrit un ingénieur du XVIII^e siècle au sujet de la vente de plâtre : « il n’y a point de matière dont on peut se servir plus utilement dans la construction des Bâtiments & sur laquelle on soit plus sujet à être trompé par ceux qui la débitent70 ».

• 71 AD Haute-Garonne, 3 E 26077, fol. 1162.
• 72 AM Toulouse, CC 2792, fol. 33 bis. Certificat rédigé et signé par Philippe Hardy le 6 mai 1762. Le (...)
• 73 Le nom de famille de ce domestique : « Gazand » apparaît une seule fois dans les pièces du procès. (...)
• 74 Causenière vient de causèno : chaux en occitan ; c’est l’ancien nom de la rue des Menuisiers. Voir  (...)
• 75 AD Haute-Garonne, 2 B 10691, « Adrian Pierre contre Balthazar, valet de François Marcillac, marchan (...)

38François Marseillan est un marchand spécialisé dans la vente de chaux et de plâtre établi en permanence à Toulouse. Il entrepose et débite du plâtre dans une grange dédiée et il effectue des livraisons aux artisans sur leurs chantiers, portant les sacs à dos de mulets. La première mention faisant état de son activité date de mai 1762 : il s’agit de la certification du bon paiement des quarante-six sacs et demi de plâtre de la montagne qu’il a procuré à la ville pour servir à « la construction des ouvrages de sculpture au feu d’artifice » pour la célébration du bicentenaire de la « Délivrance72 ». Deux ans plus tard, ce marchand est de nouveau en affaire avec les Capitouls mais pour une tout autre raison que le commerce. Alors âgé de quarante-deux ans, il est condamné avec son domestique Balthazar73 pour coups et blessures sur un portefaix qui surveille des magasins et entrepôts de bois au port Garaud. François Marseillan habite juste à côté, rue Causenière74, au faubourg Saint-Michel75 (fig. 23).

• 76 AM Toulouse, FF 809/7, liasse n° 155 ; FF 809/8, liasse n° 156.
• 77 AM Toulouse, FF 815/8, liasse n° 130.
• 78 Le 25 juin 1770, des crues répétées du fleuve entrainent la rupture de la chaussée de Braqueville, (...)

39Violent, voleur et agressif, Marseillan est coutumier des démêlés judiciaires. En 1765, deux affaires l’opposent au maître-plâtrier Botié dit Madelon cadet qui agit pour la communauté de métier et cherche à distribuer le plâtre équitablement76. En juin 1771, c’est sa nièce par alliance, Cécile Barthet, épouse du marchand de plâtre et charretier Bernard Lagardelle, qui dépose une plainte contre lui77. Elle assure que leur altercation provoque la fausse couche qu’elle subit quelques heures plus tard. Leur différend se déroule au magasin de Marseillan installé entre les deux portes du Bazacle, à proximité du port de Bidou où le plâtre est alors déchargé78 ; il découle du fait que Cécile Barthet est venue l’accuser – à raison – de lui avoir volé quatre sacs de plâtre.

• 79 AD Haute-Garonne, 12B 141, n° 46. Procès entre le marchand de plâtre François Marseillan et le plât (...)

40En cette même année 1771, François Marseillan s’oppose à nouveau au maître plâtrier Botié cadet auprès de la bourse des marchands79. Marseillan reproche à l’artisan de ne pas avoir réglé en totalité les livraisons de plâtre qu’il lui a faites entre juin et septembre 1770. À son tour, Botié cadet porte plainte contre lui car il estime que la facture est mal évaluée : certains règlements effectués n’ont pas été comptabilisés. La documentation constituée pour ce procès permet d’apprécier la quotidienneté des rapports du plâtrier avec son fournisseur. Ce plâtrier n’a pas de stock, il se fait livrer au jour le jour, au fur et à mesure de l’avancement du chantier. Lorsque Botié cadet travaille pour un certain Boubée dans le capitoulat de la Pierre, il reçoit cinq chars de plâtre le 26 mai 1770, six sacs le 15 juin, six sacs le 16 juin et un char et six sacs le 10 juillet. À cette dernière date, l’ouvrage est terminé, le plâtrier rend les six sacs restants au marchand. Le lendemain, il se fait livrer sur un autre chantier, à la Monnaie, qu’il mène visiblement depuis plusieurs jours puisqu’il s’y est aussi fait pourvoir les 18 et 19 juin. Ainsi, nous comprenons ce que les artisans entendent par leur volonté d’obtenir la fourniture « sans discontinuer » (fig. 24).

• 80 AD Haute-Garonne, 3 E 26077, fol. 1162, « Société entre François Marseillan de Toulouse, Pierre Pui (...)

41En mars 1772, François Marseillan constitue une société avec neuf fabricants de plâtre de la zone de Salies80. Toute la production de ces industriels est destinée à être débitée à Toulouse. Le plâtre est expédié dans le « bureau » du marchand pour qu’il en fasse la consommation et s’occupe du renvoi des sacs. Les fabricants passent un mois à tour de rôle à Toulouse pour gérer leurs affaires et rétribuent le marchand pour les frais d’hébergement.

• 81 AD Haute-Garonne, 187 Q 2, fol. 23 v°, comparution de Jeanne Bonneville, veuve et héritière de Fran (...)
• 82 AD Haute-Garonne, 187 Q 4, comparution de Jean, Jérôme, Gabrielle et Antoinette David, enfants et h (...)
• 83 SENTOU, 1969, p. 308.
• 84 AD Tarn-et-Garonne, 5 E 12832, 2^e reg., fol. 178-179, « Obligation par Jean Pilot dit Toulouse au s (...)

42L’inventaire des biens laissés par François Marseillan à sa mort81 ne fait pas état d’un entrepôt ou d’une boutique au contraire de celui de son concurrent, le marchand de plâtre Jacques David82, qui, en plus de sa maison avec jardin, dispose d’une grange et d’un magasin. Jean Sentou, qui a étudié les fortunes et groupes sociaux à Toulouse sous la Révolution, classe ces deux marchands dans la petite bourgeoisie et par ses analyses, il démontre que Jacques David est doublement plus riche que François Marseillan83. Peu d’informations sur l’activité de Jacques David nous sont parvenues mis à part le fait qu’il a été sanctionné par les Capitouls pour avoir mis en vente des sacs amoindris en 1787 et qu’en 1790, il fournit du plâtre au marchand Jean Pilot dit Toulouse, installé au faubourg Lacapelle à Montauban84.

• 85 AM Toulouse, HH 47, liasse, sept documents datant de 1779 : requêtes du sculpteur Jean-Baptiste Jul (...)
• 86 Ibid.

43En 1779, le sculpteur Jean-Baptiste Julia et la communauté des plâtriers de Toulouse exposent aux Capitouls combien il est difficile, voire impossible de travailler lorsque les bateaux ne peuvent pas circuler85. Aussi, ils soulèvent la question de la qualité du matériau, qui, durant ces périodes, est bien amoindrie. Le plâtre reste entassé dans les ports dans l’attente d’être chargé et se trouve exposé aux intempéries. Lorsqu’il peut enfin être amené à Toulouse, il est éventé. « Il est de notoriété que les plâtres sont si mauvais dans certains temps de l’année que pour cette raison les ouvriers sont obligés d’en faire porter de Castelnaudary sur le canal86 ».

• 87 AM Toulouse, HH 47, déclaration du 14 mars 1779 rédigée par la communauté des plâtriers de Toulouse (...)

44J.-B. Julia veut bâtir un four et un magasin de plâtre dans la ville de Toulouse, souhaitant que le gypse soit transformé sur place afin de travailler avec du plâtre « fort ». Revenu dans la ville après quinze ans passés à Paris, il pense pouvoir « être utile dans son païs » en mettant à disposition des artisans un magasin contenant toujours quatre mille quintaux de gypse prêt à cuire. Ainsi, comme l’expriment les maîtres plâtriers : « le public sera sur d’avoir du plâtre en tout temps et nous platriers ne seront plus exposés à cesser nos ouvrages dans le temps des basses eaux faute de plâtre, ce qui retarde souvent de trois à quatre mois chaque année la construction des maisons des particuliers, et nous porte à nous-mêmes un très grand préjudice par la cessation de notre travail87 ».

• 88 AM Toulouse, BB 57, fol. 82 v°-83, 13 avril 1779, huitième point. Délibération favorable des Capito (...)
• 89 AD Hérault, C 5704, lettre rédigée le 21 septembre 1779 par Raynal reçue par M. Soesve le 24 septem (...)
• 90 AD Hérault, C 5704, réponse négative de Necker quant à la demande de privilège exclusif de Julia ré (...)
• 91 AM Toulouse, HH 47, demande d’établissement de four à plâtre rédigée par Jean-Baptiste Julia, adres (...)

45Les Capitouls approuvent le projet et décident d’aider Julia pour l’obtention d’un privilège exclusif de neuf ans88. La requête est adressée au ministre des Finances après avoir été analysée par le subdélégué de la province du Languedoc, Raynal. Dans son rapport, il expose : « qu’un pareil établissement serer très avantageux pour le public ce qui est reconu non seulement par les ouvriers qui travaillent le plâtre mais encore par les officiers municipaux et par les membres de l’académie d’sculpteure et architecture à qui jen ay parlé89 ». Necker tranche et refuse, il explique « qu’un semblable privilège ne pourait que s’opposer à ce qu’il se fît des établissemens du même genre dans la ville de Toulouse, qui par la consommation qu’elle est dans le cas de faire de la matière dont il s’agit, doit jouir de toute la liberté qui lui est nécessaire par rapport à un objet aussi important pour elle. Ce serait donc agir directement contre ses intérêts que d’accorder au Sr Julia le privilège qu’il sollicite90 ». N’apparaissant pas sur le cadastre, ni au faubourg Saint-Michel, ni au faubourg Saint-Étienne où il est prévu de construire ce four, nous supposons que ce projet n’a pas vu le jour. Julia aurait dû engager de « grandes dépenses » afin de le réaliser et il n’aurait pu les recouvrir que grâce à l’obtention d’un privilège exclusif91.

• 92 Ibid.
• 93 AC Aix-en-Provence, HH 8, Mémoire sur les abus de la fabrication du plâtre, anonyme, 1785.
• 94 FERROUSSAT DE CASTELBON, 1776, p. 101-102.

46La volonté de Jean-Baptiste Julia, soutenue par les maîtres-plâtriers toulousains, s’inscrit dans un constat généralisé à plusieurs villes du royaume. La qualité du plâtre est décriée : trop de temps s’écoule entre sa cuisson et son emploi. Que l’on vive à Toulouse, située à « plus de douze lieux92 » des plâtrières ou à Aix-en-Provence où les carrières et fours sont aux abords de la ville, le conditionnement et le transport du plâtre nuisent à la préservation de ses qualités93. Travailler avec un plâtre éventé entraine une perte de solidité des ouvrages. Les mêmes constats sont tirés à Paris par Ferroussat de Castelbon qui développe un modèle de four fermé par une porte pour obtenir une cuisson homogène et doté d’une cheminée qui évacue les fumées bien au-dessus des habitations94. Incommodant peu le voisinage, il obtient un privilège pour bâtir des fours à plâtre dans l’enceinte de la ville. Cette condition devient déterminante à compter du décret impérial du 15 octobre 1810 sur la construction de manufactures répandant une odeur insalubre ou incommode qui impose l’établissement d’enquêtes préalables (fig. 25).

• 95 AD Haute-Garonne, 5 M 22.
• 96 AD Haute-Garonne, 5 M 22. Étienne Cauquil établit quatre fours à chaux en 1838, puis quatre fours à (...)

47Les dossiers déposés à la préfecture montrent que le XIX^e siècle voit fleurir des fours à plâtre dans Toulouse : en 1835, le sieur Barrat en bâtit un à la Patte d’Oie95 et dans les années 1840-1860, Étienne Cauquil développe une fabrique de plâtre et chaux qui fonctionne à la houille près du pont des Demoiselles, au bord du canal du Midi où trois barques le fournissent en pierre96 (fig. 26 et 27).

• 97 Voir les dossiers très complets sur l’exploitation du gypse, la fabrication et le transport ferré d (...)

48Malgré sa faveur auprès des artisans toulousains, le commerce du plâtre de la montagne recule progressivement à Toulouse au XIX^e siècle. Il est de plus en plus concurrencé par le plâtre de Tarascon-sur-Ariège, réputé plus pur, où la production s’organise et s’intensifie toujours plus97. Les efforts de mécanisation réalisés par quelques exploitants de la zone de Salies restent insuffisants face aux sociétés tarasconnaises et à l’arrivée du chemin de fer.

• 98 A.N., F/14/8221; AD Ariège, 8 S 494. Arrêté préfectoral donné à Foix le 18 juin 1864, imprimé à Foi (...)
• 99 « … le plâtre contient fréquemment de l’anhydrite avec des pyrites qui font feu sous le bourroir en (...)
• 100 Gabriel Castex est tué le 16 janvier 1866 dans la carrière de Cloutas ; Jean-Marie Attané, dit Pige (...)

49En dehors de l’usage généralisé de la poudre, le travail dans les carrières de la zone de Salies n’évolue pas au XIX^e et s’apparente à une économie de survie. Malgré un règlement par arrêté préfectoral afin de prévenir les accidents98, mettant l’accent sur l’importance des piliers de soutènement et l’emploi dommageable des bourroirs en fer99, la situation ne s’améliore pas (fig. 28). Les effondrements sont fréquents et les morts accidentelles des ouvriers se succèdent100.

• 101 AD Ariège, 8 S 494. Arrêté préfectoral : interdiction de la partie souterraine de la carrière de Pe (...)
• 102 AD Ariège, 8 S 494. Compte-rendu de la visite du garde mines aux carrières de Betchat le 22 septemb (...)

50Bien que l’accès aux chantiers souterrains soit officiellement régulièrement interdit, les carriers persistent dans l’exploitation. Perçus comme des « ouvriers nécessiteux »101, ils sont peu sanctionnés. Il leur est conseillé de créer des treuils ou de travailler à ciel ouvert pour conserver un moyen de subsistance, mais l’on tire le constat de l’entêtement de ces fabricants de plâtre : « il est bien difficile d’obtenir quelque chose des carriers de Betchat, qui sont pour la plupart de simples tâcherons, travaillant sans vue d’ensemble, en commun ou isolément, sans autre guide que la routine, et sans autres ressources que leur modeste gain. »102. Il faut attendre le XX^e siècle pour que l’exploitation soit méthodique et sécurisée (fig. 29 et 30).

• 103 Je remercie chaleureusement mon amie Marianne Brunet pour son aide précieuse et sa participation ac (...)
• 104 La chapelle est consacrée par l’archevêque de Toulouse en avril 1866, cf. La Semaine Catholique de (...)

51Le vallon du Lens porte la trace de l’industrie du plâtre : les terrains sont jonchés de puits et cavités qui n’ont pas été comblés et qui sont pour la plupart inondés103. Çà et là, le bâti témoigne : des moulins construits au bord du Lens au XIX^e siècle se devinent encore (fig. 31 à 33). Et à Marsoulas, la chapelle Notre-Dame du Bon Secours érigée par les « bons ouvriers qui exploitent les carrières de plâtre dans cette contrée » vient rappeler l’importance qu’a revêtu cette économie durant deux siècles sur ce territoire104 (fig. 34 et 35).